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Full text of "Dictionnaire amoureux de l'Humour"

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Jean-Loup 
Chiflet 





Dictionnaire 
amoureux 




de 

l'Humour 



Plon 



JEAN-LOUP CHIFLET 



DICTIONNAIRE 

AMOUREUX 
DE L'HUMOUR 



Dessins d 'Alain Boiddouyre 



PLON 



www.plori.fr 

Collection dirigec par 
Jean-Claude SlmoCn 



O Pkm, 2012 
Photomontage Mona Lisa, c. 1503-6 (detail) par Leonard de VincL Louvre, Paris. 6 Giraudon C images.com/CQRBIS 

EAN : 978-2-259-21955-6 
Ce document mtmerique a ete realise par ,\ ! orti Cwmpu 



// est poli d 't'fre gai. 

Voltaire 



Prolegomenes 

Je le concede, voila un mot rare, et je rappelle a ceux qui l'auraient oublie qitil s'agit d\< une ample 
preface contenant des notions preliminaires necessaires a ('intelligence d'un livre ». Je precise aussi 
qu'en dehors de mon editeur Jean-Claude Simoen, de Chateaubriand qui prefacait ainsi ses Memoires 
d'outre-tombe, en 1809, et de Kant avec ses Pmlegomenes a toute metapkysique future, nous ne 
sommes pas nombreux a en faire usage. 

Et voila que j'allais ecrire « treve de plaisanterie ». . . Un comble pour un livre d'humour, et comme 
j'ai voulu etre drole des ces premieres Iignes, pour etre de circonstance, que ceux qui me taxeraient 
d'outrecuidance sachent qu ils se sont trompes d'ouvrage. Ce choix pedant est plus a propos que ces 
synonymes preambulatoires, du genre Preface, Prologue, Averlissement, Avant-propos ou Introduction, 
qui ne cherchent le plus souvent qua excuser ce qui va suivre, alors que je voudrais plutot vous aider a 
comprendre les motivations qui m'ont conduit a rediger ce livre. 

Pourquoi aime-je autant rhumour, pour avouer presque en rougissant, telle une nymphe emue, que 
j'en suis amoureux ? Humour, mon amour, peut-etre, mais quest-ce que r humour ? On a assez dit que 
cette denree rare est indefmissable. A vouloir definir r humour, on ne peut en effet que craindre d'en 
manquer, et ce que Ton remarque d'habitude, c'est plutot son absence des qu'il est question de sens tie 
I humour. 

L' humour ne se definit pas, parce que ce n'est pas une institution, mais une maniere de voir et de 
donner a voir des idees re?ues. On le verra, il existe nombre d 1 humours paralleles : esprit francais, 
humour juif, comique, agressif, naif, engage, cerebral et absurde, mon prefere. 

Un dictionnaire qui se veut « amoureux » implique par definition un choix subjeetif. U humour ou les 
gens d'humour que j"apprecie ne seront pas forcement a vou*e gout. C'est un sujet ideal de conflit qui 
varie d' individu a individu, et ce qui fait sourire M. Dupont ne fera pas necessairement rire Mme Dubois, 
etvlce versa* Cette selection par r humour presente done le risque d'offenser ceux ou celles qui n'y 
figurentpas, etje me reserve sans doute des matins qui dechantent. pour avoir provoque l'ire des recales. 
J'ai neanmoins le sentiment d'avoir fait la part des choses, mais non d'avoir ete impartial. 

11 n'en demeure pas moins que, de tons les livres que j'ai conmiis, celui-ci sera sans doute le plus 
marque par des oublis ou des negligences. 

J'ai d'ailleurs au moment oil je relis ces Iignes quelques regrets bien cibles, ceux par exemple de ne 
pas avoir pris le temps d'evoquer comme ils le meritaient des ecrivains comme Eric Chevillard dont le 
style epoustouflant me rejouit ou encore ce fabuleux inventeur de langue qu'est Valere Novarina. 

Alors, que dire pour ma defense, si ce n'est que Terreiir est humaine et rappeler que rhumour n'est 
sans doute pas une science exacte ? 

Je me suis aussi attache a faire Finventaire des fonctions de ce que j'appelle rhumour salutaire : 
Thumour qui desangoisse, pour se proteger du desespoir, rhumour autoderision, pour lutter conire le mal 
de vivre, ou rhumour qui rend plus sage et plus intelligent, comme celui qui perrnet de s'instruire en 



s'amusant. 

L* humour est leger, mais il n'est pas a prendre a la legere, et s'il est futile, il rfest ni frivole ni 
gratuit, car il a une vraie portee morale. Andre Breton se plaisait a rappeler a ce sujet « le singulier 
pouvoir de domination sur soi-meme et sur les autres que coniere r humour ». La tres respectable 
Academie des sciences morales et politiques n'est pas en reste, puisqu'en 1994 elle affirmait 
solennellement que « 1' humour doit etre pris au serieux » et qu'il « enseigne la moderation et un certain 
mepris de la vanite. II peut s'il persiste devenir un trait de caractere, voire un art de vivre. Plus qu'unmot 
d'esprit, c'est avant tout une tournure d'esprit ». 

L'ecriture de ce livre m'a permis aussi de faire un constat affligeant sur le ricanement generalise qui 
est de mise dans le paysage mediatique francais ; je partage a ce sujet le point de vue des philosophes 
Francois L'Yvonnet et Alain Finkielkraut. qui deplorent la banalisation d'un rire institutionnalise par les 
pseudo-champions d'un humour formate par le marche ou la politique. Ah, elle est loin, cette bonne 
vieille tradition francaise oil la satire, la ferociteet rinvectivecoulaient encore dans nos veines !... 

Desormais la grande presse, eta plus forte raison la radio et la television, se mefient des expressions 
trop tranchees, des turbulences de pensees et des truculences de langage. ce qui risquerait de choquer 
telle ou telle partie du lectorat oude l'auditoire. De nos jours, Pecriture est de plus en plus aseptisee, et 
les plumes se trempent de moins en mo ins dans le vitriol. Les journalistes, les orateurs et les ecrivains 
qui carburent a P adrenaline font scandale. Comme s'il etait devenu obscene d'ecrire tels les Goncourt 
dans Pelan de ces « belles coleres nerveuses qui fouettent le sang et qui trouent le papier ». C'est mal 
connaitre notre histoire, lorsqu'on pense aux brillants polemistes de la Renaissance que furent Rabelais et 
Montaigne ou, plus tard, les courageux auteurs de libelles et autres mazarinades. Que dire aussi de Pascal 
etrillant les jesuates et de Moliere arrachant leur faux nez a ses contemporains ? Est-il necessaire 
d'aj outer les Montesquieu, \foltaire, Beaumarchais, et tous leurs emules qui porterent le bel art de la 
polernique, et avec quel talent ? Et dans ce carnaval de pamphletaires, comment ne pas citer encore ces 
me'morialistes au curare que furent Saint-Simon, Retz ou La Rochefoucauld ? 

\bila pourquoi je n'ai donne ici que peu de place aux comiques profess ionnels contemporains qui 
font semblant de deranger alors que leur rire n'a rien a voir avec P humour. 

Plus delicat et plus difficile a justifier, peu de femrnes a V horizon. Un debut de scandale ? Une 
insupportable misogynie ? Je sens deja la rumeur des protestations s'elever. Pourtant, ce n'est pas faute 
d'avoir vouluratisser large, entre Mme de Sevigne et Valerie Lemercier. par exemple ! Mais je reconnais 
que je n"ai pas trouve assez de femmes d'esprit pour respecter la parite, si « tendance » par les temps qui 
courent. Evidemment, je les ai ecoutees et appreciees, et je pense a celles qui « squattent » les plateaax 
de television, les studios de radio, les theatres et les cabarets : Anne Roumanoff, Julie Ferrier, Florence 
Foresti, Elisabeth Buffet, ces filles naturelles de Sylvie Joly, Chantal Ladesou et de Muriel Robin, de 
vraies comiques de scene, mais moias bricoleuses de mots que certains de leurs petits carnarades que je 
leur prefere. 

Cet ouvrage se rapproche plus d'une anthologie que d'un dictionnaire. Qui dit anthologie dit citations, 
et j' imagine queje suis le premier dans celte prestigieuse collection a en abuser, entoute connaissance de 
cause, car une bonne citation vaut mieux qu'une longue explication. Le meilleur livre jamais ecrit sur 
rhumour n'est-il pas cette Anthologie de 1 'humour noir d' Andre Breton, consideree comme la bible des 
amoureux du genre ? Entre le florilege et P anthologie, la frontiere est etroite mais significative. Le 
florilege est un simple « recueil de pieces choisies », et Panthologie est un « recueil des productions les 
plus caracteristiques d'un ensemble ». Nous y sommes, et grace a Pordre alphabetique, on pourrait 
Pintituler Dictionnaire amoureux et anthologique de I 'humour. Ce serait une premiere. 

Autre innovation, un « plus produit », comme disent tres disgracieusement les publicitaires, labellise 
pompeusement Pantheon, ou Jean-Claude Simoen et moi avons voulu sacraliser les persiflages, saillies, 
faceties et citations d'humour qui nous paraissent meriter notre plus fervente admiration. 



Je vous laisse maintenant badiner avec rhumour et ces humoristes rassembles ici pour vous. 

D'AIphonse Allais a Montesquieu, de Bourvil a \bltaire, de Francis Blanche a Jonathan Swift, vous 
n'aurez que Tenibarras d"un choix eclectique a travers cette anthologie egoiste et drolatique. Qu'ils 
soient anthumes ou posthumes, poetes, romanciers, misanthropes, comiques, truculents, sarcastiques, 
aphoristes euphoriques. saltimbanques langagiers ou princes sans rire, ils sont la pour vous faire sourire, 
voire plus si affinites, en vertu de ce principe imparable enonce par Prevert : « LThumour est nenarrable, 
solite, decis, ponderable, commensurable, tempestif et trepide. » 

Qui dit mieux ? 



Agelaste 

« Le rire est un des plus surs agents de retouniement du cercLe vicieux de la maladie au cercle 
vertueux de la sante », affirme le docteur Rubinstein dans La Psychosomatique du rire, poursuivant ainsi 
la tradition, puisque depuis FAnti quite les medecins preconisent dix minutes de rire par jour pour se 
maintenir en bonne sante. En 1939, les Francais riaient parait-il dix-neuf irrinutes par jour, en 1983 six 
minutes, en 2000 une minute, en 2012 d'aucuns disent quails ne rient plus du tout Serions-nous tous 
devenus des agelastes ? 

Ce mot cree au xvi e siecle par Francois Rabelais, repris du grec, signifie : « Celui qui ne rit pas, qui 
n'a pas le sens de r humour. Rabelais detestait les agelastes. n en avait peur. II se plaignait que les 
agelastes fussent si "atroces contre lui" qu'il avait failli cesser d'ecrire, et pour toujours » (Milan 
Kundera, L 'Art du roman). 

Agelastes celebres : Isaac Newton, qui n'aurait ri qu'une seule fois dans sa vie, Staline, Margaret 
Thatcher ou le personnage cree par Buster Keaton au cinema et d'autres, tels : 

— Ignace de Loyola, « Ne dites rien qui provoque le rire ». 

— Louis de Blois, « Fuyez les rires eclatants comme un precipice oil Tame tombe et se perd ». 

— Le cure d' Ars, « Le rire est la corde par laquelle le demon entraine le plus d'ames en enfer ». 

— Saint Louis de Montfort, « Le rire est condarnnable a regal de la fornication ». 

— M. Carreidas dans Les Aventures de 77/7////, « L'homme qui ne rit jamais ». 

La question est de savoir si Ton peut soigner les agelastes, mais aussi si le rire peut etre considered 
comme une therapie serieuse.,4 priori je dirais oui. Je me souviens d'avoir lu en 1980 un best-seller 
americain, Comment je me suis soigne par le rire de Norman Cousins, qui racontait qu"avec la 
complicity de son medecin qui ne lui donnait qif une chance sur cinq cents de guerison il avait reussi a 
sortir de ce mauvais pas grace au rire, en se faisant projeter plusieurs films comiques par jour, tout en se 
gavant de vitarnine C. 

La Bible nous apprend qu*« un cceur joyeux peut faire ceuvre de medecin ». Francis Bacon parlait, 
lui, des « caracteristiques physiologiques de la gaiete » et Robert Burton il y a quatre siecles dans son 
Anatomie de la melancalie affirmait que « l 1 humour purge le sang, rendant le corps plus jeune, plus vif et 
apte a toutes sortes d'emplois ». Emmanuel Kant dans sa Critique de la raison pure ecrit que le rire 
« renforce les phenomenes physiques vitaux, raffectionqui remue les intestins etles diaphragmes ». Cela 
confirme ce que pensent d'eminents gastro-enterologues de ma connaissance, les gens qui rient de bon 
coeur ne sont jamais constipes ! 

Plus serieusernent Freud pensait, sans rire, que la gaiete etait un excellent moyen de reagir contre la 
tension nerveuse. 

D'autres eminents specialistes attribuent a Lendorpliine, cette substance proche de la morphine que 



Ton trouve dans le cerveau humain, une faculte determinante dans le processus de lutte contre la douleur. 
lis pensent que ce sont les emotions positives qui les slimulent et permettent leur deversement dans la 
circulation sanguine. 



Alice au pays des merveiDes 

En aucun cas Alice au pays des merveilles ne saurait etre reduit a un livre pour enfants, bien que 
l'heroine en soit une fillette. Son auteur, le rigide Charles Lutwidge Dodgson (1832-1898), n'avait rien 
d'un amuseur public : professeur de rnathernatiques au Christ Church College d'Oxford, on le disait rabat- 
joie. Gaucher, ce qui etait pris pour une anomalie a l'epoque, et begue, il etait mal a raise parmi ses 
etudiants auxquels il dispensait des cours ennuyeux. II flryait les adultes et recherchait la compagnie des 
enfants, surtout des petites fllles, qu'il aimait photographier. D'apres un psy de mes amis, il etait autiste 
et pedophile. Pas etonnant si les ladies de la societe victorienne s'enmefiaient. Mais comme dans chaque 
docteur Jekyll il y a un Mr Hyde qui soinmeille, cet individu austere et asocial s'est revele un ecrivain 
talentueux du nonsense. Presse par une petite fille, Alice Liddell, de fixer dans un livre Thistoire qu ? il 
venait d'improviser pour elle et ses petites sceurs, il cent Alice au pays des merveilles (1865), recit d'un 
voyage au bout de Fabsurde. Et e'est ainsi que Charles Dodgson est devenu Lewis Carroll. 




Alice reve au lieu d'apprendre ses Iecons. Elle s'ennuie, les livres scolaires sont tristes, ils n'ont 
jamais d'images. Alors quand elle apercoit un petit lapin blanc elle decide de le suivre. Elle penetre daas 
son terrier, et une chute interminable Tentraine dans un monde souterrain, peuple de creatures 
invraisemblables : les jardiniers ont un corps de cartes a jouer, on peint les rosiers blancs en rouge, 
quand on joue au croquet on remplace les boules par des herissons et les maillets par des flaniants roses, 
et il y a un chat qui n'arrete pas de sourire. Habituee aux codes et aux principes de sa famille et de la 
societe victorienne, Alice est destabilisee. Elle essaie en vain de dormer une apparence de logique a ces 
situations inattendues, mais ne sait plus que croire entre ce qu'elle voit et ce qu'on lui a appris. Et dans 
ce monde qui n'est pas le sien, Alice ne sait plus qui elle est. 

Cet univers qui nous semble absurde est Teeuvre d'un etre inadapte a son epoque. Emprisonne dans 
les convenances, coniraint de museler ses emotions et d'etouffer ses pulsions. Lewis Carroll s'est cree un 
monde a Tenvers ou ranormal est devenu la nonne. Le professeur de mathematiques defenseur de la 
geometrie euclidienne est passe de Tautre cote du miroir. Et ce pays des merveilles qui se moque de la 
vraisemblance me faitpenser au genie creatif du Facteur Cheval... Je doute qu'il seduise, mais je suis sur 
qu'il interpelle. 

Je ne lirais pas Alice au pays des merveilles a un enfant, le trouvant assez derangeant pour un jeune 



lecteur. Certes, le linguiste buissonnier que je suis vous dira que Wonderland (le pays d'Alice) vient de 
wonder qui signifie « merveille ». Mais laissez-moi preciser que le verbe to wonder peut signifier 
egalement « s'etonner », « se demander ». Or il me semble qu' Alice s'interroge aulant qu'elle 
s'emerveille. 

Je Iaisserais volontiers Tincongru et Tabsurde aux adultes pour offrir plutot aux enfants un bon conte 
de fees bien de chez nous ou de chez Andersen, meme s'il y a bien sur des mechants qui font peur, genre 
ogres ou sorcieres, mais ils sont toujours punis, et grace a la magie du « II etait une fois », Thistoire est si 
eloignee du reel que meme pas peur ! Alors que dans ce pays des merveilles il n'y a ni bien ni mat, ni 
bon ni mechanic que du bizarre, et 1 'enfant ne trouve aucune reponse a ses Pourqitoi ? 

Vbus I'aurez sans doute compris, entre Alice et Nounours, je choisis plutot le second. Bonne nuit Ies 
petits ! 



Allais, Alphonse (1854-1905) 




Ceux qui pensent que Madame Soleil, Elizabeth Teissier ou Francoise Hardy ne racontent pas que 
des carabistouilles persistant a donner a Fastrologie ses Iettres de noblesse ne vont pas etre degus. 

Le 20 octobre 1854, une curieuse conjonction de planetes faisait venir au monde deux genies de la 
litterature : un petit Artliur dans la famille Rimbaud a Charleville et un adorable blondinet. Alphonse, au 
premier etage de la pharmacie Allais, sise a Honfleur, chez des « parents francais, mais honnetes ». Un 
comble pour le jeune Allais qui plus tard se delecterajustement aimaginerdes combles qu'il publia dans 
L 'Hydropaihe et qui lui valurent les debuts de sa celebrite. 

— « Quel est le comble de la politesse ? S'asseoir sur son derriere et lui demander pardon. » 

— « Quel est le comble du cynisme ? Ne pas sortir de chez soi et jouer sur son piano toutes les 
heures et toutes les demies pour faire croire aux voisins qu'on a une pendule. » 

— « Quel est le comble de la bonte d'ame ? Refuser qu'on pende la cremaillere. .. » 

Mais qui etait ce petit Allais qui ne prononca pas un mot jusqu'a Page de trois ans, avant d'accoucher 
d'une ceuvre de plus de cinq mille pages nornmee fort joliment CEuvres anlhurnes, avant de mourir jeune 
en 1905, non sans avoir ete le plus pille de tous les ecrivains, au point d'etre surnomme •« La vache 
Allais »? 

Comment cet infatigable « tueur a gags », ce moustachu misanthrope (personne ne se souvient de 
Tavoir vu rire) et qui n'airnait ni les chiens ni les chats, a-t-il pu commettre autant de contes, d'histoires, 
de fables-express, de calembours et de pensees comme celles-ci ? 

— Metaphysique : « Dieu a agi sagement en placant la naissance avant la mort : sans cela, que 
saurait-on de la vie ? » 



— Geopolilique : « Ce qui frappe le plus le voyageur quand il arrive a Venise, c'est F absence totale 
de parfumde crottin de cheval. » 

— Economists : « 11 faut demander plus a Fimpot el moins au contribuable. » 

— Philosophique : « Tout est dans tout, et vice versa. » 

Comment, disais-je, le pote Allais (sic) s'est-il impose comme Tun des plus grands ecrivains de 
notre temps ? C'est en tout cas mon opinion et je ne suis pas seul a la partager, car ce precurseur du 
foisonnement litteraire poetique et ludique du XX 6 siecle a beaucoup influence des Queneau, Prevert, 
Desproges ou Devos, et d'autres encore. 

Bien avant 1'OuLiPo, il avait deja songe a reformer rorthographe pour laquelle il avait une 
veneration, tout en fustigeant ceux qui pretendaient la reformer : 

« La kestion de la reform de lortograf est sur le tapi. 

[...] Koi kil en soi, ce proje de reform a le plu grande chans d^tr adopte, sinon ojourdui, du moin 
dan peu de tan. 

On ecrira com on pari, e person ne san trouvera plu mal. 

KLi nou dit ke no peti neveu ne se railleron pa de notr mani dimpose tel form a tel mot pluto que tel 
otr? 

Cet reform, je ne me le dicimul pa, a contr el de puissan zennmi, Leconte de Lil, Frangoi Cope et 
dotr. Cope, lui, pleur de ce kil ny a kun h a ftisi. Si on lecoule, on ecrire phthisie, pourkoi pa phthishie 
pendant kil y e ? 

Tou 9a, ce son de zanfantiyaj, e tene pour certin ke si lortograf ne pa morte, o moin el a du plon dans 
lei. 

De zespri moyen, de zoportunist com on di en politic, propoz timideman de respecte le non propr. 
Pourkoi don ca ? 

Kan on fe une reform il fo la fer radical ou ne pas san meler, voila mon avi ! » 

Patrice Delbourg, orphelin d'Allais, qu'il appelait « Uidiome du village » rappelle que tout ce qui 
reste d'Alphonse, c*est du papier : « Des idees imparables, des phrases rudement bien balancees, des 
metaphores aventureuses, le mot au cordeau, du souffle a revendre, de la prose sans reproche qui se 
transforrne en bruit incessant, un munnure qui accompagne nos nuits et nos jours. » 

Francois Caradec, qui a consacre une partie de sa vie a publier les ceuvres d'Alphonse, sans compter 
une monumentale biographie, pense qu'il etait Tun de ceax qui surent le mieux mettre le doigt sur toutes 
les ressources qu'offre le langage, ses secrets et ses pieges, que ce soil le calembour (« Comrne il faisait 
chaud. l*affaire transpira »), les a-peu-pres (« Apres s'etre assure que Fairer qu'on lui servait etait bien 
de Tamer Michel et le curacao du vrai curacao de Reischoffen »), le zeugme (« Je fiis presente a la 
famille ou je plus tout de suite, a verse »)etmeme ranglomanie : 

« hamlet : Qu'avez-vous fait de la bouteille de gin ? 

le fossoyeur : J'ai tout bu. 

hamlet : Tout bu or not to bu ? » 

Mais ce sont surtout les curiosites et excentricites de la Iangue francaise qui font sa joie et la mienne : 

« Je me rappelle Tamusante boutade de mon pauvre vieil ami Hippolyte Briollet : On dit "Francfort- 
sur-le-Main" et "avoir le cceur sur la main". Comment voulez-vous que les etrangers s'y reconnaissent ? 
Moi aussi, je me demande comment les etrangers peuvent s*y reconnaitre. » 

Ou encore : « C'est la premiere fois que j'ecris "Suissesses" et je suis epouvante par la quantite 
d'"s" absorbee par ce simple mot (6 s pour 1 lettres). » 

Sans compter les mots qu'il cree pour le plaisir : 

« L'ivre-mortisme », « la funebrerie », « la rythmosite », « la moyenagerie », « le tronicule », « la 
faroucherie », « rambigulativite », « le pas-de-bilisme », « Texasperabilite », « le rendonnissement », 
« le pataugeage », « le bluffage », « desastrifere », « catasrrophore », « crapuliforme ». 



Lorsqu'il etait journal iste debutant, Allais avait pris F habitude chaque mois de venir toucher son 
appointement, car, disait-il : « Je ne vais quand meme pas deranger Ie pluriel pour si peu de chose. » 

Un autre jour, se trouvant dans une minuscule gare de province, il felicita le chef de gare : 

« Bravo, pour votre ravissante petite gare. \bus auriez cela rue Saint-Lazare a Paris, vous auriez un 
inonde fbu ! » 

Notre Alphonse national qui avait effectue son service militaire au 119 e de ligne se signala par 
quelques hauls faits... linguistiques : 

« Bonjour m'sieurs dames », s'ecria-t-il en entrant dans une salle d'officiers superieurs, en reclamant 
la pennission de nuit attribuee aux hommes maries, et une autre « de jour » en pretendant qu'il etait 
bigame... 

Dans son appartement du 24, rue Royale a Paris, il se vantait d'avoir rassernble quelques belles 
pieces : 

— une tasse avec arise a gauche pour gauchers ; 

— le crane de Voltaire enfant ; 

— un veritable morceau d'une des nombreuses fausses croix authentiques de Notre-Seigneur Jesus- 
Christ 

En 1902, il pubheLe Captain Cap, sous-litre Ses aventures, ses idees, ses hreuvages, que Tristan 
Bernard, Jules Renard, Sacha Guitry, Andre Breton et Raymond Queneau constderaient comme Touvrage 
d'« un tres grand ecrivain ». 

Dans son avant-propos, Allais previent le lecteur : « Le Captain Cap n'a jamais existe, assure-t-on 
couramment au sein de certaines spheres d'habitude mieux informees. Eh bien, il importe de dissiper une 
des plus grossieres erreurs de ce temps. Le Captain Cap a bien existe. » 

Nous voila prevenus. Mais qui etait le Captain Cap ? Un ancien aventurier des mers et du Far West, 
oil il decouvrit d'importantes mines de charcuterie, et qui, une tbis rentre en France, se lance dans la 
politique pour lutter contre le mensonge, rhypocrisie, la fraude et la betise. Arme d'un humour absurde et 
d'une batterie de cocktails antidepresseurs, dont on trouve la liste complete en annexe de l'ouvrage, le 
Captain Cap va s'escrimer a deboulonner les fausses valeurs de la France etemelle en se presentant a la 
deputation. Non sans avoir auparavant expose son programme ou il est question d'etablir un fort sur la 
butte Montmartre, de transformer la place Pigalle en port de mer, de supprimer la bureaucratie et Timpot 
sur lesbicyclettes... 

Je retiendrai aussi son projet de diviser la France en douze tranches latitudinales dont chacune 
porterait le nom d'une heure de Thorloge : 

« Le Midi sera toujours le Midi ; la tranche situee immediateiTient au-dessus s'appellerait l'Onze 
heures, celle d'au-dessus le Dix heures, et ainsi de suite jusqu'auNord. 

La derniere tranche (ultima ratio), celle situee le plus au nord, s'appellera, par consequent. Time 
heure. Paris, par exemple, si je ne me trompe, se trouverait dans le jeudi - cinq heures vingt. Mon projet, 
comme vous le voyez, est simple, trop simple meme pour etre adopte par ces messieurs du 
gouvernement » 

Mais dans ce Iivre, le Captain Cap ne se contente pas de faire miroiter son programme electoral. II 
narre avec force details ses aventures autour du monde, en particulier dans la region du Haut-Niger ou les 
girafes lorsqu'elles sont atteintes de laryngite se couchent en exhalant une sorte de plainte melodieuse qui 
a la propriete d'attirer le boa constrictor : 

« Ce reptile arrive a pas de loup, si j'ose m'exprimer ainsi, et doucement, sans rien brusquer, 
s'enroule autour du cou de la jeune malade, du ras des epaules jusqu'au-dessus de la tete. Nos elegantes 
Parisiennes portent des boas en plume ou en fourrure. Les girafes portent des boas en boa, ce qui est bien 
plus pres de la nature. Quarante-huit heures de ce traitement et la girafe est plus vaillante que jamais ! 
Hein! 



Qifest-ce que vous dites de 9a ? » 

Pour en finir avec ce drole de Captain, car je ne peux que vous inciter a le lire, ou a le relire, 
j'ajouterai qu'il preconise aussi de remplacer « le pigeon » qui comme son nom Findique est un 
imbecile... par « le poisson voyageur » pour transporter Ies depeches militaires, en faisant attention 
cependant de menager leur caviar... et a suggerer aux artilleurs d'utiliser des « crocodiles pontonniers » 
pour franchir les ponts sur leur dos. .. 

Une solide formation scientifique le conduira a s'interesser serieusement cette fois a la photographie 
en couleurs, a la synthese du caoutchouc et au cafe soluble par lyophilisation pour lequel il deposera un 
brevet, sans compter une foule d'autres inventions d*une incontestable utilite : 

— des prairies verticales permettant aux girafes de brouter plus facilement ; 

— un appareil a detacher la moutarde des parois du pot a moutarde ; 

— un aquarium en verre depoli pour poissons timides. 

Comme il ecrivait toujours au cafe, P absinthe (Ies absinthes ont toujours tort...), qui en ce temps-la 
faisait des ravages, n'epargna pas ce membre eminent du club des Hydropathes ou il s'etait inscrit, 
croyant que ce terme designait ceux qui ont a souffrir de Teau, ce qui ne flit pas prouve. 

En 1905, il Hit victime d'une grave phlebite et bien qu'un rnedecin lui cut ordonne six mois de lit, il 
prefera se lever et aller au cafe. Le 27 octobre, il rencontra un ami et lui demanda de le reconduire a 
1' hotel Britannia, au 24, rue d'Amsterdam a Paris, ou il habitait en Tabsence de sa femme. 

« Demain, je serai mort. lui dit-il. \bus trouvez 9a drole, mais moi, je ne ris pas. Demain, je serai 
mort ! » 

Le lendemain, 28 octobre, vers 8 heures, il mourait d'une embolie foudroyante a cinquante et un ans. 
On Tenterra au cimetiere de Saint-Ouen. 

Sa tombe disparut en 1944, au cours d'un bombardernent allie sur la gare de La Chapelle. II n'en est 
rien reste, pas meme un eclat de marbre... 

Comme il avail l'habitude de dedicacer lui-meme ses livres en ces termes : « A Alphonse Allais, 
avec le regret de ne pas 1'avoir connu. Vbltaire », j'aurais aime lui dedicacer celui-ci : « A Alphonse 
Allais, avec le regret de ne pas P avoir connu. » 



A lie 11. Woody 

Nom : Konigsberg, prenom, Allen Stewart, fils de Martin et de Netty, frere de Letty. Origines : 
descendant de juifs immigrants d'origine russo-autrichienne parlant allemand. Ne a New York en 1935, il 
passe Ies premieres annees de sa vie a Tecole judaique avant d'integrer l'ecole publique, 011 il 
impressionne ses petits cainarades avec ses tours de magie. II commet des sketches pour des stars du 
stand-up, se produit dans des shows et commence a ecrire pour certains magazines dont The New Yorker. 

Premier coup de genie, comprendre que ses defauts psychologiques sont un plus pour batir et installer 
son personnage d 1 intellectuel nevrose, ce qui lui vaut en 1969 de faire la couverture de Life, a Toccasion 
de la sortie de sa piece Play It Again, Sam. 

Son premier film ? Quoi de neuf, Pussycat ? en 1965, ou il est a la fois scenariste et acteur. 

Sa passion pour le jazz ? Un coup de cceur pour Sidney Bechet quand il a quatorze ans. apres avoir 
tate du saxophone, ce qui explique le choix de son prenom. Woody, comme son idole le musicien Woody 
Herman, bien qu'il choisisse plus tard la clarinette. 

Les femmes de sa vie ? Trois epouses officielles. Harlene Rosen, epousee en 1956, puis Louise 
Lasser, qui jouera dans plusieurs de ses films dont Prends I'oseille et tire-toi. Ensuite, il ne se marie pas 
avec Diane Keaton avec qui il reste dix ans, ni avec Mia Farrow, douze ans, mais il epouse Soon-Yi, sa 



fille adoptive, en 1997. 

Ses autres films ? Une bonne vingtaine, avec pour moi une nette preference pour Annie Hull, Hannah 
et ses saeurs et Manhattan. 

Les films preferes de Woody ? Citizen Kane, Un tramway nomme desir, Cris et Chuchotements, Les 
Quatre Cents coups , A bout de souffle, Le Voleur de bicyclette, Chantons sous la pluie et La Soupe au 
canard, entre autres. 

Le plus, mauvais de ses propres films selon Iui ? Le Sortilege du scorpion de Jade dans lequel on 
voit David Stiers hypnotiser un detective d'assurances, joue par... Woody lui-meme. 

Woody Allen est-il vraiment genial ? Pour moi, cela ne fait aucun doute. En fait, j'envie Woody 
Allen... \foila, c'est dit. Je Tenvie parce que chaque fois que je le lis, et apres avoir vu tous ses Films, 
certains meme plusieurs fois, j'enressors ebloui et... frustre, en me demandant pourquoi je n'ai pas eu la 
meme idee, pourquoi je ne suis pas capable d'ecrire et d"exprimer les memes choses, puisque je les 
ressens comme lui, bref, pourquoi je ne suis pas, excusez du peu, le Woody Allen frangais... ? "Vaste et 
pretentieux debat, mais interessant. Si je nfidentifie tani a lui, c'est que nous avons peut-etre quelques 
points communs. Ses lunettes ? Tai eu les memes il y a une trentaine d'annees. Son pessimisme foncier ? 
Je l'ai frequente a une certaine epoque janseniste de mon adolescence, oil je croyais que tout etait deja 
joue dans mon existence et qu'il n'y avait plus qu'a attendre la fin du monde. Depuis je me suis soigne, 
mais a ma connaissance, pas Allen, qui a fait du catastrophisme ambiant le fond de sauce de la plupart de 
ses films. II va meme beaucoup plus loin : « Je ne vois pas plus le verre a moitie plein comme les 
optimistes que le verre a moitie vide comrne les pessimistes. Le verre est vide. Completement vide. » 

Dans un ouvrage tres documente, le journaliste Laurent Dandrieu, qui connaft apparernment bien 
Allen, remarque : « Pres de la moitie de ses films se terminent rnal, soit que le heros soit 
sentirnentalement delaisse : Tombe les ft lies et tais-toi, Annie Hall, Manhattan, La Rose pottrpre du 
Caire, Maris et Femmes, Celebrity^ Accords et Desaccords^ Anything Else ; soit que les mechants soient 
recompenses et les justes punis : Crimes et Delits, Match Point ; soit que les personnages demeurent face 
au vide ou a Tabsurdite de leur existence : Interieurs, September, Une autre femme ; soit que les 
heros.. . meurent : Le reve de Cassandre. » 

Pour eeux - peu nombreux j "imagine... - qui voudraient savoir si je m'identifte a cette facon qu'a 
Allen d' analyser les choses de la vie, de camoufler l'indicible sans pour autant le nier et permettre une 
veritable reflexioa oui. cela me seduit beaucoup. J'aimerais comme lui savoir vehiculer les memes 
messages avec autant de talent. Je m'y attelle pourtant depuis des annees apres avoir commis une 
soixantaine d'ouvrages dliumeur. Le resultat n'est pas encore tres probant, a moins que la publication de 
ce Dictionnaire amoureux ne me permette d'inverser la vapeur. 

Mais pour Woody, il y a pire que le pessimisme, il y a bien sur la mort omnipresente qui l'obsede. 
On se souvient que dam Annie Hall, Alvy Singer, alias Woody Allen, est amoureux d'une provinciale 
coincee, Diane Keaton, qail va initier a prendre des cours et a entreprendre une carriere de chanteuse 
lout en lui proposant des lectures dont chaque titre de livre contient le mot mort. On retrouve aussi ce 
theme tres present dans Stardust Memories. Uhistoire d'un homme qui a tout pour etre heureux mais 
n'accepte pas l'idee quMl estmortel. 

De la inort au suicide, il n'y a qu'un pas. si je puis dire. Et, toujours dans Annie HalL le fameux 
Alvy- Woody affirme : ■« Je me serais bien suicide, mais j'etais en analyse avec un freudien de stride 
obedience et ils vous font payer les seances manquees. » Du pur, de Texcellent Woody, du grand art, ou 
Ton voit ce prince de la pirouette exorciser avec un humour colossal ses propres obsessioas, tant il est 
evident que le personnage d 1 Alvy est autobiographique. 

Suis-je moi-rneme obsede par la mort ou le suicide ? Certainly not... La, je ne rejoins plus mon 
mentor, mais je le retrouverai rassurez-vous sur d'autres themes qui me sont chers, la culpabilite, 
Texistence de Dieu, le sexe, ramour et, dans un registre plus leger, l'observation de ses contemporains et 



des bobos new-yorkais comme dans Manhattan. Non seulement ce film est une declaration d 'amour a la 
ville de New York, qui est aussi pour moi une des villes les plus exaltantes du monde, mais c'est, comme 
il le dit lui-meme, la description « des habitants de Manhattan qui se creent constamment des problemes 
nevrotiques pour eviter de se poser des questions plus terrifiantes et insolubles sur la marche de 
Punivers ». Ce film est d'autant plus etonnant qu'il est une satire universelle des inlellos autoproclames, 
donl votre serviteur, qui n'a aucune fausse honte a dire qu'il s'y retrouve un peu, et ceux qui pensent 
comme Allen que New York est une metaphore de la decadence de la culture contemporaine me 
comprendront. Et Dieu dans tout ca ? II est present, presque partout dans ses films, comme l'ecrit Laurent 
Dandrieu : « Toute religion, quelle qu'elle soit — a commencer par celle dont il est issu et qui Pa 
profondement marque, le judai'sme — , est impuissante a repondre aux grandes angoisses qui structurent la 
vision du monde et notamment a deux enigmes primordiales : Pexistence de la souffrance et du mal, et 
Pombre portee de la mort. » 

Je Pai dit. Woody a recu une education juive tres orthodoxe. et que lui en reste-t-il ? Une obsession 
de Pantisernitisme et une malediction inherente a cette religion, qui pour lui est incapable de repondre a 
ses questions existentielles. 

D'oii ces innombrables saillies pour encore et encore exorciser cette nevrose. Par exemple : Zelig, 
hypnotise par le docteur Fletcher, alias Mia Farrow, raconte cette anecdote de son enfance : « J'ai douze 
ans, je fais irruption dans une synagogue. Je demande au rabbin le sens de la vie. II m'explique le sens de 
la vie. Mais il me Pexplique en hebreu. Je ne parle pas Phebreu. Alors, il essaie de me vendre des cours 
d'hebreu a 600 dollars. » 

En fait Allen pretend ne pas croire en un Dieu mais « // » lui manque et il le cherche partout. Sur ce 
point je me sens, la encore, proche de lui. Pour ce qui concerne la culpabilite judeo-chretienne.je le suis 
en partie et j'admire sa facon de poser ce probleme comme dans Broadway Danny Rose, ou Pon voit 
Danny Rose (Woody) expliquer a Tina (Mia Farrow) : 

« La culpabilite est importante, c'est important de se sentir coupable. Sinon tu sais, tu es capable de 
choses terribles. 

[...] Je me sens coupable tout le temps et je n'ai rien fait. Mon rabbin, le rabbin Perlstein, disait 
toujours que nous sommes tous coupables aux yeux de Dieu. 

— Tu croi s en Dieu ? 

— Non. non, mais ca me donne un sentiment de culpabilite. » 

La psychanalyse ? On la retrouve aussi partout, normal quand on est soi-meme en analyse depuis des 
decennies, et je rne contente d'observer avec bonheur comment il traite ce qu'il considere comme une 
drogue essentielle et vitale, et meme s'il salt qu'il n'en terminera jamais avec ce substitut de la 
confession ; 

« Je n'ai pas vu mon analyste depuis deux cents ans. Si j'y etais alle tout ce temps, je serais presque 
gueri » (Miles, alias Allen, dans Woody et les Robots). Et notre homme d'avouer dans un entretien au 
Figaro, en 2005 : « Si je n'avais pas ete en analyse, je n'aurais pas realise un film par an. Lorsque vous 
etes obsede par vos problemes, inquiet, deprime, vous n'arrivez pas a vous concentrer. Une seance de 
divan, c"est corrntie une seance de gym. La psychanalyse a ete mon entraineur personnel. » 




Je n'ai moi-meme jamais ete sur un divan, peut-etre aurais-je du. .. Mais si Woody me le demandait, 
j'irais, of course, les yeux fermes, ne serait-ce que pour verifier toutes ces allegations distillees dans ses 
dialogues, comme dans Hannah et ses samrs ou Mickey- Woody confesse : « J'ai ete en psychanalyse 
pendant des annees et il ne s'est rien passe. Mon pauvre analyste etait si frustre qu'il a fini par ouvrir un 
bar a salades. » Un bel exemple du paradoxe allenien, classique du genre : « Je ne peux pas me passer de 
la psychanalyse, rnais je mets tout en ceuvre pour la denigrer. » 

Quant aux femmes et Tamour^ on se demande s'il ne trouverait pas la des raisons de ne pas 
desesperer tout a fait. Meme s'il a eu une vie sentimentale agitee, et s'il fait l'apologie de la legerete 
sexuelle dans Vicky Cristina Barcelona, oil il vante les bienfaits du triolisme et. dans Whatever Works, 
ceux de l'homosexualite, on le sent mal a Faise sur le sujet, a croire qu'il est nostalgique du manage et 
du couple parfait. Comme dans la plupart de ses films, on retrouve le meme processus, faire l'eloge, en 
P occurrence, du seducteur ou de Tobsede sexuel, pour denoncer ce qu'il reprouve au profit d'un retour 
vers la morale. Et quand, en juillet 2012, Christine Haas lui demandait pour Match quelle etait la phrase 
qui resumait le mieux son sentiment sur la vie, il repondait : « Dans Harry dans tous ses etats, je disais : 
"Tout le monde cormait la verite et chaque vie se distingue par la maniere dont nous deformans cette 
verite." Etje crois que c'est vrai. Chacun de nous deforme la verite selon qu'il estreligieux, scientifique, 
artiste ou... communiste. Mais quand on est seul chez soi et qu'on se reveille en sueur a 3 heures du 
matirL on sait quelle est la verite, et c'est la meme pour tout le monde. » 

Comment conclure ? Et quitter un personnage aussi complexe et attachant ? Je lui laisserai le dernier 
mot en le citant dans to Inrockuptihles, en fevrier 1997 : « Ce n'est pas un desastre, mais il faut 
apprendre a vivre avec la douleur... Accepter qu'il n'y a pas d' issue, que toutes les solutions 
traditionnelles, toutes les philosophies avec lesquelles nous avons grandi sont non valables : la 
psychiatrie ? la religion, le marxisme, rintellectualisme. » 

Et Laurent Dandrieu confirme : « Uceuvre de Woody Allen nous enseigne que le pessimisme n'est 
pas fatalement ravageur, mais il peut etre aussi un levier pour interroger le sens de Texistence. mettre a 
bas les fausses valeurs d'etablissement et tenter de retrouver le sens profond des choses. » 



Almanac hs 

C'est a la fin des annees 1980 que j'ai vraiment realise que j'etais atteint d'une curieuse addiction 
qui me conduisait chaque week-end de brocantes en marches aux puces, pour satisfaire des pulsions 
bizarres. J'ai dit bizarre ? Le mot est lache. Qui dit bizarre dit aussi insolite, curieux, remarquable, rare, 
original, etonnant, surprenant, inauendu, etrange, incroyable... 



J'ai ressenti les premiers symptomes de ce mal a l'aube blafarde d'un jour de cliine. Le faisceau 
glauque de ma torche electrique guidait ma main d"une page a l'autre, et la decouverte de chaque feuillet 
declenchait en moi une excitation grandissante. (Test ainsi que j'appris ce jour-la, en feuilletant de vieux 
almanachs Hachette, qu'un verre de bordeaux peut tuer un enfant de dix ans, que les porteurs de grandes 
oreilles sont des nai'fs, que le cepe a une duree de vie de quinze jours alors que le rossignol peut vivre 
douze ans, qu'il ne iaut pas mettre de ceinture ni ernprunter le chemin de fer si Ton veut vivre cent ans et 
que, a rinterieur de ces cent ans, cinq ans sont consacres a la marche et vingt-quatre au sommeil. Je 
decouvrais enfin que, en 1909, il y avait en Bretagne treize maris possibles pour une seule femme, alors 
qu'en Alsace il n'y avait que deux tiers d'hommes pour une candidate au manage. 

Lorsqu'en 1984 ralmanach Hachette fait sa premiere apparition, on est loin de se douter que pendant 
une soixantaine d'annees ce petit Iivre bleu va organiser, rythmer et enchanter la vie quotidienne de notre 
douce France. 

II existe en effet a ma connaissance peu d'ouvrages qui, sous un aussi faible volume, aient ete tout a la 
fois « religieux, manuel d'histoire, de geographic et de sciences naturelles, magazine sportif ou 
economique, guide de loisirs et bien d'autres choses encore ». 

Et rhumour, me direz-vous ? Un livre etonnant et insolite n*est pas forcement distrayant. Justement si, 
car ce qui fait le sel de ralmanach, c'est Teffet produit par la lecture de ces textes passeistes, qui a 
Tepoque de leur publication n'etaient pas forcement amusants. Mais avec le recul, la lecture que Ton en 
fait plus de cent ans apres devient vraiment cocasse. 

D'autres que moi ont bien percu rhumour qui pouvait se degager de ce genre d' informations 
revisitees a travers le spectre de la nostalgie. Alexandre Vialatte, ce qui n'est pas etonnant vu son amour 
du terroir, a ete un des premiers a se livrer a cet exercice de style, avec son Almanack des quatre 
saisons, publie en 1960 en feuilletons pour le magazine Marie-Claire. 

Desproges lui aussi s'estpris aujeuet cela n'etonnera personne. II publia un almanach juste avant sa 
disparition en 1988, dont le principal trait de genie est d'avoir pendant cinquante-deux semaines fait 
apparaitre une tres mauvaise reproduction du Guernica de Picasso en imaginant chaque fois une legende 
diiferente. Par exemple : « Le dentiste est dans l'escalier », « Ouverture a Chantilly de la premiere 
boucherie chevaline », « Le Prado de la meduse vu par Chantal Goya » ou « J r ai guere nique qu'a 
Guernica dixit le general Franco ». 

Autre theme recurrent dans ce petit bijou, Le con tie la semaine, oil Ton retrouve pele-mele Jacques 
Medecin, Philippe Sollers, le professeur Schwartzenberg et BrigLtte Bardot, parce qu\< elle ne sail pas 
reconnaitre une bombe insecticide d'un vibromasseur ». 

Enfin, Desproges n'est pas avare de conseils pratiques pour les centenaires : 

« Depechez-vous... », leur suggere-t-il. Noas, on aurait bien aime qu'il prenne son temps et ne 
disparaisse pas quelques jours avant d* avoir pu terminer cet almanach. 



Anselme, Jean L' (1919-2011) 

« Ne a mimiil le 3! decembre 1919, dam la plus grande gare de triage de France, la meme ou, le 
28 septembre 1873, Jules Verne atterrit, venant d 'Amiens, a bord du Meteore, apres un voyage de 
vingt-quatre minutes en ballon. Bete de Somme en quelque sorte... Et non a Marigtum, en 1515, 
comme certains biographes ou commentateurs le situent Son pere "le quitta " dans son plusjeune age, 
ce qui le fit douter, des tors, du pere eternel. Sa mere fut successivemeni femme de peine (et pour 
cause) puis femme de chambre, puis femme de menage. » 

Avec les extraits de ce CV original, vous savez tout ou presque de cet homme delicieux mais quasi 



inconnu du grand public, de son vrai nom, je crois, Jean-Marc Minotte, ne en 1919 et mort le 
30 decernbre 201 1, a la veille de ses quatre-vingt-douze ans. 

J'avais la chance de le croiser une fois par an a la remise du Grand Prix de 1' humour noir dont il etait 
un pilier du jury. II faisait aussi partie du jury du prix Apollinaire et de l'Urbaine de poesie. En 1945, 
Dubuffet l'avait initie a Tart brut, ce qui Tarnena easuite a experimenter Tart pauvre. Tart moche et Tart 
con en poesie {sic). Bosquet disait de lui : « L'impertinence est sa seconde nature et il fait de la 
rouspetance sa muse principale. » II privilegiait le banal et Pordinaire, et toute son ceuvre poetique est 
rythmee par des pensees sur ce theme, et ses amis pensaient qu' il avail invente « un vaccin contre r esprit 
de serieux». 

La poesie etait sa passion et il la celebrait a sa facon : 

— « La poesie, c'est comme la Bledine, on Paime avant de pouvoir en parler. » 

— « Peu importe le vers, pourvu qu'on ait P ivresse. » 

— « La poesie, c'est notre violon de dingue. » 

— « Un cure qui a Line crise de foie me semble une situation aussi triste qu' un poete qui persevere. » 

— « Les marins ont une femme dans chaque port, les poetes dans chaque pore. Les poetes sont plus 
cochons que les marins. » 

Pour en savoir plus sur le personnage, il faut lire sans plus tarder Le Ris ait laid (2004) ou quelques- 
uns de sespoemes cons publies dans La Chasse d'&tu, en 2001 . 

Extra it : 

« L' amour fou » 

« Je Sttis a toi comme la sardine est a I'kuile, le maquereau au vin blanc, le loup an fenottil, le 
brocket au heurre bianc. 

Je Sttis a toi comme la glace est a la pistache, le potttet aux hormones, la soupe a la grimace, man 
pere avec la bonne. 

Je suis a toi comme le vinaigre est a I 'estragon, la peche a I 'espadon, la salade aux lardons, les 
gattes a I 'escadron. [...] » 



Audiard, Michel (1920-1985) 

« Les gens sont a cote de la plaque. Je deteste P argot, c'est une convention litteraire, un jargon 
artificiel de tartarins et de matamores. Moi, je trace enlangage populaire, c'est different ! » 

Ainsi parlait Michel Audiard, realisateur, ecrivaia, dialoguiste, gouailleur, anarchiste de droite, 
amateur fervent du Die tionna ire des idees recues de Flaubert et admirateur de Celine, Marcel Ayme, 
Calet, Vialatte et Jacques Perret ; sans oublier ses potes Fallet, Blondin et Boudard ; pour lui ce sont des 
« feles » et il les aime, parce que « au travers on voit la lumiere ». 

Lautner, de Broca viennent regulierement prendre livraison des joutes oratoires de leurs prochains 
films. On Pappelle le Christian Dior du dialogue, car il garantit toujours du sur-mesure. La scene 
mythique de la cuisine dans Les Tbntons jlingueurs, par exemple, devrait figurer dans le Lagarde et 
Michard. une des rares sequences humoristiques que plusieurs generations connaissent par cceut. Et il y 
en a d'autres dont on ne se lasse pas non plus : 

« Mais y connait pas Raoul, ce mec. Y va avoir un reveil penible. J'ai voulu etre diplomate a cause 
de vous tous, eviterqu'le sangcoule, mais maint'nant c'est fini ! Je vais l'travailler en ferocite ! L'faire 
marcher a coups d'latte, a ma pogne je veux l'voir ! Et j'vous promets qu'il demandera pardon ! Et au 
garde-a-vous ! » 

Ou encore : 



« Patricia, mon petit... Je voudrais pas te paraitre vieux jeu,ni encore moins grossier. L'homme de la 
Pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la verite rn' oblige a te le dire : ton Antoine commence 
a rne les briser menu ! » 

Difficile de citer les quelque cent vingt films auxquels Audiard a contribue en insufHant ses celebres 
dialogues railleurs et goguenards, mais aussi fins que spirituels. faut dire que cet ancien coureur 
cycliste savait de quoi il « jactait », surtout lorsqu'il ecrivait des textes sur mesure pour Gabin, Ventura, 
Blanche ou Belmondo. 

Lorsque Ton pense Audiard, on pense bien sur aux Tontons jlingueurs (1963), de Georges Lautner, 
avec lequel il signa quatorze films. 

Gilles Grangier le fit travailler aussi sur une dizaine de films, entre 1954 et 1962 : Les Vieux de la 
vieille QiLe cave se rebiffe, sans oublier Henri Verneuil avec Un singe en hiver la meme annee, et 
Melodic en sous-sol ( 1963). 

Que de chefs-d'ceuvre pour ce titulaire d'un simple certificat d'etude, qui savait aussi tricoter de la 
fine dentelle, comrne le huisclos sensible etattachantdu film de Claude Miller Garde a vwe(1981). 

Mais Audiard etait avant tout le roi de la repartie : 

— « Faut pas parler aax coas, ca les instruit. » 

— « Le bonheur on s'y fait, le malheur on s'y fait pas, c'est 9a la difference. » 

— « La frequentation des salons m'a appris une chose : a ne plus chercher a acheter au coin des rues 
ce que Ton trouve gratuitement aupres des femmes du monde. » 

— « Les conneries, c'est comme les inipots, on finit toujours par les payer. » 

Ce qu'il prefere, ce sont les ripostes. Un classique : « Les cons, ca ose tout. C'est meme a ca qu'on 
les recormait. » Plus sentimental : « Pendant douze ans, on a fait chambre commune mais reve a part » 
Grincant : « Si fas pas de grand-pere banquier, veux-tu me dire a quoi ca sert d'etre juif ? » 
Misanthrope : « Uete, les vieux cons sont a Deauville, les putes a Saint-Tropez, et les autres sont en 
voiture unpeu partout » Lucide : « Ualcool ne procure pas la gaiete mais la cirrhose. » Ravageur : « Je 
suis ancien combattant, militant socialiste et de bistrot. C'est dire si dans ma vie j'ai entendu des 
conneries. » Decisif : « II vaut mieux s'en aller la tete basse que les pieds devant » Chirurgical : « Entre 
truands, les benefices ga se partage, la reclusion ca s'additionne. » Professionnel : « Dans les situations 
critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus. Y a des statistiques 
la-dessus. » Messianique : « Conduire dans Paris, c'est une question de vocabulaire. » Caritatif : « A 
partir de novembre, pour les clochards, il n'y a plus que deux solutions : la Cote d'Azur ou la prison. » 
Humaniste : « A la guerre, on devrait toujours tuer les gens avant de les connaitre. » 

Michel Audiard a realise des films, dont les titres parlent d'eux-memes : Faut pas prendre les 
enfants du bon Dieu pour des canards sauvages (1968), Une veuve en or (1969), Elle boil pas t elle 
fume pas, elle drague pas r mais ... elle cause, Le drapeau noir flatte sur la marmite (1971), Elle cause 
plus... elle Jlingtie (1972), Comment reussir dans la vie quand on est eon et pleurnichard (1973) et 
Bans baisers, a Itindi (1974). 




Ce misanthrope sait qu'on Ie taxe souvent de misogynie et il s"en defend : « On dit que je ne sais pas 
faire parler les femmes, que j'en fais des connes ou des salopes. Qu'est-ce que vous voulez, j'arrive pas 
a penser sous des nartes. » Son unique roman, meconnu. La Nuit, le Jour et toutes les autres nuits, est 
une petite merveille, pudique et emouvante, ou il revisite ses souvenirs d'Occupation. 

Modeste, il reconnait qu'il n'ecrit pas avec facilite : « Je n'ai pas Ie souffle hugolien, je souffre daas 
la corvee de lettrine, je ne descends pas des rames de verge comme des canettes de biere. » 

Le succes populaire d'Audiard repose sur une regie d'or : ecouter les gens et s* imbiber de leurs 
echanges, parce que, disait-il : « Le dialogue est une espece de verite des mots a Finterieur d'une 
situatioa » 

Pour Tun de ses amis disparu, il avait eu cette jolie boutade : « Quand un type comme pa se retire, y a 
pas de place a prendre. » 

Audiard se retire, lui, le 28 juillet 1985, et personne heureusementn'a ose depuis prendre sa place. 



Ayme, Marcel (1902-1967) 

Difficile d'etre plus franc-comtois que lui, et ses romans majeurs sont fortement enracines dans sa 
terre d'origine. La Table aux creves, prix Renaudot (1929), La Jument verte (1933), Le Moulin Je la 
Sourdine (1936), Za Vouivre (1941). Atnsi, il se defendait de ne pas subir le snobisme et les idees 
recues des clans parisiens et echappait aux faa\-semblants de ce microcosme. Paradoxalement, il savait 
se transformer en titi parisien pour mettre en scene les classes populaires, comme dans La Rue sans nam 
oxiLe Bceufclandestin. 

II y aurait beaucoup a dire et a ecrire sur le personnage politiquement ambigu, gauche, droite, puis 
anarchiste de droite, sur Tecrivain prolifique, avec des textes inoffensifs comme Les Conies du dial 
perche ou plus militants comme son plaidoyer contre la peine de mort dans La Tele des autres ou sur 
Tecrivain grincant dans Cleramhard eXLucienne et ie Boucher. Ce qui irfinteresse chez lui, c'est son 
humour caracterise par la mise a distance des impostures de toutes natures, meme et surtout quand elles 
sont camouilees sous les justifications les plus flatteuses. Ainsi dans Uranus, paru en 1948 et qui traite 
des exces commis a la Liberation par le camp des vainqueurs. Cet antic onforrniste denonce avec un rare 
courage les basses manoeuvres des resistants de la derniere heure qui s'attaquent aux plus faibles, aux 
plus candides, pour cacher aux yeux de tous, mais surtout a eux-memes, leurs ambitions mediocres et 
leurs lachetes. Lors de la parution d* Uranus, Marcel Ayme fut traite d'iniame reactionnaire par la plupart 
des critiques et des bien-pensants, ce qui n'emut pas notre anarchiste. N'avait-il pas eu deja 1'audace de 
defendre Celine, seul contre tous, eu egard a la qualite de ses premiers romans ? Marce] Ayme, alors, 
etait le seul a avoir montre assez de recul pour ne pas ceder aux fureurs partisanes des nouveaux 
proprietaires de la bonne parole. 

Si de nos jours c'est le politiquement correct qui a force de loi, Tadoration de Staline etait 
obligatoire apres la Liberation. Dans Uranus, le professeur Jourdan, fervent communiste, veut faire 
oublier a ses camarades ouvriers la home de ses origines bourgeoises en etant deux fois plus dogmatique 
qu'eux. 

Pour ne pas lasser le lecteur. Marcel Ayme sait mil anger a la satire politique, forcement noire, un 
humour plus Ieger, voire trivial. Ainsi, dans Uranus toujours, il peint im chasse-croise amoureux entre un 
homme recherche pour collaboration, Maxime Loin, la femme d'Archambaud, qui a eu la generosite, plus 
ou moins forcee par les circonstances, de le cacher quelques jours, et Marie- Anne, la fille de son hole. 
Revenue chez elle plus tot que prevu, Marie- Anne surprend sa mere et le collaborates dans une position 
sans equivoque. Elle s'enfuit, rencontre le professeur Watrin qui lui recommande d'etre indulgente envers 



sa mere et de ne rentrer chez elle qu'a Theure du repas. . . 

II etait aussi a raise avec VargQt dans Le Chemin des icoliers (« Le boucher a une creche a 250 
balles et une poiile qui ne decarre pas du cercle, deux jours sur trois ») qu'avec le beau-parler de la 
bourgeoisie des beaux quartiers. 




Marcel Ayme ne se trouvait aucun talent : « Petit provincial cornichon, pas plus doue pour les lettres 
que ne Tetaient alors les dix mille garcons -de mon age, n'ayant seulement jamais ete premier en 
composition frangaise. [...] Je n'avais meme pas ces fortes admirations qui auraient pu trfentrainer dans 
un sillage. » 

II restera pour moi Tauteur de La Traversee de Paris, de Finoubliable Jambier du 45, rue Poliveau, 
immortalise par Autant-Lara en 1 956. 

Marcel Ayme, le mal-aime qui refusa la Legion d'honneur et TAcademie francaise, aurait sans doute 
apprecie ce que Blondin disait de lui : « II disposait de beaucoup d'indulgence pour rhumanite tout 
entiere. Sa frequentation vous amelioraiL Sa disparition nous rend a un monde sans indulgence oil les 
nains ne grandiront plus, ou les fossoyeurs n^auront plus de Iyrisme, ou les huissiers ne s'abandonneront 
plus au demon de la charite. » 



Baxter, Glen 

— « Glen Baxter est genial » (Telerarna). 

— « Champion toutes categories de l'autoderision et de rhumour plat. Baxter est passe maitre dans 
Tart de deconcerter » (Le Nouvel Observateur). 

— « Si Marcel Duchamp ou Groucho Marx avaient eu un gosse dessinateur, il serait anglais et 
s'appellerait, a coup sur. Glen Baxter » (L 'Express). 

— « Le contact des legendes et des images est dangereusement hilarant » (Lire). 

Apres une telle rafale d'eloges, ceux qui ne connaissent pas Glen Baxter, ne en Angleterre en 1944, 
brxilent sans doute d'en savoir plus sur ce champion de dessins surrealistes et absurdes. 

Difficile de vous faire partager son univers sans vous montrer ses ceuvres colorees, souvent publiees 
dans Le Monde et dans Ies magazines Tlie New Yorker, Vanity Fair, The Independent on Sunday. Un 
premier indice quand meme, Baxter est un specialiste du decalage entre le dessin et la legende. Deuxieme 
indice, ses dessins montrent en general des cow-boys, des gangsters, des explorateurs ou des ecoliers qui 
prononcent des propos savants et incongrus sur Tart ou la philosophie. 

Imaginez par exemple trois cow-boys en train de jouer aux cartes... Un quatrieme fait irruption, 
revolver au poing : « Les gars, pas de groupe de lecture de Michel Houellebecq ici, au ranch des chiens 
noirs. » 

\bus en voulez d'autres ? Un horrane transforme en coucou, qui declare : « J'ai eu de la chance de 
trouver un emploi stable en Suisse. » Ou cette femme en moto petaradant sur la table de la salle a manger 
avec cette legende : « Manifestement Ruth etait contre la cigarette apres le diner. » Et un homme qui 
essaie de passer du roquefort de contrebande devant une souris tenue en laisse par un douanier. Enfin un 
homme qui joue du ukulele en scaphandrier au fond de r ocean, afin de ne pas importuner ses 
conteinporains. 

Si ce n'est pas du surrealisme matine de dadai'sme, avec un zeste de Beckett, de Queneau et de 
Roussel. ga y ressemble fort. 

Baxter pretend, entre autres choses, avoir depose un « brevet d'utilisation de I 'ennui » ou du « vide », 
c'est selon, et adorer chanter des yodles en mangeant du tofu sur du linoleum. 

Alors, Baxter, roi du burlesque ? Prince de Tabsurdite ? Maitre du non-sens ? Tout a la fbis sans 
doute. 

Rappelons enfin que cet ancien professeur de football et de poterie est un fan de boogie-woogie, de 
musique mexicaine, de poisson exotique cuit dans son wok. 

II nage tous les jours, boit du sancerre et son mot francais prefere est « coquillage ». 

Glen Baxter, c'est d'abord pour moi le « Colonel Baxter », heros de son^//a^ publie en 1979, ou il 
passait en revue « les grands fiascos de notre temps », conune le premier parachute. Ou. dans la categorie 



« grandes catastrophes culinaires », Ies filets de caneton au Cherry Marnier, pour deux personnes. 
Glen Baxter vit a Londres, et il va bien. 



Beaumarchais (1732-1799) 

Romain Gary disait de lui : « Cetait un homme tisse d'eclairs. Eclairs de genie, de canaillerie, de 
grandeur, de petitesse, de courage, de mythomanie, de maquereautage et de generosite, faquin sublime et 
parvenu altier, requin et anguille, toute une epoque, une Europe, c'etait un etre en caoutchouc, mais 
inebranlable, melange de Rastignac, de Manon Lescaut, de Casanova et de Cagliostro, qui fait du 
bonhomme une des grandes creations Iitteraires de la vie. » 

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ne serait done pas settlement un auteur de textes d'operas de 
Mozart et de Rossini ? Evidemment non. Ce fils d'horloger donne l'impression d'avoir passe sa vie a 
courir contre la montre. II disait : « J'ai vecu deux cents ans. » II etait aussi ecrivain, journaliste, 
dramaturge, inventeur, professeur de harpe, homme d'affaires, armateur, magistral revolutionnaire et 
collectionneur de femmes : « Les femmes sont comme les girouettes. quand elles se fixent. elles se 
rouillent. » 

II admirait \oltaire : « Quel homme ! 11 reunit tout la plaisanterie, Ie serieux, la raison, la gaiete, la 
force, le touchant, tous les genres d'eloquence ; et il n*en recherche aucun, et il confond tous ses 
adversaires, et il donne des lecons a ses juges. »• Et, comrne lui, e'etait un visionnaire qui affirmait deja, a 
r epoque : « Le temps approche oil les Americains seront maitres chez eux. » 




Mais Beaumarchais etait-il un humoriste ? Mieux que ca, e'etait un genie de la bouffonnerie et de 
r invention langagiere. J'en veux pour preuve la celebre tirade de Basile sur la calomnie dans Le Barbier 
de Seville : « D'abord un bruit Ieger, rasant Ie sol comme hirondelle avant Forage, pianissimo murmure 
et file, et seme en courant le trait empoisonne. Telle bouche Ie recueille, et piano, piano vous le glisse en 
l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe. il chemine, et rinforzando de bouche en bouche 
il va le diable ; puis tout a coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s'enfler, 
grandir a vue d'ceil ; elle s'elance, etend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraine, eclate et 
tonne, et devient, grace au ciel, un cri general, un crescendo public, un chorus universel de haine et de 
proscription. Qui diable y resisterait ? » 

Et quand Figaro raconte sa vie, le Comte lui demande : « Qui t'a donne une philosophic aussi gate ? » 
II repond : « L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'etre oblige d'enpleurer. » 

Pierre-Augustin avait connu en 1770 son lot de catastrophes : il perd sa fille en bas age, son 
protecteur Paris Duverney, sa seconde fernme Genevieve, puis deux ans plus tard son fils Augustin et sa 



sceur, Mme de Miroa II faul ajouter a cela des proces en serie, la disgrace, Ie deshonneur, la prison et la 
ruine ! 

11 se disait « oseur » plus qif« auteur ». II est surtout remarquable pour avoir ete coupable aux yeux 
de ses contemporains d"ecrire des chefs-d'ceuvre, sans prendre la litterature au serieux Sur sa tombe, au 
Pere-Lachaise, il fit graver : « Enfin je me repose. » Et n'osa pas Ie : « Tout finit par des chansons ». du 
Manage de Figaro. 



Beckett, Samuel (1906-1989) 

Ne en Irlande, il debarque en France en 1928. II est nornme Iecteur d'anglais a PEcole normale 
superieure de Paris ou il fait la connaissance de James Joyce. II s'y installe definitivement et se met a 
ecrire en francais. Fait rarissime dans la litterature mondiale : un ecrivain abandonne sa langue 
maternelle et en choisit une autre pour s'exprimer. 

La naissance, disait-il, avait ete pour lui une veritable tragedie, ce qui explique le clirnat d'angoisse 
et de doute qui caracterise son ceuvre abondante couronnee par Ie prix Nobel en 1969 : romans et recits 
parmi lesquels Molfoy (1951), L'lnnommable (1953), Premier Amour (1970) et des pieces de theatre 
mondialement connues : En attendant Godot, Fin departie ou Oh les beaux jours. 

Beckett, obsede par Terrance, Tattente. la decheance et la mort, etait aussi habite par un humour tres 
noir. 

Maitre de Fabsurde en pointille qui se refusait a s'accepter comme tel, il savait impregner son theatre 
d'une cocasserie permanente et cultivait le denuement extreme de ses decors et la simplicite de ses 
personnages de faux clowns, dont les noms comrnencent par M : Molloy, Mai one, Murphy, Mahood, 
Moran, des paumes grandioses ou des clochards celestes. 

Dansf/j attendant Godot, il annonce la fin de Fart qui ne peut plus chercher a embellir le monde 
comme par le passe. Dans L Innommable, il denonce les mots qui sont des corps etrangers : « II faut dire 
des mots tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'a ce qu'ils rne trouvent, jusqu'a ce qu'ils me disent 
etrange peine [...]. Ala fin demon tEuvre, il n'y a rien que poussiere ; lenommable... » 

Une vie austere comme ses reuvres, faite d'allers et retours entre Dublin et Paris, peu d'amis, 
quelques rares amours, bref une totale indifference au monde, mais une grande lucidite sur rhomrne « qui 
s'en prend a sa chaussure alors que e'est son pied le coupable », et une phrase culte, tout au moins pour 
moi : « Mais que foutait Dieu avant la creation ? » Bien vu pour un athee mystique, a moins que ce ne soit 
un saint mecreant. 




Beckett aimait a dire : « Je ne suis pas anglais. Au contraire. » Mais il adorait a tout moment 
ressusciter son enfance irlandaise : « Tout etait calme. Pas un souffle. Des cheminees de rnes voisins, la 
furnee montait droite et bleue. Des bruits de tout repos, un cliquetis de maillets et de boules, un rateau 
dans du sable de gres, une lointaine tondeuse, la cloche de ma chere eglise. Et des oiseaux bien entendu. 
merle et grive en tete, aux chants se mourant a regret, vaincus par la chaleur, et qui quittaient Ies hautes 
branches de Taurore pour Pombre des buissons. Je respirais avec plaisir les exhalaisons de ma verveine 
citronnelle. » 

II disait : « Le plus grand peche est d'etre ne. C'est le coinmencement qui est le pire, puis le milieu, 
puis la fin ; a la fin, c*est la fin qui est le pire. » Et disait aussi : « Si je me mets a reflechir, je vais rater 
mon dec es. » 

Atteint de la maladie de Parkinson, ce ires bel homme humilie et diminue meurt dans une maison de 
retraite a Paris le 22 decembre 1989. 



Bedos, Guy 

On l'aime ou on ne l'aime pas, probablement parce qu'il fait partie de ceux qui ne laissent jamais 
indifferent, il n'a pas que des amis, et c'est un euphemisme, mais il assume plutot bien ses inimities, que 
ce soit la droite, toute la droite en general et en particuKer. .. et aussi quelques individus isoles qu'il ne 
porte pas vraiment dans son cceur, comme Guy Lux, Michel Sardou ou Thierry Ardisson, qui avait lance 
sur un plateau de television : « II n'est pas mort, Bedos ? » 

Pour moi, Bedos, c'est d'abord rhomme des sketches de mon adolescence, avec M. Ramirez ou ses 
duos avec la delicieuse et regrettee Sophie Daurnier. Je crois rnerne qu"a l'epoque j'etais amoureux 
d'elle. meme si dans la scene culte de La Dragiie (1973) Bedos ne la trouve pas «. terrible » : 

« bedos : EHe est pas mal ma cavaliere, elle est pas terrible, terrible, mais elle est pas mal. Pour une 
fois, j'ai pas herite de la plus moche. Y a pas Iongtemps, j' me suis coltine une geante toute la soiree. Au 
moins celle-la elle est a ma taille. Elle est pas terrible, mais elle est a ma taille ! 

daumier : Pas du tout mon genre, ce garcoa Moi, j'aime les grands blonds, alors j' suis servie, 
comme meteque on ne fait pas mieux. J* suis sure qu'il doit etre libanais ou quelque chose... Quelle 
horreur ! Et puis, alors, il me donne chaud a me coller comme 9a, et vas-y que j' te colle, et vas-y que j' 
te colle ! » 

Guy Bedos, c'est aussi Tacteur de cinema. Cela peut paraitre etonnant, mais Guy est d^abord, tout au 
moins pour moi, un rnagnifique acteur tragi-comique, que ce soit lorsqu'il incarne le personnage dubegue 
dans Le Caporal epingle^ Gerard dans Dragees au poivre, Simon dans Un elephant ca trompe 
enormement et dans Nous irons tons au paradis, ou encore Germain dans Le Bal des casse-pieds, pour 
ne citer que ces films. 




J'airne ses sketches politiques Lorsqu'il flingue des gens que je n'aime pas, meme s'il est parfois un 
peu trop virulent a mon gout. Ce qui m'interesse plus chez lui. c'est safratrie avec Desproges et 
Fournier. Trois paranos, trois grognons, trois psychopathes, bref trois grandes gueules incontournables 
dans le PHF (Paysage Humoristique Francois). 

Pour ce qui concerne Bedos et Desproges, Jerome Garcin et Patrice Delbourg ne s'y sont pas trompes 
dans un portrait croise des deux comperes, paru en 1 986 dans L 'Evenement dujeudi : 

« Uun reflechit un peu et parle beaucoup. L'autre marmonne dans son coin et ne se livre qu'a regret. 
Uun est plutot schizo et laisse ses mots gambader en toute liberie. L' autre est franchement parano, tatillon 
sur la restitution de son discours, en lisiere du vieux beau. 

Tous deux portent des mocassins. L'un est plus elegant que r autre. Uun est de gauche, r autre n'est 
pas de droite. L'argent bien sur, ils pemsent qu'il en faut, sinon la pauvrete serait insupportable. Devant 
son aine, volontiers professeur d'instruction civique, Pierrot fait semblant d'acquiescer a tout, mais il 
n'en pease pas moins. Dur d'etre en menage avec un reactionnaire de gauche.. . Le plus type a biberonne 
Zola, le plus chafouin ne jure que par Vialatte. Tous deux ont un fond artisan, voire paysan. Une paire de 
jolis solos. Pierrot hait les vieux, les jeunes et n'aimerait jouer que pour son iniroir. Quand ils n'auront 
plus qu'une paire de fesses pour grincer, ils iront dormir au square. » 

Ce portrait s'etait prolonge en donnant la parole aux interesses : 

desproges : « Tu es engage, je suis degage. Je ne vois pas une virgule de difference entre la gauche et 
la droite, ce qui prouve que j'ai la fibre plus republicaine que toi. » 

bedos : « T'as qu'a f engager dans la garde a cheval. Mais nous avons en comrnun d'etre tout a fait 
libres, de n' avoir aucun contremaitre. D'ou le label artificiel, parce que les gens ont besoin de toujours 
toutclasser. » 

desproges : « Anar de droite ! » 

bedos : « Libertaire de gauche ! » 

Guy Bedos est ne le 15 juin 1934 a Alger, c'est un pied-noir d'ascendance espagnole. Son pere 
dirigeait une scierie, II raconte avoir eu une enfance difficile car son pere s'est suicide lorsqu'il avait 
douze ans, parce qu'il etait « revenu d^Auschwitz dans un terrible etat de delabrement physique et 
mental ». 

A quinze ans, il monte a Paris et passe par Tecole de la rue Blanche. On connait la suite, elle va 
bien. .. et lui aussi grace au ciel. Bedos aime la vie : « La bourse je m'en foiis, j'ai choisi la vie. » Je 
partage aussi son point de vue sur rhumour : « L'hunwur est une langue etrangere ; pour certains il 
faudrait rajouter des sous-titres. » 

J'espere que ce livre contribuera a prouver le contraire. 



Benchley, Robert (1889-1945) 

Humoriste, scenariste et acteur americaia Je n'en dirai pas davantage. Je passerai sous silence ses 
brillantes etudes a Harvard ainsi que Ies quatre-vingts films dans lesquels il a joue. \bus ne saurez rien 
de son premier court metrage How to Sleep qui rut prime en 1935. Je ne vous parlerai pas des nombreux 
essais et articles publies dans Vanity Fair et The New Yorker, ni du fameux cercle litteraire de Thotel 
Algonquin auquel il appartenait. Je prefere vous faire decouvrir la necrologie-canular qu'il s'est 
concoctee, « mousse a Page de huit ans, arrete pour bigamie et meurtre a Port-Said deux ans plus tard, 
marie a une princesse, auteur de La Case de I 'ancle Tom et des Miserable* dont Victor Hugo achevera 
les derniers chapitres ». Et comme tout, meme le delire, a une fin, il s'invente une tombe dans l'abbaye de 
Westminster. Mythomane, Benchley ? Surement pas ! Mais, dit-il, « divagation bien ordonnee commence 
par soi-merne ». Et puis, il n'y a rien de mieux qu'une biographie de fou pour provoquer des lecteurs. 
Voila qui va me donner des idees. 

Ses heros sont des gens normaux, II gonfle leurs defauts juste pour rire. Inspire, il a ecrit des 
centaines d'essais, mais comrne je suis allergique aux (Euvres completes, je me suis contente du best de 
ses best of. Le Suppfice des week-ends est un florilege d'histoires courtes redigees pour The New 
Yorker. C'est surtout le titre d'une nouvelle qui semble avoir ete ecrite pour vous. Lorsque vous passez le 
week-end chez des amis, a quelle heure osez-vous vous lever le matin ? \fotre travail d'espion commence 
vers 8 heures. Coince dans votre chambre, vous guettez Le moindre bruit tout en regardant les photos qui 
decorent les murs et en feuilletant quelques livres insipides. Les memes precautions ridicules assaillent 
vos botes. Leves a la meme heure que vous, ils vont ecouter a votre porte puis regagnent leur chambre sur 
la pointe des pieds. lis parlent tout bas a leur femme, « en enfournant des ours en peluche dans la bouche 
de bebe pour qu il ne reveille pas le dorrneur ». L'attente se poursuit jusqu'a ce que, tirailles par la faim, 
ils viennent vous reveiller. \bus attendiez 9a depuis des heures... D'ouunechange de paroles faussement 
polies et franchement exasperees. Ensuite, il est question d'une famille qui, « vers 3 heures de Tapres- 
midi, oublia tout souci d'hospitalite et alia prendre son petit dejeuner sans se douter que leur invite 
feuilletait pour la neuvieme fois ralmanach qui se trouvait sur la table de nuit et envisageait d'accrocher 
un drap a la fenetre pour s'evader et aller prendre le train ». Les echanges de politesse subie se 
poursuivent jusqu'a rapres-midi, avec une invitation a la promenade. Apres s'etre traine un ou deux 
kilometres, Fhote dit d"un ton plein d'espoir : « Ecoute, je ne voudrais pas te crever. Des que tu en as 
marre, tu me le dis, et on rentre. » Le copain n'en peut plus, mais repond qu'il est en pleine forme et 
suggere meme de faire la course. .. 

« Supposez qu'aucun d*ea\ n'ose proposer de rentrer, ils peuvent aller comme 9a jusqu'au Canada. » 
Une alternative a la promenade de sante, un plongeon dans une piscine glacee, a 7 heures du matin, « dans 
un brouillard epais troue de temps en temps par une averse glaciale ». Tout 9a parce que, lorsque son 
hdte lui a suggere un bain matinal, Tinvite lui a repondu avec enthousiasme, « croyant qu'il faisait 
allusion a un bon bain chaud dans une salle de bains ». SMI vous arrive de fornenter des idees 
d 7 infanticide, Les Enfants, pour quor faire ? devrait vous faire du bien, vous y reconnaitrez votre 
progeniture dans ces ados desceuvres qui passent leur temps a entrer et sortir sans raison apparente. 
Toujours en bande, ils vont faire un tour dans la rue puis, au bout d'une demi-heure, rentrent a la rnaison. 

« Certains s'assoient, plas ou moins avachis. D'autres tournent en rond dans la piece. D'autres encore 
restent debout, adosses au mur. Puis au bout de cinq minutes, tous s'en vont. Et cela continue toute la 
journee. Cliaque fois qu'ils reviennent, il y en a deux ou trois de plus... Si au moins ils faisaient un peu 
plus de bruit et se mettaient a crier de temps en temps ! » Petri de « aime ton prochain comme toi-meme », 
il supporte tous ceux qui Tinsupportent. Les seules creatures qu'il ait envie de tuer ce sont. .. les pigeons. 
Et il traite ces sales betes de « malfaiteurs a raffut d'un mauvais coup ». II en devient parano : « Je suis 
convaincu qu'ils me persecutent... On s'est rrds a chuchoter chez les pigeons que Benchley etait anti- 



pigeon. » Si cela peut le rassurer, moi aussi ! Meme ceux de la place Saint-Marc l'attaquent : « Tellement 
violemment que ma vie se trouva en danger. » Pourtant il aime les animaux : « II m'est arrive de recueillir 
des chiens et de payer leurs etudes. Je suis une poire pour les chatons, meme si je sais qu'un jour ils me 
trahiront. J'ai meme ete jusqu'a cajoler un petit tigre, c'est pourquoi j'ecris cet article de la main 
gauche. » 



Bernard, Tristan (1866-1947) 

On a ecrit qu'il fut Pun des qwtre moiLsquetaires de 1' humour de la Belle Epoque, avec Feydeau, 
Capus et Courteline. 

On a ecrit aussi que la fameuse definition de mots croises « Entracte : vide les baignoires et remplit 
les lavabos » etait de lui. HeTas, elle est de Renee David, par contre, nul ne songe a lui attribuer : « Si le 
nez de Cleopatre avail ete moins long, la face du monde en eut ete changee », faussernent citee comrne 
etant d'Alphonse Allais, alors qu'elle est de lui. 

Je tenais en preambule a rendre a cet excellent Tristan Bernard ce qui lui appartient Cela fait, voici 
en prime quelques precisions sur son prenom II s'appelait Paul, mais choisit plus tard Tristan, « du nom 
d'un cheval qui m'avait fait gagner de r argent. Et c'etait rudement rare car, lorsqu'aux courses je suivais 
un cheval, mon cheval suivait les autres ! ». Accra aux courses, il y perdit souvent sa culotte, ou plutot sa 
casaque. Unjour qu'il arpentait les rues de Deauville avec une super casquene de yachtman, il expliqua a 
ceux qui le felicitaient pour sa prestance : « Oui, je me suis paye ca avec mes gains au casino... mais 
avec ce que j'ai perdu, j'aurais pu me payer le bateau ! » 

Paul, alias Tristan, etait ne en 1866 a Besancon, dans la meme rue que Victor Hugo qui naquitau 138, 
alors que Bernard etait plus modestement ne au 23. « On a mis des plaques sur les deux immeubles, mais 
la mienne a ete apposee par la Compagnie du gaz. » 

Eleve rnoyen, qui faisait deja rire ses camarades de classe avec ses jeux de mots et calembours, il 
rapporte de son service militaire une longue barbe qu'il ne rasera jamais. Avocat encore plus moyen, il 
jette Teponge pour celle du Velodrome Buffalo a Neuilly, oil il cree le Journal des veiocipedistes. En 
1891, il commence a collaborer a la Revue blanche de Felix Feneon. Sa premiere piece Lev Pieds 
nickeles fiit un flop, mais son premier roman Vous m'en direz tanl !, public en 1894, connait un honnete 
succes. 




Ce jouisseur a la barbe en eventail, qui lui servait souvent de garde-manger, collectionnait les enfants 
illegitimes, naturels et adopnfs. C'etait un humoriste heureux, conlrairement a certains de ses confreres 
qui, on le verra dans ce dictionnaire, etaient parfois plutot du genre desesperes. 

Apres le four de sa premiere piece, il renversa la vapeur avec L'anglais tel qu 'on le parte ( 1 899), 



Triplepatte (1905), Amants et Voleurs (1905) qui Laborieusement mais surement commencerent a le (aire 
connaitre. Pourtant, ce n' etait pas toujours gagne. II avait achete le theatre Sarah- Bernhardt et, un jour ou 
le public r avait boude, le rebaptisa « Sahara Bernard ». Tristan avait une passion pour les mots croises. 
Parmi ses trouvailles : « Agent de circulation : aorte », « Frequente le palais et menace la couronne : 
caramel », « Moins cher quand il est droit : piano », « Suit le cours des rivieres : diamantaire », « Arrive 
souvent au dernier acte : notaire ». 

On dit que Fhomme, humoriste patente, toujours de bonne humeur, etait profondement gentil. Leon 
Blum, son ami, etait admiratif de sa capacite a observer la societe : « C'est un personnage singulier. II 
promene dans la vie un corps absent et des yeux distraits mais dont Finsouciante apparente sante penetre, 
retient. On sent en lui comrne un mecanisme d'observation autornatique et un travail perpetuel de 
reflexion et d'ajustement. » 

raurais aime connaitre cet homme qui disait : « Uhurnour, c'est un exces de serieux. » J'aurais aime, 
je crois, r avoir comme grand-pere. Rassurant, doux. tendre et drole. 

A un jeune auteur lui ayant demande conseil pour un titre qu'il devait donner a sa piece il repondit : 

« Voyons, mon jeune ami, est-ce qu'il y a des tambours dans votre piece ? 

— Non, maitre ! dit Fautre, ahuri. 

— Et des trompettes ? Y a-t-il des trompettes ? 

— Non plus. 

— Eh bien, a votre place, j'appellerais ma piece ""Sans tambour ni trompette". » 

Eta cette jeune comedienne qui lui demandait de Faider a se choisir un nomde theatre : 
« Comment vous prenommez-vous ? 

— Maud. 

— Que penseriez-vous, mademoiselle, de Maud Cambronne ? » 
A la sortie d'une piece de theatre : 

« La jeune premiere n'est pas fameuse. 

— Exact, rnais c'est la petite amie du directeur. 

— D'accord, mais ce n'est pas assez bien explique au premier acte. » 

Et quand on lui demande : « Si le Louvre brulait, quel tableau sauveriez-vous ? », il repond : « Le 
plus pres de la porte, » 

Lorsque la guerre eclate, il n'en rate pas une : « En 1914, on disait : "On les aura !" Eh bien 
maintenant, on les a ! » Et : « Tous les conptes sont bloques. tous les Bloch sont comptes. » 

D'origine juive, il est deporte a Drancy en 1943 : c< Jusqu'a present nous vivions dans Fangoisse, 
desormais nous vivons dans Fespoir. » 

Tristan Bernard Hit epargne, mais pas son petit- fils, qui disparut a Mauthausen. II ne s'en remit jamais 
et mouruta Paris peuapres la Liberauon, le 7 decembre 1947. 

Un jour, il avait arrete un corbillard : « Cocher, etes-vous Iibre ? » Ce soir-la, il etait peut-etre pret a 
rejoindre ce Dieu dont il disait : « II est plein de bonte tant qu'on ne lui demande rien. » 



Bierce, Ambrose (1842-1913) 

Originaire de FOhio, Ambrose Bierce etait un ecrivain a F humour ravageur, personnage complexe, 
alcoolique, moralisateur mais immoral, gentil mais capable de mechancete grincante. Apres avoir quitte 
Farmee de F Union dans Iaquelle il s'etait engage a dix-neuf ans pendant la guerre de Secessioa il 
s'etablit a San Francisco oil il collabora au News-Let ler & California Advertiser. En 1872, il part pour 
Londres et travaille pour \eSiw etLe Figaro , mais son genre d' humour n'est pas du gout des 



Britarmiques. De retour a San Francisco en 1877, il ecrit des romans et des recits tres noirs et devient 
redacteur au journal V Examiner de William Randolph Hearst. Ses chroniques ou il denoncait la betise, 
Fhypocrisie, la violence, 1' injustice, le racisme et ou il s'attaquait aux elus, aux capitalistes et aux 
notables etaient redoutables et redoutees, et on a meme dit de lui qu'il etait peut-etre le meilleur satiriste 
depuis Voltaire. 

Mark Twain lui-meme n'osait egratigner « Fhomme le plus mechant de San Francisco », tant il savait 
que la riposte serait impitoyable. 

Son ceuvre la plus connue c'est le fameux Dictionnaire du diable : 

— Antipathic : sentiment inspire par Kami d'un ami. 

— Ble : cereale dont on arrive, non saas peine, a tirer un assez bon whisky et qu'on utilise pour faire 
du pain. 

— Chat : automate doux et indestructible fourni par la nature pour prendre des coups de pied quand 
quelque chose ne va pas dans le cercle familial. 

— Des ti nee : justification du tyran pour ses crimes, excuse de rimbecile pour ses echecs. 

— Epousee : femme qui a un bel avenir de bonheur derriere elle. 

— Felicitations : politessede la jalousie. 

— Imbecile : membre d'une grande et puissante tribu, dont rinfluence dans les affaires humaines a 
toujours ete preeminente. 

— Immigrant : individu mal informe qui pense qu'un pays est meilleur qu'un autre. 

— Journaliste : ecrivain qui tente de trouver sa voie dans la verite, et qui la disperse dans une 
ternpete de mots. 

— Kilt : costume quelquefois porte par les Ecossais en Amerique, et par les Americains en Ecosse. 

— Logorrhee : maladie qui rend le patient incapable de tenir sa langue quand vous avez envie de 
parler. 

— Nihiliste : Russe qui nie Texistence de tout sauf de ToIstoY. Le fondateur du rnouvernent est 
Tolstoi'. 

— Optrmiste : adepte de la doctrine selon laquelle le noir est blanc. 

— Raseur : personne qui parle quand vous souhaitez qu'elle ecoute. 

— Voyante : personne du sexe feminin capable de voir ce qui est invisible pour son client, a savoir 
qu'il est un imbecile. 

A la fin de sa vie, il partit pour le Mexique, alors en pleine revolutioa rejoindre les rangs de Farmee 
de Pancho Villa, avec F intention de s'y faire tuer : « Ah ! etre un gringo au Mexique, r;a c'est de 
Feuthanasie. » Dans ses lettres d'adieu, il s'avouait vieux et las : « Si vous entendez dire que Ton m'a 
mis le dos contre un mur inexicain et fusille en loques, sachez que c'est la meilleure facon de mourir, qui 
surmonte vieillesse, maladie et chute dans Fescalier. » 



Biraud, Maurice (1922-1982) 

Je vous; Faccorde, ce n' etait pas un ecrivain et il n'a pas Iaisse d'ceuvre litteraire memorable, mis a 
part deux recueils parsemes de foons mots et autres fariboles : Fatit I' faire etAllons-y gaiement. Mais 
quand meme, F humour de « Bibi » fleurait bon le calembour, pas force'ment fin, mais toujours efficace. A 
fallait Fentendre cliaque matin sur Europe N° 1, vers 9 heures, avec son accent faubourien, amical, 
toujours proche de Fauditeur, qui en redemandait* et qui flit exauce puisque, en 1957, il battait tous les 
records de participation en etant present a Fantenne vingt-cinq fois par semaine ! 

Ne en 1922, il entre comme planton de nuit a la Radiodiflusion nationale en 1939, puis aide- 



comptable et assistant metteur en ondes, avant d'obtenir un role secondaire dans une emission 
hebdomadaire. « Pour mon bagage intellectuel, je n'ai jamais eu besoin de porteur », avait-il coutume de 
dire a ses amis. II devient vite le pilier des meilleures emissions, en s'imposant comme Ie precurseur des 
« meneurs de jeu ». jamais pris au depourvu, toujours sur la breche, « Faut 1' faire, petite madame » 
devient sa ritournelle. EvidernmenL, son cote ras des paquerettes ne plait pas a tout le monde et, si ses 
producteurs le plebiscitent, certains patrons de radio n'hesitent pas a faire de Iui un symbole de 
rabrutissement des masses ; pourtant les metteurs en scene de theatre et de cinema le sollicitent et il joue 
dans plusieurs pieces, dont la plus marquante tut sans conteste Monsieur Manure avec Francois Perier et 
Francoise Soulie, qui allait devenir sa femme. A noter aussi Bobosse, Am strain gram et, en 1953, Quai 
des blondes, dont le dialoguiste Michel Audiard lui confie un role fait sur mesure, cocardier. raleur, 
hableur, mais foncierement honnete. C'est le meme Audiard qui lui demande de camper un soldat 
angoisse dans Un taxi pour Tobrouk en lui mettant en bouche cette celebre replique : « Mon pere esl a 
Vichy. C'estunhomme qui a la legalite dans le sang. Si les Chinois debarquaient, il se ferait mandarin... 
Si les Negres prenaient le pouvoir, il se mettrait un os dans le nez. Si les Grecs arrivaient, il se ferait... » 

(Test ainsi que Ie cinema venait de rnettre la main sur une figure emblematique de Francais moyen 
depasse par les evenements, une espece d'antiheros, mais qui donne la replique au grand Gabin daas 
Melodic en sous-sol d'Henri Verneuil en 1962 et qui incarne aussi le commissaire Socrate dans la serie 
cultissime et radiodiffusee Signe Furax. 

II est Tun des premiers a detourner les messages publicitaires. Alors que sa complice Anne Perez 
entre deux fous rires legendaires debite a I'antenne telle ou telle reclame, il s'empare du texte d'une 
lessive super blanchissante, le triture et lui artribue un effet comique devastateur. meme si c'est aux 
depens de Tannonceur. Rien ne lui resiste. II lui vient merne un jour Fidee de dormer la parole a une 
poule, Coquette, qui Taccompagne chaque matin au studio. L'hiver venant, il lance un appel pour habiller 
Coquette. Resultat : des centaines de petites echarpes tricotees par les audi trices arrivent par courrier au 
standard d'Europe N° 1 dans les jours qui suivenL Une autre fois, son technicien debarque avec les mains 
couvertes de cambouis, a la suite d'une panne de voiture, et il a besoin d'un boulon de huit pour effectuer 
la reparation Nouvel appel aux chers z'auditeurs, qui apporteront des kilos de rondelles dans le hall de 
la station. Mais Fun des grands moments de sa carriere d'animateur radio reste le 27 juin 1967 ou, 
pendant pres de vingt-quatre heures, il tint Fantenne lors d'un extraordinaire marathon des ondes. Le 
succes flit tel qu'une foule de deux mille personnes s'etait donne rendez-vous aux Champs-Elysees, 
devant la vitrine du pub Renault oil se deroulait le challenge, pour encourager leur aniinateur vedette en 
train de diner en tete a tete et aux chandelles avec Mireille Dare. 

Mais, apres 1968, le ton de Ficonoclaste ne plait plus trop en haul lieu. Le pouvoir politique le lui 
fait savoir. On lui demande de s'assagir. Biraud prend la mouche et claque la porte. Des petitions affluent 
pour dernander son retour. Rien n'y fait 

Sans jamais avoir reussi Ie grand retour radiophonique que le pays attendait, il s'eteint en 
decernbre I9S2, la veille de Noel, d'une crise cardiaque au volant de sa voiture. II est inhume en 
Dordogne, dans le petit cimetiere de Collonges-la-Rouge. 



Blanche, Francis (1921-1974) 

« Chez moi, disait-il, le spectacle n'est pas une vocation : e'est une charge hereditaire I » 

Francis Blanche etait en effet un veritable enfant de la baile, puisqu'il etait fils et petit-fils de 

comediens. II pretendait etre ne « pendant la paix de 18-39 » ! Ce qui etait en fait assez vague, rnais des 

recherches poussees m'ont permis de verifier qu'il etait ne le 20 juillet 1921. 



Que retenir de lui, si ce n'est son fameux « Bonjour chez vous ! » qui poncluait tous ses gags, que je 
nreffbrcais de ne jamais manquer le dimanche matin sur les antennes d' Europe N° 1, dans les 
annees 1 970 ? 

Si nous aimons aujourd'hui r humour insolent, insolite, incendiaire et irrespectueux, c'est en grande 
partie a ce petit bonhomme que nous le devons, et aussi a son complice Pierre Dae, avec lequel il realisa 
entre autres la fameuse interview du Sar Rabindranaih Duval. 

Francis Blanche, c'est aussi le personnage de Papa Schultz dans Bahette s'en vti-t-en guerre, oil ce 
gestapiste d'operette faisait avouer a un Japonais qu'il etait juif et le menacait de le « fusilier 
severement ». 

« Je suis presque aussi celebre que de Gaulle ; vous en connaissez, vous, des acteurs dont on a donne 
le nom a une rue et a une place de Paris. . . et de lew vivant ? », blaguait-il. 

Ce saltimbanque. ce touche-a-tout n'a jamais helas connu la consecration officielle qu'il aurait 
meritee. Peut-etre parce qu'il etait inclassable et qu'il s'eparpillait au gre de ses nombreux delires 
publicitaires : 

— « Pour rentrer chez vous, une seule adresse : la votre ! » 

— « Si vous ne vous sentez pas bien. . . faites-vous sentir par un autre ! » 

— « Madame ! N'achetez plus de tissus ecossais. Ecossez vous-meme vos tissus ! » 

— « Etudiants, etudiantes, ne vous presentez plus au bac : prenez le pont de Tancarville. » 

— « Mesdames : si votre poitrine toinbe. .. posez-la par terre ! » 

— « Marny.. . le bas qui fait parler la jambe ! 

— Andre... la chaussure qui fait parler le pied ! 

— Rasurel... le slip qui fait parler le... » 

— « Qui aime bien ses lunettes menage sa monture ! » 

Autres delires : ses sketches radiophoniques avec les Aveniures de Furax dans Malheur uux barbus 
{ 195 1 ). La France entiere, ou presque, retenait son souffle tous les jours vers midi, pour ecouter dans son 
transistor la suite des aventures de 1 'ignoble Furax. Et de qui, la mise en ondes ? De Pierre-Arnaud de 
Chassy-Poulay, bien sur. 




Ce petit farceur rondouillard etait aussi 1'auteur de plus de six cents chansons, parmi lesquelles la 
fameuse « Pince a linge », d'apres la cinquieme symphonie du regrette Ludwig, Blanche etait parait-il un 
bourreau de travail et un stakhanoviste de F humour qui ecrivait ses sketches le matin, tournait pour le 
cinema l'apres-midi, animait une emission en debut de soiree, jouait au theatre le soir et courait ensuite 
au cabaret pour ne dormir que trois ou quatre heures. Comme tous les obsedes par la mort, il en 
plaisantait souvent pour l'exorciser, ou plutot pour l'apprivoiser. 

Apres un premier infarctus, il faisait remarquer : « C"est le seul mot irregulier de la langue frangaise. 



On dit : un infarctus, des obseques. » Ou encore : « Si vous n'aimez pas les cercueils, on vous fera 
monler de la biere. » II mourut a cinquante-trois ans, non sans avoir lui aussi pense a son epitaphe : « Pas 
piquee des vers », avait-il prevenu. 



Blondin, Antoine (1922-1991) 

Ne a Paris Ie II avrtl 1922 au 33, quai \bltaire, fils de Pierre, correcteur d'imprimerie qui se 
suicidera en 1948. Sa mere Germaine, issue de la grande bourgeoisie, ecrit des poemes. Gravement 
brulee dans un accident domestique^ elle reste alitee pendant une dizaine d'annees et Antoine se retrouve 
en pension, dilettante mais surdoue : concours general et Sorbonne, ou il enseigne la philo. Prisonnier en 
Allemagne puis requis au STO, sa vraie vie commence en 1949 avec un premier rornan,/,' Europe 
buissonniere. En 1952, i! publie Z.e.v Enfants du ban Dieu, puis L' Hit men <r vagabonde et ce que je 
considere comme son ceuvre majeure, Un singe en hirer, prix Interallie 1959. film ou Ton retrouve un 
Gabin et un Belmondo au meilleur de leur forme, shootes au. . . Picon-biere. 

Blondin- romancier ? Oui, mais avec une ceuvre relativement mince comme il le disait lui-meme : 
« Je suis reste mince, mon ceuvre aussi. » 

Blondin, homme de droite ? Tendance anarchiste mais peut-etre electeur de gauche, puisqu'il avait de 
K admiration pour Francois Mitterrand. Blondin, pour qui P ami tie etait une religion, ne s*etait jamais 
remis de la mort accidentelle en 1962 de Roger Nimier, qu'il considerait comme son frere, d'ou la 
legende des fameux « Hussards », en homrnage au Hussard bleu de Nimier. Un club d'ecrivains de droite 
oil Ton retrouvait Michel Deon, Jacques Laurent, Roland Laudenbach. Kleber Haedens et Albert Vidalie. 

Blondin, veritable ecrivain ? « Cest la rnagie d'une patte qui fait de lui un des plus grands ecrivaias 
de sa generation » (Pierre Assouline). 

« Nous avons affaire a Tun des rares auteurs contenporains qui pratique le francais comme une 
langue maternelle. Si notre langue n'existait pas, il aurait ete capable de Tinventer. Jamais le mecanisme 
d"une phrase ou d'un livre d'Antoine Blondin ne saurait etre decouvert. Sa prose est souveraine, parce 
que les longues patiences de r effort se sont metamorphosees en vif-argent » (Jacques Laurent). 

Blondin et l'alcool ? Vrai debat evidemment, mais j'allais ecrire « telle ment assume » et, de fait, 

touchant. Blondin, le poivrot noctambule du VF arrondissement de Paris qui s'est fait embarquer trente- 
trois fois par les flics, ne se cachait pas de cette addiction, mais il avait des excuses : « Je vais dans les 
bistrots pour me creer des freres et sceurs » (qu'il n' avait pas eus). 

Blondin ne pouvait pas, je 1'ai dit, vivre sans ses amis, qu'il assirnilaita ses copains de bistrots qu'il 
retrouvait dans son estaminet de predilection. Ie Bar Bac. au 13, rue du Bac a Paris, oil une plaque a sa 
memoire flit d'ailleurs inauguree enjuin20I 1, vingt ans apres sa mort. 

Jacques Bens, qui edita et prefaca les ceuvres de Blondin, analyse bien le pourquoi du comment de 
celui qui privilegiait au bar les « verres de contact » et qui lancait quand il s'asseyait a sa table de travail 
(et de bistrot) : « Et maintenant, au goulot ! » ou encore : « N'oublie pas que Ton ecrit avec un 
dictionnaire et une corbeille a papier, tout le reste est litres et ratures. » 

« Mais que Ton se sent fort et rassure, ecrit Bens, quand la biere, le scotch et Ie vin blanc allument 
les yeux et incendient le discours. [...] Les compagnons de comptoir apportent a celui qu'angoisse la 
solitude physique la chaleur un peu artificielle et pourtant si reelle du coude a coude, tout en respectant 
sonquant-a-soi. » 




Antoine Blondin a toujours regarde en face sa dependance a Talcool, en la mettant meme en scene 
dans Un singe en hiver, ou Ton voit Quenlin-Gabin assunier superbement son retour a I'enfer alcoolique, 
qu'il avail pourtant reussi a quitter : « Des ivrognes, vous ne connaissez que Ies malades, ceux qui 
vomissent, et les brutes, ceux qui recherchent ragression a tout prix ; il y a aussi Ies princes incognito 
qu'on devine sans les identifier. [...] Pour ea\ la boisson introduit une dimension supplementaire dans 
F existence. » 

« La grande loi, ecrivait-il aussi, c'est qu'on boit pour etre ensemble, entre amis. Mais on est soul 
tout seul, c'est triste. » 

Blondin, sportif ? Bien sur ! II aurait, dit-on, pratique un peu de football et le huit cents metres, "Vbila 
pour Texercice purement physique. Pour le reste, et pour ceux cornme moi qui n'ont jamais luZ, 'Equips 
Antoine Blondin est le plus grand sportif de tous les temps. A force de relire quelques-unes de ses sept 
cents brillantissimes chroniques deL'Imnie du sport (1954-1982), j'ai 1" impression d'avoir couru 
cornme lui vingt-sept Tours de France et participe a sept Jeux olympiques, huit championnats d'Europe 
d'athletisrne et autres competitions d'escrime, de rugby, de gymnastique, d'halteres, de patinage, de 
basket, de bobsleigh, d'equitation et je n'en peu\ plus... de reconnaissance pour celui qui n'a jamais 
cesse de m'emerveiller par son ecriture legere, ses trouvailles irresistibles, ses clins d^ceil et ses 
raccourcis, ses tentatives de causticite desesperees mais jamais mechantes, cornme ses calembours qui lui 
otaient toute velleite de paraitre sentencieux Lorsqu'il suivait le Tour de France, la plupart de ses 
chroniques etaient pretexte, en fonction de la ville-etape ou de la region parcourue, a des titres 
« calembourgeois » a faire palir de jalousie Alphonse Allais, Patrice Delbourg ou Ies journal istes de 
Liberation les plus talentueux : 

— « Ne me faites pas rire, j'ai les levres gersoises. » 

— « L^Agenais pour des prunes. » 

— « Ras le col. » 

— « Un calvaire breton. » 

— « Sophia Lorraine. » 

— « Du pi n et des j eux. » 

— « Cepage est sans pitie. » 

— « L' affaire est dans le sacre. » 

Pour lui, « Texercice de la bicyclette est une activite ou toutes les fonctions naturelles, honnis celles 
de la reproduction, sont appelees a jouer un role », et quand apres quelques jours de Tour de France il 
constate que Tintendance ne renouvelle guere le menu des suiveurs, a qui Ton sert tous les soirs une 
inevitable pintade, il ne tient plus : « Si cette pintade doit faire le Tour, je suggere qu'on lui mette un 
dossard ! » 



II meurt Ie 7 juin 1991, peu de temps apres qif on Iui eut decouvert une « grosse tache noire au 
cerveau ou au foie », il ne sait plus tres bien. . . 

Le jour de son enterrement, Jean-Claude Lamy. journaliste a France-Soil- et fervent adrnirateur, 
n'hesite pas a titrer : « Meme l'eglise etait bourree. » 



Boulevard, Le 

Le theatre dit « de boulevard » n'a pas tres bonne reputation tant il est souvent identified comme un 
sous-genre de la comedie, qui n'aurait ni sa profondeur ni son ambition morale, cherchant Peffet, au 
detriment de toute valeur litteraire, facilite, situations liees a une conception bourgeoise du couple et de 
la famille, mises en scene convenues, decors stereotypes, etc. Mais avant le theatre dit « de boulevard », 
il y avait les theatres « des boulevards », situes sur le boulevard, fort de ses heures illustres, qui avait vu 
passer les bambochards et aussi la charrette qui menait Louis XVI a Fechafaud. Le boulevard du Temple, 
ainsi nomine a cause de la proximite de l'enclos du Temple, etait grouillant de vie, la foule s'entassait 
devant les treteaux et dans les petits theatres ou souvent la plaisanterie tournait en satire politique. Peu 
ont survecu pour des raisons diverses, Tincendie pour rAmbigu-Comique, la faillite pour le Panorama- 
Dramatique. ou on montait des melodrames effroyables, et puis la jalousie des nationuitx, alors royaitx 
ouimperiaux. Opera ou Theatre francais, qui avaient reussi a faire interdire aux acteurs et actrices de 
dialoguer... 

Mais le pire predateur fiit Le baron Haussrnann, surnomme Attila par les Parisiens, qui livra aux 
pioches des demolisseurs tes Funambules oil se produisait le mime Debureau qui « renouvela entierement 
la comedie », et dont Sacha Guitry fit un merveilleux film Demolis aussi. La Gaite et le Theatre 
historique, que fonda Alexandre Dumas et qu'il inaugura avec sa piece La Reine Margot* pour laquelle 
certains spectateurs avaient fait la queue pendant trente-six heures. 

Certains ont survecu, coinme les Bouffes-Parisiens, Le theatre de la Porte-Saint-Martin, qui vit Marie 
Dorval, et la Renaissance, dont la plus belle epoque tut celle sous la direction de Lucien Guitry. « La 
qualite des pieces qui y etaient jouees. celle des artistes qui les interpretaient en faisaient une des 
premieres scenes de Paris, chaque soir ou presque, dans la loge de Lucien Guitry se reunissait une bande 
de gens d'esprit, Alfred Capus, Tristan Bernard, Maurice Donnay, Georges Feydeaiu Courteline ou Jules 
Renard » (Jules Bertaut). 

Le theatre ne se jouait pas seulement sur scene, mais aussi en coulisses. Un raseur etait arrive a 
arracher a Lucien Guitry la promesse d'un dejeuner, lorsque celui-ci se tourne vers son secretaire : 
« Alfred, vous allezecrire a ce crampon qu'il m'est impossible d'aller demain dejeuner avec Iui... » 

En se retournant, comme il voit que ledit crampon est encore la, il ajoute, royal : « Parce que je 
dejeune avec monsieur. » 

Une autre fois, alors qu'on Iui recommandait une petite actrice qui jusque-la n^vait fait que 
des Madame est servie et apporter des lettres, il repondit : « Desormais, elle n'apportera que des Iettres 
recorranandees. » 

Eugene Labiche (1815-188S) va perfectionner le genre et apporter grand soin a ragencernent des 
evenements, a la progression des intrigues de plus en plus complexes, imbriquees les unes dans les autres 
a la fagon des poupees russes ; il multiplie les imprevus, les bavures des personnages aux noms cocasses, 
Dardard, Pontbichet, Cravachon. II mene ses cent soixante-treize pieces a un train d'enfer. 

A I'entree du passage de l'Opera, on trouvait le theatre des Nouveautes, disparu Iui aussi en 1832, 
puis reconstruit quelque trente ans apres. C*est la que triornpha Georges Feydeau, ou toutes ses pieces 
furent creees. Depuis, Courteline, Guitry, Pagnol, Achard, Anouilk Roussin, Camoleni, Barillet et Gredy, 



Framboise Dorin et bien d'autres ont pris la releve de ce genre, qui a pour unique objectif de faire rire. 
Alors. denigrer les pieces dites « de boulevard », c'estpeut-etre jeter le bebe avec Feaudubain 



Bourvil (1917-1970) 




Les vrais comiques sont de plus en plus rares, et les plus grands ont disparu. Ainsi Bourvil, genial 
protagoniste avine d'un spectacle memorable qui nous entrainait dans Teloge de Feau ferrugineuse. Le 
sketch n'a pas vieilli, florilege de demarche titubante, de jeux de mots et de begaiements de poivrot. On 
rit de cette situation grotesque ou les vertus de Teau sont vantees par un ivrogne, tout delegue de la Ligue 
antialcoolique qu'il soit. 

Ceflet comique n'est pas produit par le cours de chimie desarmant qui fait passer et repasser Teau 
sur le fer. A mon avis, il reside moins dans les jeux de mots proferes par une bouche pateuse (« Le fer a 
dissous. Et le fer a dix sous, c'est pas cher ») que dans la situation elle-meme. Qu'un ivrogne parle de 
gros rouge, soit. Mais s'il s'aventure sur un terrain de sobriete et d ? abstinence, il ne peut que faire rire 
avec ses phrases qui titubent. Chapeau, Bourvil, pour ce moment d'ivresse. 

Et que dire de cet autre sketch, moins connu. qui se resume a une seule phrase : « Cest Thistoire d'un 
jockey qui entre dans une salle de bains. » II ne lui faut pas moins de huit minutes pour venir a bout de ces 
quelques mots. Ici rebriete n*y est pour rien. Mais ses paroles hachees sont interrompues par ses rires et 
fous rires, annonciateurs d'une histoire irresistible. Uhistoire n'en est pas une, mais comme elle est « a 
mourir de rire », son recit est un veritable jeu de massacre. On ne compte plus les victimes : avec trois 
morts sur la conscience, son copain qui l'avait racontee avant lui s'est suicide dans sa cellule. Sa 
premiere victime avait ete une petite serveuse, suivie du commissaire et de son subalterne. Malgre leurs 
« Arretez, vous allez me faire mourir ! », il avait fmi sa phrase. Desespere, le pauvre copain a decide de 
se supprimer. E s'est raconte son histoire drole et il est mort... de rire. Ces morts en serie ont droit a une 
oraison funebre sous forme de rires et de hoquets, puis Bourvil se lance une derniere fois dans la phrase 
fatale, s'etrangle et s"effondre en direct. Ce qui me semble interessant. ce n'est pas rhistoire elle-meme, 
bien que sa banalite soit embellie par ses effets devastateurs, c'est cette prouesse de nous faire rire du 
rire. Les emotions sont contagieuses. Les larmes appellent les larrnes, et le rire provoque le rire. II suffit 
de choisir son spectacle, de fuir le « bon melo » qui trempe les mouchoirs et de rechercher la compagnie 
du comique qui fait du bien. Or Bourvil, si accessible avec son visage de naif bon enfant, nous entraine 
dans son fou rire. 

II s'esclaffe, il begaie, il bafouille, il eructe de facon irresistible. Veritable rnagicien du rire qui fait 
rire, il illustre bien pour nous ce credo de Jacques Prevert : « Rire de mourir et mourir de rire. » 



Breffort, Alexandre (1901-1971) 

Que de talents, que de sourires perdus pour ne pas avoir decouvert certaias humoristes plus tot et leur 
avoir fait perdre leur temps a courir les petits metiers ! Alexandre, qui ne travaillait pas bien a Tecole, 
racontait que ses parents lui avaient predit qu'il « mourrait de fairn sur Techafaud ». II rapporte avoir eu 
quatorze emplois, dont employe de bureau pour une maison fabriquant des appareils electriques, 
correcteur d'imprimerie a Orleans, photograveur a Paris, debardeur de peniches sur la Seine, dechargeur 
des camions aux Halles, representant en machines a ecrire, vendeur de toiles a peinture, camelot en toiles 
et couvertures, chauffeur de taxi. II racontera d'ailleurs cette experience avec son humour habituel dans 
Mori taxi et moi. C'est ainsi qu'il fit ses classes. Puis, grace a I'envoi de petits textes et de fables, il 
devient collaborateur et pilier d\i Canard enchaine\ ou son humour et son talent pour les calembours 
deviendront rapidement proverbiaux : 

— « J'etais tombe sur une indecente de lit » 

— « La Bible ne fait pas le moine. » 

— « Trop au lit pour etre honnete. » 

— « Le mariage est une condamnation de drap commun. » 

— « Que dit le volatile ? », s'lnformait chaque semaine le general de Gaulle en parlant du Canard, 
oil Breffort signait « Valentine de Coin-Coin » ou « Sansandre » et ou il avait installe une bibliotheque 
dans les toilettes car : « Je ne peuxpas lire sans lunette. » 

Bon public, j'avoue user et abuser sans moderation de ces calembours pour relever mon quotidien et 
faire croire quej'ai unpeud'esprit : 

— « Ote-toi de la que je m'humecte. » 

— « L' amour avec un grand las. » 

— « Ton corps est tatoue. » 

— « C'est beaumais c'est twist ! » 

— « Mes illusions sont des truites ! » 

Mais le grand succes d'Alexandre Breffort, c'est sans conteste sa comedie musicale Irma la douce, 
cosignee avec Marguerite Monnot, reprise au cinema en 1963 par Billy Wilder et interpretee avec brio 
par Shirley MacLaine et Jack Lemrnon. 

Grand moment aussi quand une pointure comme Michel Audiard decrit « Breffort ou la farce 
tranquille » ; « Deux levies gourmandes, au nez fiireteur, au regard de matou grassouillet sans cesse pret a 
bondir sur un bon mot ou une jolie nana. De nous tous il etait de loin le plus elegant et le plus soigne. 
Costume raye trois-pieces, le pli du pantalon impeccable, chaussures cirees, pochette discrete, cheveux 
lustres, il donnait Timpression d'etre retire des affaires avant d'y etre entre. » 

L* argent gagne avec Irma la Douce permit a notre maitre es calembours de se retirer en Suisse. Le 
climat ne lui reussit pas, de genereux il devint avare, et de joyeux, depressif : « Le malheur d'etre riche, 
c'est qu'il faut vivre avec des gens riches », disait Logan Smith... 



Breton et le surrealisme en France 

Quand on pense que le si gentil petit garcon ne en 1896, fils d'un secretaire de gendarmerie, fut 
eduque selon les grands principes de la petite-bourgeoisie catholique, par une mere tres rigide, on a du 
mal a croire que ce bon eleve et futur medecin allait devenir le pape du surrealisme, Tun des plus grands 
mouvements artistiques du xx e siecle. 

C'est pendant la guerre de 14-18, ou il etait etudiant en medecine, que le jeune Andre, qui se piquait 



de poesie, decouvrit Paul \falery, Apollinaire, Rimbaud, Lautreamont et Freud, dont il eut la revelation 
dans un ouvrage de « psycho-analyse », puisque c'est ainsi qu'on la denommait a l'epoque, et se persuada 
qu'elle pouvait avoir une influence decisive sur la recherche poetique. 

S'ensuivit une longue periode agitee dans la vie de Breton, oil Ton croise a la fois Eluard, Desnos, 
Tzara, fbndateur du mouvement Dada, Soupault, Vache, Crevel, avec lequel il lanca une experience de 
sommeils hypnotiques, supposes liberer le discours de l'inconscient. Pourtant, Freud, que Breton 
rencontra, ne manifesta aucun interetpour ce type d'experience. Le substantif « surrealisme » imagine par 
Apollinaire. qui hesitait avec « surnaturalisme », admiratif des travaux de Picasso, flit repris par Andre 
Breton, convaincu du lien enlre le monde reel et celui des reves. Et convaincu aussi qu'il existait une 
continuite entre Fetal de veille et Fetat de sommeil. 

Dans le premier Mamfeste du surrealisme, il definit ainsi ce nouveau mouvement artistique : 

« C'est un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement. soit 
par ecrit, soit de toute autre maniere, le fonctionnement reel de la pensee. Dictee de la pensee, en dehors 
de toute preoccupation esthetique ou morale [...]. Le surrealisme repose sur la croyance a la realite 
superieure de certaines formes dissociations negligees jusqu a lui, a la toute-puissance du reve, au jeu 
desinteresse de la pensee. II tend a ruiner definitivement tous les autres mecanismes psychiques et a se 
substituer a eux dans la resolution des principaux problemes de la vie, » 

II est interessant de constater qu'a la meme epoque d'autres professions de foi « surrealistes » se 
manifestent a travers le monde, en Tchecoslovaquie. en Roumanie, en Angleterre, aux Etats-Unis, en 
Espagne aussi, avec le courant « ultraiste » de la Generation de 27 ou Ton retrouve Garcia Lorca, en 
Scandinavie, en URSS et merne au Japon, ou les ecrivains etatent d'ailleurs plus sensibles au dadaisrne 
qu'au surrealisme. En Belgique enfin, dont il est question plus loin (voir : Surrealisme en Belgique). 

Breton s'etait inspire de certains mouvements precurseurs presents dans les ceuvres de Jarry pour 
recriture, et de Gustave Moreau et d'Odilon Redon pour les ceuvres picturales. A travers ce mouvement, 
les surrealistes voulaient explorer de nouvelles techniques de creation, qui laisseraient le champ libre a 
Tinconscient. C'est ainsi qu'ils inventerent « Fecriture automatique », qui est pour moi le cote le plus 
interessant du surrealisme francais a ses debuts. Principe qui consistait a dieter la pensee en l'absence de 
tout control e enonce par la raison. 

Ce qui resume le mieux cette technique, c'est le dernier chapitre des Champs magnetiques, coecrits 
en 1919 avec Soupault et en quinze jours. lis s'etaient donne pour but de remplir des pages d'une 
« ecriture sans sujet », en dehors de toute censure et au mepris de ce qu'il en resulterait. Le dernier 
chapitre. « La fin de tout », avec en exergue « Andre Breton et Philippe Soupault / Bois et Charbons », est 
une espece de dictee oil la voix de chacun n'est plus identifiable. Resultat, des phrases etonnantes, 
formees de mots semantiquement inconpatibles : 

« Notre squelette transparait a travers les aurores successives de la chair », ou : « Tu m'as blesse 
avec ta fine cravache equatoriale, beaute a la robe de feu. » 

Breton s'en explique. bien que ce soit difficilement explicable, en pronant Tapplication du processus 
de ['association d'idees. Interessant, mais pas vraiment grand public. La preuve, ce texte, dit precurseur 
de Tecriture automatique, n"a connu qu'un tirage de trois cents exemplaires en cinquante ans. En 
revanche, le jeu du « Cadavre exquis », base sur le principe du jeu des petits papiers est universellement 
reconnu. Pourquoi « Cadavre exquis » ? Parce que le premier resultat poetique obtenu par les surrealistes 
utilisant cette technique flit : « Le cadavre exquis boira le vin nouveau. » 




La vie de Breton se partagea entre une belle experience litteraire, avec des ouvrages remarques 
(Nadja ou Clair de terre) et une carriere politique mouvementee a travers un engagement au parti 
communiste. qui le contraignit a s'exiler aux Etats-Unis en 1941 pour echapper au regime de Vichy. Mais 
l'essentiel de sa vie consacree au surrealisme lui valut de memorables combats avec les dadai'stes de la 
premiere heure, antibourgeois, antinationalistes et provocateurs, alors que les surrealistes, eux, se 
sentaient plus concernes par 1 'engagement politique. 

D'aucuns ont ecrit que, si le nom Breton etait indissociable du surrealisme, pour le rneilleur, 
rehabilitation de la magie en litteralure, il r etait aussi pour le pire : exces d'un dogmatisme doctrinaire, 
et bien pire parfois si Ton en croit cette diatribe de Georges Bataille qui visait Breton : « Je regrette 
seulement qu'il ait si longtemps encombre le pave avec ses idioties abrutissantes. Que la religion creve 
avec cette vieille vessie religieuse. Cela vaudrait la peine, cependant, de conserver le souvenir de ce 
gros abces de phraseologie clericale, ne serait-ce que pour degouter les jeunes gens de se chatrer dans 
des reves. » 

Andre Breton meurt subitement a Saint-Cirq-Lapopie en 1966. II avait soixante-dix ans. 



Bruant, Aristide (1851-1925) 

Au premier regard on l'identifie avec son feutre a large bord et sa longue echarpe rouge rejetee dans 
le dos, c'est bien lui, immortalise par le crayon de Toulouse-Lautrec, devant le rideau rouge d*un music- 
hall. La degaine d'Aristide Bruant fait desormais partie du patrimoine de la chanson populaire, au rnerne 
litre que la petite robe noire d'Edith Piaf ou le canotier de Maurice Chevalier. 

Ne en 1 867 dans une famille bourgeoise, il doit vite faire face aux graves revers de fortune d'un pere 
alcoolique en gagnant sa vie comme apprenti dans des arriere-boutiques de bijoutiers, puis se met a 
frequenter les cafes d'ouvriers, cotoyant les malheureux, les revoltes, les filles et Les mauvais garcons, 
ecoutant leurs confidences et s'initiant a leur jargoa Mobilise pendant la guerre de 1 870, il travaille a la 
Compagnie des chemins de fer du Nord. La encore, il va regarder vivre les ouvriers et se passionner pour 
le langage populaire. 

Bruant n'est pas seulement Tauteur de la celebre « Nini Peau d'chien », ecrite a Toccasion du 
centenaire de la prise de la Bastille, c'est aussi celui qui va s'approprier r argot et le transformer en 
folklore urbain. Avec lui, les mots rebondissent, et pas seulement dans les troquets de la classe ouvriere, 
il est adule par la bonne societe, bien qu'il fasse appareinment tout pour scandaliser le bourgeois. Sa 



vraie carriere commence dans la celebre guinguette Darelli a Nogent-sur-Marne (son passage a Farmee 

lui avait inspire la fameuse « Marche du 113 e », au timbre de laquelle defileront par la suite des classes 
entieres de pioupious). Engage dans le legendaire cabaret de Rodolphe Sallis Le Chat noir, il cree une 
serie de rengaines, que Ton pourrait presque comparer a un catalogue du syndicat d'initiative de Paris : 
« A Batignolles >►, « A la Bastoche », « A la Goutte-d*Or », « A la place Maubert » ou « Menilmontant ». 
Pionnier d'un grand metissage de la langue en mouvement, il se pose en chroniqueur social et il inspirera, 
plus tard, les Brassens, Lemarque et Renaud. C'est I'inventeur de la chanson realiste, et sa presence en 
scene, sa voix rauque et puissante y sont pour beaucoup. 

II n'hesitait pas a monter sur une table du Chat noir pour dormer ses instructions aux gens de la haute : 
« Tas de cochons ! Gueules de miteux ! Tachez de brailler en mesure. Sinon fermez vos gueules ! » Et si 
quelques jolies dames se montraient offensees, il n'hesitait pas a les invectiver : « Va done, eh, 
pimbeche ! Tes venue de Grenelle en carrosse expres pour te faire trailer de charogne ? Eh bien ! Tes 
servie ! » 

Comme un bonheur n' arrive jamais seul, il ne se contente pas d'etre un homme connu et adule, il 
devient aussi tres riche grace a de confortables droits d'auteur que lui rapportent entre autres « Nini Peau 
d'ehien » et « La Filoche », un hyinne a la gloire d'un marlou heroi'que, qui mourut sur rechafaud. 

Dans Portraits intimes, le critique Adolphe Brisson raconte sa visite a Courtenay, oil Bruant s'est 
achete un magnifique chateau avec fermiers, domestiques, meubles de styles, inoulin, etc. Et, il n'hesite 
pas a s'en rnoquer, en le traitant de nouveau « marquis de Carabas ». 

Bruant assume, il est meme pret a renier son passe de chanteur populaire : 

« Pendant huit ans, j ' ai passe mes nuits dans les bocks et la fumee ! J'ai hirle mes chansons devant un 
tas d'idiots qui n'y conprenaient goutte et qui venaient, par desceuvrement et par snobisme, se faire 
insulter au Mirliton. .. Je les ai traites comme onne traite pas les voyous des rues... lis m'ont enrichis, je 
les meprise : nous sommes quittes ! On respire ici !... Ce n'est pas comme a Montmartre !... Je suis 
rudernent content d'etre sorti de ce cloaque ! » Pourtant, il ne resiste pas a Tappel d'une nouvelle 
carriere. II est persuade que le bon peuple I'artend pour le celebrer a nouveau et il profite d'elections 
legislatives pour se presenter a Belleville, dans le quartier de Saint-Fargeau. Ce n*est plus le chatelain 
qui se presente, mais le candidat du peuple. Erreur colossale de casting, car il a beau s'escrirner a 
chanter une partie de son repertoire au cours des reunions electorales, il essuie un echec cuisant en ne 
recueillant que 525 voix. 




L'homme au large chapeau est mort a Paris le 1 1 fevrier 1925. 

Francis Coppee 1'avait fait recevoir a la Societe des gens de Iettres, a la suite de la publication de 
ses ceuvres, monologues et chansons, dont le premier volume, Dans la rue^ avait fait sensation, en 
particulier aupres de Maurice Barres et Anatole France. 

Coppee admirait sa sensibilite et sa pudeur, ce qui lui faisait dire : « Ce poete sincere jusqu'au 



cynisme, mais non sans tendresse, cherche des inspirations dans le ruisseau, mais il voit aussilot briller 
un reflet d'etoile. » 



Burlesque, Le 

L'une des formes les plus anciennes de rhumour, puisque des Fage des cavernes, l'homme a ri : 
« Parce que le rire est le propre de 1* ho mine ». coinme disait Rabelais. Le chef de la tribu glissait et 
tombait cul par-dessus tete, les autres rnembres riaient mecaniquement, rnalgre la crainte que le chef lew 
inspirait. Et un beau jour, un petit rnalin s'est avise de rrrimer de facon grotesque la chute du chef, Les 
rires ont explose, le burlesque etait ne, rupture fantaisiste du ton employe auparavant, discordance entre 
le fond et la forme, contraste complet entre deux personnages. 

Le cinema muet a explore ce filon jusqu'a plus soif. Buster Keaton, Mack Sennett, Laurel et Hardy 
s'agitent frenetiquement pour echapper aux evenements extraordinaires qui font irruption sans raison dans 
leur vie quotidienne. Dans Les Fiancees en folic. Buster Keaton doit a tout prix se marier pour pouvoir 
toucher un gros heritage. L'innocent met une annonce dans le journal local et s'endort dans l'eglise, dans 
Tattente d'une eventuelle fiancee. Quand il se reveille, Teglise est envahie par des femmes de tous ages, 
revetues de robes de mariee extra vagantes. II se cache, mais elles le decouvrent et se ruent sur lui. 
Epouvante, il s'enfuit, poursuivi par la meute en folie. reussit a les semer, mais chaque fois qu'il se 
croit hors de danger, elles ressurgissent avec une ardeur renouvelee. Ses poursuivantes demolissent un 
mur pour lui tirer dessus. II leur echappe, evite une avalanche de rochers, s'essuie le front, soulage, et 
meurt frappe par un ultima et minuscule caillou qui le fait basculer dans le vide. 

Meme procede dans la bande dessinee lorsque Ton voit par exemple le capitaine Haddock essayer en 
vain de se debarrasser d'un sparadrap qui fait le tour des passagers de Tavion avant de revenir sur lui... 
Du pur burlesque. 

Des le Moyen Age, les comediens melaient aux mysteres religieux des intermedes bouffons joues par 
des fbus, ce qui excusait leur liberte de langage et de pensee. Le burlesque devenait alors un espace de 
liberte, la rneme ou l'Eglise etait toute-puissante. Plus tard, les acteurs prirent r habitude de jouer, avant 
la grande piece tragique, quelques paradoxes burlesques : eloge du cocufiage, de la pauvrete, de la 
laideur, du crachat. lis raillaient les pedants et les censeurs et demontraient que les ferrures avaient le 
droit de desobeir. C'est a ce jeu que Moliere triompha, comme dans Les Fourberies de Seapiti, ou un 
pere monstrueusement avare est berne et roue de coups par un valet aux mille ruses. C'est Scarron qui 
introduisit veritablement le burlesque en France, quelques annees avant Moliere, Diderot ou \bltaire, et 
si quelqu'un a su reprendre le flambeau aux^ siecle, c'est bien Brassens, au rnarche de Brive-la- 
Gaillarde, lorsque des « megeres gendarmicides » se jettent sur la marechaussee appelee en renfort pour 
un « crepage de chignons » general : 

« Freneticfit ' I 'une d 'elles attache 

Le vieux marechal des logis 

Et ltd fait crier : "Mort aux vaches, 

Mort aux lots, vive I 'anarchic f" 

Une autre f outre avec rudesse 

Le crane d 'm de ces lourdauds 

Entre ses gigantesguesf esses 

Qu 'elle serre comme un etau... » 

Du burlesque frondeur et anarchiste qui viole la bienseance du style et de la forme. 



Cabu 

Ses cibles sont faciles a reconnaitre : elles portent souvent im uniforme ou line soutane, a rnoins 
qu'elles ne soient issues de sa planete de predilection, celle oil Ies « beaufs » (catogan, boucle d'oreille, 
santiags et petit gilet de grand reporter) sont rois. Mais ce grand duduche septuagenaire (eh oui ! deja) est 
un mystere. Pourtant, c'est mon ami et je devrais pouvoir resoudre cette enigme : comment peut-il etre 
aussi gentil dans la vie et aussi cruel des qu'il se met a croquer les gens qu'il n'aime pas ? II vous 
repondra sans doute avec son grand rire sonore qu'il n'est pas cruel, mais qu'il se contente de cibler les 
« cons >k D'ailleurs, la seule banderole que cet anar— car e'en est un- puisse encore tolerer, e'est : « A 
bas les cons ! » Pas facile de definir la cormerie, mais Cabu, lui, a trouve la solution en inventant le 
« beauf de comptoir », son premier specimen decouvert un jour dans un bistrot de Chalons-sur-Marne. 

On a dit de lui qu'il etait aussi prolifique que Balzac (plus d'une centaine d' albums, trente mille 
dessins) maisonoublie de dire qu'il est beaucoup plus drole... 




Cabu se moque des nudistes, mais il adore les bouchers, il deteste Tadjudant Kronenbourg, mais il 
venere les cyclistes, les amoureux, les rues de Paris et les timides bien sur. . . 

11 a deux passions, Charles Trenet et le jazz ; attention, pas n'importe lequel. celui du swing et des 
« big bands », et certainement pas cette horrible musique des surplus americains nommee « rock'n roll ». 
D est fou de Cab Calloway, le maitre de ceremonie du Cotton Club, et son fameux « Minnie the 
Moocher » qui le rendit celebre, parce qu'un jour oui 1 avait oublie les paroles, il se livra a une fabuleuse 
legendaire improvisation, en introduisant dans la chanson des « Hi de ho » qui allaient devenir sa 
signature indelebile. 

Cabu ne boit pas, a tel point qu'il a failli etre mis a pied au Canard enchaine pour « antialcoolisrne 
aggrave » ! 

Cabu deteste Farmee, et ses trois ans en Algerie lui donnent le droit d'avoir une opinion sur la 



question : « Uarmee, c'est totalement bidon. Sous runi forme Ies strates sociales restent inlactes. La 
realite du service militaire, c'est I' esprit de chambree : abrutissement, alcoolisation, photos pour 
bidasses, bravo. A Farmee on apprend surtout 1' ennui. » 

Je ne vous revelerai rien en vous disant que Jean Cabut alias Cabu est un pilier de Hara-Kiri et du 
Canard enchaine, apres avoir ete celui de Pilot e ; qu'il a ete aussi le complice de Dorothee dans 
« Recre A2 », qu"il a travaille pour des dizaines de journaux, qu'il a illustre des tonnes de Iivres et qu"il 
est incapable de dire non. 

II ne touche pas les cheques auxquels il a droit pour remunerer ses prestations, soil parce qu'il les 
perd ou alors parce que l'argent ne Finteresse pas. 

Nous sommes devenus amis apres avoir commis un livre ensemble sur une de nos detestations 
communes, le football. L'ouvrage s'intitulait Rien afoot. Tout un programme. 

Cabu ne sort jamais de chez lui sans son carnet de croquis et son eternelle « parka », meme en ete. 

Frederic Pages, un de ses fideles complices duCanard. le connait bien et en parle encore mieux : 
« Cabu n'est pas un dessinateur qui travaille dans des journaux, c'est un journaliste qui dessine. Tout le 
temps, partout, a la terrasse des cafes, au cinema, le crayon court sur le papier. Reportage dessine, 
cabaret, compte rendu de proces, Cabu a pratique tous les genres. Tous les jours, il avale des kilos de 
journaux. Sans presse, pas d'idee, et sans idee, pas de dessia Et pourtant l'artiste fait dans la broderie 
("Ce qui est long, c'est la finition"). Avec lui les dessins sont ecrits comme des saynetes, avec un decor, 
une mise en scene, des personnages secondares, et, comme a la commedia del F arte, ces figures 
intemporelles que sont le beauf, le Grand Duduche, Catherine, Fadjudant Kronenbourg, etc. Et sans 
cliches ! » 

Alors, comme dirait, ou plutot chanterait, r autre Cab : « Just skeep-beep de bop-bop beep bop bo- 
dope skeetle-at-de-op-day ! » 

Comprenne qui pourra, et Iongue vie au Grand Duduche. 



Calembour, Le 

Le principe du calembour, c'est le jeu de mots spontane, fonde sur rhomonymie ou Fhomophonie, 
mots qui s'ecrivent ou se prononcent de la meme facon, mais differents par le sens, la paronymie. mots 
dont Fecriture ou la prononciation est tres proche, ou encore la polysemie, mots ayant plusleurs sens. S'il 
n'ya pas recherche, s'il echappe a son auteur, c'est ce fameux lapsus cher a Freud. 

Le calembour n'a pas toujours eu bonne presse. Moliere le disait : « rarnasse parmi les boues des 
Halles et de la place Maubert », \bltaire le voua aux gemonies et Victor Hugo le fustigea dans Les 
Miserables. Le marquis de Bievre (1747-1789), mousquetaire puis marechal des logis des camps et des 
arniees et collaborateur de VEncyclopidie, frit un des premiers maitres es calembours. Notre marquis, 
auteur de la Lettre a la comtesse Tation , des Sentiments et Reflexions utiles de I 'abbe Quille ou encore 
des Amours de I'ange Lure et d'une tragedie en calembours, Vercingetorixe, etait honni des philosophes 
qui pensaient qu'ecrire des phrases comme r « Une secrete horretir me glace au chocolat » ou « Je vais 
me retirer dans ma tente ou ma niece » deniait tout serieux a la langue de la raison. Pourtant Diderot et 
d'Alembert deciderent de le mentionner dans le supplement de V Encyclopedia, mais la commande 
tardive les obi igea a renoncer a le mettre a la lettre C, et ce fut done Kalembour : 

« Kalembour ou calembour (gramm), e'est Fabus que Fon fait d'un mot susceptible de plusieurs 
interpretations, tel le mot piece, qui s"emploie de tant de manieres, pieces de theatre, pieces de plain- 
pied, pieces de vin, etc. Par exemple, en disant qu'on doit donner a la comedie une fort jolie piece de 
deux sols, on fera de ce mot Fabus que nous appelons kalembour » (supplement a F Encyclopedic, 1777). 



C'est peut-etre en cornposant ce papier qu'il apprit que le ciel de lit s'etait detache pendant le 
sommeil de Monsieur de Calonne et qu'il commenta par : « Juste ciel ! » L'homme etait redoutable et 
n'arretait pas, quand son patissier chantait, de lui conseiller de faire un « gateau de sa voix », quand il 
voyait un enterrement, il arretait ses chevaux de peur qu'ils ne prennent le « mort aux dents » et, ayant 
plante six ifs dans son jardin pour y conduire certaines jeunes filles, il disait : « C'est Fendroit decisif. » 
Les puces etaient selon lui de la secte « d* Epicure », et les poux « d'Epictete ». Mais, il savait se justifier 
de son « mauvais gras gout » : « Le gout des calembours n'est point une maladie chez moi, mais au 
contraire un remede pour repousser rennui et rappeler la gaiete. » 

Daniel Pennac donne F absolution aux amateurs de calembours : « II ne faut pas cracher sur les jeux 
de mots. Les plus mauvais sont nos meilleurs amis. C'est Fineffable prix de Fintirnite. » 

Jean-Paul Grousset, ancien journaliste da Canard enchaine et grand « calembourier » devant 
FEternel, nous tranquillise : « A notre connaissance, aucune loi. dans aucun pays, n'interdit de pratiquer 
le calembour. » Quoique.au train ouvont les interdictions... 

Ce calembour est-il fils nature! de Fabbe de Calemberg. auteur medieval ? De calembredaine et de 
bourde ou de Fitalienoz/c/mq/o burlare. plaisanter avec la plume ? Toujours est-il qu'il existait avant 
que notre marquis ne lui donne un patronyme, car Jesus en avait fait un joli sur saint Pierre : « Tu es 
Pierre, et sur cette pierre je batirai mon Eglise. » De nos jours le calembour continue a bien se porter, si 
Ton enjuge par « Shell que j'aime » et autres « Palais des thes ». 

Le xix e siecle en ralTolait. on en mettait sur les cartes postales, les assiettes, les pots a tabac, il y eut 
meme un Diet ioimu ire des ea/embours. Alphonse Allais, specialiste du genre, donnait des norns 
« calembouresques » a ses personnages, « Tony Truant », « Tom Hart », « Mac Larinett », « Fabbe 
Trave » ? etc. II adorait ies classer par genre. Son cardiologue Finspirait : 

— « Fermez Faorte SVP. » 

— « Que Dieu myocarde. » 

— « Avoir le peage de ses arteres. » 

— « Le dernier des bustes. » 

Des « calembourgeois » nous ont quittes, Breffort, Antoine Blondin, Cami, Commerson, Frederic 
Dard, Raymond Devos, Pierre Desproges, Feydeau, Sacha Guitry, Max Jacob, Henri Jeanson, Jacques 
Offenbach, Jacques Prevert, Mozart, Boby Lapointe, Willy. Mais d'autres, grace a Dieu^ sont encore bien 
la, comme Patrice Delbourg, qui pense que : « Si Paris vaut bien une messe, I'Hexagone vaut bien 
quelques calernbourgs » : 

— « L'erreur est du Maine. » 

— « Gueret paix ! » 

— « La Venus de Millau. » 

— « Fecondation in Vitrolles. » 

— « A Nice au pays des merveilles. »■ 

— « Sedan Fete dernier. » 

— « Apres vous madame la Garonne. » 

— « A Fombre des jeunes filles d* Honfleur. » 

— « Aix irihilo. » 

— « Le petit maire d'Eu. » 

— « Etre pompier a Bonneuil. » 

— « L' amour tarde a Dijon. » 

— « Le dernier Chalons oil F on cause. » 

— « Signore ! Que Cahors ! » 

Et Jean-Paul Grousset, daas unregistre plus varie, n'estpas enreste : 

— « C'est beau mais e'est twist ! » 



— « Les choses etantce calecon... » 

— « Un peu d'Eire, 9a fait Dublin ! » 

— « Un seul hetre vous manque et tout est des peupliers ! » 

— « Ne lachons pas lamproie pour l'omble... » 

— « Chassez le naturiste, il revient au bungalow. . . » 

A noter que le calembour est de plus pure tradition gauloise. Intraduisible, il ne s'exporte pas et on ne 
pourra jamais le confondre avec le portmanteau-word, en francais « mot- valise », invente par Lewis 
Carroll. Voila qui rejouira les partisans du« franco-francais ». 



Cami (1884-1958) 




Etes-vous un « camisard » ? C'est ainsi que Raymond Devos proposait d'appeler les admirateurs de 
Pierre-Louis-Adrien-Charles-Henry Cami. qui n'eut pas 1'aval de son pere quand il declara vouloir etre 
toreador et dut opter pour le theatre, et des roles secondares, de cocu, de muet ou de hallebardier. Mais 
le journalisme Pattirait et il fonda en 1910 Le Petit Curbillard illustre, organe corporatif et humoristique 
des pompes funebres. Des le deuxieme niunero il lanca un concours de funerailles amusant et facile avec 
un premier prix original, un enterrement de premiere classe. Le ton etait donne avec des rubriques 
pratiques du genre : « Comment faire sortir un cul-de-jatte les deux pieds devant » Ce journal, veritable 
recueil d'« exercices de stele » humoristico-morbides, rendit Tame au septieme numero. Ie jour de la 
Toussaint. 

Cami ne restera pas longtemps desceuvre car on s'arrachait sa collaboration dans des journaux tels 
que L 'Excelsior, Paris-Soir, Le Pelit Parisien, et le fameux Journal ou, pendant vingt ans, il tiendra la 
rubrique de la « Vie drole », creee par Alphonse Allais. Partout il impose son humour noir loufoque et 
absurde. On dit qtt'il est probablement le precurseur d'une generation d'humoristes tels que Cavanna, 
Devos, le professeur Choron, Francis Blanche, lonesco ou Roland Dubillard. Chaplin alia jusqu'a dire 
qu'il etait « le plus grand humoriste in the world ». 

Les titres de ses publications donnent bien le ton : 

— Dupanloup on les Prodiges de I 'amour 

— Quand j 'etaisjeune jille, Memoires d'un gendarme 
— La Ceinture de dame Alix, roman a cle 

— Le Scaphandrier de la tour Eiffel 

— Pour lire sous la douche 

— Les Amours de Mathusalem 

— Christophe Colomb ou la Veritable Decouverte de I 'Amerique 



— L 'CEuf a voiles 

— Vierge quand meme ! 

— Le Fils des Trots Mousquetaires 

Chaque semaine, un public conquis altendait Ies Aventures de lafamille Rikiki ou les faceties de « la 
semaine camique ». Dans Le Calvaire d'une mere ou la Perseverance recompensed , la prostituee qu'on 
nomme « l'aveugle joyeuse » retrouve enfin « le bon vieillard », le pere de son enfant. Dans une saynete 
dont Robinson Crusoe est le heros, on assiste au dialogue suivant : 

« vendredi : Bonjour mon bon maitre ! 

Robinson : Brave Vendredi !! Ta petite famille est-elle toujours en bonne sante ? 

vendredi : Oui, mon maitre. Mon petit Mercredi a ete un peu souffrant lundi, mais comme il a la 
bonne sante de son papa Vendredi, des mardi Mercredi etait completementretabli ! » 

A noter, tous les personnages de Cami exercent des metiers pour le moins originaux : accordeur de 
castagnettes, accordeur de participes, perceur de mysteres, tailleur au regard oblique, ramoneur de 
volcans fabriquant des locomotives en chambres, cul-de-jatte presse-papiers dans bureau, broyeur de 
noir, casseur de faux-cols. tailleuse de bavettes, et Tinalterable cloueur de choucroute, dont le travail 
consiste a planter des clous de girofle dans des choucroutes avec un marteau de feutre mou. 

Comme la vengeance divine est implacable, ce precurseur de V humour bete et mechant qui s' etait 
beaucoup moque des culs-de-jatte le devint a son tour peu de temps avanl sa mort, en 1958. 



Canard enchaine, Le 

Le Canard enchuine, par sa Iongevite (ne en novembre 1915, il est l'un des plus vieux titres de la 
presse francaise). peut acceder au pantheon des traditions francaises, avec le beret et la baguette. Cree 
par Maurice et Jeanne Marechal en reaction contre les outrances de la censure, les exces de la 
propagande. les mefaits du conformisme et le bourrage de crane, il a la peaudure, et H.-P. Gassier Tavait 
prevu en 1915 lorsqu'il imagina sa superbe devise : « Tu auras mes plumes, tu n'auras pas ma peau ! » 

Henri Jeanson, qui collabora au journal, disait de Maurice Marechal ; « On le voyait peu parce qu"il 
ne vivait que pour son journal dans son journal. II ne se montrait pas dans les lieux ou d'ordinaire les 
gens s"exhibent. C'est dire qu'il ne mettait jamais les pieds dans les banques, les officines de presse, 
qu'il n*allait guere a la Chambre et qu'il ne hantait pas les ministeres. II n'avait rien a demander a 
personne. » Longtemps, la salle a manger du modeste appartement qu'il occupait rue de Bondy, servit de 
salle de redaction avec le service des abonnements dans la cuisine. Le premier numero parut le 6 juillet 
1916, et on devine Taccueil que lui reserverent les poilus dans les tranchees. Enfin quelqu'un qui ne leur 
racontait pas d'histoires... car depuis aout 1914, le bourrage de crane avait commence. On lit par 
exemple dans Le Petit Parisien de Tepoque : « Certaines tranchees sont relativement confortables ! » 

Cette longue vie, Le Canard la doit a une aisance, a un ton special, a son engagement, son 
independance et a son cote « rinspecteur mene l'enquete » (les affaires Boulin, Bokassa, de Broglie, les 
impots de Chaban, Paffaire Aranda, les avions renifleurs, les faux electeurs parisiens, Taffaire Urba, le 
sang contamine, etc.), le tout trernpe dans une encre de journal istes pleins d'esprit. Parrni les lecteurs du 
mercredi matia certains tremblent d*y retrouver leurs noms. 

Les titres annoncent Firreverence des articles parfois cruels, dans une expression simple et 
gouailleuse. Ici, contrairemenl a la chasse, c'est le canard qui tire : 

L'Eglise? 

— « Jusqu"ou ira Benoit XVI 7 L'an prochain. il celebrera. . . la fete de la nazi vite ? » 



— « Benoit XVI a en loupe pas une, le pape va de Charybde en sida ! » 

Les politiques ? 

— « Sarko s'offre de belles defaites cetle fin d"annee ! » 

— « D va bronzer au Bresil pendant les fetes. » 

— « La crise s'aggrave et Sarko samba Fceil ! » 

— « Sarko a peut-etre "la banane" mais la France est au regime ! » 

— « Bruxelles impose le faux rose - Jean-Louis Borloo reclame un plan Vigipicrate ! » 

— « Apres avoir epuise une generation de magistrats, il est finalement rattrape — Chirac T le repris de 
justesse. » 

— « Royal et Aubry a la baionnette - Apres le massacre de Reims, le chemin des Dames ! » 

L 'international ? 

— « Ahmadinejad regne... entirant » 

— « Le dialogue Bush-Hussein — £a tourne a la surenchere a canons. » 

— « Ou se cache Ben Laden ? Mystere et Kaboul de gomme ! » 

Le monde des affaires ? 

— « Total propose de verser seulement 1 % de ses benefices : c'est une offre bidon ! » 

— « Apres la fausse attaque de PepsiCo, r affaire Danone vire a FOP A bouffe ! » 

Le Canard a toujours eu un style bien a lui. II y a des « expressions Canard », un « vocabulaire 
Canard », un « esprit Canard » : « de quoi se marrer, comme son nom l'indique, a se tapoter le menton, 
pan sur le bee, comme de juste, a se taper le derriere par terre »... font parue du folklore Canard. 

Ici, on accorde des « noix d'honneur », on franchit le « mur du con » et on contribue a 
renrichissement de la langue irancaise. 

Pierre Benard, directeur du Canard, avait emprunte au vocabulaire de son ami le journaliste Paul 
Gordeaax le « bla-hla-bla », cette onomatopee qu'il avait inventee pour se moquer d*un discours creux et 
interminable. Peu a peu, Benard utilisa bla-bla-hla dans ses articles et Fexpression s'irnposa rapidement 
aux lecteurs du Canards e'est-a-dire au public francais. 

A Torigine de tout scandale il faut trouver un coupable. A defaut, on doit designer un bouc emissaire. 
Pierre Benard Tavait decouvert et n 1 avait pas hesite a denoncer ses agissements : tout ce qui ne va pas en 
France est la faute d ? un seul homme, « le lampiste ». 

Dans le quartier de TOpera, au coin de la rue Daunou et de la rue Louis-le-Grand, se trouvait le Cafe 
du Cadraa ou Fequipe de redacteurs du Canard avait ses habitudes avant la guerre. Le plus populaire 
des garcons de ce cafe etait un denomme Papillon qui, lorsqu'on l'appelait, ne manquait jamais de 
repondre : c< Minute, j'arrive ! », devenu Fequivalent poetique de : « Y a pas le feu au lac. » 

Presque cent ans apres etre sorti de Fceuf, Le Canard enchaine a su conserver son independance, son 
mordant et son humour, tout en s'adaptant a un monde en mutatioa Aujourd"hui, Fexemple qu'il a donne, 
la derision, le calembour, le jeu de mots ne sont plus des exclusivites Canard. Son originalite est 
ailleurs : comme hier et comme toujours, Le Canard est le seul grand journal a reiuser la publicite pour 
ne vivre que grace a ses lecteurs. Attitude courageuse qui Foblige, pour les conserver, a prouver chaque 
semaine son independance. 

En 2012, on ne peut que constater que Le Canard s'est toujours applique a garder Fesprit frondeur et 
anticonformiste de ses debuts. 




Le Canard 

enchame 




Jacques Lamalle, qui fut longtemps redacteur au journal, s^esl attele a eplucher deux mille six cents 
numeros du Canard et soixante-quinze dessins pour en tirer un livre monument, publie aux Arenes en 
2009. 

Dans son introduction, il resume le travail des dessinateurs-journalistes : 

« lis ont Tart dans Leur ierocite par la plume qui crisse ou le feutre qui s'epanche de rendre cocasses 
des situations et des hommes qui souvent ne le sont guere. lis savent mettre du primesaut dans les fails Ies 
plus austeres. Jamais procureurs, n'accusant que les traits, ils deposent de maniere irrefutable. » 

Croquer Pevenement n'est pas facile, et si un bon dessin vaut mieux qu'un long discours, il necessite 
beaucoup de travail, et ce ne sont pas Cabu, Petillon. Kerleroux, Moisan. Lap* Lefred Thouron et les 
autres qui diront le contraire. IsTempeche qu'ils sont a la fois les maitres absolus du dessin politique et du 
dessin d'humour qui. chaque mercredi, nous permettent de nous sentir libres, comme le soulignait Henri 
Jeanson, celebre pour ses coups de gueule : « libres », disait-il, en rappelant ce mot de \bltaire : « Plus 
les hommes sont eclaires, plus ils sont libres. » 

Peut-on alors se risquer a considerer Phumour comme une arme... pacifique ? Sans doute, etZe 
Canard en est la preuve, avec des munitions telles que Pironie, ou la litote, pour debourrer les cranes et 
demystifier tous les pouvoirs. 



Canular, Le 

Le fait de se rejouir hypocritement d'un bon tour joue aux depens d'un autre n'est pas vraiment a 
mettre a mon credit, mais j'ai, je Pavoue, un faible pour ce type de prestation, sans doute parce que mon 
adolescence flit marquee par les maitres du genre Francis Blanche et Jean Yanne, rnaitres, certes, mais 
pas vraiment pionniers, car d* autres avant eux Pavaient cultive. 

Roland Dorgeles par exemple, qui dans les annees 1900 exposa au Salon des Independants un tableau 
qu'il avail fait peindre par Lolo, Pane du patron du Lapin agile, en lui attachant un pinceau a la queue. 
Devant la toile Scleil levant sur I'Adriaiique, les amateurs d'art promirent un bel avenir a Pauteur. un 
pretendu jeune peintre italiea C'est ce meme Dorgeles qui s'amusait a deposer des statuettes a peine 
seches dans la salle des antiquites au Louvre, avant de crier au scandale. 

Quelques annees plus tot, en 1861, Vrain-Lucas, greffier pres le tribunal de Chateaudua puis commis 
au Bureau des hypotheques, se gaussa du celebre mathematicien Michel Cliasles, en se pretendant 
detenteur d'une incomparable collection d'autographes et de fausses pieces. Encourage par P extreme 
naivete du scientifique, il lui vendit des lettres de Pythagore, d' Alexandre le Grand a Aristote, de Lazare 
a saint Pierre et gardait, parait-il, d'autres lettres censees provenir de Judas Iscariote, Ponce Pilate, 
Jeanne d'Arc, Ciceron, Dante Alighieri, et deux lettres « inedites » de Pascal sernblant etablir la preuve 
que ce savant aurait decouvert, avant Newton, la loi de Pattraction universelle. Parmi ses « tresors », il y 
avait une lettre de Cleopatre qui donnait de ses nouvelles a son bien-aime ! 

« Cleopatre royne a son tres ame, Jules Cesar empereur. Mon tres ame, nostre fils Cesarion va biea 
J'espere que bientost il sera en estat de supporter le voyage d'icy a Marseille ou j'ay dessin le faire 
instruire. tant a cause du bon air qu'on y respire que des belles choses qu'on y enseigne. » 



En 1910, la romanciere Virginia Woolf et quelques amis se Great passer pour des princes 
d'Abyssinie deguises apres s'etre noirci la peau et afdibles de turbans, afin de visiter le Dreadnought, 
navire amiral de la Royal Navy. La marine les accueillit avec une garde d'honneur. N'ayant pas pu se 
procurer un drapeau abyssin, la Royal Navy se resolut a utiliser celui de Zanzibar et a jouer l'hymne de 
ladite He. Les princes inspecterent la flotte, ils demanderent des tapis de priere et distribuerent de fausses 
decorations militaires a quelques officiers. De retour a Londres, ils revelerent la supercherie en envoyant 
une lettre et une photo du groupe au Daily Mirror. Ce firt un enorme scandale. 

r 

Paul Birault, un autre maitre es canulars, confessa non sans regrets daas L'EcJair du21 Janvier 1914 
Tobjet de son delire : « J'avais fini par croire a son existence a force d'entendre des hoinmes d'Etat 
prononcer son nom » II voulait parler d'Hegesippe Simon, un personnage totalement imagine, 
« educateur de la democratie », auteur de Tadmirable phrase : « Quand le jour se leve les tenebres 
s'evanouissent », pour lequel il imagine de creer un comite pour son centenaire. II avait envoye une 
invitation a cent parlementaires et a un ministre, en leur demandant de se rendre le 3 1 mars 1914 dans une 
ville de leur circonscription (a Poil, dans la Nievre), pretendue ville natale du heros, pour ['inauguration 
de la statue de « ce grand precurseur qu'etait Hegesippe Simon ». Paul Birault avait re<;u dix-sept 
reponses positives, dont Tune, depassant toutes ses esperances, envoyee par un (utur president du 
Conseil ; « J"accepte avec d'autant plus de plaisir que j'ai bien connu Hegesippe Simon, ce grand 
Frangais pare de toutes les vertus republicaines. » D'autres avaient regrette de ne pas etre a Poil ce jour- 
la ; dommage, car le lendemain, c'etait le l er avril. 

En 1 929, a Paris, des deputes de gauche recurent un appel a Taide. On leur demandait d'intervenir en 
faveur des malheureux « Poldeves » opprimes, et la lettre etait signee par deux pseudo-Slaves, Lineczi 
Stantoff et LamidaefF. L'instigateur de ce canular etait Alain Mellet, journaliste membre de TAction 
fran9aise. Parlementaires et academiciens envoyerent de touchantes lettres d'adhesion accompagnees de 
cheques... pour soutenir ces pauvres habitants de Poldavie. On voit que la Syldavie d'Herge se profilait 
deja a l'horizoa 

Celui d'Orson Welles a mal tourne : le 30 octobre 1938, Orson Welles et la troupe du theatre 
Mercury difftisent sur une radio arnericaine une adaptation de La Guerre des mondes de H.G. Wells 
(1 898), un roman de science-fiction ou Ton voit la terre envahie pour la premiere fois par des Martiens. 
Panique parmi les auditeurs, malgre une noise au point des la fin de remission pour expliquer, mais trop 
tard semble-t-il, qu'il s'agissaitd'un canular. 

Pendant la Seconde Guerre mondiale. le quotidien beige Le Soir avait ete confisque par Toccupant 
nazi qui organisa une equipe redactionnelle a sa solde. Mais des resistants reussirent a realiser une 
edition pirate qui rendait compte des retraites de Tarmee allemande. magnifiait Taviation alliee et faisait 
prononcer a Hitler la phrase desabusee attribuee a rempereur d'AHemagne : « Je n'ai pas voulu cela. » 
Les auteurs de ce Soirdejoie parvinrent a le faire distribuer dans les kiosques. C'est done ce journal peu 
conforme a la propagande nazde que les Bruxellois purent lire, interloques puis hilares. Malheureusement, 
les auteurs du canular heroi'que finirent par eu*e identifies par la Gestapo, lis furent condarnnes a mort ou 
envoyes dans des camps dont ils ne revinrent pas. 

En 1953, un journaliste redige une biographie de Jean-Sebastien Mouche, pretendu collaborateur du 
baron Haussmann, Pinventeur des « Bateaux-Mouches » et createur d'un corps d'inspecteurs de police 
specialises dans le renseignement. les « Mouchards ». Nous sommes bien en 1953 et Particle est 
publie... le l er avril ! 

Plus pres de nous, en 1995, mon ami Frederic Pages a reussi un magnifique coup en imaginant un 
ecrivain fictif, philosophe de son etat (comme Pages) et auteur d'une pseudo Vie sexuelle d 'Emmanuel 
Kant : Jean-Baptiste Botul (1896-1947), se reclamant de la tradition orale, et n'ayant Iaisse du fait meme 
aucun ouvrage ecrit officiel, il fallait y penser... 

II aurait ete fiance a Marthe Richard, Marie Bonaparte, Simone de Beauvoir et Lou Andreas-Salome ! 



Mais le plus drole, c'est d'avoir reussi a pieger r immense B.H.L. qui, le plus serieusement du monde, 
citait Botul., pour argumenter son ouvrage De la guerre en philosophic (201 0). 

Bravo Pages ! Et bravo a ses amis de F Association des amis de Jean-Baptiste Botul, qui contribue a 
faire publier des ceuvres permettant « de decouvrir la pensee de J.-B. Botul ». 



Capus, Alfred (1857-1922) 




II flit le premier humoriste a etre admis a PAcademie francaise : « Un philosophe bienveillant dont 
Tironie frequemment incisive mais jamais desolante se dissipe en sourire », ainsi le decrit Edouard 
Estaunie, qui prononca son eloge en Iui succedant Quai de Conti. 

Dommage que cet esprit petillant connaisse un oubli injuste, car il est un des meilleurs observateurs 
des hommes de son siecle : 

— « On est vole a la Bourse comme on est tue a la guerre, par des gens qu'on ne voit pas. » 

— « Le peuple n'est pas meilleur que les riches, mais, comme il est moins riche, il ne peut pas tout se 
permettre. » 

— « Certains hommes parlent pendant leur sommeil. II n'y a guere que les conferenciers pour parler 
pendant le sommeil des autres. » 

— « Les meilleurs discours d'unhomme politique sont toujours ceux qu'il n'a pas ecrits. » 

— « II y a de mauvais conseils que seule une honnete femme peut dormer. » 

— « Ne sont-ce pas les deux problemes les plus durs a resoudre : gagner sa vie quand on est pauvre, 
occuper sa vie quand on est riche ? » 

— « L'humour est une disposition d'esprit qui fait qu'on exprime avec gravite des choses frivoles et 
avec legerete des choses serieuses. » 

— « Si une femrne est jolie, ne lui dites pas qu'elle est jolie, parce qu'elle le sail ; dites-lui qu'elle 
est intelligente, parce qu'elle Fespere. » 

— « On ne doit jamais dormer d*ordre a une femme que lorsqu'on esl bien sur d*avance d'etre obei. » 

— « Mon age ? Cela depend, madame, de vos intentions. » 

Avant de trouver sa voie dans le journalisme a L'Echo de Paris, L 'Illustration, au Clairon, au Gil 
Bias, cet Aixois, fils d'un avocat rnarseillais. qui avait conserve une petite pointe d'accent du soleil, 
avait echoue a Texamen de TEcole polytechnique, mais avait ete recu a I'Ecole des mines dont il 
s'echappa au bout d'un an. Devenu parisien, on le croisait dans les cafes litteraires et dans les redactions, 
oil il ne pouvait passer sans etre choye et fete par ses pairs : « Avec une sorte d'ivresse il se laissait 
porter par ce Hot de sympathie : 'Tai de la veine !", sen±»lait-il dire. Et il distribuait les poignees de 



main sans compter. 

"fa n'a pas d'importance, disait-il, j'ai serre la main de tous Ies grands voleurs et de pas nial 
d'honnetes gens par surcroit" », rapporte Jules Bertaut. 

Ami d'Alphonse Allais, ils ecrivirent ensemble une piece, Innocent, et ceci explique peut-etre cela, 
il acheta rimmeuble en face du Chat noir. 

Sa devise, « Tout s'arrange », n'etait sans doute pas tres fiable, puisqu'il n'echappa pas a une 
mechante fievre typhoide qui l'emporta Ie l er novembre 1922. 



Caricature 

Certains d'entre vous vont peut-etre s*etonner d'un tel article dans cette anlhologie de rnes humoristes 
preferes. Si j'estime evident, et meme indispensable, d'evoquer ici la caricature, c'est parce qu'elle est 
le fondement dont les humoristes, toutes categories et toutes epoques confondues, ont fait leur miel. En 
effet, deja au Moyen Age, sur le tympan de Pabbatiale de Congrues, apparaissent des etres effrayants 
mais droles pour fustiger certains moines considered par leurs pairs a Tepoque comme « decadents ». 

Des siecles plus tard, les grands Leonardo, Michel-Ange et Raphael decouvrent que ce qui ne 
s'appelle pas encore « caricature » mais « bell a maniera » consiste a deformer 1'image du corps pour 
pointer avec le pinceau une caracteristique saillante ou morale de la personne representee. La premiere 
definition qui normalise cette forme d* expression sera formulee en Italie au xvn c siecle par Baldinucci : 
« On dit que des peintres ou des sculpteurs "caricaturent" lorsqu'ils utillsent le dessin de maniere propre 
a faire un portrait le plus ressemblant possible, tout en augmentant ou en exagerant les defauts des traits 
qu'ils imitent. » On connait la suite, ou plutot ceux qui ont depuis mis leur talent a utiliser la subversion 
de r image et ainsi railler. moquer, interpeller et divulguer les realites scandaleuses de ce bas monde, de 
Daumier a Wolinski ou a Cabu, de Charles Philipon (l'auteur de la celebre representation de la tete de 
Louis-Philippe en forme de poire) aux cartoonistes duAfew Yorker, tous ont compris, comme le dit 
George Santayana, que « le monde est une caricature perpetuelle de lui-meme. A chaque instant, il se 
moque et contredit ce qu"il pretend etre ». 




Tous les moyens sont boas pour caricaturer, que ce soit, on Ta dit, en exagerant les elements de la 
physionomie ou en detournant un tableau a Faide d' une legende, comme par exemple Desproges dans son 
Almanack, en imaginant chaque semaine une legende farfelue au celebre Guernica de Picasso. 

Thomas Schlesser, brillant observateur de Thistoire de la caricature, ecrit ; « Le credo constant de la 
charge satirique est rire pour ne pas pleurer, la verite revient toujours derriere le divertissement, 
caricaturer c'est photographier la verite. » Ce ne sont pas les auteurs des « Guignols de Finfo » ni les 



dessinateurs vedettes de Charlie Hebdo ou du Canard enchaine qui nous prouveront le contraire. Ce que 
j'aime chez eux, et je pense bien sur a l'ami Cabu et aux excellenls Willem dans Liberation et Wiaz du 
Nouvel Obsewateur, c'est que, non contents de renverser les dominants avec un humour feroce, ils font 
preuve d'une belle inventivite que je redecouvre toujours avec ravissement. La satire, tout en nous 
divertissant, devoile souvent le cote effroyable de la societe, le fameux Rire de resistance^ defini par 
Jean- Michel Ribes. 

Sans la caricature et ses valeureux pionniers, les humoristes d'aujourd'hui ne seraient sans doute pas 
ce qu'ils sont, mais attention aux debordements ! 

Parfois cet humour caustique, propre a la caricature politique, peut detourner les citoyens des vrais 
problemes. Comme le dit Francois Rollin, « quand rhuinoriste ne reflechit pas a l'avenir de riiomme et 
aux choses de son temps, il se contente d'etre un amuseur de fin de banquet ». Le philosophe Francois 
L'Yvonnet va encore plus loin en denoncant la trop grande proximite des humoristes d'aujourd'hui avec 
les medias : « Ils ont, dit-il, transforme le rire en devoir, le matin a la radio, le soir a la television... II 
faut sans cesse se bidonner. Tout est noye dans l'esclaffement, si bien que ce qui se dit de serieux semble 
tout aussi derisoire que la derision qui vient d'en etre produite. » 

Je laisserai le mot de la fin a Champfleury qui, en 1865, resurnait comment la caricature pouvait 
contribuer a la sacro-sainte liberte d'expression : 

« La caricature est, avec le journal, le cri des citoyens. Ce que ceux-ci ne peuvent exprimer est traduit 
par des hommes dont la mission consiste a mettre en lumiere les sentiments intimes du peuple. Quelques- 
uns trouvent la caricature violente, injuste, taquine, hardie, turbulente, passionnee, menacante, cruelle, 
impitoyable. Elle represente la foule. Et comme la caricature n'est significative qu'aux epoques de 
revolte et d'insurrection, s'imagine-t-on dans ces moments une foule tranquille, raisonnable, juste, 
equitable, moderee, douce et froide ? Elle ne meurt jamais. Tapie dans un coin, repliee sur elle-meme, se 
nourrissant de ses rancunes comme l'ours vit de sa graisse l'hiver, la caricature dort comme les chats et, 
au moindre mouvement politique, son oeil vert apparait a travers les cils de ses paupieres. » 

Nous sommes en 2012, et apparemment la caricature vit toujours, comme au premier jour, et c'est tant 
mieux. 



Celine, Louis-Ferdinand (1894-1961) 

Quoi ? Oser parler de Celine, cet abominable antisemite qui a ecrit des pamphlets d'une rare 
violence pendant la Seconde Guerre mondiale et qui a echappe de peu a la peine capitale ? Lui qui ne 
laissait a personne le soin de tracer son pedigree declarait en 1935 au journal L 'huransigeant : « Je suis 
ne a Asnieres en 1894... Je suis du peuple, du vrai... Mon pere, d'abord professeur puis revoque, 
travaillait au Chemin de fer, ma mere etait couturiere... On tenait un commerce, on a fait beaucoup de 
villes... Cela ne marchait jamais. Faillite ! Faillite ! Faillite ! A douze ans, je suis rentre dans une 
fabrique de rubans... Cela m'a mene jusqu'a la guerre... » 

II est mort dans un opprobre bien merite. non mais ! Tout le petil monde de la critique fut pour une 
fois Linanime. Celine devait payer pour toutes les saloperies commises par d'autres moias flamboyanis 
que lui. Seul Marcel Ayme le defendit, car il avait sans doute su trouver un juste equilibre dans sa 
denonciation des horreurs de ce triste monde. Dans Voyage au bout de la unit et Mort a credit, on trouve 
de la noirceur et du desespoir, mais rien du delire qui envahit progressivement ses pamphlets ni de cet 
humour terrible qui fait penser a Swift et a sa Modeste Proposition pour empecher les enfants des 
pauvres en Irlande d'etre a la charge de leurs parents ou de lew pays et pour les rendre utiles au 
public, sur un ton docte. 



Celine, devenu Bardamu, depeint sa premiere experience au front en 1914. II est au milieu d'une 
route avec son colonel, tandis que deux ALlemands, au loin, leur tirent dessus : « Lui, notre colonel, savait 
peut-etre pourquoi ces deux gens-la tiraient sur nous, mais moi, vraiment, je savais pas. Aussi loin que je 
cherchais dans ma memoire. je ne leur avais rien fait, aux Allemands... La guerre, en somme, c'etait tout 
ce qu'on ne comprenait pas. » 

Celine etait un maniaque du style et ses trois points de suspension sont devenus Iegendaires. Ainsi 
dans Guigno/'s Band, ou il evoque Ies airs qu'il dit avoir joues au piano dans les rues de Londres : « D 
faut que ca toume !.. . C'est le grand secret... Jamais de ralenti, jamais de cesse ! Que ca s'egrene comme 
des secondes [...] mais nomde Dieu Tautre qui la pousse !... D'un trille te la bouscule... Sursaute !... 
Que ca vous tinte plein les soucis... \fous triche le temps, vous tille la peine, lutine, mutine, tinte aux 
soucis, et ptemm ! pternm ! vous la tourbillonne !... \bus remporte... Constante a galope ! Notes en 
notes !... Etpuis Tarpege !... Encore un trille !... Frais mutin Fair anglais devale !... Rigodons grele !... 
pedale... tonne !... jamais ne dedit. . . nesoupire... pose !... » 




L'homme au gilet en peau de mouton et au pantalon de velours tenu par une ficelle et la braguette 
ouverte avait prepare une ultime chronique en prevision de cette mort qu'il attendait dans son pavilion de 
Meudon : « Cest pas gratuit de crever ! C'est un beau suaire brode d'histoires qu'il faut presenter a la 
Dame... Cest exigeant, le dernier soupir. Le "Der des Def\,. Cinema ! Moi, je serai bientot en etat... 
J'entendrai la derniere fois mon toquant faire son pfoutt ! baveux... puis flac ! encore... Cela sera 
termine. lis Fouvriront pour se rendre compte... Sur la table en pente... lis la verront pas ma jolie 
legende, mon sifflet non plus. .. La Bleme aura deja tout pris... \foila Madame, je lui dirai, vous etes la 
premiere connaisseuse !... » Elle se presenta a lui le l er juillet 1961 pour rnettre un point final a ses 
points de suspension. 



Chamfort (1740-1794) 

Nous lui devons cet aphorisme qui devrait figurer dans tous les ephemerides : « La plus perdue de 
toutes les journees est celle ou l'on n'a pas ri. » Pourtant, Chamfort n"a pas vecu a une epoque de franche 
hilarite. 

« Je ne serai jamais pretre, j'aime trop le repos, la philosophic, les femmes, rhonneur, la vraie 
gloire, et trop peu les querelles, 1'hypocrisie, les honneurs et Targent. » Sebastien-Roch Nicolas 
Chamfort, fils naturel d'un chanoine mais fils legitime d'un epicier, scellait aiasi son destin. 11 aimera la 
pauvrete volontaire tout en vivant avec les gens riches et les illusions necessaires alors qu'il vecut sans 



illusions. 

Celui qui le denoncera pendant la Revolution, Tobiesen-Duby, ne fait pas dans la dentelle : « Point 
de demi-mesures, rendez a la poussiere ces etres faits pour y etre. » La posterite s'est vengee, elle a 
rendu a la poussiere Duby, mais Chamfort est toujours vivant grace a son ami Pierre-Louis Ginguene, qui 
sauva une partie de ses archives qui constitueront les Maximes et Pensees et les Caracteres et 
Anecdotes. Comment ne pas inclure dans ce dictionnaire celui qui deelarait : « C'est la plaisanterie qui 
doit faire justice de tous les travers des homrnes et de la societe » ? Et : « Celui qui ne sait point recourir 
a propos a la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans Pesprit, se trouve tres souvent place entre la 
necessite d'etre faux ou d'etre pedant, alternative facheuse a laquelle un honnete homme se soustrait, pour 
F ordinaire, par de la grace et de la gaiete. » 

Jules Roy ecrivait dans sa preface aux. Maximes et Pensees : « Chamfort a la tristesse gaie, le 
decouragementactif, la disillusion grandissante, la ferocite cordiale, la lucidite allegre. » 

Chamfort le desenchante n'accuse ni Dieu ni les homines, et encore moins les femmes : « La societe 
qui rapetisse beaucoup d'hommes reduit les femmes a rien. » II ecrit en temoin du monde et constate : 

— « Je n'ai vu que des diners sans digestion, des soupers sans plaisir, des conversations sans 
confiance, des liaisons sans amitie, et des coucheries sans plaisir. » 

— « L' amour, tel qu'il existe dans la societe, n'est que Techange de deux fantaisies et le contact de 
deux epidermes. » 

— « Le divorce est si naturel que, dans plusieurs maisons, il couche toutes les nuits entre deux 
epoux. » 

— « Uetat de mari a cela de facheux que le mari qui a le plus d*esprit peut etre de trop partout, 
meme chez lui, ennuyeux sans ouvrir la bouche, et ridicule en disant la chose la plus simple. » 

Et que penser de ce charmant extrait des Petits Dialogues philosophiques ? 
« Vous marierez-vous ? 

— Non. 

— Pourquoi ? 

— Parce que je serais chagrin. 

— Pourquoi ? 

— Parce que je serais jaloux. 

— Et pourquoi seriez-vousjaloirx? 

— Parce que je serais cocil 

— Qui vous a dit que vous seriez cocu ? 

— Je serais cocu parce que je le meriterais. 

— Et pourquoi le meriteriez-vous ? 

— Parce que je me serais marie. » 

Chamfort humoriste, mais aussi visionnaire, quand on lit ce qu'il ecrivait vers 1780 : 

— « Les pauvres sont les Negres de I s Europe. » 

— « Pourquoi arrive-t-il qu'en France un ministre reste place apres cent mauvaises operations, et 
pourquoi est-il chasse apres la seule bonne qu'il ait faite ? » 

— « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persecute ceux qui sonnent le tocsin. » 

— « Les economistes sont des chirurgiens qui ont un excellent scalpel et un bistouri ebreche, operant 
a rnerveille sur le mort et martyrisant le vif. » 

La fin de Chamfort est totalement surrealiste ; menace d'etre emprisonne, il se tire une balle dans le 
visage, se rate, perd le nez et une partie de la machoire, ne parvient pas a se tuer et tente alors de 
s'egorger a l'aide d'un coupe-papier. « fouille sa poitrine » et ses jarrets, mais on parviendra quand 
meme a le sauver. Six mois plus tard, le 13 avril 1 794, il quittatt enfin cette vie dont il disait : « Vivre est 
une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les treize heures. C'est ur» palliatif. La mort est le 



remede. » 



Chaplin, Charlie (1889-1977) 

Ne a Londres, quatre jours avant Hitler. Un pere chanteur, une mere actrice, Fenfance de Charles 
Spencer ressemble flirieusement a celle du garconnet a la casquette Irop grande pour Iui dans Le Kid. 
« De sa pauvrete il va faire de Tor », avail ecrit de lui Paul Morand, son voisin de Vevey en Suisse. Et 
Woody Allen declara « qu ? il serait toujours drole dans mille ans ». 

Chariot, c'est mon enfance, la votre, celle de milliers d'enfants depuis quatre-vingt-dix ans, qui n'ont 
pas honte, en tout cas pas moi, d'avouer qu'il fait partie de notre heritage culturel. 

A la fois poete, reveur, solitaire, toujours epris de romanesque et d'aventure, il nous a fait rever dans 
les salles obscures des patronages ou des salons bourgeois des gouters d'enfants. Chariot, un mythe ? 
Surernent. Un monde sans Chariot ? Inimaginable. H a fait notre enfance avec son air chafouin, sa 
moustache, son chapeau melon, ses souliers trop grands pointes vers rexterieur, ses minauderies et son 
leger dandinement. On a dit de cet hornme, parmi les plus attachants de l'histoire du cinema, qu'il etait 
Tun des personnages les plus celebres apres Jesus-Christ. Peut-etre. « Tout ce qu'il me faut pour faire 
une comedie, disait-il, c'est un pare, un policier et une jolie fille. » 

Chaplin etait tout a la fois Tacrobate, le mime, le danseur, le comedien, et son art essentiellement 
visuel se passe de paroles. II pensait que le cinema muet laissait un grand espace de liberte au spectateur 
et un veritable espace creatif puisqu'on peut y ajouter son propre monologue interieur : c< Les films 
parlants, vous pouvez dire que je les deteste ! lis viennent gacher Tart le plus ancien du monde, Part de la 
pantomime. lis aneantissent la grande beaute du silence. Je ne crois pas que ma voix puisse ajouter a 
Tune de mes comedies. Au contraire, elle detrulrait r illusion que je veux creer, celle d'une petite 
silhouette symbol iquc de la drolerie. non un personnage reel mais une idee humoristique, une abstraction 
comique. » 

Lors d'une rencontre avec Albert Einstein en 1931, applaudis par les gens qui les entourent, Chaplin 
se tourne vers lui ; « lis vous applaudissent parce que personne ne vous comprend, et moi, ils 
m'applaudissentparce que tout le monde me comprend ! » 

On ne peut oublier « la danse des petits pains » de La Rtiee vers' l'oi\ imaginee sur un coin de table 
devant un de ses petits-fils incredule, ni le Fiihrer Hynkel jouant avec un ballon representant le globe 
terrestre et glapissant un charabia ponctue de borborygmes et de hoquets. 

Le Dictatem\ qui obtint Poscar du meilleur acteur, du meilleur film et du meilleur scenario original, 
provoqua la stupefaction des invites, a la premiere, le 15 octobre 1940 a New York : « II est sain de rire 
des choses les plus sinistres de la vie, et meme de rire de la mort ». dira Chaplin. Et comme on lui 
reprochait de ne pas avoir adopte la meche sur le front du Fuhrer, il se rebiffa en repliquant : « J'etais 
dans le show business avant lui. » 

Ce fut son premier film parlant mais on avait entendu sa voix pour la premiere fois dans Les Temps 
modemes, lorsqu'il interpreta « Je cherche apres Titine ». Ce chef-d'oeuvre sur la deshumanisation du 
monde du travail montre aussi a quel point Chariot etait un acteur militant. Ce « citoyen du monde », ainsi 
qu'il aimait se definir, cet agnostique aux opinions humanistes, qui n'avait jamais pris la nationalite 
americaine, a paye un lourd (ribut pour defendre ses sympathies « gauchistes » : « Je ne suis pas 
communiste, je suis un fauteur de paix », declarait-il le 20 juillet 1945 devant la commission des activites 
anti-americaines. Le senateur McCarthy et ses sbires reussirent a 1 "expulser definitivement des Etats-Unis 
en 1952, pour lui faire payer ses violentes satires du puritanisme et des inegalites sociales. Un roi a New 
York Hit le premier long metrage dans lequel il denon^a la chasse aa\ sorcieres et l'intolerance qui 



sevissait alors outre- Atlantique. 

Le defenseur des laisses-pour-compte, des victirnes du racisme et des taudis surpeuples d'enfants 
affames meurt en Suisse le jour de Noel 1977. Sans doute un symbole glorieux pour celui que Jean-Luc 
Godard considerait comme « le plus grand au-dessus de tout eloge ». 




Charlie Hebdo 

Charlie Hebdo avait ete precede par Hara-Kiri* le fameux « journal bete et mechant » lance en 1960 
par Georges Bernier et Francois Cavanna. 

Tout le monde se souvient de : « Bal tragique a Colombey : un mort », ou : « Si vous ne pouvez pas 
Facheter, volez-le. » Mais on se souvient peut-etre nioins du manifeste de la jeurie equipe d" Hara-Kiri, 
qui avait decide avec ce nouveau journal de faire table rase de Fhypocrisie et de Fordre moral 
preconises par « les cons et les devots » : 

« Assez d'etre traites en enfants arrieres ou en petits vieux vicieux ! Assez d'erotisme par 
procuration, assez de ragots de garcon coiffeur, assez de sadisme pour gardeuses de vaches, assez de 
cancans d'alcoves pour cretins masturbateurs, assez, assez ! Nous sornmes les petits gars qui veulent leur 
place au soleil. Nous avons la dent longue et le coude poinru. Nous ne sommes. a personne et personne ne 
nous a. » 

Ainsi naquit le journal le plus atypique et le plus improbable de la presse francaise, avec dans les 
premiers roles Sine, Reiser. Cabu, Wolinski, Fred, Topor, Gebe, Willem, et plus tard Berroyer. Gourio et 
Vuillemin. Une bande de fauches, de banlieusards et de prolos. Le premier numero. tire a dix mille 
exemplaires, est vendu a 3a criee et uniquement a Paris. Apres dix mois, en 1961, le journal, qui tire 
pourtant a vingt-cinq mille exemplaires, est interdit a la vente aux mineurs et a Faffichage jusquen 
fevrier 1962. II faut dire que la bande des copains tape fort : « Apprenez le geste qui avorte », avec 
dessin a Fappui, ou : « Jumeler le ramassage scolaire avec le ramassage des ordures. » Rien ne les 
arrete, que ce soit les fausses pubs ou Fon voit un type qui vomit des pates car elles n'etaient pas des 
Lastucru « aux ceufs frais » et, en 1968, une couverture oil un CRS embrassait goulument un etudiant. A 
propos de 68, Cavanna, rappelant a quel point Hara-Kiri avait marque Fesprit des Francais, precisait ; 
« 68 est ne de Hara-Kiri et non F inverse. » L'esprit du journal etait assez bien resume justement par 
Cavanna : « C'est du pire qu"il faut rire le plus fort, c*est la ou 9a te fait le plus mal que tu dois gratter au 
sang. La faim, la torture, la misere, F exploitation, la guerre... » 

Vulgaire, Hara-Kiri ? \5us plaisantez. Pour Choron, la vulgarite, c'etait plutot lei Paris, France 
Dimanche ou Paris Match. 



« La vulgarite, disait-il, c^est la merde de l'esprit, c'est la betise, c'est n 1 avoir rien dans la tete. » 



L'HEBD0&&- 

BALTRAGiQUE 
A 

C0U3MBEY 

1M0HT 



En novembre 1970, de Gaulle meuru et avec lui Hara-Kiri et son bal tragique, qui est interdit de 
parulion par le ministre de l'lnterieur Raymond Marcellin. Qu'a cela ne tienne, le journal trouve la 
parade et devient Charlie Hebdo. A l'epoque, l'equipe recut un soutien unanime de la presse et des 
medias, et paradoxalement le nouveau magazine en sortit renforce. Martin Even denoncait dans Le 
Monde, en novembre 1970. l'hypocrisie de la mesure d'interdiction : 

« La presse d 'opinion se meurt. Veut-on etouffer la presse 6V exasperation ? » 

Le Charlie de Charlie Hebdo devait son nom au Charlie Brown americain des Peanuts. C'est Theure 
de gloire de Cavanna, qui entame parallelement une nouvelle carriere, celle d'auteur de best-sellers, avec 
son autobiographic qui fait un carton. Les Ritais. II tient dans le nouveau Charlie une chronique 
hebdomadaire ou il ecrit slit tout et sur rien, mais il fait mouche : 

— « Donnez-moi un aller simple pour Lourdes. dit le cul-de-jatte. Je reviendrai a pied. » 

— « Les deux seules creatures qui s'accouplent en se faisant face sont rhomme et le sandwich au 
pate. » 

— « On a longtemps cru que la prodigieuse fecondite des Chinois etait due a ce qu'ils mangent 
beaucoup de riz. On saitaujourd'hui qu'il n'enest riea La prodigieuse fecondite des Chinois est due a ce 
qu'ils font beaucoup ramour. » 

— « Si, debout et les bras ecartes, vous levez votre genou droit a la hauteur de votre menton et si, 
dans cette position, vous levez a son tour votre genou gauche, vous vous cassez la gueule. » 

— « Si Dieu etait ovipare, il faudrait remplacer les crucifix par des coquetiers. » 

Fin 1981, helas, Charlie Hebdo, faute de lecteurs, doit s'arreter au numero 580. Une nouvelle 
mouture est imaginee et elle voit le jour en juillet 1992, grace a un financement apporte par Philippe Val, 
Gebe, Cabu et Renaud. 

Malheureusement, c'est le debut pour Charlie Hebdo d'une Iongue periode de turbulences et de 
conflits internes alimentes par des polemiques diverses, sur lesquelles je ne souhaite pas revenir, car 
r humour n'y tient pas une place preponderante. Ce que j'aime et que je defends chezCharlie Hebdo, 
digne rejeton du grand Hara-Kiri, c'est son esprit caustique, irrespectueux et subversif, mais aussi ce 
fabuleux catalogue hebdomadaire de parodies et d'inventions a nul autre pareil. 

Longue vie a ses grands dessinateurs qui contribuent depuis des decennies a defendre la liberte de la 
presse, et ce n'est pas rien. 



Chat noir, Le (1881-1897) 

C'est Rodolphe Salis, ne en 1851, modeste et mediocre fabricant d'objets de piete, qui eut I'idee 
originale d'associer art et debit de boisson. II imagina un cafe, Le Chat noir : « Du plus pur style 
Louis XID... avec un lustre en fer forge de l'epoque byzantine et oil les genulshommes, Ies bourgeois et 
manants seraient dorenavant invites a boire 1 'absinthe habituelle de Victor Hugo (celle que preferait 
Garibaldi) et de Thypocras dans des coupes d'or. » Pourquoi Le Chat noir ? Parce qu'un specimen 
famelique de la gent feline avait ete decouvert devant la porte de l'etablissement lors de son 
amenagement. Ce cabaret flit pendant quinze ans une pepiniere d^artistes et d'auteurs au gout prononce 
pour l'absurde el la provocation, parmi lesquels, Charles Cros, Albert Samain, Paul Gordeaux, Leon 
Bloy, etc. 

Bientot, Ies deux pieces du boulevard de Rochechouart ne suffirent plus et Ton demenagea rue 
Victor-Mas se en pleine nuit avec « fanfare et cortege », suisses hallebardiers et Rodolphe Salis costume 
en prefet. On le vit plus tard en roi (de Montmartre) avant qu'il n' organise son pseudo-suicide, laissant 
une note qui accusait Zola de lui avoir vole son idee dans Pot-Bouille. Ses fausses funerailles furent 
grandioses. 

« Toute vulgarite etait absente du Chat noir, ecrit Herve Lauwick, mais le ton de la maison etait fort 
meprisant et dominateur. Les Pinxits (les peintres selon Verlaine) et les malheureux ecrivains y avaient, 
comme on dit de nos jours, de la classe. Les Pinxits surtout etaient dechaines. L'un d'eux qui travaillait 
par exemple devant les arenes d'Arles s'installait en plein air et peignait sans arret des tours Eiffel. Le 
public faisaitcercle autour de lui... » 

Le premier merite du Chat noir flit de reconcilier la boheme et la bourgeoisie en donnant a cette 
derniere rimpressionde s'encanailler. 




Le ton tres caustique des membres, qu'ils soient Zutistes, Incoherents, Jemenfoutistes, Haren^ Saurs, 
Hirsutes ou encore Hydropathes, n'enpechait pas les diplornates, les financiers, les politiciens, Ies 
princes, Ies rois et autres celebrites de Tepoque de s'y presser. Salis accueillait ses clients par des : 
« Messeigneurs », « Mes gentilshornmes », « \bs Altesses electorales », et on recevait un ambassadeur 
par : « Ah ! Te voila ! T'as ete libere ? » 

Et meme Edouard VII en personne vint : 

« Entrez, entrez. Tiens, ce gros, c'est le prince de Galles tout pisse ! » 

Ces reparties cinglantes en assuraient le succes, comme ce : « Qu*est-ce que fas fait de ta poule 
d'hier ? », adresse a un nouveau venu accompagne de sa femme. 

Maurice Mac-Nab, un habitue de retablissement, maniait 1' humour noir comme personne. La 
politique, les fails divers, la publicite, Terotisme etaient ses themes de predilection, mais il ne crachait 



pas non plus sur les problemes du quotidien : 

« Le poele mobile se distingue de tous les aulres en ce que, muni de roues, il peut se deplacer comme 
un meuble. On le deroule successivement au salon, a la salle a manger, dans la chambre a coucher. La 
prudence exigeant que Ton ne conserve pas de feu dans la chambre ou Ton couche, on le ramene au salon 
pour la nuil. 

Le prix du rnodele unique est de 100 francs. » 

Franc-Nohain, pere de deux enfants celebres, Jean Nohain et Claude Dauphin, createur du Canard 
sauvage, ecrivait lui aussi des poemes insolites : une Berceuse obscene, xuieRomfe des neveitx 
inattentionnes* un poeme heteroclite : La grue, le hussard, et le proprietaire d'immeubles et un autre a 
reciter a son pedicure : 

« Void venir les pedicures 

Qui de vos nuiux, 6 pieds onl cure, 

CEils de perdrix, 

Pas de merci ; 

Oignons oignons. 

Et duri lions. 

Saute-, SQUtez, 

Callosites f 

Comes et cors. 

Void la mort ! » 

Autre habitue des lieux, Charles Cros, qui inventa le paleophone, plus communement connu sous le 
nom de phonographe, ce qui nous vaut aujourd'hui le prix du disque de rAcademie Charles-Cros. prix 
qu'il aurait pu avoir aussi avec ses Triolets fautaisistes repris par Brigitte Bardot, dans Vie privee de 
Louis Malle : 

« Sidonie a plus d'un amant. 

Ou 'on le lui reproche ou I 'en loue, 

Elle s 'en moque egalement, 

Sidonie a plus d 'un amant. » 

Ce scientifique etait souvent moque genttment par ses amis, dont Catulle Mendes : « E avait fait 
plusieurs trouvailles, assez importantes : le typhlographe, la quadrature de l'azimut et de ralmicantarat, 
la direction des montgolfieres par un boulet de canon projete de la nacelle, le phonographe, la 
galactotherapie, la correspondance interplanetaire au moyen d'immenses miroirs d'acier, la photographie 
des couleurs, la transfusion de Fame, cinq ou six varietes de sideriscopes et le monologue. » 

Heureux habitue du Chat noir, a la repartie toujours cinglante, quand on apprend a Alphonse Allais 
que Tun des leurs qui prenait des bains de terebenthine pour se soigner avait pris feu, il s'ecrie : « Sa 
derniere cuite ! » ou, lorsqu'un autre extravagant venait d'etre enferme a Tasile, Maurice Donnay 
rencherit : « II a regularise sa situation. » C'est a lui que Ton doit aussi cette replique : « En general, les 
maigres sont plus violemment aimees que les rondes. Elles sont aimees jusqu'au crime, car la passion 
s'accroche aux angles. Les rondes, on les pelote. Les maigres on les tue. » 

Laurent Tailhade ecrivait : « Le Chat noir, c'etait L 'Assommoir et La Divine Comedie amalgames. » 
Et pour Jean Lorrain, c'etait « un quartier de rapins et de poetes, un musee picaresque et baroque de 
toutes les elucubrations de bohemes venues s'echouer toutes la durant vingt ans, de toutes ces epaves : le 
mauvais gout le plus sur a cote de trouvailles exquises ; statuettes polychromes et fresques de Willette ». 



Chaval (1915-1968) 



Ou 1 'on va decouvrir que Chaval ecrivain est aussi etonnant que Chaval dessinateur. 

Yvan Le Louarn, ne en 1915, avait choisi « Cheval » comme pseudonyme, en hommage au fameux 
facteur d'Hauterives, mais une erreur de transcription lypographique en decida autrement. 

U esprit de Chaval est aussi acere que ses crayons. II nous regale avec des fables parodiques, des 
lettres reelles ou fictives, des dialogues et des autoportraits qui sont un modele du genre : « Maintenant, 
je suis un homme arrive, ma fortune est considerable. Je possede : 12 automobiles, 3 fiacres, 30 chevaux 
de course, 1 cheval de labour, 2 000 chiens de race (et il en vient toujours), 1 chienne, 4 chateaux 
historiques, 2 chateaux sans histoire, 15 fermes, 1 prison, 2 prefectures, 3 boulangeries, 1 yacht. 1 
appareil a rouler les cigarettes et de nombreux bijoux. Mon standing actuel me permet d"entrer chez le 
pape a n'importe quelle heure, la casquette sur la tete et en fumant. » 

On s'apercoit en le lisant quil ne fait pas de difference entre le trait et le mot. Souvenez-vous de ses 
dessins : Bleriot s'exercant au revolver a travers sa manche. Napoleon defequant des petites pyrarrrides, 
Madame de Sevigne dormant un gros pourboire au facteur, Leonard de Vinci faisant une cene a sa mere ; 
sans oublier les objets les plus incongrus nes de son imagination : un phonographe a butane, une boite 
d'hosties ernpoisonnees pour detruire les souris de benitiers, un baton de marechal-nous-voila. . . 

Vialatte, mon heros, etait, et cela ne rrfetonne pas, un fervent admirateur de Chaval, et voici comment 
il en parlait dans une de ses chroniques de La Montague : « Le cou de r homme Chaval ne s'entoure pas 
de plumes brillantes. II lui donne pourtant frequemment la forme d'un oiseau polaire, polaire et noir, en 
fait un roi, d'un miao scope un illustre savant, d'un fusil un grand militaire. Mais la silhouette reste 
affaissee... L'homme de Chaval est un pingouin qui s'est mis un cliapeau de Bonaparte. » 

Les personnages de Chaval ne savent pas sourire, sans doute parce qu'ils sont neurastheniques 
comme lui, a force de faire des bilans sur la vacuite de la vie. 




Dans ses Ecrits on trouve aussi bien des proverbes : « Dis-moi qui tu es et je te dirai qui je suis », ou 
« Un essuie-glace ne fait pas le beau temps » ; une lettre de chateau dans laquelle il legue a ses amis ; 
« Une ceinture de chastete qui dit papa et maman, un rectangle fa^on trapeze, un heros au sourire si doux 
et une tour Eiffel pliante en osier »... Et aussi quelques petites annonces : « Bceuf achete cher photos de 
vaches », ou « Rien n. ser. de cour. il f. part a p. » 

II ne dedaigne pas non plus brosser quelques portraits, et celui du « Celebre » est cynique certes, 
mais criant de verite : « II a le coup d'ceil rapide et discret, guette de s'assurer qu'il est reconna Quand 
il lui arrive de tomber sur quelqu'un pour qui il n'evoque rien, il a un regard amuse et indulgent destine a 
troubler r ignorant qui se creuse la tete pour deviner. II pense faire plaisir en tutoyant et, en fait, il 
rencontre rarement des mufles qui lui rendent son "tu". II ne deteste pas mourir dans un accident 
d'automobile ou d'avion. » 

Celui qui disait : « Aimer la vie me sernble aussi stupide que d'etre patriote, vive la putrefaction, 



vive la mort » aurait helas, si Ton en croit Pascal Ory, realise des caricatures antisemites durant 
l'Occupation, en participant activement au journal collabo bordelais Le Progres. 

Cela est evidernment inexcusable. La seule circonstance attenuante serait de considerer qu'a 
l'epoque, Yvan Le Louarn ne s'appelait pas encore Chaval. 

II se suicide au gaz le 22 Janvier 1968, non sans avoir pris la peine d'accrocher une pancarte sur sa 
porte : « Attention, danger d'explosion. » 



Churchill, Winston (1874-1965) 

Un homme d'Etat debordant d'humour ? C'est assez rare pour etre signale. 

Humoriste nouveau-ne, il commence sa vie en faisant une farce a sa ravissante Arnericaine de mere. II 
arrive sur notre planete en 1874 dans les vestiaires d'un palais, alors qu'elle se rendait a un bal contre 
l'avis de son rnedecin ; ecolier, rebelle contre son professeur qui lui demande de decliner en latin : « la 
table, de la table, a la table, 6 table ». Exercice qu'il trouvait totalement ridicule. Sa vocation militaire se 
forge en bombardant ses soldats de plomb de petits pois ; journaliste au Daily Graphic* a Cuba, pour 
commenter la guerre entre I'Espagne et la guerilla cubaine, il se rejouit que son voisin de hamac soit 
obese alors qu'on leur tire dessus ! C'est d'ailleurs la qu'il se prend de passion pour les cigares, dont il 
disait : « Ne croyez surtout pas que je fume toute la journee ! Je suis bien trop temperant pour cela. II 
s'agit enrealite de faux cigares : ils sontcreuxet remplis de cognac a rinterieur... » 

Durant sa carriere politique, il ne loupe pas ses collegues, a commencer par les lords : « Un fiacre 
vide arriva et lord Attlee en descendit. » Les ministres : « Nous pourrions lui donner le rninistere de la 
Guerre et nous serions stirs de l'eviter : pendant la guerre, il etait ministre du Charbon et nous n'avons 
jamais eu de charbon. » Et meme son bras droit, Anthony Eden fait les frais de son ironie. Apres un de 
ses discours, Churchill commente : « J'ai trouve ga bon. II contenait tous les lieux cornrnuns connus, a 
l'exception peut-etre de : "Veuillez laisser cet endroit aussi propre en sonant que vous souhaiteriez le 
trouver en entrant". » Les femmes n'echappent pas a son esprit frondeur ; a lady Astor qui pretend que, si 
elle etait son epouse, elle mettrait du poison dans son cafe, 11 retorque : « Madame, si j 'etais votre man, 
je le boirais. » 

Meme motif, merne punition pour les emmerdeurs : 

« Monsieur le Premier Ministre, vous ai-je deja parle de mon neveu ? 

— Non, jamais, et je vous en suis tres reconnaissant. » 

Pour lui, le golf est un sport qui « consiste a faire une belle promenade dans un site exceptionnel, un 
moment de quietude gache par une petite balle blanche qui refuse d"entrer dans un trou de deux fois et 
demie sa taille », et « jouer au golf, c'est comme chercher une pilule de quinine dans un pre a vaches ». 

Et lorsqu'onlui demande quel est P homme politique qu'il admire le plus, il repond : 

« Mussolini, parce qu'il a eu, lui, le courage de faire fusilier son gendre. » 

Le Vieux Lion vecut jusqu'en !965. a Page de quatre-vingt-onze ans, et il disait devoir sa vitalite a 
l'alcool : « Je n'ai dans le sang que des globules rouges : l'alcool a tue depuis belle lurette tous mes 
globules blanes... » Ma saillie preferee, c'est celle oil il detourne ce proverbe : « Une pomme par jour 
eloigne le rnedecin », en yrajoutant son point de vue : «... a condition deviser juste. » 

II ne se souciait guere de la posterite : « L'Histoire me sera indulgente, car j'ai l'intention de 
Tecrire. » Et se disait pret a reneontrer le Createur : « Quant a savoir s'il est prepare a Tepreuve de me 
voir, c'est une autre histoire. » 



Cinema, Le 

Est-ce que j'aime le cinema ? Oui, bien sur. Suis-je un cinephile averti ? Pas tout a fait, et je ne me 
sens pas d'attaque pour disserter sur l'humour au cinema, si ce n'est a travers quelques coups de cceur, 
d'autant plus que j'aborde ailleurs ce sujet avec quelques acteurs ou realisateurs, tels Woody Allen, 
Michel Audiard, Louis de Funes, Charlie Chaplin, Jacques Tati, Henri Jeanson ou Sacha Guitry. Sans 
remonter jusqu'a La Sortie de I'usine Lumiere a Lyon (1895), j'aimerais d'abord saluer Marcel Pagnol 
et ses comperes, Cesar, Panisse, Marius et Escartefigue, qui m'ont aide a decouvrir rhumour au cinema, 
puis Fernand Contandin, plus connu sous le nom de Fernandel (1903-1971), dont j'ai du volt Le Petit 
Monde de don Camillo je ne sais combien de fois, au gre de mes inscriptions au tableau d'honneur, rnerne 
si le camarade Peppone n'etait pzspersonu graia chez les peres jesuites, chez qui j'abordais mes etudes 
secondaires. 

Je me souviens aussi de Michel Simon, dont le physique m'impressionnait, lorsqu'il incarnait le 
clochard dzBoudu native des eaux (1932), recueilli par le brave libraire M. Lesungois, et dans la 
comedie de Sacha Guitry La Poison (1951), oil il essaie par tous les moyens d'elimlner sa femme 
alcoolique. 

Difficile de ne pas citer les comedies d'Yves Robert et de Gerard Oury, et ce serait hypocrite de ne 
pas avouer que je me delecte certains dimanches soir en revoyant Le Comiaud (1964), La Grande 
Vadrouille (1966), Rabbi Jacob (1973), ou les frasques des copains quadragenaires Rochefort, Bedos, 
Lanoux et Brasseur dans Un elephant ca trompe enormement (1976) et Nous irons tous au paradis 
(1977), films ou Ton reconnatt la parte subtile de Jean-Loup Dabadie. 

PuisquMl est question de coups de cceur, bienvenue a la comedie a l'italienne dont je suis un 
inconditionneL On dit qu'elle puise ses racines dans le neorealisme des annees 1950. On la dit feroce, 
grincante et iconoclaste, mais surtout servie par d^immenses pointures du rire, comme Gassman, Sordi, 
Mastroianni ou Tognazzi, les descendants de Tun des grands acteurs du cinema italien des annees 1950, 
Antonio de Curtis, dit Toto (1898-1967), dont Tune des plus belles repliques dans Tata a coiori (1952) 
est : « Toute limite a une patience. » 

Personne ne peut contester que Divorce a l'italienne ( 1961), Le Pigeon (1958) ouL'Argent de la 
vieille (1972), pour ne citer que ceux-ci, sont des chefs-d'oeuvre. Merci a Dino Risi, Ettore Scola, 
Vittorio De Sica et Federico Fellini de continuer a nous enchanter, grace a quelques cinemas d'art et 
d'essai, courageux. Merci aassi a Roberto Benigni d"avoir si justernent repris le drdle de flambeau de ses 
anciens. 

Si je ne devais mentionner qu'un seul film americain, je citerais sans hesiter The Shop Around the 
Corner (1940). ou Ton retrouve si bien la fameuse « Lubitsch's touch », ce melange sophistique du seas 
du detail et de Tellipse. 

C'est Pun des rares films de Fepoque qui aborde d'ailleurs le theme du chomage, ou Ernst Lubitsch 
met en scene des employes de la boutique de M. Matuschek a Budapest, Alfred Kralik (genial James 
Stewart) et Klara Novak (ravissante Margaret Sullavan). On a toujours dit que le film le plus drole de 
Lubitsch etait To Be or Not to Be (1942), je lui prefere celui-ci, et je suis bien incapable de vous 
expliquer pourquoi, mais quand onaime... 

Je me suis amuse a choisir quelques phrases dites « cultes » de Fhistoire du cinema pour vous 
detendre : 

— « Majeste, votre sire est trop bonne » (Francois F r , de Christian-Jaque, 1937). 

— « II se peut que tuaimes la marine francaise... mais la marine francaise te dit merde » (Marias, 
d'Alexandre Korda, d'apres Marcel Pagnol, 1931). A prononcer obligatoirementrtvx : I'assent. 




— « Salauds de pauvres » (La Traverse? de Paris, de Claude Aulant-Lara, 1956). 

— « Nobody is perfect » {Certains I'aiment chaiul, de Billy Wilder, 1959). 

— « Si j 'avais su, j 'aurais pas venu » (La Guerre des boutons, d* Yves Robert, 1 962). 

— « You talkin' to me ? You talkin'to me ? You talkin' to me ? » ( Taxi Driver, de Martin Scorsese, 
1976). 

— « Therese n'est pas moche, elle n'a pas un physique facile, c'est toul » (Le Pere Noel est une 
ordure, de Jean-Marie Poire, 1982). 

Un clin d'ceil aussi a Tami Philippe Mignaval, qui repertorie les poncifs et les repliques telephonees, 
qui font notre joie dans un livre decapant, Tous les cliches du cinema (2012) : 

— « Le tueur qui trimballe un cadavre dans son cofrre est toujours arrete pour exces de vitesse. » 

— « Le gardien qui surveille les ecrans tourne toujours le dos quand les voleurs s'introduisent daas 
rimmeuble. » 

— « Le nouveau-ne pese generalement hiiit kilos. » 

— « Les chiens reconnaissent toujours les salauds en leur aboyant dessus. » 

— « Le ftigitif qui se reftigie dans un bar decouvre que la television parle immanquablement de 
lui ! », etc. 

Enfin. je ne peux nfernpecher de penser a Pierre Desproges qui, dans ses Chroniques de la haine 
ordinaire, s'en prenait a un critique qui avait ecrit dans un hebdornadaire, « dans lequel, de crainte qu'ils 
ne pourrissent, je n'enfermerais pas mes harengs » (sic), a propos d'un film de Claude Zidi : « C'est un 
film qui n'a pas d'autre ambition que celle de nous faire rire. » 

Desproges, fou rurieux, ne Tavait pas loupe : 

« Mais qui es-tu, zero flapi, pour te permettre de penser que le labeur de clown se fait sans la sueur 
de rhomme ? Qui t'autorise a croire que rhumoriste est sans orgueil ? Mais elle est immense, mon cher, 
la pretention de faire rire. 

Une ceuvre pour de rire, ca se tourne, comme un fauteuil d'ebeniste. ou comme un compliment, je ne 
sais pas si tu vois ce que je veu\ dire avec ce trou beant dans ta boite cranienne . . . Moliere, qui fait 
toujours rire le troisieme age, a transpire a en mourir. Chaplin a sue. Guitry s'est defonce. [...] 

Pauvre petit censeur de joie, tusais ce qu'il te dit, M. Hulot ? » 

Haine ordinaire ou non, c'est bien vu, et ce n'est pas Woody Allen ou Mel Brooks qui oseraient le 
contredire. 



Cingria, Charles-Albert (1883-1954) 



Vfous ne connaissez pas Cingria ? \fous n'en avez jamais entendu parler ? Ne vous frappez pas, vous 
n'etes pas le seul. Je Fai moi-meme decouvert il n'y a pas si longtemps et, depuis, je ne me lasse pas 
d'essayer d'en savoir plus sur lui, et sur les onze tomes de ses CEuvres completes, sans compter les six 
tomes de sa Correspondimce generate. Excusez du peu ! 

Presenter ce personnage, ne en Suisse d'un pere turco-dalmate et d'une mere polono-picarde, est 
relativernent simple ; il suffit de decliner tout ce qui a ete ecrit sur lui, et vous aurez une approche 
complete du personnage. catholique suisse et romain, levantin, gregorien et lotharingien, boheme, 
velocipediste, chroniqueur assassin et intempestif, pieton parisien, antisurrealiste, gamin eternel, 
fantaisiste langagier extraterrestre, scoliaste medieval, sybarite en priere, cenobite en extase, virtuose de 
Tepinette et inspire sans doute par bien d'autres talents. Charles-Albert etudie la musique a Geneve et a 
Rome, puis voyage a travers r Europe avant de s'etablir a Paris en 1915 oil il vegete dans une miserable 
chambre de bonne rue Bonaparte. II ne se lave guere et partage sa chambre avec ses chats et son velo. 
Apres avoir propose quelques articles a diverses revues, sans succes, il se met a frequenter les salons 
litteraires, oil Ton remarque sa brillante conversatioa malgre son look bizarre. Dans un eblouissant 
portrait Jerome Garcia qui semble lui vouer une certaine admiration, le decrit ainsi : « Coiffe selon 
l'humeur d'un beret basque ou d'un turban indien. le ventre rond moule dans un maillot raye de coureur 
cycliste. le crasseux Helvete teiiait du mamamouchi et du Bouddha. Seule chez lui la tete etait dans les 
etoiles. Le reste collait comme un loukoum a Texistence. "C'etait un fantome gras", observait 
Jouhandeau. "Precieux et priirritif", corrigeait Mandi argues. "Une phosphorescence qui court", ajoutait 
Cocteau. "Un personnage de la comedie italienne", adjugeait Leautaud. Fascines, Modigliani et Dubuifet 
l'immortaliserent a Tencre de Chine. » 

On le voit, Thomme ne laissait pas indifferent, et Jean Paulhan, tres attire par les auteurs qui sortaient 
des senders battus, le tenait pour « notre plus grand ecrivain » et lui avait demande de collaborer a la 
NRF, malgre l'avis de Gide, qui etait, parait-il, allergique aux « boufFonneries ». 

Comment Cingria en etait-il arrive a fasciner a ce point ? Jean Paulhan justifi ait ainsi son admirauon 
pour ce styliste qu'il trouvait « gras et onctueux, avec quelque chose de monacal qui se foutait 
completement des sujets a la mode, mais parlait joyeusement du temps qu'il fait, des arbres, de Teau, des 
aiumaux et surtout des chats... Bref, il savait dire : "il pleut" comme personne ». On disait de lui qu'il 
etait tout sauf un auteur pittoresque, qu'il ecrivait sur une foule de sujets inattendus, sur rien et sur tout : 
« Je n'aime pas ce qui est charmant. J'aime ce qui est carre, bruissant, enorme, chevalia humain, divin. » 
Drieu la Rochelle, qui trouvait sa prose loufoque, le traitait de « mediocre delirant ». 

Cingria savait souffler le chaud et le froid entre des chroniques badines et des papiers d'humeur 
assassins. II detestait le « moderne voulu moderne » et declarait de facon peremptoire : « Ce qui 
nfincendie le bulbe^ rnoi, c'est le neuf. » II detestait les elites litteraires modernistes et se moquait des 
« talents veules des mystiques a Teau de Javelle » (sic). Charles-Albert se conduit parallelement comme 
un gamin. Avec Leon-Paul Fargue, il est membre actif de l'axmcale des pietons de la capitale et s"aniuse a 
traverser les Alpes a velo : « Felicitons-nous qu'a cote, tout a cote - disons une prairie oil s"ebrouent les 
bicyclettes -, la vie reste aussi belle. » II aime la nature et en parle tres bien en multipliant les images 
cocasses, les expressions rares et recherchees. « Lutin insaisissable et papillon de bibliotheque » pour 
Claudel, il est pour Daniel Maggetti, Fun de ses prefaciers, « tout ce qu'il faut pour etre un cas : et un cas 
litteraire, ce n* est jamais tres loin du domaine des curiosites [...]. Si on ajoute au tableau son gout du 
paradoxe et sa biographie atypique. on comprend qu'il soit identifie au mieux a un original, au pire a un 
ludion ou une girouerte ». Les titres de certaines de ses chroniques ont de quoi faire rever les 
ecologistes : 

« Lettre au verificateur des eaux », « Le carnet du chat sauvage », « Le parcours du Haut- Rhone » ou 
« La julienne et Tail sauvage », « Propos animalters », « Pendeloques alpestres », « La Grande Ourse » 
ou encore « Bois sec bois vert ». II n'a pas son pareil pour decrire le passage des chalands sur la Loire : 



« C'est si agreable que se realise exactement ce que vous aviez prevu, si agreable de faire un petit gouter 
ainsi, et puis de revasser rnodiquement, sans fin. sans etre importune par personne I » Certains ont ecrit 
que son ceuvre pourrait etre comparee a une immense preface, ou plutol aux notes innombrables en vue de 
cette preface. D'autres pensent qu'il est un « formidable moteur a explosion, un baroque, un amoureux 
eruptif de la langue ». 

Pour Jerome Garcia il etait aussi « moitie Quichotte, moitie Sancho. Une langue en relief qui a ses 
plaines, ses montagnes, ses marecages, ses orages, ses saisons, son grand soleil, ses grottes, ses 
labyrinthes, ses lacs et ses adrets ». Et pour Michel Crepu, « son ceuvre est bourree de chiffons, de 
vignettes curieuses, de papillons vivants, de boites a clown, mitle choses encore ». 

De beaux hommages pour celui qui, avec ce « presque » nom de boisson alcoolisee, mourut en 1954 
d'une cirrhose. 



Cioran,EmiI (1911-1995) 

L'homme le plus pessimiste du monde qui deplorait « le malheur d'etre ne » et qui a passe sa vie a 
faire Tapologie du suicide n'est mort qu'a quatre-vingl-quatre ans, sans prendre de risques puisqu'il 
avait banni le tabac et I'alcool. On a dit que ses livres constituent « Tescroquerie la plus reussie qui lui 
aura permis de vivre quatre-vingt-quatre ans sans rien ofrrir a la vie que son pessimisme, et meme de 
devenir pour cela une veritable star ». II ne faut pas s'etonner de voir ce « masochiste desespere, 
demolisseur d'illusions » figurer dans ce dictionnaire, car celui qui erigeait le rire en therapie 
indispensable contre « la maladie de Fame » merite que Ton s'arrete sur lui : 

« On me dit souvent : "Malgre ce que vous ecrivez, vous etes un des hommes les plus gais." J^ai 
beaucoup ri en effet dans ma vie, mais cela ne prouve rien. Rire est un acte liberateur. Je viens de 
recevoir une lettre de Roumanie d'un ami qui pense au suicide. D me demande conseil. Je lui ai repondu : 
"Si tu ne peux plus rire, fais-le !" » 

Ce fils de pope, ne en Roumanie, avait deux obsessions, devenir plus deprime que la depression elle- 
meme et celebrer la langue francaise, seule langue, disait-il, ou on ne devient pas fou. Ce professeur 
agrege de philosophie qui repondait a la question : « Que faites-vous du matin au soir ? » par : « Je me 
subis ». et dont tous les etudiants echouerent a leurs examens, s'interdisaitde se prendre au serieux. D'ou 
ces bonnes le9ons d'enchanternent ironique : 

— « Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent. » 

— « Nous ne devrioas deran^r nos amis que pour notre enterrement. Et encore. » 

— « Ma mission est de tuer le temps et la sienne de me tuer a son tour. On est tout a fait a Taise entre 
assassins. » 

— « Je reve d'un confesseur ideal, a qui tout dire, tout avouer, je reve d'un saint blase. » 

— « Lorsqaon a commis la folie de confier a quelqu'un un secret, le seul moyen d'etre sur qu'il le 
gardera pour lui est de le tuer sur-le-champ. » 

— « La condition de Tamam n'est pas tres enviable : commencer en poete et finir en gynecologue. » 
Dans son celebre Precis de decomposition publie en 1977, ce professeur de desespoir, pour qui 

justement « Tespoir est une vertu d s esclave », affirme que : « Toute idee doit etre neutre » et qu'« il faut 
detruire chezrhommesapropensiona croireet sa hantise d^un dieu ». Terrifiantmais interessant... 

Proche de Beckett, de Ionesco et de Michaux, il se delectait des paradoxes du monde. Georges Banu, 
son ami, pensait que son humour se rapprochait de celui « d'un Buster Keaton exerce au quotidien ». 

J'airne chez lui sa traque perpetuelle de Tabsurde ; ce que j'aime moins, c'est Tengagenient fasciste 
de ses vingt ans : « Celui qui entre vingt et trente ans ne souscrit pas en fanatique a la fureur el a la 



demesure est un imbecile. » Philippe Sollers, un admirateur, ne s'y est pas trompe : « La consommation 
de Cioran doit se taire a petites doses. Deux ou trois fragments sont regenerants, davantage est vite 
lassant, on entend tourner le disque. Rien de plus tonique que dix minutes de desespoir et de poison 
nihiliste. Personnellement, les milliards de soleils m'excitent, et la musique de Bach, comme Cioran le 
reconnaissait lui-meme, est une refutation de tous ses anathemes. Quel type extraordinaire, tout de meme, 
qui voulait ecrire sur sa porte les avertissements suivants : "Toute visite est une agression" ou "J'en veux 
a qui veut me voir" ou "N'entrez pas, soyez charitable" ou "Tout visage me derange" ou "Je n'y suis 
jamais" ou "Maudit soit qui sonne" ou "Je ne connais personne" ou "Fou dangereux". » 



Coluche (1944-1986) 

Ne dans le XIV e arrondissement, eleve a Montrouge, son enfance est peu retuisante. Le soir, on 
compte les sous : « Le jour ou la merde vaudra de Tor, les pauvres naitront sans trou du cul. » Le ton est 
donne. Apres un echec au certificat d'etudes, il decouvre, comme il le confiait plus tard a des amis, qu'il 
n'avait jamais ete grand ; d'abord petit puis tout de suite gros. 

Rencontre decisive avec Romain Bouteille, avec lequel il monte le Cafe de la Gare. S'y escrimeront 
notamment Patrick Dewaere et Sylvette Herry, alias Miou-Miou. Les spectateurs paient Ieur entree selon 
une loterie qui leur permet de debourser de a 30 francs, n y a deux entractes ou les comediens font le 
service. Le public est conquis. Coluche fonde alors avec des amis la troupe « Le vrai chic parisien ». En 
quatre ans, il joue avec succes Tlierese est triste et Ginette Lacaze. La troupe joue egalement 
Introduction a 1'esthetique fondamentale, avant que Coluche ne la quitte. « J'ai eu deux coups de pot 
dans ma vie : etre decouvert par Bouteille et etre vire par Bouteille », avouait-il quelques mois apres. 
Noik sommes en 1974 et tout lemonde se rend compte que lejeune trublionpeutfairerire seul. 

II se fait remarquer par une tendance tres prononcee a delourner les lieux communs : « Le travail, 
c'est bien une maladie, puisqu'il y a une medecine du travail », et aussi jouer l'elephant dans un magasin 
de porcelaine : « Bizarre Mgr Lustiger, toujours en robe et jamais de sac a maia » 

Je ne sais plus qui disait de lui : « Synthese de tous les comiques de la radio passes et presents, 
Coluche, c'est Maurice Biraud, Jean Yanne, Jacques Martin, Francis Blanche* Stephane Collaro et Jean 
Roucas reunis... en cent fois plus mechant. Un immense coup de balai passe sur la carpette des 
humoristes qui , jusque-la, restaient bloques au "22 a Asnieres" et aux imitations du general de Gaulle. » 




La verve de ce Zorro des mots n'a aujourd'hui rien perdu de sa modemite et nous en sommes tous a 
reecouter certains de ses sketches au fil desquels il epinglait journalistes, hommes politiques, militaires. 



policiers, etc. : 

SOS Racisme ? 

— « Yannick Noah rechigne toujoiirs a monter au filet : ga Iui rappelle sa capture. » 

SOS Femmes ? 

— « Je Tai pas violee. Violer, c'est quand on veut pas. Moi je voulais ! » 

AFDPM (Association francaise tie la police municipale) ? 

— « Les kepis ca serre la tele des gens, ga empeche le cerveau de se developper. C'est pour ca que 
ceux qui ont des kepis sont betes... » 

— « Tu sais ce qu'il faut pour faire un bon flic ? Un jeu de cartes et un decapsuleur. » 

La Ligue des droits de J 'homme ? 

— « Qu'est-ce qu'il fait, l'Ethiopien. quand il trouve un petit pois ? E ouvre un supermarche. » 

Les handicapes ? 

— « La hausse du petrole entraine des inquietudes chez les handicapes moteurs. » 

Lesjttifs ? 

— « Pourquoi Dieu a invente les catholiques ? Pour qu'il y en ait quand meme qui achetent au 
detail... » 

L'Eglise? 

— « Les cardinaux, on leur met des petits ronds rouges sur la tete, c'est pour pas les paumer dans les 
squares ! » 

Les anciens combattants ? 

— « La guerre de 14-18 avait fait un civil tue pour dix militaires. La guerre de 39-40, un civil pour 
un militaire. Le Vietnam, cent civils pour un militaire. Pour la prochaine, les militaires seront les seuls 
survivants. Engagez-vous ! » 

Les medecins ? 

— « La medecine est un metier dangereux. Ceux qui ne meurent pas peuvent vous faire un proces. » 

Lesjeunes ? 

— « Pour avoir du genie, faut etre mort ; pour avoir du talent, faut etre vieux ; et quand on est jeune, 
on est des cons. » 

La politique ? 

— « La moitie des hoinmes politiques sont bons a rien. Les autres sont prets a tout. » 



Lesjournattstes ? 

— « lis ne croient pas aux mensonges des hommes politiques, mais ils les repetent, c'est pire ! » 

Les acteurs ? 

— « Un metier de ringard ou Ton passe le plus clair de son temps a faire de Tapres-vente comme si 
on demandait a un pilote de reparer son avion en cas d'avarie. » 

Les sportifs ? 

— « Le temps qu'ils passent a courir, ils le passent pas a se dernander pourquoi ils courent. Alors, 
apres on s'etonne qu'ils soient aussi cons a l'arrivee qu'au depart. » 

Et. comme le titre de son emission rannoneait clairement, sur Europe 1 : « II y en [avait] pour tout le 
monde. » 

II fut meme un des premiers humoristes a prendre 1' extreme droite en Iigne de mire : « Jean-Marie Le 
Pen depasse les borgnes. A la tele il fait Ftihrer. II n'a pas de sang arabe ou alors sur son pare-chocs 
peut-etre », ou encore : « Marchais, c'est l'almanach Vermot ! Le Pen, c'est l'almanach Wehrmacht. » 

« II faut beaucoup de talent pour faire rire aux eclats avec des mots, mais il faut du genie pour faire 
rire aux eclats avec des points de suspension », disait de lui Frederic Dard. 

Mais Coluche, c'est aussi un bouleversant acteur dans Tchao Pantin, c'est aussi l'Enfoire, fondateur 
des Restos du cceur, car il n'oublie pas qu'il a ete un ancien pauvre avant d'etre un nouveau riche. 

Son humour acide louche souvent vers. I'absurde a la Lichtenberg : 

« La bonne longueur pour les jambes, c'est quand les pieds touchent bien par terre. » 

La gloire est une garce. Le 19 juin 1986, a 16 h 40, un tournant sans visibilite sur la route escarpee 
d'Opio, AIpes-Marilimes. Un semi- remor que effectue une manoeuvre. La moto ne roulait pourtant pas si 
vite. Coluche pensait-il pouvoir eviter ce putain de camion ? A quarante-deux ans„ on peut encore tout 
faire. Surtout quand on est depuis un an recordman du monde de vitesse du kilometre lance sur piste a 
gros cube : 252,087 knVhsur une Yamaha 750 OW31. 

Coluchienne de vie. C'etaitl'histoire d'unmec, ymeurt a la fin. Salutma poule ! 



Commerson, Jean Louis Auguste (1802-1879) 

Nous devons a Commerson, ecrivain et auteur dramatique assez meconnu, un livre d'aphorismes 
humoristiques, les Pensees d'un emballew\ publiees en 1851, et une Petite Encyclopedic baujfoime en 
1860, que Theodore de Banville qualifle de « chef-d'oeuvre ». 

Jacques Rouviere dans Dix Siecles d 'humour dans fa litterature francaise estime qu'il y a deja de 
l'almanach Vermot dans ces ouvrages. II merite bien un hommage dans ce dictionnaire, ne serait-ce que 
pour rendre a Cesar ce qui appartient a Cesar, car bien des auteurs lui ont emprunte, sans jamais lui 
rendre ses zeugmes, ses jeux de mots et autres citations comme celle-ci, qui a de nombreux peres 
adoptifs. mais qui est bien de lui : « Si Ton construisait actuellement des villes, on les batirait a la 
campagne, Tair y serait plus sain. » 

Mes preferees : 

— « A son lit de mort, rhomme songe plutot a elever son ame vers Dieu que les lapins. » 

— « Aujourd'hui, tout le monde pose. L'homme propose, la femme dispose, l'industrie expose, le 
commerce depose, les sciences composent, et les grands hommes reposent. » 

— « Borgne : etre simple et credule qui voit tout d'un bon oeil. » 



— « Broche : instrument de cuisine que des feinmes attachent a leur corsage. » 

— « C'est toujours par la faimque commence unbon repas. » 

— « Epouser une maitresse, c'est mettre en hachis les restes d'un vieux gigot. » 

— « E vaut mieux etre perdu de vue que de reputation. » 

— « J'airne mieux etre tire a quatre epingles qu'a quatre chevaux. » 

— « J'aimerais mieux aller heriter a la poste que d'aller a la posterite. » 

— « .Tepouserais plus volontiers une petite femme qu'une grande, pour cette raison que, de deux 
maux, il faut choisir le moindre. » 

— « La philosophic a cela d'utile qu'elle serta nous consoler de son inutilite. » 

— « La superiority des blancs sur les rouges est incontestable. Je n'en veux que les haricots pour 
exemple. » 

— « Le mariage n'est souvent qu'un echange de grognements reciproques durant le jour et de 
ronflements. pendant la nuit. C'est de 1' ennui a deux » 

— « Les femmes laides n'ont ete mises sur la terre que pour faire la consolation des aveugles. » 

— « Quand je mange des glaces, cela me fait reflector. » 

— « Si j'etaisneavantmonpere.j'auraispuetrelesien. » 

— « Si jamais j'ai des enfantsjenedemanderai qu une chose : en etre le pere. » 

— « Quand ma mere m'a allaite, elle avait un dessein cache. » 

— « J'ai dine hier soir avec une femme et un bceuf a la mode. » 



Courteline, Georges (1858-1929) 

Voici comment Edmond de Goncourt dans son Journal brossait son portrait : 
« Un petit hornme de la race des chats maigres, perdu, flottant dans son ample et longue redingote, les 
cheveux en baguettes de tambour plaques sur le from, rejetes derriere les oreilles, de peiits yea\ doits 
comme des pepins de poire dans une figure palotte. Ce petit homme, un gesticulateur ayant dans le sac de 
sa redingote des soubresauts de pantin casse, et cela dans des conversations debout. ou piete sur les 
talons, sa parole a la verve comique a froid de ses articles... » 

Courteline rate son bac, rnais il est laureat d'un tirage au sort qui Tenvoie dans Tarmee ou il passe 
son temps a Finfirmerie, car « la touchante ignorance des medecins y medicamentait [sa] flemrne ». 




Plus doue pour etre fonctionnaire vu sa tendance a ne pas trop en faire, ce Ills d'un auteur dramatique 
double d'un humoriste, Courteline, de son vrai nom Jules Moinaux, passa une quinzaine d'annees au 



ministere des Cultes a surveiller la pendule et a observer ses collegues, ne parvenant pas a s'adapter aux 
travaux absurdes qu'on lui confiait, avanl que le succes de ses ceuvres ne lui permette de se consacrer a 
recriture. 

E)evenu le pilier de l'Auberge du clou, avenue Trudaine, il expliquait : « II est plus facile de changer 
de religion que de cafe. » (Test la qu'il rencontre Verlaine et, voyant Tetat dans lequel etait Tauteur des 
Poemes saturniens, il propose de le ramener chez lui : « Je vais vous reconduire chez vous, mais 
rappelez-moi Le nomde voire rue. » 

Verlaine n'etant pas en mesure de se rappeler quoi que ce tut, Courteline se met alors a enumerer 
patiemment les noms des rues de Paris : 

« Rue Vivienne ? Rue de Courcelles ? Boulevard Voltaire ? Rue du Temple ? » 

Enfin, au nom de « la Roquette », il y eut une lueur dans le regard alcoolise du poete. On avait 
progresse, mais la suite n'allait pas etre commode. 

a A quel nuinero, cher maitre ? » 

Courteline commence a compter : « Un, deux, trois... » 

Et Courteline, quand il narrait cette histoire, concluait : 

« Le bougre, il habitait au 168 ! » 

Pour se debarrasser des journalistes, il leur envoyait a tous le meme message : 

« Cabinet de Georges Courteline 

Concentration des interviews 

Monsieur et cher confrere. 

En reponse a votre lettre du... par laquelle vous voulez bien me demander mon avis a propos de... 
j'ai Thonneur de vous informer que je m'en fiche completement. 

Dans Tespoir que la presente vous trouvera de meme, je vous prie d'agreer, etc. » 

Apres quelques chroniques dans Les Petites Nouvelles quotidiermes* Ombres parisieimes et a 
L'Echo de Paris^ il choisit Tecriture theatrale. II va puiser dans son experience rnililaire pour ecrire 
LiJoire, Les Gattes de I'escadron, dans lequel il tourne en derision Tarmee. Et dans Messieurs fes 
ronds-de-cuif\ il s'attaque aux employes de bureau qu'il a bien connus. 

Misogyne notoire, il n'en ratait pas une : 

— « U absence de sens chez la femme est encore le meilleur garant qu'on puisse esperer de sa 
fidelite. » 

— « II y a deux sortes de feinmes : celles qu'on compromet et celles qui vous cornpromettent. » 

— « La femme ne voit jamais ce qu'on fait pour elle ; elle ne voit que ce qu on ne fait pas. » 

— « On n' a pas vecu huit ans avec une femme sans etre fixe sur son compte. » 

— « La quantite de betises qu'une femme pas bete peut accumuler en peu de temps est une chose 
deconcertante. » 

Si pour Jean-Claude Carriere Treuvre de Courteline est devenue illisible (« Elle ne nous amuse plus, 
et meme souvent elle nous ennuie », ou : « Cest un auteur de boulevard porte sur la gaudriole »), il reste 
un maitre pour Colette : « Si j'ai appris le langage des betes avec Sido, je me vante d'avoir appris le 
francais avec Courteline... » Et pour Sacha Guitry : « Car nul n'est plus francais que Georges Courteline. 
II est tellement francais qu'il n'est pas devenu parisien. II ne doit rien a personne. Ni a Cervantes, ni a 
l'humour anglo-saxon, ni meme au snobisme. Son genie lui est personnel. II n'a meme pas de comptes a 
rendre a Moliere ! » Meme son de cloche chez Bergson : « Quand on a lu Courteline. on comprend tout ce 
qu'il peut y avoir de profond dans le comique, et de philosophic dans le rire. » 

Si Courteline a si bien decrit les travers de son temps, c 7 est que, pour lui, « rimbecillite huinaine est 
un bien curieux spectacle ». 




II est vrai que cerlaines breves de Courteline, passees a la posted te, sont brillantes : 

— « II ne faut jamais gifler iin sourd. II perd la moitie du plaisir. II sent la gifle mais il ne I'entend 
pas. » 

— « Les pianos devraient etre frappes de deux impots* le premier au profit de I'Etat, le second au 
profit desvois ins. » 

— « Passer pour un idiot aux yeux d'un imbecile est une volupte de fin gourmet. >•> 

— « SMI fallaittolerer aux autres tout ce qu'onse permeta soi-meme, la vie neserait plus tenable. » 

— « La plupart des histoires que Ton declare d'amour arrivent a des gens qui se sont montre leur 
derriere alors qu'ils n'enavaient pas le droit. » 

Mai connu et peu reconnu a tort de nos jours, Courteline etait tres apprecie en son temps. La preuve, 
sous rOccupation, les gens de son quartier veillerent sur son buste que les Allemands voulaient fondre et, 
a la Liberation, le personnel de la fonderie, patron en tete, rapporta a sa veuve le buste de l'ecrivain. 



Cowl, Dairy (1925-2006) 

Mais pourquoi les radoteurs nf ont-ils toujours fascine ? Au meme litre que Pierre Repp, bafouilleur 
professioruiel, Andre Darricau. ou plutot Dairy Cowl, grand zozoteur devant TEternel, est Tun des 
comiques qui, lorsque j'etais adolescent, me faisaient de loin le plus rire. Comme pour Pierre Repp, je 
connaissais tout son repertoire et j'adorais rimiter, parait-il pas trop mal, puisque mes petites amies de 
Tepoque en redemandaient. Merci done a Repp et a Cowl de nV avoir permis d'assurner les affres de mes 
premieres annees de puberte.. . 

Dairy Cowl, ne en 1925 a Vittel, etait programme pour etre musiciea Excellent pianiste, il 
accornpagnait des vedettes comme Bourvil, Devos, Lamoureux ou Jacqueline Fran9ois, mais lorsqu"il 
decouvre que son zozotement presque naturel, surtout lorsqu'il est fatigue, fait mouche aupres du public, 
il comprend qu'il a de Tor... sur la Iangue. Ajoutez de droles de binocles et un air facilement ahuri, et 
vous obtenez Tun des meilleurs comiques cocasses des annees 1970. Plus de cent soixante films entre 
1955 et 2006 dans lesquels il joue sous la direction des grands : Guitry, Allegret, Resnais, Verneuil, 
Boisrond, Pinoteau, Mocky, Lautner, de Broca. Les plus ancieas d' entre nous se souviendront peut-etre de 
Biscoton dans Les Tribulations d'un Chinois en Chine, du commissaire Adrien Bondu dans Elle cause 
plus.., elle jlingiee de Michel Audiard, ou du bouquiniste dans Les Miserables de Claude Lelouch. 

Un des meilleurs moments de sa carriere est pour moi sa prestation, epoustouflante et begayante, 
lorsque, appele comme temoin aux assises dans Assassins et Voleurs de Sacha Guitry en 1957, il secoue 
la barre du tribunal en bafouillant « qu'il faut absolument la reparer ». Autre film memorable, Le 



Triporfeur, realise par Jacques Pinoteau, ou Antoine, garcon livreur chez Ie boulanger Mouillefarine, est 
renvoye pour avoir saccage la boulangerie avec son triporteur. De nornbreuses aventures I'attendent. donl 
une victoire imprevue dans uii match de foot, r amour d'une jolie campeuse, Beatrice Altamira, et la 
fameuse scene ou Antoine traitera des policiers de « petits canaillous » pour la premiere fois. Une 
expression qui deviendra culte chez Dairy. 




On n'a jamais vraiment su s'il etait un bon acteur, rnais peu importe, le public s'en fichait et 
n'attendait qu'une chose, qu'il s'exprime. C'est la que Ton mesurait son talent, car ce n'est pas facile, 
cornme le disait a l'epoque Jean Le Poulain, de begayer et de bafouiller, avec en prime un cheveu sur la 
langue. 

Lorsque Ton regarde sa Iongue filmographie et ses prestations a la television et au theatre, on 
constate qu'a ses debuts il acceptait tout pour des raisons alimentaires et pourvoir justernent a sa passion 
du jeu. Ce sont ses apparitions touchantes dans nombre de nanars qui Font fait remarquer par de grands 
cineastes, qui lui ont donne des roles plus importants, voire dramatiques. On pease a Resnais qui, en 
2003, lui ofrrit un beau role de travesti, la concierge Mme Floin dans Pas sur la bouche. 

« Je ne comprends pas. Je ne pense pas le meriter. Resnais est un magicien. Moi je suis un comedien 
bouche. J'ai ete bloque sur scene. Je n'ai pas pu dire un seul mot du discours que j^avais prepare », 
declarait-il, Iors de la ceremonie des Cesars, qui le recompensait pour ce role. 

Dairy Cowl avait obtenu aussi un Moliere du meilleur second role masculin en 1995, et un Cesar 
d'honneur en 2001. II avait ecrit trois livres de souvenirs, dontlc Flamheur en 1986, ou il racontait sa 
passion pour le jeu qui le rongeait cornme son cancer du poumon, qui Temporta le 14 fevrier 2006 > a 
Neuilly-sur-Seine. 

Le « petit canaillou » n'a pas totalement disparu, puisque Tassociation Vive Darry, presidee par son 
epouse Rolande Kalis et dont le secretaire general est Francois Rollin, decerne chaque annee un prix a sa 
memoire. 



Critique, La 

Pas facile d'etre drole lorsque Ton decide de critiquer son prochain, surtout lorsqu'il vous fait de 
r ombre. Certains pourtant s'y sont frottes avec talent et mechancete, rnais avec une bonne dose 
d"hurnour : 

Entile Zola sur Alexandre Dumas : 

« Ce n'est ni un penseur ni un ecrivain original. II a un style absolument factice, manquant de 
veritable haleine, empruntant une fausse chaleur a tout un systeme de phrases exclamatives. On lui a fait 
dans la litterature contemporaine une place mensongere, ou il ne se tient que par le gonflement de toute sa 



personne, il en descendra vite, et, sur la dalle de dissection, il ne restera qu'un cas curieux. de don 
Quichotte bourgeois, hardi, jusqu'a transpercer les moulins a vent, et persuade des graces de sa gloire 
jusqu'a faire prendre cette dame pour la plus belle princesse du monde. » 

Jean Cocteau sur Paul Claude/ : 

« Bete cornme le gros ceil de Jimon. (Eil de platre. (Eil de vache. C'est le Bebe Cadura II avance 
avec un rond de paille sur la tete, dans un "pare a roulettes". 11 fait la grimace des enfants sur le pot et qui 
poussenL » 

Saint e-Beuve sur Balzac : 

« M, de Balzac a tout Pair preoccupe a finir comme il a commence, par cent volumes que personne ne 
lira. » 

Henry de Montherlant sur Flaubert : 

« Ni esprit ni nouveaute de pensee, ni coups de sonde imprevus et profonds dans le cceur humain, ni 
trouvailles d'expression, ni race, ni drolerie : Flaubert manque de genie a un point qui n'est pas croyable. 
C*est un bceuf de labour avec un carnet de notes. Mais si ! n'importe qui sachant ou flairant ce quest un 
grand ecrivain aurait vu de soi-meme que Flaubert n'en est pas un. Et Flaubert est un bon chien pataud qui 
ne s'irrite pas des mistoufles que Iui fait un marmouset comme moi. » 

Barhey d 'Aurevilly sur Flaubert : 

« Malheureusement, si M. Flaubert a le bonheur de n'etre pas un esprit facile, il n'a nullement celui 
d'etre un esprit fecond. Non ! C'est un homme a pensees rares, qui, quand il en a une, la cuit et la recuiL 
et non point dans son jus, car elle n'en a pas. C'est un esprit de secheresse superieure parmi les sees, une 
intelligence tout en surface, n'ayant ni sentiment, ni passion, ni enthousiasme, ni ideal, ni apergu, ni 
reflexion, ni proibndeur, et d*"un talent presque physique, comme celui, par exemple. du gaudretir ou du 
dessinateur a remporte-piece. » 

Paul Claudel sur Hugo ; 

« Hugo est un grand poete, si on peut Tetre sans intelligence, ni gout, ni sensibilite, ni ordre, ni cette 
forme la plus haute de rimaginationquej'appelle Tiinaginationde la proportion. Simplement une enorrne 
capacite gazeuse resultant de la possession de beaucoup de mots. Imbecillite de ses petites histoires. » 

Sainte-Beuve sur Hugo : 

« II est evident que Victor Hugo ne se corrigera jamais [...]. Sa poesie rne fait plus que jamais l'eflfet 
d"une plante grasse, dont les fleurs d'une adinirable couleur pourpre n'ont pas d'odeur, ou en ont une 
flineste. » 

Leon Daudet sur Maupassant : 

« Maupassant etait de nature rabougrie et acceptait avec une docilite d'enfant toutes les bourdes qui 
lui venaient de Croisset, des medecins, des canotiers et des salonnards. » 

Grimarest sur Moliere : 



« Comment, Moliere est-il fou et nous prend-il pour des benets de nous faire essuyer cinq actes de 
prose ? Le moyen d'etre diverti par de la prose I » 

Jean Cocteau sur Proust : 

« Dire qifun asthma tique comme Proust veut elaborer une ceuvre de longue haleine ! » 

Paul Vaiiry sur Proust : 

« Quel delayage ! Que c'est deglingue ! Et du Goncourt un peu partout. Avec ca, trop de pederastie, 
musquee ou masquee, comme ils voudront, pour une substance assez maigre et meme, avec ses 
amplifications magnifiques, unpeupassee. » 

Jacques Prevert sur Montherlant : 

« Un bas du cul qui se prend pour un grand d'Espagne. » 

Voltaire sur Rousseau : 

« On dit qu 'il va dormer Alzire. 
Rousseau va crever de depit, 
S 'il est vrai qu 'encore il respire. 
Car il est mart quant a I esprit. 
Et s 'il est vrai que Rousseau vit, 
C'est du seul plaisir de medire. » 

Kfeber Haedens sur Sartre : 

« Sartre a d'abord vulgarise, sous le nom afrreux d'existentialisme, une philosophic demarquee du 
Danois Kierkegaard et de rAllemand Heidegger. La portee de cette entreprise nous echappe. Les essais 
philosophiques de Sartre, tel L 'Eire et le Neant , sont en effet rediges dans un jargon monstrueux qui les 
rend etrangers a toute litterature. [.. .] Mais il est a craindre que ce theatre, terriblement surfait. ne resiste 
guere a la pression du temps. Sartre mime les grands ecrivains sans en etre un, et c'est ce qui rend ses 
entreprises oppressantes. >> 

Jules Janin sur George Sand : 

« Homrne et femme changeant de ton et de maniere, 

Le matin occupe et le soir occupe. George sur le devanu Dudevant par-derriere : 

La d'Agout s % y trompait et Liszt y fut tronpe. » 

Paul Claudel sur Paul Valery : 

« On dit que It* Cimetiere matin est un chef-d'oeuvre. Oui, comme les chefs-d'ceuvre du 
compagnonnage. Quelque chose de dur, sec, sans vibration, sans ame. Une mosaique metallique, dont les 
morceaux sont visses, enfonces Tun dans 1 'autre a coups de marteau. » 

Entile Zola sur Jules Verne : 

« Faut-il deranger la science pour la rneler a un genre de litterature aussi bas ? » 



Guy de Maupassant sur Jules Verne : 

« Quelques hommes encore aujourd'hui s'acharnent a egrener des histoires aussi invraisemblables 
qu interminables. » 

Gustave Flaubert sur Voltaire : 

« \bllaire est nul comme philosophe, sans autorite comme critique et historien, arriere corrune savant 
perce a jour dans la vie privee et deconsidere par 1 'orgueil, la meehancete et les petitesses de son aitie et 
desoncaractere. » 

Madame de St a el sur Voltaire : 

« Candide semble ecrit par un etre d'une autre nature que nous, indifferent a notre sort content de nos 
souffrances, et riant comme un demon, ou comme un singe, des miseres de cette espece hinnaine avec 
laquelle il n'a riende commun. » 

Hugo sur Voltaire : 

« Voltaire le serpent le doute, rironie. » 

Barbey d 'Aur evilly sur Zola : 

« Ernile Zola est le Michel- Ange de la crotte. » 



Dae, Pierre (1893-1975) 

Pour Jean Yanne, « on n'arrete pas la connerie », mais on peut toujours essayer de la ralentir, non pas 
avec 1'aide de maitres a penser, rnais avec celle d'un « maitre 63 » comme dirait Jacques Pessis, 
r excellent biographe de Pierre Dae. 

Andre Isaac naquit a Chalons-sur-Mame. Apres avoir ete success! vement vendeur de savonnettes a la 
sauvette. homme-sandwich, chauffeur de taxi et chomeur, il decide de vaincre sa timidite en devenant 
chansonnier et commence tres fort : « Te rappelles-tu, mamour le soir tombait... II tombait bien, 
d'ailleurs, et juste a pic pour remplacer le jour qui, e'etait visible, ne passerait pas la nuit. » 

C'est ainsi qu'il seduit, pas a pas, le public de cabarets parisiens a la mode, dont Les Deux Anes, 
avec des maximes bien senties, en faisant croire qu'il citait La Rochefoucauld : « Parler pour ne rien 
dire, ou ne rien dire pour parler, sont les deux principes majeure de tous ceux qui feraient mieux de la 
fermer avant de Fouvrir. » II inventa le Biglotron qui. « ne servant a rien, peut done, et par cause de 
guerre, servir a tout », et soutint brillamment une these sur « le slip a pont-levis depuis Henri III jusqu'a 
vendredi prochain ». 

En 1935, il lanca sa « Course au tresor », ou les participants devaient rassembler des objets certes 
indispensables, mais inattendus, une puce sauteuse, une epingle de nourrice, un dromadaire. une pomrne 
de terre frite, mie macliine a coudre. un ticket de metro de la station Glaciere, un ceuf dur, une table a 
dissection, un casque de pompier, une note de gaz.. . La meme annee, il anima sur Radio-Cite « La societe 
des loufoques », puis le club du meme nom qui debouchera, le vendredi 13 mai 1938, sur le premier 
numero de son journal L'Os a moelle, dont un de ses editoriaux commen9ait ainsi : « Nous sommes a la 
veille des jours prochains. » Et quand on lui demandait : « Pourquoi L 'Os a moelle ? », il repondait avec 
une logique implacable : « Pourquoi pas L 'Os a moelle ! ? » 




D'ailleurs, c'etait un journal serieux puisqu'on y irouvait des informations exclusives : « Le premier 
ministere vient d'etre constitue, precise M. Pierre Dae, president du Conseil. Uevenement est 
d* importance. Parmi les heureux elus (au poker-dice), on remarque Ies noms de Roger Salardenne 
(ministere du Bceuf en daube), de Robert Rocca (ministere des Vieux Dentiers et des Jaunes d'ceuis) et de 
Fernand Rauzena (ministere des Moules a gaufre et du Sinapisme). » Et une rubrique « Petites 
annonces » : 

— « On demande cheval serieux connaissant bien Paris pour faire livraison seul. » 

— « Plongeur de restaurant polyglotte demande place traducteur pour assiette anglaise et salade 
russe. » 

— « Monsieur atteint strabisme divergent cherche monsieur strabisme convergent pour pouvoir 
ensemble regarder les choses en face. » 

— « \bus qui partez pour la croisade, faites-vous habiller chez Godefroy de Bouillon, le specialiste 
du veston croise. » 

— « Mere-grand remplacerait bobinette et chevillette par solide verrou dernier cri. Faire offres. » 

— « A vendre, cause divorce, thermometre centigrade, etat neuf. tous courants. marquant d'un cote 
Reaumur et de F autre Sebastopol. » 

Helas, L 'Os a moelle ne depassa pas le numero 108 et cessa de paraitre le 31 mai 1940. 

Pierre Dae s'engagea alors dans la Resistance. Apres une guerre courageuse pendant laquelle les 
auditeurs de la France occupee pouvaient Tentendre au micro de la BBC chanter ce celebre couplet sur 
Fair de « La Cucaracha » : « Radio Paris ment. Radio Paris ment. Radio Paris est allemand », il relance 
des le 1 1 octobre 1945 L 'Os fibre qui ne connait pas vraiment le succes de son aine. 

La grande rencontre de sa vie, e'est Francis Blanche, avec Iequel il concocte le feuilleton 
radiophonique Signe Furax, dont Edgar Morin dira : « C'est bien plus que du Sapeur Camember ou du 
Tintin, e'est du Gargantua et du Pantagruel a la sauce Hellzapoppin et au rythme electronique. Je tiens 
Furax pour une ceuvre geniale, pour la grande Ilicufe du siecle de P humour. » 

Dae est l'auteur d'une ceuvre foisonnante dont je retiendrai surtoutZ^.v Pensees, dignes d^Allais ou 
de Vialatte. 

Ses messages sont d'une rare modernite. II est le roi de la repartie cocasse, tmis comme tous les 
grands humoristes, il est profondement depressif et fera d'ailleurs plusieurs tentatives de suicide. 

Les Pensees, e'est la quintessence de Tintelligence et de paradoxes vertigineux, ]e tout mele a de 
rejouissants calembours et a des aphorisnies delirants. Sa pliilosophie est tellement proche des grands 
penseurs de ce monde que certains, dont Eric Naulleau, n'hesitent pas a affirmer qu'ils en glissaient dans 
leurs dissertations d'etudiant sans que leurs professeurs s'en emeuvent : « Ceux qui confondent 
rharrnonie preetablie de Leibniz avec rharmonie municipale de La Garenne-Bezons font de la confusion 
philosophique musicale et mentale. » 

Dae qui disait : « Tout penseur avare de ses pensees est un penseur radin » n'etait pas avare des 
siennes : 

— « Une femme mariee a un hoinme qui la trompe avec la femme de son amant, laquelle trompe son 
mari avec le sien et qui en est reduite a tromper son amant avec celui de sa femme parce que son amant 
est son mari et que la femme de son epoux est la maitresse avec la femme de son amant, ne sait plus ou 
elle en est ni ce qu'elle doit faire pour ne pas compliquer encore une situation qui Test deja suffisamment 
comme ca. » 

— « Tous pour un, un pour tous et 25 pour 1 00. » 

— « Un sens interdit, en somme, ce n'est qu^un sens autorise, mais pris a Tenvers. » 

— « Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la verite ne serait pas loia » 

— « Quand onne travaillera plus le Iendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue. » 

— « Le carre, e'est une circonference qui a mal tourne. » 



En 1974, Pierre Dae songe pendant un moment a ouvrir un bar-tabac au cap Horn, mads il n'en aura 
pas le temps, car Ie pere des personnages aussi attachants que Leontine Vazymou, SebastienTumlatouche, 
Tabbe Pandemurge, Hubert de Guerlasse et de Tadjudant Tifrice tire sa reverence le 9 fevrier 1975, sept 
mois apres son complice Francis Blanche. « On ne meurt pas toujours litteralement d' inanition mais 
toujours integralement d' inhumation », disait-il. Et dire, comme se lamentait Frederic Dard, « qu'il existe 
encore des gens pour preferer Francois Mauriac a Pierre Dae ». 



Dada 

Lorsqu'en 1916, au Cabaret Vbltaire de Zurich, TAlIemand Hugo Ball fonde avec le Roumain 
Samuel Rosenstock, alias Tristan Tzara, le mouvement Dada, ce n'est pas un hasard. \foltaire ? C'est la 
satire des prejuges et le pourfendeur des autorites. Le cabaret ? C'est la fantaisie et le plaisir. \fous y 
ajoutez une pointe de mauvais gout et un zeste d'irrespect, et vous obtenez la recette de ce mouvement 
iconoclaste apparu, en plus, en pleine guerre mondiale ! Encore un signe qui montre que l'equipe 
fondatrice, dont le Roumain Janco et TAlsacien Hans Arp, entrait bien en resistance contre les rnodeles 
culturels, sociaux et surtout politiques de l'epoque. Pourquoi ce nom Dada ? La legende veut qu'en 
ouvrant un Larousse au hasard, le premier mot tombe sous les yeux de Tzara rut « Dada ». Tzara va 
prendre en main le groupe et sera rejoint par Picabia, Duchainp. Man Ray, Soupault. Eluard ou Aragon. 
Ce qui m'interesse dans la demarche de Dada, e'est Tarrne de base utilisee pour ftistiger tout ce qui etait 
alors fustigeable : les mots. 

Dada est une des premieres « confreries. » a avoir saisi V importance du sacro-saint langage venere 
jusqu'alors, pour denoncer enfin l'hypocrisie. On se servait en effet deja des mots en 1914 (la premiere 
guerre psychologique ?) pour bourrer les cranes, denoncer le pacifisme, les mauvais Francais et exhorter 
au patriotisme. Andre Breton, membre du groupe qu"il quitta violemment en 1922, avait bien cornpris 
comment retourner ces mots « qui si on les caresse deviennent vicieux, mais qui deviennent Dada si on 
les desosse ». Ses amis egalement ; « Dada aime sonner aux portes, frotter les allumettes pour eiu'lamiTier 
les cheveux et les barbes. 11 met de la moutarde dans les ciboires, de ! 'urine dans les beni tiers et de la 
margarine dans les tubes de couleurs des peintres » (Ribemont-Dessaignes). 

En 1916. on le retrouve dans le Manifeste de M. Atitipyrine oil Tzara ecrit : « Dada reste dans le 
cadre europeen des faiblesses, e'est tout de meme de la merde, mais noas voulons dorenavant chier en 
couleurs diverses, pour orner le jardin zoologique de l'art de tous les drapeaux.de consulats. » 

Le langage done, qui pour arriver a ses fins assassines se retrouve malaxe et torture par Duchamp : 
« Le systeme metrite par un temps blennorageux », par Picabia, imprevisible et amateur de fernmes : « Le 
seul uniforme supportable est celui du bain de vapeur » ; « beaucoup d'hommes portent a leur boutonniere 
le souvenir des aventures arnoureuses de leur femme » ; « Dieu a invente le concubinage, Satan Ie 
mariage », ou encore par Michel Leiris : « Qui baise son fric baisse son froc. » Lequel Michel Leiris, 
faisant fi de toutes les conventions de lexicologie, imaginera un nouveau dictionnaire, le Gfossaire j V 
serve mes gloves, ou Ton retrouvera la patrie transformee en « tripe aux latrines » et le catholicisme en 
« isthme de la colique ». 

Mais il n*y a pas que le langage chez Dada, il y a Fimage. Duchamp frappera fort en 1919, en 
rajoutant des moustaches a La Joconde et en la legendant avec ces initiales enigmatiques : 
« LH.O.O.Q. » Le message est clair : ridiculiser ceux qui s^extasient devant un simple sourire... En 
particulier les critiques d'artde Tepoque. 




L'arrivee du surrealisme sonnera la fin de Dada apres de sombres bagarres entre Breton et Tzara, 
mais il est indeniable que ce mouvement jubilatoire et courageux aura ete le precurseur d'une nouvelle 
ere tres rejouissante. 



Dard, Frederic (1921-2000) 

Le petit Frederic Dard ne a Jallieu en Isere Le 29 juin 1921 part un beau jour a Lyon, avec ses devoirs 
de vacances sous le bras, voir Fecrivain Marcel Gaudry, qui lui dit : « Petit, tu as la gueule a ecrire. » Le 
galopin ne se le fait pas dire deux fois et, au hasard de la consultation d'un atlas des Etats-Unis, trouve 
son nom de plume : San-Antonio. 

Apres une premiere aventure pubere en 1 949, Reglez-lui son compte ! qui est un fiasco, il trouve tres 
vite sa voie aux editions Fleuve noir oil il va publier une moyenne de cinq volumes par an. San-Antonio 
devient riche et celebre. On lui consacre des theses et des seminaires, ce qui ne rempeche pas d'avoir 
des coups de blues, puisqu'il tente de se supprimer en 1965. 

Cet obsede textuel aimait les belles voitures et le velo. A Anquetil qui s'excusait de ne l'avoir jamais 
111 il retorquait : « Mais je suis precisement la lecture des gens qui n'ont pas le temps de lire. » Et a ceux 
qui lui trouvaient du genie : « Du genie, moi ? Mais a cote du cri de Celine, je ne pousse que des plaintes 
de chiot qui a envie de pisser ! » 

Lorsque j'ai demande a mon ami Eric Bouhier, medecin de son etat, fan et grand specialiste de San- 
Antonio, de m' ecrire quelques mots sur son idole, voici ce que j'ai recu : 

« Que tous les tenebreux, les attristes, les accables, les bilieux, les acariatres, les rembrunis, les 
saturniens, les funebres, les sinistres, les facheux, les desolants, les contristes, les neurastheniques, les 
attristants, les piteux, les eplores, les iunestes, les grisatres, les sourcilleux, les preoccupes, les 
taciturnes, les atrabilaires, les anemies, les deprimes, les desabuses, les cafardeux, les afFectes, les 
penibles, les inamasables, les tragiques, les ennuyeux, les navrants, les regrettables, les lugubres, les 
eteignoirs, les cafardeux. mais aussi les bonnets de nuit, les figures de carerne, les pisse-vinaigre, les 
tristes a pleurer, les rabat-joie, les trouble-iete, les porte-poisse, les gluants du bulbe, les coinces du 
zygornatique, les bonjour-tristesse, les assombris de la coiffe, les affaisses des meninges, les empeches 
de la poilade, les austeres qui se marrent pas, sans compter les ceux et ceusses qui broient du noir, qui 
font la tronche, qui se prennent la cerise et qui molotent du badoufle changent de chapitre ! Avec San- 
Antonio, Antonio le Grand. Santandetonneau, TAntoine, Tonio la-main-preste, TApollonde la Rousse, le 
Comrnideux de mes deux saires, le Commissouille de mes deux caires, le tombeur de Saint-Cloud, le 
casse-plumard, le beau gosse qui transforme les tetes des femmes en girouette et leur partie inferieure en 
lanpe a souder, bref Sana pour les membres de sa garde pretorienne, et Frederic Dard pour le bulletin de 



naissance, on touche au grand, au sublime, au convulsif, au contagieux, on ne lit plus, on part en fete avec 
175 romans, des milliers de pages et un prodigieux hymne a la derision, au rire, a la jole de vivre et a la 
connerie humaine, tous confondus. » 

Et voila comment on entre en San- Antonio ! Pret a tout lire, pret a tout rire, meme si l'humour cache 
mal, parfois, la desesperance du bonhornme, tiraille entre son amour de r autre et sa grande rnefiance 
envers rhumanite. II y a beaucoup de San- Antonio dans les Coluche, les Desproges, les Bedos, tous ces 
grands ecorches de la vie chez lesquels r humour, noir ou non, est une forme elegante et desesperee de 
dire non. 

« N'ayant pas d'autre choix que de divertir, mon mal de vivre, il a fallu, bon gre, mal gre, que je 
Fexprime d'une fa9ondivertissante. » 




Notre romancier de gare, notre ecrivain de la main gauche, dixit Cocteau (elle etait paralysee depuis 
sa naissance !), notre mijoteur de bons mots (« Je suis un petit bistrot a prix fixe, un petit routier oil le plat 
du jour est bien mitonne ») est a I'etroit dans la langue academique. II l'aime pourtant, cette langue qui a 
nourri ses lectures d'enfant, et il lui consacrera des dizaines de romans, pieces ou adaptations theatrales, 
radiophoniques. cinematographiques et rnerne des livres pour enfants. Mais Tinsatisfait, le rebelle, 
riasoumis, l'anarchiste guettent, d'oii le bon mot de Richoz : « San-Antonio, c'est Rabelais et Celine qui 
se telephoneraient en duplex dans une fete foraine. » 

« Ma regie est la suivante : a partir du moment oil j'ecris un Stm-.4jUoiuo, je ne dois rien negliger, 
meme le pire, pour faire rire. Je bombarde, je pilonne coute que coiite. ^a tombe dans les pires 
calembours, les pires a-peu-pres, les pires contrepeteries, 9a fait du rase-mottes. » Ainsi parlait Frederic 
Dard, mort le 6 juin 2000 a soixante-dix-neuf ans d'une hypertrophie cardiaque. Un gros cceur, trop 
d'amour ? Fin elegante pour un ecrivain dont les millions de lecteurs, eux, se sont dilate la rate pendant 
un demi-siecle. Encore que San-Antonio n'aurait sans doute pas rejete r humour approxirnatif : « Entre 
deux mots, il faut choisir le pire », et aurait pu aussi dire : « Entre deux maux, il faut choisir le rire. » 



Deambulation 

\feus vous demandez pourquoi une telle entree dans ce livre ? Eh bien, je vais vous le dire, comme 
disait Fun de nos anciens presidents de la Republique. 

« Deani^uler », du latin de, et ambulare : « aller et venir », signifie, si j'en crois Le Robert, marcher 
sans but precis selon sa fantaisie, et c'est ce que je vous propose maintenant, au gre de mes coups de 
cceur. que je souhaiterais vous faire partager. 

Comme un certain nombre de contraintes, dont Fimperatif du nombre de pages, m'obligent dans ce 
livre a faire des choix cornel iens en distinguant des humoristes plutot que d'autres, j'airnerais quand 
meme ici evoquer brievement des hommes et des femmes d'humour, vivants ou disparus, pour lesquels 



j'ai de la sympathie ou de F admiration. Ni chronologie ni ordre de preseance dans cette flanerie enjouee 
et badine, a la rencontre de gens de bonne « humeur ». 

Pourquoi ne pas commencer par exemple par Poiret et Serrault, qui toutes generations confondues 
nous donnent Fimpression de faire partie de la famille, ne serait-ce que pour rincontournable Cage mix 
folles, qui etait non seulement un irresistible moment comique, mais aussi une belle lecon de tolerance, en 
exorcisant avec intelligence el legerete la cause homosexuelle. 

Jean Poiret, qui s"appelait en realite Poire, est mort en 1992 a soixante-six arts. Avec ou sans son 
complice Michel Serrault, il etait dans les annees 1950-1960 de tous les nanars, avant de devenir un 
grand acteur sous les traits de rinspecteur Lavardin du Paulet cut vinaigre de Chabrol en 1985. Lorsqu'il 
etait avec son complice, ils avaient un numero tres au point. Poiret assumait le role du clown blanc, un 
peu cerebral, et Serrault lui, etait plus a Paise dans celui de Fauguste. II deviendra lui aussi un acteur 
Ires recherche apres sa prestation emouvante dans Garde a vue de Claude Miller en 1981. Deux hommes 
complementaires mais diflerents, et deux carrieres exceptionnelles, sous le signe du tact et de la finesse. 

Rien a voir, quoique... avec Fabricc Luchini. ce fils naturel de Celine et de Louis Jouvet, frere de 
Desproges, cet ancien garcon coifFeur ne m'a jamais decu, meme si parfois ses points de vue presque 
reactionnaires peuvent irriter. 

Nous avions un ami commun. Philippe Muray, disparu en 2006, dont je suis heureux de saluer la 
mernoire. II avait invente une figure emblematique Y Homo festivus. Comme le dit Fecrivain Francois 
Tallandier, il etait, lui, le fils naturel de Guy Debord et d'Internet. C'etait un homme qui ne prenait rien au 
serieuxetse moquait ducatechisme ambiant, avec une ironie jubilatoire etune verve intarissable. Luchini 
et Muray ne se sont helas jamais rencontres, mais trois ans apres sa mort Fabrice decouvre l'ceuvre de 
celui qu'il appelait : « Uernpecheur de penser en rond, et le seul veritable ennemi des dirigeants 
politiques de droite comme de gauche. » 

En rnars 2010, convaincu par Anne, la veuve de Philippe Muray, Fabrice s'installe au theatre de 
l"Atelier a Paris et en 2012 au theatre Antoine, ou it va lire a guichets fermes, pendant plusieurs 
semaines, une selection de ses textes. Un Luchini plus « luchinesque » que jamais, qui s'attarde sur les 
mots et les expressions, en jouissant de la musique qu'ils produisent. II se delecte d'autant plus qu'on le 
sent tres complice de Muray, qui tape plus a gauche qu"a droite, ce qui n'est pas pour lui deplaire. Peu 
importe, ce qui les reunit, c'est d'abord un immense talent et un humour devastateur. 

Luchini, le surdoue qui a fait sienne la formule de Charles Peguy : « II y a quelque chose de pire que 
d'avoir une mauvaise pensee. C'est d'avoir une pensee toutc faite », n'a pas fini de nous etonner. 

J'ai tout a coup en mernoire, en pensant a Luchini, un etonnant bonliomme qu'il m" arrive encore de 
croiser dans les rues de Paris. C'est Jean-Paul Farre. Ce nom ne vous dit peut-etre rien, et ce n'est pas 
surprenant, car rhomme, pas si vieux, ne en 1948, ne s'est jamais mis en avant. Je ne Tai vu et entendu 
qu'une fois en 1975, dans un spectacle qui m'a marque, lmaginez un comedien coirTe a la Beethoven, en 
queue-de-pie, en train de preparer des ceufs au plat, tout en jouant merveilleusement du piano. Un 
spectacle aussi sublime que derisoire. Je crois savoir que, depuis, Jean-Paul Farre a fait une belle 
carriere : spectacles, concerts. Grand Prix de 1' humour noir et inventeur du « bugdule ». un instrument de 
musique revoluuonnaire constitue d'un tuyau d'arrosage et d'un entonnoir. II est aussi capable de dresser 
son piano au fbuet qui, telecommande, lui obeit ! II voyage beaucoup et dit a ce propos : <c J'ai vu rnonts 
et merguez. » II ne faut pas rater Farre, rnais il ne faut pas seulement aller Pentendre, il faut surtout le 
voir. 

Et Pierre Daninos, vous vous en souvenez ? Mais si, le pere du major Marmaduke Thompson, qui en 
1954 nous gratifia de ses fameux Cornets. Un succes sans precedent a Pepoque, mais qui, avec le temps, 
peut paraitre poussiereux et ringard. C'etait un humour gentillet. Daninos avait eu la bonne idee 
d'imaginer un Anglais jugeant les mceurs et coutumes de la societe, en insistant sur le decalage entre la 
France et PAngleterre. II n'etait pas le premier, car avant lui Montesquieu avait campe deux voyageurs. 



Usbek et Rica, ecrivant des lettres a Ieurs amis persans pour leur raconter les traditions francaises. 
Daninos utilisa le meme procede que lui, en laissant croire qu'il n' etait que Ie traducteur. Tres inspire par 
Art Buchwald, George Mikes ou James Thurber,, Daninos a un autre merite, celui d'etre run des premiers 
a initier Ie public francais a V humour britfsh. II est mort en 2005 a quatre-vingt-douze ans. 

Dans un tout autre registre, je pense a Bernard Haller, cet hujnoriste Suisse qui voulait etre 
veterinaire et qui, apres etre monte a Paris en 1955, se tourna vers la comedie : « J'ai ete chauve tres tot 
et ca m'a empeche d'etre un jeune premier. Je me suis refiigie dans le cabaret. » Avec ses longs favoris, 
il egrenait ses sketches sur les scenes francophones en se decrivant comme un temoin de son temps. II 
etait a la fois poete et surrealiste. J'ai en memoire de grands moments de franche hilarite passes en sa 
compagnie, a une epoque ouje ne ratais jamais ses representations, que ce soit ses alliterations : Coco le 
concasseur de cacao ou son interminable Sonate au clair de lune ou on le voit compter discretement les 
spectateurs, y compris « un cul-de-jatte qui a du payer demi-tarif ». Mais le rneilleur, c'est son Sermon 
oil en chaire, il harangue ses ouailles avec deux annuaires du telephone en guise de Bible. Un grand 
numero de mime, de grimaces, et un texte excessivement fin. II avail voulu que Ton annonce son deces 
ainsi : « Mort d'Haller : merde alors ! » Son souhait fut exauce Ie 24 avril 2009. II avait soixante-seize 
ans. 

Thierry Lc Luron avait un sacre talent. Son personnage d'Adolf Benito Glandu, concierge rue de 
Bievre, qu'il definissait comme « petainiste sous Vichy, gaulliste sous le General et socialiste du 10 au 
11 mai », etait immust, Dommage qu'il soit parti si jeune a l'age de trente-quatre ans, car il faudrait 
evidemment de nos jours continuer a compter avec lui. II a ete un pionnier en renouvelant le genre 
chansonnier en perte de vitesse, en ringardisant les imitateurs qui l'avaient precede et qui trainaient un 
repertoire vieillot. Sa meilleure imitation est celle qui l'a fait connaitre au plus grand nombre. la voix si 
caracteristique du Premier ministre d'alors, Jacques Chaban-Delmas. 

J'aimerais connaitre Willem, ce dessinateur de presse qui me rejouit tous les jours dans Liberation. 
Je ne sais pas grand-chose sur lui, si ce n'est qu'il est neerlandais, de son vrai nom Bernhard Willem 
Holtrop, qu'il est en France depuas 1967, qu'il a commis des livres et qu'il sevit dans nombre de 
journaux dont Charlie Hebdo apres Hara-Kiri, C'est un graphiste qui sait admirablement bien passer au 
crible les chaos de l'humanite : politiques. guerres, genocides, extremismes ou religions. II se dit 
provocateur mais pas cruel, et quand on lui reproche la durete de certains dessins il repond : « Je ne crois 
pas etre plus cruel qu'une boucherie. » II a quand meme I' humour feroce mais il est sauve par Tacuite de 
son regard. 

Philippe Geluck : tout le monde connait son Cliat. Geluck etait d'abord comedien au Theatre national 
de Belgique, avant de devenir le pere de son celebre matou dont la caracteristique majeure est d' avoir un 
ego surdimensionne, un avis sur tout et une logique un peu tordue, lorsqu'il invente par exemple une 
montre a deux cadrans : « Le premier nous donne I'heure qu'il est, le deuxieme nous dit quelle heure il 
sera dans une heure. » Le chat pense « qu'etre pauvre coute moins cher qu'etre riche, et e'est pour 9a 
qu'il y en a moins ; d'ailleurs les gens cherchent toujours ce qu'il y a de plus economique ». II propose 
aussi une methode originale pour resoudre la crise : « II suffit de se plonger dans un bain d'eau glacee... 
et ca fait remonter les bourses. » Et quand Geluck parle a la place de son chat, on decouvre sa propre 
logique tout aussi implacable : « Plusje sais ce que je veux, moins je veuxce que je sais. » 

Parrni mes autres coups de cceur, je pense a Leo Campion qui n'est pas un perdreau de l'annee 
(1905-1992) mais qui a laisse des bons mots, des vers malicieuxetdes ouvrages auxtitres evocateurs, en 
commencant par ses memoires, J'ai reussi ma vie, deconnage narcissique (1985), ou-4 toutes fins 
inutiles (1946). Rien ne destinait pourtant cet anarchiste et franc-macon a devenir un homme aussi drole, 
aux cotes de ses amis Dae, Vian et Michel Simon, avec lesquels il avait fonde la Confrerie des chevaliers 
du Taste-fesses en 1959 dont Simon etait rarnbassadeur en Helvetic Campion dirigeait aussi la revue Le 
Cul. Tout un programme. Je lui dois de lui avoir emprunte l'idee des cartes de visile farfelues, Iorsque 



j'ai decouvert la sienne qui stipulait qiril etait autorise a payer « place entiere dans tous les moyens de 
transport du territoire francais, chemins de fer SNCF, chemins de fer metropolitains et autobus existants 
et a venir ». Merci aussi a Leo Campion pour quelques definitions dont je ne me Iasse pas : 

— « Baisemain : il faut un commencement a tout. » 

— « Zebu : animal qui zezaye quand il revient de Pabreuvoir. » 

— « Sodomiser : elargir le cercle de ses amis. » 

— « Enfant : fruit qu'on fit. » 
Et pour cette jolie pirouette : 
« De quoi est-il mort ? 

— II ne l'a pas dit. » 

Dans la meme veine, j'aimerais dire deux mots sur Ferdinand Lop (1891-1974) que je me souviens 
avoir croise regulierement dans le Quartier latin avec ses grosses lunettes d'ecaille et son grand chapeau. 
Cet ancien journaliste et caricaturiste, auteur dMnnombrables poemes, etait surtout connu pour ses 
eternelles candidatures fantaisistes et bidons a Telection presidentielle. Ce « licencie es canulars » 
preconisait F installation d'une ligne Maginot dans les Alpes, la construction d'un toboggan dans la cour 
de la Sorbonne et d'un pont de trois cents metres de large sur la Seine pour y abriter les clochards, 
1'interdiction de La vente de bidets et la coupure d'eau apres 21 heures pour encourager la natalite. Quant 
au fameux prolongement du boulevard Saint-Michel jusqu'a la mer, attribue souvent a d'aulres farfelus, 
c'est bien lui qui en eut l'idee. Ses meetings rassemblaient des partisans fanatiques dont Charles Trenet, 
mais il avait aussi ses detracteurs, les « anti-Lop » evidemment ! 

lis sont nes en 1923. Tun d'eux nous a quittes en 2010, et Francis Blanche leur repetait : « L'un de 
vous deux est formidable ! » Roger Pierre, ne le 30 aout, etait le plus jeune et il est parti le premier. 
Jean-Marc Thibault est lui beaucoup plus age, il est ne le 24 aout ! Ces deux lascars m'ont beaucoup 
amuse pendant mon adolescence au meme titre que Dairy Cowl, Pierre Repp ou Fernand Raynaud, a cette 
epoque benie ou, comme je Tevoque souvent dans ce livre, j'empruntais le meilleur de Ieurs registres 
pour seduire mes premieres amourettes. Lew Guerre de Secession etait pour moi un de leurs meilleurs 
moments, cette guerre « qui a cesse, c'est sur, n 1 empeche que si les sudistes avaient ete plus nombreux on 
auj'ait bel et bien pris la patee ». Je sais, et je m'adresse a vous chers lecteurs jeunes et fringants, avides 
d'humour frais, que ces evocations peuvent vous paraitre desuetes, mais croyez-moi, leurs « cours 
d'histoire de France » vous auraient seduits au meme titre que le « canard toujours vivant » de Robert 
Lamourcux. Est-ce que Thuinour tel que je le ressentais et Tappreciais a cette fameuse epoque de ma vie 
est si eloigne de celui qui enthousiasme les jeunes generations d'aujourd'hui ? J'aurais tendance a 
repondre qu'il n'est pas si different, si j'en crois les amis que j'evoque dans ce livre a l'article 
« Humoristes associes ». Je ne pense pas que je partagerais leurs itineraires en les celebrant ou en les 
edilant s'ils ne me faisaient pas vibrer avec le meme enthousiasme que ceux croises durant mon 
adolescence. Uoccasion pour moi d'evoquer dans cette « deambulation » de nouvelles generations 
d'amuseurs qui meritent d^etre cites : Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Arnaud Tsamere, Elie Semoun ou 
Omar et Fred, comme d'autres rnoins jeunes, mais aussi talentueux : Sylvie Joly, Muriel Robin, Pierre 
Palmade, Didier Benureau, Jerome Comrnandeur, Marc Jolivet, Shirley et Dino, Patrick Timsit ou Les 
Inconnus. 

Je les inclus volontiers dans ce Dictionnaire amoweiix car je les « aime » a des degres divers, mais 
j'estime que leur actualite qui les propulse regulierement sous les feux de la rampe suffit a les faire 
connaitre et apprecier par le plus grand nombre. 



Delbourg, Patrice 



Si vous ne connaissez pas la face cachee de mon ami Patrice Delbourg, c'est le moment de decouvrir 
ce fou... de mots, derriere sa male assurance de calembourgeois gentilhomme. \6us ne serez sans doule 
pas decus par celui qui « pense que les sentiers ne devraient pas etre baltus. qu'il y a deux choses inutiles 
dans I'existence : la prostate et I'idee du bonheur, que les femmes Iaides onl leur utilite comrne 
rhomeopathie et que, si les hommes font moins de conneries en fevrier, c'est parce qu'ils n"ont que 29 
jours a leur disposition ». 

Alors, qui est vraiment ce chaleureux misanthrope ? Ce brillant poete, romancier, chroniqueur, et qui 
flit journal iste auxNouvefles litteraires, a L'Everwment du feudi, est toujours le fidele complice de 
remission « Des Papous dans la tete » sur France Culture. II est Tauteur d'une cinquantaine d'ouvrages, 
essais, critiques, poemes, et d'une bonne quinzaine de romans ou Ton deguste comme du caviar ses 
phrases ciselees. Rien n'est plus excitant et douloureux que de se plonger dans un ouvrage de Delbourg, 
car il faut toujours choisir entre le fond et la forme. Et lorsque Ton se laisse entrainer par la forme, c'est 
au detriment d'une histoire farfelue, mais unique en son genre. Pour cet hypocondriaque notoire, un seul 
espoir de guerison : les mots, qui seuls peuvent soigner ces maux, fideles compagnons des bons et surtout 
des... mauvais jours. L'homme n'est jamais aussi a Paise que lorsquil parle des autres et de ses 
« jongleurs de mots » qu'il raconte dans une belle anthologie publiee en 2008 : six cents pages brillantes, 
ou Ton decouvre sa culture infinie pour nous presenter et nous faire aimer deux cents jongleurs « a titre 
posthume », de Villon a Devos, avec une mention particuliere pour ceux qu'il appelle les grands 
pionniers, ses idoles et maTtres : Allais, Roussel, Cami, Queneau, Tardieu, Perec et tantd'autres. 




Delbourg le poete, couronne par les prix Max Jacob et Guillaurne Apollinaire, mais c'est aussi un 
farceur de grand talent. II faut lire ses modeles de critiques Litteraires assassines, ou ses lettres de refus a 
un certain M. Petitrobert qui lui aurait parait-il envoye un manuscrit de 2 1 72 pages ! Et si vous souffrez 
d'hepatite B, vous ne pouvez qu'etre d'accord avec ce prince du calernbour : « II faut que jaunisse se 
passe » pour pouvoir ensuite faire « une super fete a Thouars... » 

Enfin, si vous voulez comprendre le pourquoi du comment de ce style superbe, mais indicible, je 
vous propose cet extrait du long autoportrait qu'il avait redige en 2003 et qui figure dans le Dictionnaire 
des ecrivains de langue fran^aise par eux-memes, imagine par Jerome Garcin : 

« On le rencontre souvent dans les gradins des stades de football, dans les coulisses du music-hall- 
dans les cabines de peep show, en train de prendre le pouls du neant sur les boulevards de la deglingue. 
II affectionne les derives insecurisantes et ses ennuis d'argent sont constants. Une pharmacie ambulante a 
base de neuroleptiques et antidepresseurs ne quitte jamais ses poches interieures. II travaille dans un 
journal. II parle dans un micro. II a peur en avion. II bande, rassurante mecanique. II bouffe, comme c'est 
etrange. II va au casino. II aime les iles, la creme de marron vanillee, la fellation lente, les mauvais 



calembours, Ies journaux du soir et les jeux radiophoniques. On ne lui connait guere de passion, tout au 
plus des marottes. Le puzzle d'une vie en miettes a ramasser. C'est moche. C'est banal. C'est insane. II Ie 
veut, c'est ainsi. [...] II dort du cote droit, a cause du cceur. Passe de longues heures prostre, a 
contempler les veines de ses mains. AHez savoir. II habite une contree journaliere nommee rapathie. D 
n'ecrit plus qu'accule. Grand bluff de la vie pipee. Les regrets de Penfance sont entres lenteinent par ses 
yeux et lui ont vide l'interieur de la tete. II cotoie l'age de Thebetude. Prendra-t-il un jour le temps de 
raconter une vraie histoire ? La sienne et toutes les autres. II reve souvent a ce Iivre leger et irrespirable, 
qui serait a la limite de tout et ne s'adresserait a personne. » 
Sauf a nous, je Tespere. 



Desnos, Robert (1900-1945) 

Ce poete plein d'humour aura malgre sa courte existence beaucoup marque les milieux litteraires de 
son epoque, dont les surrealistes qu'il rejoindra en 1922. Yeux cernes, turbulent, petites jambes fluettes, 
meche rebelle, ce gamin de Paris, fils d'un volailler des Halles, laissera le souvenir d'un « eleve 
effroyable » au lycee Turgot. A quatorze ans, il quitte sa famille et ses etudes, la poesie deja chevillee au 
corps, tout en gagnant sa vie comme commis chez un droguiste, et se decouvre un don extraordinaire qui 
fascine Aragon. Breton et Radiguet, croises au Certa, un bar du passage de 1'Opera. II est capable de 
s'endorrnir n'importe ou et se revele un « voyant » etonnant. Des qu'il est en position horizontale, il se 
livre a des derives iinaginaires en rebus ou en vers, il produit un flot de paroles intarissable ou les mots 
s'interpellent par affinites sonores. Pour ses amis surrealistes c'est clair, il « parle surrealiste a 
volonte ». Ainsi, il participe aux fameuses experiences de sommeil hypnotique du groupe, en reprenant le 
personnage cree par Duchamp, RRose Selavy, et invente dans son sommeil des contrepeteries 
approxirnatives du genre : <c Suivrez-vous RRose Selavy au pays des nombres decimaux oil il y a 
decombres ni maux ? », ou : « La loi de nos desirs sont des des sans loisir ». II martele des mots, il 
improvise, il epuise toutes les virtualites de la synlaxe, et, comme le dil Patrice Delbourg : « On peut se 
demander si, sans lui, Prevert eut un jotir existe. Lire Desnos, c'est s'assurer un bain de jouvence a 
perpetuite. » 

II rompt avec les surrealistes Iorsque Breton insiste pour Tentrainer vers le cornmunisme et devient 
redacteur publicitaire. Les fameuses pubs « Marie-Rose, la mort parfurnee des poux », c'est lui, comrne 
« le vermifuge Lime », « la Boldoflorine » et « la Quintonine ». 

Sa courte vie flit un tourbillon. Non content de publier ses poemes, il devient journaliste et tombe 
follernent amoureux de la chanteuse de music-hall Yvonne George. II se remettra mal de sa mort 
prematuree a trente-quatre ans. 

En 1930, il s'installe avec Youki, la femme du peintre Foujita. II devient critique de cinema, un 
cinema naissant qui Tenthousiasme : Keaton, Sennett, Langdon. Chaplin... que des rigolos, et ses 
fonnules font mouche : « Le cinema n'est pas muet. rnais le spectateur sourd. » II arrete d'ecrire sur le 
cinema Iorsque celui-ci devient parlant. 

Sa poesie est une espece de jeu de mots perpetuel : il telescope, il desosse la syntaxe. II est fascine 
par les jeux de langage et, evidemment, se passionne pour recriture sous contrainte, meme si, apres la 
brouille avec les surrealistes, son ancien ami Louis Aragon n'hesite pas a le traiter de « cafouilleur pour 
notaires de province » et de « mouche a merde ». Ce a quoi Desnos aurait pu lui attribuer une de ses 
fameuses saillies : 

« Maudit 

soit le pere de I 'epouse 



du forgeron qui forged le fer de la cognee 

avec laquelle le bucheron ahattit le chene 

dans lequel on sculpta le lit 

oil fut engendre I 'arriere-grand-pere 

de I homme qui conduisit la voiture 

dans laquelle fa mere 

rencontra ion pere ! » 

Desnos elait un grand amateur de musique de jazz et de salsa, decouverte lors d*un voyage a Cuba en 
1928. II aimait aussi Satie et Offenbach, puisque, comme pour la poesie, la musique « doit parler a tous ». 
En 1933 il cree a Radio-Paris « La complainte de Fantomas », un personnage qui le fascine depuis son 
enfance, et imagine une serie de vingt-cinq sketches evoquant les meilleurs episodes du roman de 
Souvestre et Allain. Immense succes. 

Mobilise en 1939, Desnos fait la « drole de guerre », ne se Iaisse pas abattre par la defaite de 1940 
et participe a la Iutte clandestine contre le nazisme en ecrivant pour Aujourd 'hut, le journal d'Henri 
Jeansort En 1 944, il est recherche et arrete par les Allemands, transfere a Auschwitz, a Buchenwald et au 
camp de Theresienstadt en Tchecoslovaquie, oil son moral et son courage exemplaires frappent ceux qui 
Font croise. Moribond et squelettique, il continuait a soutenir ses compagnons dMnfortune en affirmant : 
« La belle saison est toujours proche. » Libere, agonisant, il meurt du typhus le 8 juin 1945, un mois apres 
I* armistice. 



Desproges, Pierre (1939-1988) 

Que faire en attendant la mort ? Essayer de dire du bien de cet etre ignoble, capable de rire de tout, 
peut-etre pas avec tout le monde sans doute, mais quand meme ! 

Les j it if s ? 

— « On ne m'otera pas de Tidee que pendant la derniere guerre mondiale de nombreax juifs ont eu 
une attitude carrement hostile a regard du regime nazi. n est vrai que les Allemands, de leur cote, 
cachaient mal une certaine antipathie a regard des juifs. » 

Dalida ? 

— « Le jour de la mort de Coluche j *ai eu beaucoup de peine. Alors que, allez savoir pourquoi, le 
jour de La mort de Dalida, j'ai repris deux fois des nouilles. » 

Dieu ? 

— « Je trouvais que le fils surtout avait mauvais genre. Je ne pense pas etre begueule, mais ce cote 
nras-tu-vu sur ma jolie croix, dans mes nouveaux Pampers, j'ai toujours pense que cela avait desservi le 
prestige de l'Eglise. » 

Hitler ? 

— « Hitler me fait rire parfois, mais je ne 1'aime pas. Comme peintre, il etaitnul. » 

Lefoot ? 



— « Je vous hais, footballeurs. \fous ne nVavez fait vibrer qu'une fois : le jour oiij^ai appris que 
vous aviez attrape la chiasse mexicaine en su^ant des frites azteques. » 

Les coiffeurs ? 

— « De tout mon cceur, de toute mon ame, de toutes mes forces J e hais les coiffeurs. Comme le pou, 
le coiffeur est un parasite du cheveu. Non, mais vous les avez vus, les coiffeurs faubourg Saint-Honore, 
ou sur les Champs-Elysees, qui s'habillent en cosrnonautes pour couper les cheveux des gens. 9a va pas 
non ? C'est aussi con que d'aller sur la Lune avec un peigne derriere Toreille. » 

Les Espagnols ? 

— « Les Espagnols sont un peuple fier et ombrageux, avec un tout petit cul pour eviter les coups de 
cornes. » 

Les Beiges ? 

— « L'histoire de la Belgique est aussi insipide qu'une pensee de Bernard Hinault. » 

Les Israeliens ? 

— « La seule distraction des Israeliens. c'est The Lamentation Wall, une boite en plein air ou on 
peut twister contre un mur en lisant un true genre Coran dont le nom m'echappe a rheure ou j'ecris ces 
lignes, si tant est qu'on puisse appeler cela ecrire. » 

Les mili I aires ? 

— « II ne faut pas desesperer des imbeciles, avec un peu d'entrainernent on peut en faire des 
militaires. » 

Yves Montana 1 ? 

— « Stalinien pour pas un rond pendant vingt-cinq ans. » 

Le show biz ? 

— « Ten ai vu, dans le show biz, ramper de si peu dignes et si peu respectables qu'ils laissaient dans 
leur sillage des rires de complaisance aussi visqueux que les mucosites brillantes qu'on inpute aux 
li maces. » 

Extreme droite ? 

— « II faut lire Minute, e'est un journal avantageux ! Au lieu de vous emmerder a lire tout Sartre, 
avec un seul nuniero de Minute, vous avez en meme temps La Nausee et Les Mains sales ! » 

— « Je prefere Tceil d'un chien quand il bat de la queue que la queue de Le Pen quand il bat de 
Fceil. » 

Marguerite Ditras ? 

— « Hiroshima, mon amour. .. Quel etrange cri, disait Marguerite Yourcenar. a propos de ce titre de 
Marguerite Duras. Oui, Marguerite Duras. vous savez, 1'apologiste senile des infanticides ruraux... 
Marguerite Duras, qui n'a pas ecrit que des conneries. Elle en a aussi dime. Mais e'est vrai, quel etrange 



cri : Hiroshima, mon amour. Et pourquoi pas "Auschwitz mon loulou" ? » 

Les communistes ? 

— « C'est a cela qu'on reconnait les communistes : ils sont fous, possedes par le diable, ils mangent 
les enfants et, en plus, ils manquent d'objectivite. » 

Les philosophes ? 

— « Quand un philosophe me repond, je ne comprends plus ma questioa » 

Les femmes ? 

— « Depourvue d'ame, la femme est dans l'incapacite de s'elever vers Dieu. En revanche, elle est en 
general pourvue d'un escabeau qui lui permet de s'elever vers le plafond pour faire les carreaux. C'est 
lout ce qu'on lui demande. » 

J'arrete la cette chronique de sa « haine ordinaire », car en fait Desproges adorait les femmes, mais il 
ne pouvait pas trop en faire etat, pour ne pas nuire a son image de flingueur patente. En catimini, il 
n'hesitait pas a avouer : « Plus je connais les hommes, plus j "aime mon chien. Plus je connais les femmes, 
moins j'aime ma chienne », et il ajoutait : « Les femmes et le bordeaux, je crois que ce sont les deux 
seules raisons de survivre. » 

Ce genre de reaction, c'etait tout Desproges, toujours attentif a reparer les degats qu'il venait de 
commettre, mais qui n'hesitait pas a frapper fort, en esperant toujours que son humour ires second degre 
allait passer. Le problems, c'est que 9a ne passait pas tout le temps. Alors, Qui ou noa peut-on rire de 
tout avec Desproges ? On connait sa reponse. 

Mais qui etait-il vraiment ? Un garcon tout a fait normal, voire ordinaire, ne a Pantin en 1939, qui 
pretend lui-meme s'etre « ennuye » jusqu'en 1966, date a laquelle il tient le courrier du cceur de Bonnes 
soirees sous le nom de Liliane d'Orsay, apres avoir ete vendeur d'assurances vie et de fausses poutres 
d' interieur. On le retrouve au journal L 'Aurore, parce que c'est plus pres de chez lui que L 'Humanite ou 
il s'occupe des breves qui, modifiees a sa sauce, deviennent desopilantes. Grace a Jacques Martin, il 
devient ensuite un agitateur du PAF : « Le Petit Rapporteur » aupres de son complice Daniel Prevost, 
avec lequel il formera un duo destructeur dans Tinterview que leur accordera Fran^oise Sagan et qui 
restera dans les annales. En 1980. c'est Texcellent « Tribunal des flagrants delires » de Claude Villers 
ou il se retrouve procureur. Un role taille pour lui, pour accabler ses semblables en general et Jean-Marie 
Le Pen en particulier. En 1982. un drole de personnage fait son apparition sur FR3, M. Cyclopede, avec 
les sketches de « La Minute necessaire » concoctee avec son complice Jean-Louis Fournier : 

— « Apprenons a faire decoller une Alsacienne. » 

— « Ignifugeons Louis XVI. » 

— « Chassons nos comedons avec tact. » 

— « Essayons de ne pas rire avant la fin d' Hamlet. » 

— « Rendons hommage a Victor Hugo sans bouger les oreilles. » 

— « Apprenons a reconnaitre un bossu d^un dromadaire. » 

— « Rentabilisons intelligemment une Paimpolaise anxieuse. » 

— « Sachons distinguer une gardienne d'immeuble d'un oleoduc (on vous souffle la reponse : le 
pipeline s'appelle Paulette et la pipelette s'appelle Pauline). Etonnant, non? » 

Evidemment, ca ne plait pas a tout le monde. A croire que le pays coupe en deux se retrouvait a 
l'epoque de l'affaire Dreyfus. II y avait les pour, dont votre serviteur qui ne ratait jamais cette « minute » 
memorable, et les conire, dont Simone, une masseuse de cinquante-trois ans qui faisait part de son 
courroux : •« Un soir, j*allume ma tele, et je tornbe sur un certain M. Cyclopede. Cet homme n'a que le 



blaspheme a la bouche. II critique Ies Paimpolaises et le cancer, il fail bouillir un chihuahua (chihuahua 
bouillu, chihuahua foutu - et 9a l'amuse). II ridiculise le Petit Prince et pretend que la Sainte Vterge est 
malpolie. En plus, il porte des jugements vulgaires sur la famille de Monaco. Non mais, qu*est-ce qu'il se 
croit ? Ou s*arretera-t-il ? II a du bien souffrir pour avoir autant de rancceur. Mais est-ce une raison pour 
gacher rargentducontribuable ? Bref, j'ai casse ma tele, etdepuis, je suis heureuse. » 

Pierre Desproges aimait les mots, plus que les gens, et il l'a montre a travers ses livres Vivons 
heureux en attendant la mort, \z Manuel de savoir-vivre a ['usage des rustres et des rnalpolis et ses 
Chronitfues de la haine ordinaire. 




se 



spectacle 



L'homrne aime les phrases alambiquees et les deshabille, comme il le faisait avec les pretentieux et 
les nuisibles qui nous empoisonnent Texistence, mais il aimait aussi Phumoiir gratuit : 

— « Plus cancereux que moi tu meurs. » 

— « Quequette en juia, layette en mars. » 

— « (Ecumenique c'est le printemps. » 

— « C'est en perchant qu'on devient percherorL » 

— « Wagner qui pieure, Laval qui rit. » 

— « Papandreon Mamandreon, crac-crac. » 

— « Noel au scanner, Paques au cimetiere. » 

II ne croyait pas si bien dire. On connait la suite, et ce crabe qu'il s'arnusait a provoquer sans cesse 
le rattrape en 1988. II repetait souvent : « Chimiotherapie, metastases, avenir, chassez Tintrus », comme 
pour chasser le mauvais sort. Avant de s'effacer, il avait entrepris un drole d'almanach que notre ami 
Jean-Louis Fournier a temiine a sa place. C 7 est le meme Jean-Louis qui, fidele panni les fideles, avait 
imagine cette belle lettre posthume : 

« Bonjour, Pierrot, 

On est voisins maintenant, j'habite dans le XX C , pres du Pere-Lachaise. 

Je passe te voir souvent, mais tu n'es jamais la. J'enprofite pour dire bonjour a tes voisins, Chopin et 
le petit Petrucciani qui a une tombe aussi grande qu'un piano a queue. 

Rassure-toi, on ne fa pas oublie, tu as souvent du monde et des fleurs, on ne peut pas t'oublier, il y a 
des phrases de toi qui ne faneront jamais. 

J'entends encore parfois un non-comprenant dire : "II etait mechant votre ami Desproges." Je lui 
explique que tu n'etais pas mechaiit, simplement tu ne faisais pas semblant d' aimer les gens comme 
beaucoup, qui sont friands d'Audimat, le font Toi tu faisais plutot semblant de ne pas les aimer. 
Appelons 9a de la pudeur. 

Tu aimais bien te moquer, tu te moquais de tout, comme un sale gosse. 



C'etait la seule parade que tu avais trouvee pour supporter Pinsupportable. Tu t'indignais aussi, tu 
etais violent avec les salauds, tu trouvais le mot qui tue, pour le chauffeur de taxi qui Iaisse descendre de 
sa voiture, sans l'aider, la vieille dame infirme, ou pour la fleuriste qui vend des fleurs fanees a 
Taveugle. 

Tu ne supportais pas beaucoup de choses, tu savais tres bien, toi aussi, etre insupportable. 

Si tu avais ete un produit, tu aurais ete un produit detergent. 

Ici-bas, depuis ton depart les choses ne se sont pas arrangees, c'est pas tres drole, on n'a plus le 
droit de turner, ni de boire, il va bientot etre interdit de mourir. 

Comme M. Cyclopede, le gouvernement veut detruire le virus de la mort 

Je mesure a quel point tu nous etais necessaire, cher Cyclopede. 

Je n'oublie pas qu'un jour tu as declare que si tu n'avais pas ete heterosexuel, tu m 1 aurais demande 
en manage. 

JePai echappe belle... 

AujouixThui, je serais veuf. 

Salut et a un de ces jours. » 



Devos, Raymond (1922-2006) 

« Quand j'ecris un texte je suis le premier a en rire, je Tavoue. Lors d'un gala je prefere qu'on ne 
m'applaudisse pas. On applaudit souvent par pitie, pour faire plaisir, c'est humiliant. Mais si on rit, alors 
je suis recompense de tout. » Ainsi pari ait Raymond Devos. Clown, mime, saltimbanque, poete 
hurluberlu, ne a Tourcoing en France, mais declare a Mouscron, en Belgique, il n'a jamais su* en fait, 
quelle etait sa veritable nationalite : 

« Je suis ne avec un pied en Belgique et un pied en France, c'est pour cela que je marche les pieds 
ecartes. » Sa vie commenca sous le signe d'un non-sense et ca n'etonnera personne. Pour Raymond que 
j'ai eu la chance de connaitre, un peu tard helas, mais qui me temoigna a la fin de sa vie son amitie, « il y 
a des choses dans la vie qui n'ont pas de sens, disait-il. Tenez ! Moi qui vous parle, j'ai le pied gauche 
qui est jaloux du pied droit alors que quand j'avance le pied droit, le pied gauche qui ne veut pas rester 
derriere en faitautant... et moi... comme un imbecile, je marche. » 

On se souvient de cette legende, vraie ou fausse peu importe : en 1950, un garcon de cafe lui dit 
qu'on ne pouvait pas voir la mer qui etait... « demontee ». « Quand la remontera-t-on ? », demande 
Devos : « C'est une question de temps. » Et voila comment ces repliques lui donnerent matiere a Tun de 
ses plus celebres sketches : « La mer ! Le flux et le reflux me font maree. » 

Sa famille francaise aisee qui vivait en Belgique revient en France apres des revers de fortune. A 
treize ans, il se revele doue pour la musique et pour des instruments aussi divers que la clarinette, le 
piano, la liarpe, la guitare, le concertina, la trompette et rneme la scie musicale. II doit aider sa famille et 
exerce des petits metiers : coursier en triporteur, libraire, cremier aux Halles, oil il apprendra a « mirer » 
les ceufs. 11 se retrouve au STO en Allemagne ou, pour se faire comprendre, il est oblige de mimer. Une 
experience determinante pour lui, qu'il perfectionnera a son retour en France aupres du rnime Marceau. 

II encliaine ensuite au theatre et devient rneme peasionnaire de la troupe Jacques Fabbri. A partir de 
1960, il est une vedette de music-hall inspixee par Tristan Bernard, Allais, Jarry et Boris Vian, avec 
lequel il a travaille, sans oublier ses idoles Chaplin et Tati. 

Ses coups de genie ; faire passer son angoisse existentielle chez ses contemporains, car il est 
depressif, et populariser Fabsurde, un genre incoruiu a l'epoque pour le public fran9ais, tout en prenant 
des mots au pied de la lettre en les mettant sens dessus dessous, grace a son imagination debordante : 




— « Lorsque les gens mangent, ils en profitent pour alimenter la conversalioa » 

— « II a un voisin fleuriste qui est son voisin cF espalier. » 

— « Le temps c'est de 1' argent, et pour gagner du temps, il faut courir vite pour le placer sur un 
compte... courant. » 

— « Une fois rien, c'est lien. Deux fois rien, ce n'est pas beaucoup. Mais trois fois rien ! Pour trois 
fois rien, on peut acheter quelque chose. » 

— « Depuis quelque temps, mon chien m'inquiete... II se prend pour un etre humain, et je n'arrive 
pas a Ten dissuader. Ce n'est pas tellement que je prenne rnon chien pour plus bete qu'il n'est... Mais 
que lui se prenne pour quelqu'un, c'est un peu abusif ! Est-ce que je me prends pour un chien, moi ? 
Quoique... Quoique... Dernierement, il s*est passe une chose troublante qui rrfa mis la puce a 
l'oreille ! » 

Raymond adorait les choses bizarres : 

« II y a des choses bizarres !... D y a des choses inexplicables... des choses qui vous echappent !... 
L* autre jour.au cafe... je commands undemi... j'enbois lamoitie !... II nenrestaitplus ! » 

Son personnage est a lui tout seul un spectacle ambulant avec ses rouflaquettes teintees, ses Iarges 
bretelles qui soutiennent sa sous-ventriere, ses horribles polos acryliques et ses sourcils de sumotori. H 
est en perpetuel equilibre sur son monocycle ou en jonglant avec quelques malheureuses assiettes, mais 
surtout avec les mots en faisant attention de rire avec les autres, et jamais a leurs depens : « Quand on a la 
pretention d'entrainer les gens dans Timaginaire, la moindre des choses est de les ramener. » II nous 
avait dit un jour ou il se sentait vieillir : « La vieillesse, c'est comme le tabac, c'est dangereax. Je 
connais meme des gens qui en sont morts. » Et quand il evoquait sa rnort : « Je reviendrai, mais ne vous 
en faites pas, vous ne paierez pas d'impdts sur le revenu. » 



Dhery, Robert (1921-2004) 

A quatorze ans, il est engage dans un cirque et il entre ensuite au Conservatoire pour en demissionner, 
car il n'a qu'une envie, celle de devenir comique, tendance non-sense. 

Robert Leon Henri Fourrey est ne a La Plaine-Saint-Denis en 1921. Ses deux seules publications. 
assez secondaires d'ailleurs. Ma vie de Branquignol et Maleuil, ne justiflent pas vraiment sa presence 
dans ce dictionnaire. S'il est la, c'est parce qu'il est avant tout le pere des Branquignol s, un spectacle 
burlesque qui va etre un immense succes au theatre La Bruyere en 1948. L'histoire farfelue et debridee 
des fiancailles d*un chatelain, lors d^une grande soiree de gala, qui tourne a la catastrophe, on s'en 
doutait. Dans le plus pur style « hellzapoppinesque ». Le triomphe du sans-queue-ni-tete. 

Avec Colette Brosset, sa compagne et partenaire, ils lanceront quelques tres grands acreurs comiques 



de cette generation : de Funes, Jean Richard, Jacqueline Maillan, Jean Carmet, Poiret et Serrault, entre 
autres. Auparavant, il avait joue dans un certain nombre de films : Remorques (1941), Service de unit 
(1944) et Svtvie et le Faniome (1945) de Claude Autant-Lara. film ou le « spectre » etait incarne par Ie 
grand Jacques Tali. Drole de coincidence, car les deux comperes se retrouveront pour stigmatiser le culte 
des belles voitures dans une France des annees 1950, oil F achat d'une Chrysler dans Mon oncle et de la 
lameuse Belle Ainericaine d'unouvrier, mine par ses frais d'essence, symbolisait la reussite sociale. 

L'originalite de Dhery et de sa desopilante Colette Brosset, c'est d'avoir invente et impose un 
nouveau burlesque teinte d'ironie, avec quelques mots de traviole, fonde sur des gags visuels. Autre 
succes memorable, remission « Dugudu » sur Paris Inter. Outre le concours de gonflage de ballon en une 
seule expiration, on y recoit des heros minables : catcheurs malheureux ou boxeur K.-O. debout. Une 
recompense est promise au resultat le plus desastreux. 

Sa grande force, c'est d'avoir su s'entourer d'une bande de joyeux lurons atypiques. Outre les deja 
cites, il y avait Pauline Carton, Robert Rocca, Pierre Tornade, Francis Blanche, Jacques Legras... autant 
de noms qui evoquent dc bons moments dc gaudriole hexagonale aux plus anciens d'entre nous. On les 
retrouve dans Ah ! les belles bacchantes en 1954, La Plume de ma tante et Tenorme succes de La Belle 
Ainericaine, coecrit par Pierre Tchernia. Dans ce film, il campe vraiment ce qui est son fonds de 
commerce, un Francais moyen debrouillard et laconique, qui vit en harmonie avec ses voisins dans un 
quartier... normal. 

Dhery me faisait beaucoup rire avec son air ahuri, son zozoternent presque naturel, toujours gai, 
jamais agressif, qui faisait merveille avec ses mimiques proches de racteur muet lorsqu'il joue le type 
depasse par les evenements. 

II faisait partie de la lignee de ces grands « bavards mutiques » : Etaix, Achille Zavatta et Tati, bien 
sur. 

Ce muet congenital disparalt sans faire de bruit le 3 decembre 2004 a Paris. II est enterre dans 
l'Yonne. au cimetiere d'Hery. 



Diderot (1713-1784) 




Pendant mes etudes secondares chez les bons peres, Diderot n' etait pas plus en odeur de saintete que 
Voltaire, et sonatheisme afTiche n'arrangeait pas les choses. Aussi, je n'aurais pas connu Diderot pendant 
ma scolarite si rinternat n'etait pas venu a mon secours. Imaginez mon einoi quand un interne plus age rne 
fit lire le soir, forcement en cachette, Les Bijoux indiscrets ! Ce roman croustillant ne pouvait que seduire 
l'adolescent frustre et plein d'imagination que j'etais a cette epoque, oil meme la television, d"ailleurs 



interdite a l'internat, etait tres controlee. Mai 68 n'etait pas encore passe par la et ce ronian drole et 
grivois a la fois fitf pour moi une revelation. Ainsi, on pouvait rire de ces « bijoux indiscrets », jolie 
facon de parler du sexe de la femme. Pour etriller Louis XV, Diderot avait imagine, daas un Orient de 
pacotille. que Ie sultan Mangogul avait recu du genie Cucufa un anneau dont il suffisait de tourner le 
chaton pour que la dame en presence du sultan confesse ses secrets les plus caches sous ses multiples 
jupes. L'homme n'epargne pas non plus la religion, et la « bonne » tenue des couvents est sacrement 
epinglee. Mangogul libere les femmes du serail : « On y entrait aussi Iibrement que dans aucun couvent de 
chanoinesses de Flandres, et on y etait sans doute aussi sage. » Prudemment, Diderot place en effet les 
couvents en Flandres, par crainte de la censure, avant d'attaquer plus tard, ouvertement, dansZw 
Religieuse, les conditions de vie des nonnes, souvent contraintes de prendre le voile par des families trop 
contentes de se debarrasser d'elles et de la dot qu'il aurait fallu verser en cas de manage. Dans Jacques 
le Fatalist e, Diderot, influence par Tecrivain irlandais Sterne, traite avec un humour plein de 
desinvolture les attentes du lecteur traditionnel. Le debut du roman a du en desargonner plus d'un, et ne 
parlons pas des critiques, qui ne comprirent la nouveaute revolutionnaire du procede qu'au bout de deux 
siecles ! « Comment s'etaient-ils rencontres ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient- 
ils ? Que vous importe ? D'oii venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Ou allaient-ils ? Est-ce que Ton 
sait ou Ton va ? Que disaient-ils ? Le maltre ne disait rien et Jacques disait que son capitaine disait que 
tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas etait ecrit la-haut. » Diderot raconte aussi par la bouche 
de Jacques comment ce dernier perdit a trois reprises son pucelage. II fait croire a la troisieme qui eut cet 
avantage qu'il ignore tout des femmes : « C'est un homme qui a un cotillon, une cornette et de gros 
tetons »... Jacques souhaite tromper sa future conquete, car la precedente s'etait vite apercue qu'il n' etait 
pas aussi naff qu'il le laissait entendre. Dame Marguerite le croit et tombe en pamoison. Quand elle 
revient a elle, Jacques la supplie de rinstruire : « Je lui baisais les yeux, et elle me baisait la bouche. 
Cependant il faisait tout a fait nuit. Je lui dis done : "Je vois bien, dame Marguerite, que vous ne rne 
voulezpas assezde bien pour m'apprendre, j'ensuis tout a fait chagria Alloas, levons-nous, retournons- 
nous-en. .." Dame Marguerite se tut, elle reprit une de mes mains* je ne sais ou elle la conduisit mais le 
fait est que je nVecriai : "11 n'y a rien ! II n'y a rien !" » Qui pourrait contester le bien-fonde et la joyeuse 
realite de ces propos, si ce n'est quelques fieffes hypocrites dont nous sornmes helas toujours entoures, 
trois siecles plus tard ? 



Doris, Pierre (1919-2009) 

Pierre Doris s'affirme comme le pionnier de l'humour noir dans la frileuse France d'apres guerre. 
Coluche, Yanne, Desproges et Guillon sont ses rejetons. 

Mourir la veille de ses quatre-vingt-dix ans d*une cirrhose, voila une vraie profession de foie... De 
son vrai nom Pierre Tugot (il tire son nom « Doris » de la ville de Ris-Orangis). Embonpoint, bretelles, 
fausses dents, le fantaisiste vulgaire par excellence. Erreur profonde ! Ce forcene est fin lettre et sait 
manier roxymore. 

Avec une presence cynique indeniable, le one-man-show a trouve son maitre. Sa force de frappe 
comique est siderante. Une verve tonitruante. Ses souffre-douleur preferes : une compagne stupide, les 
enfants alcooliques et les vieillards malhonnetes... « Ma femme est sans defense, heureusement, on la 
confondrait avec un elephant ! » Des textes qui eparpillent les badauds facon puzzle. 

Des le milieu des annees 1950, au Port du Salut comme au Trois Baudets, il debite avee une 
prodigieuse volubilite et un sens etonnant du phrase un chapelet d'horreurs ravageuses et invente mine de 
rien les bases du comique moderne, celui du cafe-theatre. « C'est tres beau un arbre dans un cimetiere. 



On dirait un cercueil qui pousse ! », « Les morts ont de la chance, ils ne voient leur famille qif une fois 
par an, a la Toussaint », plaisantait volontiers le pape de F humour noir. « C'etait bien beau, mais Ie 
public m'assimilait a mes blagues. II me considerait comme un franc salaud, un bourreau d'enfants, un 
monstre. Et moi je suis un tendre », confiait-it aL'Aurore en 197S. Les salaries n'oublieront pas ses 
aveux : « Je parle en dormant. Au bureau, c'est genant. » 

En 1971, il montre une nouvelle facette de sa palette d^acteur en tournant pour la television La 
Maison ties hois sous la direction de Maurice Pialat. II y interprete un garde-barriere au grand cceur 
recueillant un jeune orphelia dans un role a contre-emploi. 

Au cinema, Pierre Doris est souvent abonne aux personnages d'arfreux et aux seconds roles. II joue 
dans de nombreuses comedies, dont Fortimat (1960) aux cotes de Bourvil et de Michele Morgan, 
Clementine cherie ( 1962) avec Michel Serrault et Philippe Noiret, Les Rois du gag (1985) de Claude 
Zidi. En 1981, il joue Berurier, dans San Antonio ne pense cju'a $a, Homrne de scene avant tout, il 
interprete aussi bien des comedies de boulevard, Les Assassins associes, « Oscar ». . ., des operettes, que 
des classiques : Ubu Roi, Pygmalion, Le Barbier de Seville... Et en particulier les pieces de Moliere 
qail affectionnait particulierement apres r avoir decouvert sur le tard. De sa fameuse rubrique « En 
differe avec vous », on retiendra cette interrogation fondamentale : « Au fait, Fescargot est-il vraiment de 
Bourgogne ? Si Ton est sur que Fandouille est de Vire et la rillette du Mans, le doute plane sur les 
origines des escargots. » 



Dubillai-cl. Roland (1923-2011) 

Quel personnage ! Quel bonhomme ! II suffit pour s'en convaincre de lire les hommages qui lui ont 
ete consacres dans la presse, a sa mort, en decembre 201 1, alors qu'il etait cloue dans un fauteuil depuis 
1987 a la suite d'un accident cerebral. Depuis, il ne marchait plus, ne parlait guere mais s'exprimait 
encore. Pour Armelle Heliot du Figaro, c'etait : « Un ecrivain considerable, une intelligence 
eblouissante, une culture vaste, un esprit brillantissime, un desespoir affronte* une joie de vivre 
contagieuse. » Fermez le ban... Bel hommage amplenient merite pour un poete, auteur dramatique, 
melomane, comedien, prince de Fabsurde et avant tout dingue du non-sense. Autant de qualites qui ne 
peuvent que me seduire. Je l'avais remarque par hasard dans le film de Patrice Leconte en 1975 Lev 
veces elaient ferrnes de I'interieitr, ou il campait aupres de Coluehe et de Jean Rochefbrt un personnage 
bizarre, Gazul, dont le jeu etonnant m'avait intrigue. Depuis je Fai decouvert dans un registre totalement 
different, sa passion pour les mots. Robert Benayoun dans son anthologie Les Dingites du nonsense le 
decrit ainsi : « II aime a triturer les mots, invente des onomatopees flasques telles que souipft, zioupe, 
tilipoc, bsim, tapong, tolopic, pitruc, chrouif ou flache ! On Tinscrit d'office au Club des Timides du 
nonsense avec Benchley, Woody Allen, Satie et Lewis Carroll. » \fcila qui tombe a pic, puisqu'il va 
retrouver ces gens de bonne compagnie dans ce dictionnaire. 

Roland Dubillard est ne en 1923. Homme de radio dans les annees 1950, il a commence a imposer 
son art du quiproquo et de la poesie loufoque avec son ami Philippe de Cherisey„ en improvisant des 
sketches fort droles sous les pseudos de Gregoire et Amedee. 

En 1953, Fannee ou Beckett, qu'il admirait profondement, donnait la premiere representation deEn 
attendant QodoU il se produit au theatre de Babylone a Paris dans une piece de sa compositions/ 
Camille me voyait, dans laquelle il joue le personnage principal. Laurent de Vitpertuise. Cette operette 
parlee en vers radiophoniques est un chef-d'ceuvre de non-sense, ou les jeux de langage et les periphrases 
savoureuses font merveille : un cigare devient « Ie fumier vegetal qui nous vient de La Havane », le lit 
conjugal « le bisexon », le tout daas un decor surrealiste, oil Laurent de Vitpertuise est Farnoureux transi 



de Solange d'Autrebane qu'il a apercue aubois de Boulogne, dans sa baignoire mousseuse liree par deux 
chevaux ! 

Pourtant, malgre son drole de parcours, Dubillard etait d'abord un intellectuel seduit par Gaston 
Bachelard, passionne par la philosophic, puis tente par le theatre, ce qui n'echappa pas a Jean Tardieu 
qui l'aida a posluler a la radio. Les absurdites, la folie douce de Gregoire et Amedee et leur fantaisie 
irresistible firent rire la France de rapres-guerre qui plebiscitait leur cocasserie rnagistrale. 

Apres le succes de Si Camille me voyail, recriture dramatique occupe Tessentiel de son activite. II 
multiplie les pieces qui, malgre leurs titres parfois surrealistes, le consacrent comme un ecrivain majeur : 
Na'ives Hi rondel les. La Maison d'os, Le Jardin awe betteraves , Oil hoivent les vaches. La Boite a 
on tils, etc. 

« J'ecris, non pour obtenir un succes mais pour que mon angoisse se prolonge », et dans son journal 
Camels en marge, il disait « avoir le don de transformer les pensees intelligentes. en plaisanteries 
irresistiblernent stupides ». Tout un programme dont il s'acquitta a merveille sa vie duranL 

Dubillard etait aussi, je Tai dit, un etonnant comedien qui a joue dans plus d'une vingtaine de films 
dont La Grande Lessive en 1968, avec Francis Blanche et Bourvil, sous la direction de Mocky, qui le 
venerait. 

« Jouer la cornedie pour quelqu'uo, c'est essayer de lui faire comprendre qu'il n'est pas la », avait-il 
coutume de dire. II jouera aussi sous la direction de Corneau, Zulawski, Deville, Berri, Resnais, et Henri 
Verneuil dans Peur sur la ville en 1 975, ou il incarne un psychologue plus vrai que nature. 

Mais pour moi, et sans doute pour les plus jeunes generations, Roland Dubillard reste rhomme des 
Diablogues. On a souvent dit que son ceuvre ne se resumait pas qu'a ce chef-d'ceuvre ; certes non, mais 
quand meme ! Quelle piece, dont on ne compte plus les versions, que cette confrontation entre deux 
personnages ! Uune des premieres etant celle qu'il jouait lui-meme avec Claude Pieplu, et Tune des plus 
recentes, admirablement mise en scene par Anne Bourgeois, qui permet a Francois Morel et Jacques 
Gamblin de se livrer a des joutes oratoires desopilantes, inspirees par des textes inexplicables. 

« Cela part de rien. de vide, d'ennui, on ne sail pas ou ca va », souligne Francois Morel, mais il faut 
les voir hesiter dans le sketch du Plongeon pour savoir s*ils doivent sauter ensemble sur le « h », le « o » 
ou le « p » du « hop ! », ou encore, dans le Compte-goutfes, tergiverser sur l'ordre de depart des gouttes, 
pour determiner s'il faut les compter deux fois « quand elles rentrent et quand.. . elles sortent ». 

II predisait : « Je sais que la mort me rappellera quelque chose. » Pour nous, ses admirateurs, sa mort 
noas rappelle qu'il nous manque deja. 



Duchamp, Marcel (1887-1968) 

\b\\k un homme que Ton retrouvera souvent dans cet ouvrage, tant il flit present partout ou il pouvait 
exprimer haut et fort sa folie de IVinsolite : pilier de Dada, de Tart conceptuel, du College de 
'pataphysique et de rOuLiPo, il inventa en 1917 1'objet le plus celebre de rartcontenporain, un urinoir 
Fountain qui devint Tarchetype du ready-made, ces « objets usuels prornus a la dignite d'objet d'art par 
le seul choix de I'artiste ». Suivront un porte-bouteilles achete au Ba2ar de l'Hdtel-de- Ville a Paris, un 
fer a repasser et une roue de bicyclette. EL dit-il : « Que I'artiste ait fabrique cet objet avec ses propres 
mains, cela n'a aucune importance, il Pa choisi. II l'a place de maniere a ce que sa signification d'usagc 
disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue, il a cree une nouvelle pensee pour cet 
objet. » 




Andre Breton, son ami, ecrit dans son An thologie de I 'humour noir qu*« il etait assurement I'homrne 
le plus intelligent et (pour beaucoup) le plus genant de la premiere partie duxx° siecle ». Bel hommage 
en eflfet de quelqu'un qui Pa trequente de pres pendant de nombreuses annees. 

Duchamp, qui dans une premiere vie etait peintre, est Tauteur d'un memorable Nu descendant un 
escalier (1912), qui fit scandale quand il le presenta lors d'une exposition a New York. Ce qui ne 
Pempecha pas d'etre considere, avec Picasso, comme Tun des fondateurs de Fart rnodeme, parce qu'il 
eprouvait le besoin profond de trouver sa propre voie, apres « Peprouvante traversee des "ismes" : 
impressionnisme, fauvisme, symbolisme, orphisme, cubisme », comme F ecrit finement Patrice Delbourg. 
Joueiir d'echecs professionnel, il parcourait le monde, oil il representait la France, et n'hesitait pas a 
miniaturiser ses ceuvres Ies plus imporlantes, dans une petite mallette qui faisait office de mini-musee. 

Duchamp resumait prosai'quement son credo en ecrivant qu'il voiilait « saisir les choses par Tesprit 
comme la verge est saisie par le vagin », et s'afflrmait comme un grand maitre es canulars, jeux de mots 
et calembours. II appelait ces recherches verbales « le hasard en conserve » : 

— « Le meilleur savon est le savon aux amendes honorables. » 

— « D faut dire : la crasse dutympanet non le Sucre du prinlemps. » 

— « Nous livrons des moustiques domestiques (demi-stock). »• 

— « Faut-il reagir conlre la paresse des voies ferrees entre deux passages de train ? » 

— « Parmi nos articles de quincaillerie paresseuse, nous recommandons le robinet qui arrete de 
couler quand on ne Tecoute pas. » 

En 1934, il invente le « nominalisme pictural » qui consiste a repertorier les rnots qui ne s'expliquent 
que par eux-memes et, un peu plus tard, ce specialiste du « lapsus volontaire » reunit ses ecrits dans 
Marchanddu sel a titre qui « contrepete » son nom 

II meurt a quatre-vingt-un ans, non sans avoir prevu son epitaphe : « D'ailleurs c'est toujours les 
autres qui meurent. » 



Duneton, Claude (1935-2012) 

Le 21 mars 2012 mourait Claude Duneton. C'etait mon ami et je lui avais ecrit cette lettre d'adieu : 
« Te souviens-tu, mon cher Claude, que nous nous sommes longtemps cherches toi et moi, avant de 
nous retrouver autour de notre passion commune pour la langue ? Pourtant, enfants nous ne parlions pas la 
meme, loin de la ! Toi, c'etait plutot le patois occitan avec les paysans de ton village limousin, alors que, 
de mon cote, je m'essayais au voussoiement avec les dames patronnesses de la bonne societe lyonnaise. 

Plus tard, je t'ai decouvert. Je t'ai beaucoup lu ; j'admirais ton talent de denicheur et de defricheur 
d'expressions. J'etais ebloui par l'erudit qui chaque jeudi dnnsLe Figaro me surprenait par sa fagon 
toujours inattendue de traiter ou de... maltraiter un livre, une expression, un mot au gre de tes humeurs. 



Depuis quelques annees nous nous croisions, nous nous frolions meme, dans des debats, conferences et 
autres Salons du livre ; et je revais, moi, Ie grammairien buissonnier specialiste de la pirouette cacahuete, 
pour marquer mes insuffisances semantiques, de t'apprivoiser, toi Pours mal leche, mais ce n'etait pas 
gagne. On senlait que tu n'avais aucune envie d'etre approche, courtise, mais tes petits yeux coquins 
toujours en eveil semblaient nous signifier Ie contraire. Pour reprendre une figure de style qui m'est 
chere. tu etais, je l'ai decouvert par la suite, une espece 6? Homo oxymorus, champion toutes categories 
de P equivoque et du paradoxe ; un reveche convivial, un pisse-vinaigre affable, un anachorete amene, un 
solitaire gregaire, un misanthrope philanthrope, mieux, un atrabilaire amoureux, puisque, est-il besoin de 
le rappeler, cette jolie trouvaille n'est pas de moi, mais de I 'ami Poquelin qui avait sous-titre ainsi son 
Mi sun i hi ope . 

Tu etais tout et son contraire, et fier de Petre, puisque meme ton accoutrement soulignait ton desir de 
te demarquer des poseurs et des bien-parleurs. Ainsi, a la suite d'un debat memorable, autour de P accent 
circonilexe, ou du trait d'union, je ne sais plus, tu es venu vers moi mal rase, avec ton eternelle chemise a 
carreaux et ton vieux pantalon de velours sans forme. On aurait dit Celine de retour d'ttn slage longue 
duree de bucherons dans le grand nord canadien : "Tu m'as bien fait marrer avec ton dernier bouquia" 
C'etait gagne, et j'etais fier comme un "pout* (ancienne denomination du coq, le male de la poule, dixit 
Lu Puce a I 'oreitle). 

Depuis ce jour beni des dieux de la syntaxe, nous nous sommes souvent vus et revus. Malgre tes 
pseudo-regimes recurrents, tu etais toujours partant pour un bon dejeuner. Pour te dormer bonne 
conscience, tu ne te separais jamais d'une petite boite dans laquelle tu piochais avec un air entendu 
quelques pilules multicolores, avant de reprendre un bon coup de rouge ou meme de faire chabrot. unjour 
ou je t'avais provoque dans une brasserie huppee du VF arrondissement 




Nous passions Papres-midi a evoquer ce qui te faisait vibrer, Antignac, Lagleygeolle et ta chere 
Correze, les "trois mille momes" que tu as aimes quand tu etais instituteur, ton passe de prof d'anglais et 
de comedien, la chance que tu avais eue de tourner dans les films cultissimes de Kieslowski et La Double 
Vie de Veronique, entre autres. 

Nous partagions aussi Pamour de Vialatte et des vieux jouets. Je ne connaissais rien a la chanson et tu 
osais pretendre que c'est pour la meme raison que tu avais decide en 1993 de Patteler quatre ans durant 
aux 2 200 pages de ta fabuleuse Hisloire de la chanson J'rancaise. En fait, tu avais voulu ecrire la 
premiere Histoire de la litteratwe chansonniere , pour mettre en Iumiere la dispariuon d'une tradition 
orale, cette fameuse "oralitude" qui te tenait tant a cceur. 

Et puis, il y avait nos interminables fous rires autour des mots, que nous adorions palper, chatouiller 
et titiller ensemble. Tu ne supportais pas la "gabegie cornmunicante de notre societe qui abuse des 
periphrases grandiloquentes" et tu te delectais a citer le journal Le Monde qui avait evoque en 200 1 des 
"personnes en situation de precarite economique et sociale". 



"Ah ! les pauvres, disais-tu, que Ies voila vertueusement repeints !" 

Lorsque tu parlais de la mort, le croquant qui sommeillait toujours en toi evoquait "la Faucheuse". 
Elle a finalement eu raison, il y a quelques jours, de tes petites pilules multicolores. Si j'osais oxyrnorer 
encore quelque peu, je dirais qu'elle ne s^est pas hatee aussi lentement que nous le souhaitions et qu'elle 
nous conlraint, helas, a ecouler (ou a entendre ?) maintenant le silence assourdissant que nous impose ta 
disparition. » 



r 

Etaix, Pierre 

« Mes deux grands-peres avaient Tun et 1' autre un gout prononce pour le cirque, qu'ils m'ont fait 
decouvrir tout petit ! Puis, j'ai appris qu'un de mes arriere-grands-peres etait un enfant naturel : j'ai 
toujours pense que ce devait etre un enfant du voyage et qu'il irf a transmis ses genes. » 

En dehors de cette profession de foi, je pourrais aussi vous dire que Pierre Etaix est ne a Roanne en 
1928. qu'il etait graphiste de formation, qu'il a ete un peu souffleur de verre dans le nord de l'ltalie, que 
Jacques Tati lui a demande en 1958 d'imaginer des gags pour Man oncie, ce qui lui a permis ensuite de 
lourner ses deux premiers films coirriques, suivis de Yoyo et du Soupirant puis Rupture, cosigne avec son 
ami Jean-Claude Carriere. Qu'il a epouse Anne Fratellini en 1969, avant de fonder avec elle PEcole de 
cirque en 1973, qu'on lui doit aussi Tant qu 'on a la sante, Le Grand Amour etPays de cocagne... Je 
pourrais vous dire que, non content d'etre un digne descendant des maitres du « slapstick » (cinema 
comique muet), a r image de Buster Keaton ou d'Harold Lloyd, il fait radmiration de Jerry Lewis qui 
considere Yoyo comme son filmculte, qu'il a tourne pour Fellini dans Les Clowns, et que ce dessinateur- 
realisateur-acteir-musicien-auteur-sculpteur-gagman-iTiagicien et gentleman a « la douce courtoisie du 
heron cendre et des doigts de fee fins et la chevelure plaquee du casoar », comme le dit son ami Patrick 
Robine. 




Je pourrais vous dire encore mille choses agreables sur ce delicieax jeune homme de quatre-vingt- 
quatre ans, mais, je voudrais surtout m'arreter sur Pierre Etaix jongleur... de mots. Oui, je sais, le clin 
d'ceil est facile, pour cet homme de cirque, ce celebre clown blanc que tout le monde connait, mais pour 
moi, Etaix, c'est le grand prestidigitateur. tunambule et acrobate des mots ; et je trouve tres emouvant de 
decouvrir en ecrivant ces lignes comment le cirque, dont je suis un tan absolu, et les mots sont nes pour 
coliabiter. 

Pierre Etaix, c'est rhomme qui affirme que : « Celui qui met la main a la pate n'a pas necessairement 



la main bordee de nouilles », qui pretend que : « Cest avec une chistera que le Basque pelote les filles », 
qui proclame que : « Le mailre a penser esl V unite de rnesure du philosophe », qui est persuade que : 
« Les quadrupedes sont des jumeaux qui ont quatre pieds », que la « salopette est une petite salope » et 
qui confirme ce dont nous nous doutions : « La maitresse est une enseignante avec qui 1'ecolier moyen a 
des relations sexuelles en dehors du manage. » 

En 2003, Pierre et son fils. Marc, photographe, ont publie un livre illustre par des photos 
exceptionnelles, Karabistouille, dans lequel on peut lire que Pierre a decide de Ieguer a la science qui 
« en a tellement besoin : sa tete chercheuse avec sa cervelle d'oiseau, son nez creux, sa bouche 
d'incendie, sa langue maternelle. sa peau de chagrin, sa taille de guepe, son palais royal, sa cheville 
ouvriere, ses doigts de pieds en eventail et son bassin vaguement parisien ». Tout en « refusant 
vehernentement que Ton prenne sa vessie pour une lanterne ». 

De toute facon, tout cela n'est pas d'actualite, car comme disait un autre de ses amis, Charlie Rivel : 
« Un clown ga mourrira jamais. » 





IP 



Fallet, Ren6 (1927-1983) 

» 

Ce grand amoureux devant l'Eternel ecrivait parait-il trois lettres d'amour par jour, et pas forcemeat 
a la meme femme, tout en vivant avec son epouse rue Chapon a Paris, et etait proprietaire d'une 
garconniere dans le Marais : « II n'est pas de femmes inaccessibles sauf celle que Ton aime. » 

Ce fils de cheminot ne le 4 decembre 1927 a Villeneuve-Saint-Georges passe son enfance dans le 
Bourbonnais, berceau de la famille Fallet : 

« Villeneuve-Saint-Georges, a l'epoque de ma naissance, c'etait la banlieue que j'ai contee et 
chantee dans rnes premiers bouquins, dans Banlieue sud-est et dans La Flew et la Sour is, Une vraie 
banlieue : moitie ville et moitie campagne. Je peux done dire que j'etais eleve a la campagne. Devant 
chez moi. il y avail un terrain que je croyais immense. » 

En 1940, Rene Fallet obtient le certificat d'etudes, il ecrit deja des poemes et se lancera dans la 
carriere des « lettres » en ecrivant au marechal Petain pour obtenir la grace de son pere inearcere a la 
prison militaire du fort Montluc, pour avoir chante « Ulnternationale » dans les rues de Villeneuve-Saint- 
Georges. Le marechal repond personnellement a la missive et le libere ; Rene comprend alors que 
I'ecriture est Tune des plus grandes, sinon la plus grande, puissances au monde. II ne reviendra jamais 
sur cette conviction, et e'est bel et bien recriture qui lui permettra d'atteindre son ideal de liberte. 

II entre comme manutentionnaire chez un editeur, puis devient coursier en pharniacie. En 1945, Blaise 
Cendrars repere ses premiers poemes et le fait entrer au journal Liberation, oil il devient journal iste a 
plein temps. 

C'est a trente ans qu'il publie son premier roman, Banlieue sud-est. Un coup d'essai tres bien 
accueilli par le public. Autodidacte et fier de Tetre, scenariste de Fanfan la Tulipe, critique litteraire au 
Canard enchaine, il flingue a cceur joie. De Marcel Jouhandeaiu qu'il assaisorme en lant que 
« Montherlant retreci au lavage », jusqu'a Raymond Queneau qualifie de « cachalot rigolard echoue sur la 
plage des Goncourt entre la seiche Bauer et le bon crabe Carco ». Couronne en 1964 par le prix Lnterallie 
pour Paris au mois d'aout, decore du Merite agricole, il aime la peche a la mouche. la petanque et le 
velo. Cauteur divise volontiers son ceuvre en deux « veines ». La veine whisky qui imbibe ses romans 
sentimentaux. Comment fais-tu Famour, Cerise ?, Y a-t-il un doeteur dans la salle ?, et la veine 
beaujolais, qui irrigue ses recits plus truculents comme La Soupe aux choux : « La soupe au choux mon 
Blaise ca parfume jusqu'au trognon. ca fait du bien partout ou qu'elle passe dans les boyaux. Qa tient au 
corps, ca vous fait meme des gentillesses dans la tele. Tu veux qu' ty dise : ga rend ineilleur. » 

« Fallet va a ramour coinme un mineur va au charbon. Ce n'est pas un dilettante », disait de lui Jean 
Carmet pour deer ire cet amoureux naif ettimide. Fallet, lui, pensait : c< Unecrivainse sertde son heritage 
litteraire comme de sa propre vie, ce sont des materiaux qu'il n'ernploie pas a Fetat brut, mais qu'il 
transforrne et modele selon sa propre imagination, voila tout. » 



Les romans s'accumulent, parmi lesquelsLe Triporteur, II etait un petit navire, Les View: de la 
vieilte et Le drapeau noir flotte sur la marmite. Rene Fallet possede un bel instinct pour selectionner ses 
maitres : Baudelaire, Verlaine, Leautaud, Apollinaire, Anouilh, Moliere, Zola, Stendhal, Musset, 
Maupassant et Simenon alimenterent longternps ce lecteur boulimique qui ne resistait jamais a Tachat 
d'un livre poussiereux degotte on ne sait oil. 

II se met a voyager en Angleterre, Slovenie, Egypte et au Liban. En 1953, il rencontre les deux 
personnes qui joueront un role important dans sa vie. Georges Brassens et Michelle Dubois, qu"il 
epousera en 1956 et qui deviendra Agathe Fallet. 




L'idee la plus courante du Rene Fallet demenageur et bon ami ne doit pas resumer toute son ceuvre. 
Certes, I'ecrivain irrite les petites habitudes bourgeoises et decrit des personnages hauts en couleur, 
piliers de bars, eternels accroches au comptoir. Mais ces antiheros citadins ou campagnards, qu'on 
retrouve entre autres dans La Soupe awe choux, Le beaitjokiis nouveau est arrive ou dans Les Viettx de 
la vieille, ne doivent pas faire oublier sa face poetique. L' amour est toujours present dans Fceuvre de 
Fallet, colore et enjoue. L'amour falletien cache toutes les contradictions d'un personnage petri de 
paradoxes, comme en temoigne sa vie tumultueuse avec Agathe. A travers son ceuvre, le poete ne cachera 
jamais le cote passionnel de ramour et Tattrait physique lie a celui-ci. Mais il a toujours su manier sa 
plume de facon a ne jamais sombrer dans le mauvais gout, dosant soigneusement sentiments et pulsions 
amoureuses. Rene Fallet apparait done comme un personnage aux facettes muluples. Pour Claude 
Chanaud. on peut percevoir Fallet « comme une poupee russe ». La facade apparente serait le decapeur 
des grands sentiments, suivraient ramoureax transi de Paris au mois d'aout, puis le chantre populaire de 
banlieue, et sous tout cela, la poesie, un art dont il use a chaque page avec beaucoup de talent. Ainsi, ce 
personnage aux mots bien pendus, decu de la condition humaine sans pourtant jamais perdre le rire, cache 
des aspects bien plus complexes que son cote populiste. Unique en son genre, Rene Fallet a fait son 
marche tout seul, au pif, pour reprendre encore Chanaud. II a marque le paysage litteraire francais de la 
derniere moitie duxx 6 siecle d s une empreinte unique et rafraichissante. Loin du gratin parisien, il fait 
partie de l'univers de Brassens, Renaud et de tous ceux qui pourront suivre... Neuf livres de Fallet ont 
ete adaptes au cinema, dont Paris au mois d'aout (ou Plantin, personnage principal, etait interprete par 
Charles Aznavour), Le Triporteur avec Dary Cowl, Les Pas perdus, Les Vieux de la vieille, Un idiot a 
Paris, If etait un petit uavire, sous le titre Le drapeau noir flotte sur la marmite, Le beaujolais nouveau 
est arrive. La Grande Ceinture, sous le titre Porte des Lilas de Rene Clair et la tres connue Soupe aux 
ehoux, avec Louis de Funes, Jean Carmet et Jacques Villeret. 

A la fin de sa vie, il croule sous les honneurs, mais son cceur, pas si leger que cela, lachera le 
25 juillet 1983. II avait cinquante-cinq ans. 



Feneon, Felix (1861-1944) 

Ce fut un celebre critique, et r influence considerable qu"*il exerca sur Tart et La Htterature de la fin du 
xix e siecle aurail necessite qu'on se souvienne mieux de lui. Mais il est possible de le faire revivre, ne 
serait-ce qu'en quelques phrases : 

— « Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges. qui jouait au billard, s"est creve l'ceil gauche en 
tombant sur sa queue. » 

— « Catherine Rosello, de Toulon, mere de quatre enfants, voulut eviter un train de marchandises. Un 
train de voyageurs l'ecrasa. » 

Lapidaires, fulgurantes, definitives, les notules des « Nouvelles en trois lignes », rubrique 
quotidienne du Matin placee sous sa responsabilite en 1906, oscillaient autour de cent cinquante signes 
typographiques. Jamais plus, jamais moins. 

Jarry disait de lui : « Celui qui silence. » Willis I'avait surnomme : « Le Pere Laconique. » Mallarrne 
le prenait pour « Tun des critiques les plus subtils et les plus aigus que nous ayons ». Et pour Paul 
Valery : « II etait Tun des hommes les plus intelligents [qu'il ait] rencontres. » 

Ces petits chefs-d'ceuvre d'humour etaient rediges a partir de depeches d*agences, Evidemment des 
lecteurs conformistes se desabonnerent, mais cela ne gena pas notre homme. II fut le premier a faire 
connaitre L 'Apres-midi d 'un flume de Stephane Mallarrne, les poemes de Jules Laforgue ou Les Amours 
jaitnes de Tristan Corbiere, ceuvres qu'il fit editer dans ses revues d'art : Libre revue. Revue 
independante, La Vogue, Les Hommes d'aujowd'hiti, et la prestigieuse Revue blanche, dont il sera 
pendant dix ans le patron inspire. On lui doit aussi d'avoir decouvert le manuscrit des Illuminations 
d'Arthur Rimbaud et de l'avoir edite apres en avoir corrige lui-meme les epreuves. 

En peinture, son influence sera encore plus forte. On le surnommait « reminence grise du 
symbolisme ». C^est lui qui inventa Texpression « neo-inpressionnisme » pour qualifier la tendance des 
peintres qu'il defendait bee et ongles : Pissarro, Matisse, Signac, Van Dongenet Seurat, sonprefere. 




Anticonformiste, anticolonialiste, anticlerical, antitoul, meme sa vie privee etait anarchique ! Lui qui 
reconnaissait avoir ete un « consent lubrique » pendant son service militaire devint un bigame convaincu, 
vivant tranquil lement entre epouse et maitresse, en semant des enfants un peu partout. 

En 1936, pour feter la victoire du Front populaire, il grimpa a soixante-quinze ans sur son toit pour y 
deployer le drapeau rouge. 

Pour avoir servi toute sa vie, et au mepris du sien, le talent des autres, pour avoir ecrit sans les signer 
tant d'articles remarquables, Feneon mourut presque inconnu et deja oublie, en 1944. 

C'est grace a son epouse, qui les recopiait religieusement sur un cahier. quon apprit qu'il etait 
Tauteur de ces breves. Jean Paulhan les rassembla pour les publier en 1948. 

— « A Trianon, un visiteur s'est devetu et s'est couche dans le lit imperial. On conteste qu'il soit, 
comme il le dit. Napoleon IV. » 



— « Le feu, 162, boulevard \bltaire. Un caporal flit blesse. Deux lieutenants recurent sur la tete, Tun 
line poutre, 1* autre un pompier. » 

— « Le Dunkerquois Scheid a tire trois fois sur sa feinrne. Comme II la manquait toujours, il visa sa 
belle-mere : le coup porta. » 

— « Comrne M. Poulbot, instituteur a rile-Saint-Denis, sonnait pour la rentree des ecoliers, la cloche 
chut, le scalpant presque. » 

On en denombre ainsi plus d'un millier, toutes aussi savoureuses, poetiques ou grotesques. Comme 
l'ecrivait Claude Gagniere : « Ne croirait-on pas, avec un demi-siecle d'avance, Camus revisite par 
Pierre Dae ? » 



Feydeau, Georges (1862-1921) 

On le dit descendant du due de Morny, demi-frere de Napoleon III, fils naturel du comte de Flahaut, 
lui-meme fils illegitime de Talleyrand. Ne a Paris le 8 decembre 1862, Georges Feydeau est l'auteur de 
pieces de theatre qui m'ont toujours enchante : Unfit a la patte^ La Dame de chez Maxim s , La Puce a 
I 'oreille ou Occupe-tot d 'Amelie, Le Dindon, Feu la mere de Madame, La main passe. Champ igirol 
malgre lui, avec 1 032 representations. 

J'aime Feydeau, parce que son ceuvre est la demonstration sans faille d'un « comique » efficace, qui 
releve d'une consequence logique et d'un concours de circonstances vraisemblables. II fait agir ses 
personnages a I 1 inverse de ce que Ton attend d^eux, les mystificateurs sont toujours mystifies et souvent 
dans des armoires detournees de leur usage habituel. surtout lorsqu'il s'acharne a denoncer la mediocrite 
des existences bourgeoises qu'il ridiculise. 

Alors Feydeau, fils naturel de Moliere ? 

Surement pas, car sa filiation est deja assez mysterieuse et cornpliquee, mais il est sur que Jean- 
Baptiste Poquelin Fa beaucoup inspire. 

Sacha Guitry, dont Feydeau tut temoin de son mariage avec Yvonne Printeinps en 1919, ecrivait ; 
« Faites sauter le boitier d'une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelees, petits ressorts et 
propulseurs. C'est une piece de Feydeau qu'on observe de la coulisse. Remettez le boitier et retournez la 
montre : e'est une piece de Feydeau vue de la salle, les heures passent, naturelles, rapides, exquises. » 

Feydeaua perfectionne le vaudeville la ou Favait laisse son presque contemporain Labiche, rnais a la 
difference de ce dernier, il s"interesse moins aux personnages, aux dialogues, qu'a la mecanique de la 
piece, e'est un theatre a voir, dont la modernite vient du jeu theatral, des surprises, des disputes avec leur 
lot de portes qui claquent et de claques qui portent. 

II adore inverser les roles sociaux, comme dans La Puce a I 'oreille, oil Thotelier recoit un client a 
coups de pied, il amuse en utilisant 1'irrationnel : « Allons, voyons ! un couvre-pied qui marche ! Mais ca 
se voit tous les jours », et met toujours en presence les deux personnages qui ne doivent pas se voir. II a 
Fart des courtes phrases percutantes : 

— « C'est avec les sourds qu'on s'entend le mieux. » 

— « Elle respire la vertu. Mais elle est tout de suite essouftlee. » 

— « J'aime encore mieux du sale argent qu'on a que du propre argent qu'on n'a plus. » 

— « L' argent ne fait pas le bonheur. C'est meme a se demander pourquoi les riches y tiennent tant. » 

— « Moi, je trouve qu"on doit avoir les memes egards pour sa maitresse que pour sa legitime. Par 
coasequenu je la trornpe ! » 

Si pour Sacha Guitry le couple Feydeau representait « r image meme du bonheur », cela ne dura pas. 
Feydeau, grand noctambule, passait plus souvent ses soirees et ses nuits a Fexterieur qu'avec sa femrne 



Marie-Anne, la fille du peintre Carolus-Duran. Le clinnat conjugal s'en ressentait et n'etait pas propice au 
calme necessaire a Fecriture. Son epouse aurait d'ailleurs declare : « Je vois Georges une fois par an ; il 
enleve son pantalon, le plie soigneusement et me fait un enfant. » Cette mauvaise ambiance ftit la source 
de ses inspirations misogynes : 

— « Le manage est comme une partie de baccarat : tant que vous avez de la veine, vous gardez la 
main. » 

— « II n'y a que dans ces courts instants oil la fernme ne pense plus du tout a ce qu'elle dit que Ton 
peut etre sur qu'elle dit vraiment ce qu'elle pense. » 

— « Le manage, c'est Fart pour deux, personnes de vivre ensemble aussi heureuses qu'elles auraient 
vecu chacune de lew cote. » 

— « Les joies de la famille sont si delicates qu'il faut etre seul pour bien Ies apprecier. » 

— « Ah ! si on pouvait voir les femmes vingt ans apres, on ne Ies epouserait pas vingt ans avant. » 

— « Certains maris ne sont bons qu'a etre cocus, encore faut-il que leurs feinmes les aidenL » 

Au cafe, Feydeau parlait peu mais ecoutait les bavardages et se plaisait a garder en memoire ces 
« breves de comptoir » : « E suivait Ies conversations d'une oreille lointaine. comme le voyageur 
indifferent aux propos de ses voisins et qui dans le train regarde le paysage en pensant a autre chose », 
disait de lui Henri Jeanson. 

Si Ton parlait devant lui d'un banquier malhonnete : « II est tres riche, je me contenterais de ce qu"il 
a vole », il repliquait : « Oui, mais il ne lui resterait plus rien. » De la fille legere de sa fernme de 
menage, il disait : « La mere faisait des menages, la fille les defait. » Aim acteur au talent douteux qui lui 
dit croyant lui faire plaisir : « J'ai joue vos pieces un peu partout », il repondait : « Je ne vous en veux 
pas. » A un directeur artistique lui faisant la remarque que sa piece avait vingt pages de trop : « Vbus 
n'avez qu'a commencer a la page 2 1 . » 

Au debut de sa carriere il faillit etre comedien, mais le directeur qui se proposait de Pengager iut en 
retard au rendez-vous et Feydeau ne L'artendit pas. Pourtant, r acteur Marcel Simon racontait qu'il lui 
arriva, dans le troisieme acte d 9 Occupe-toi d'Amelie, d'interpreter lui-meme chacun des trente roles ! 
« J'ai compris ce jour-la tous Ies avantages que Ton pouvait tirer de r inexactitude et je me suis jure 
d'etre en retard toute ma vie. » 

Feydeau etait abominablement sinistre et avait toujours Pair de s'ennuyer dans ce bas monde. C'est la 
raison pour laquelle il le quitta si jeune, a cinquante-neuf ans, atteint de troubles psychiques sans doute 
dus a la syphilis, avant d'etre enterre en 1921 au cimetiere de Monurartre. 



Fields, W. C. (1880-1946) 

Du paradis ou il ne boit plus que de l'eau (benite), rAmericain W. C. Fields peut se vanter d'avoir 
UD CV bien rempli : saltimbanque, jongleur, acteur de vaudeville, hurnoriste... J'en oublie surement. II a 
connu la deche dans une autre vie, a Tepoque ou il s'appelait William Claude Dukenfield, contraint 
d'aider son pere. marchand ambulant. C'est sans doute a ce moment-la qu'il a appris a jongler avec Ies 
fruits et legumes, avant de connaitre la gloire au Palace, a Londres, et aux Folies-Ber^re, a Paris. Le 
public etait seduit par ce grand blond avec une fausse moustache noire, affuble d'un nez aussi rond que 
celui de Cyrano est long, chapeaute d'un haut-de-forme demesure et deguise en clochard. Magicien de la 
jonglerie, il jouait avec des chapeaux, des balles, des boites, avec un faux air de gaffeur surpris par ses 
propres exploits. Puis Ies experiences se sont enchainees, avec sa participation aux. Ziegfeld Follies 
suivie d'une belle caniere cinematographique. Marie a une certaine Harriet Hughes, qui, apres 1* avoir 
epaule dans ses spectacles farfelus, est devenue bigote. Quand leur petit garcon est ne, Fields a fait croire 



qu'il 1'avait appele Chester... 

C'est evidemment son humour qui seduit, plutot que Ie recit de ses deboires professionnels ou 
sentirnentaux provoques par un alcoolisme chronique. Puisque « tous Ies chemins menent au rhinn », il ne 
boit jamais d'eau « a cause des cochonneries que les poissons font dedans ». De plus, elle « rouille Ies 
tuyaux ». Bourvil n'a done rien invente ! Et elle tue, autant que Palcool : « Mon meilleur ami est mort 
d'avoir bu de Peau. Un cas de noyade interne. » II s'invente des cocktails devastateurs en precisant : 
« Non, je ne bois pas toute la journee ; il faut quand meme que je dorme ! » 11 ajoute : « Allons. ne me 
dites pas que vous ne pouvez pas promettre d'arreter de boire ! Je Pai fait mille fois ! » Ses remarques 
moqueuses, tres caustiques, derangent. A la question banale : « Aimez-vous les enfants ? », il repond : 
« Oui... frits. » Meme severite abrupte envers Ies femmes qui sont « comme les elephants. J'aime bien 
les regarder, mais je n'en voudrais pas chez moi ». II en a pourtant toujours une « chez lui », avec en 
prime un enfant illegitime. La famille, ca le rase, peut-etre parce que : « Tous les hommes de ma famille 
etaient barbus, ainsi que la plupart des femmes. » Un coup de griffe aux belles-meres, proies faciles de 
tous les humoristes : « Cest tres dur de perdre une belle-mere. Cest presque impossible. » Et quand il 
affirme que « Talcool est le meilleur ami de riioinme », on le croit volontiers tant il se mefie des gens : 
« Je n'ai pas de prejuges. Je deteste egalement lout le monde. » On le lui rend bien, car son 
anticonfbrmisme et ses remarques assassines ne sont pas du gout de tous. La politique ri est pas sa tasse 
de the non plus : « Je ne vote jamais pour quelqu'un. Je vote toujours contre. » Qu'on se le dise. Son 
humour grincant n'epargne meme pas la religion et, lorsqu'a la fin de sa vie on le surprend avec une 
bible : « Oh ! Je regardais seulement s'il y avait des erreurs. » 




Ualcool, qui a ete sa raison d'etre : « Je bois done je suis », aura raison de lui. Sa sante se degrade 
en 1936, il meurt dix ans plus tard. le jour de Noel. II est enfin tranquille, aussi tranquille qu'Adam et 
Eve avant « la faute » : « Rien a faire, pas d'impots a payer, pas d'avocat, pas de medecin, pas d'enfant, 
pas de chien. Le paradis, quoi ! » 



Flaubert, Gustave (1821-1880) 




Puisqifil est catalogue comme Fun des maitres du realisme du xo^ siecle„ on a tendance a Faborder 
avec reverence, en s'attendant a s'ennuyer ferme a la lecture d*une telle sommite. Mais c'est oublier que 
Flaubert detestait la sottise bourgeoise dont il se moquait dans ses romans, et qu'il passa sa vie a traquer 
les idees recues dont il voulait etablir le dictionnaire exhaustif. Dans Madame Bovaiy (1 857), Flaubert 
trace lc portrait satirique de Homais, Tapothicaire d'Yonville oil vit Emma. Homais perore, comrne a son 
habitude, sur le climat local ; 

« Le thermometre (j'en ai fait les observations) descend en hiver jusqu'a qiiatre degres, et, dans la 
forte saison, touche vingt-cinq, trente centigrades tout au plus, ce qui nous donne vingt-quatre Reaumur au 
maximum, ou autrement cinquante-quatre Fahrenheit (mesure angjaise), pas davantage ! Et, en effet, nous 
sommes abrites des vents du nord par la foret d'Argueil d"une part, des vents d'ouest par la cole Saint- 
Jean de r autre ; et cette chaleur, cependant, qui, a cause de la vapeur d'eau degagee par la riviere et la 
presence considerable des bestiaux dans les prairies, Iesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup 
d'ammoniaque, c'est-a-dire azote, hydrogene et oxygene (non azote et oxygene settlement), et qui, 
pompant 1' humus de la terre, confondant toutes ces emanations differentes, les reunissant en un faisceau, 
pour ainsi dire, et se combinantde soi-meme avec l'electricite repandue dans ratmosphere, lorsqu'il y en 
a, pourrait a la longue, comme dans les pays Iropicaux, engendrer des miasmes insalubres. » 

En lisant pour la premiere fois ces explications grandiloquentes, je ne pus m'empecher, j'avais 
quinze ans et j'etais abonne a Sprrott, de penser au maire de Champignac qui, lui aussi, se Iancait dans ce 
type de discours ridicule a chaque occasion. J'aurais du, si j'avais ete un eleve plus studieux, faire un 
rapprochement avec le discours pompeux du fils de Diafoirus dans/,^ Malade imaginaire de Mo here. 
maisje preferais rhumour de Franqirin. 

Cette impression de similitude avec Spirou et ses aventures a Champignac tut encore plus forte quand 
je lus le chapitre racontant la tenue des cornices agricoles, evenement considerable dans la petite ville 
d'Yonville. M. le conseiller Lieuvaindemarre sa harangue : 

« Et qu*aurais-je a faire, messieurs, de vous demontrer ici Futilite de Tagriculture ? Qui done fournit 
a notre subsistance ? N'est-ce pas Tagriculteur ? L'agriculteur, messieurs, qui ensemenc^nt d'une main 
laborieuse les sillons feconds des campagnes, fait naltre le ble, lequel broye est mis en poudre au moyen 
d'ingenieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de la. transporte dans les cites, est bientot rendu 
chez le boulanger, qui en coniectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. » 

L'assistance ne voit nullement le ridicule des propos : « Toutes les bouches de la multitude se 
tenaient ouvertes, comrne pour boire ses paroles. Tuvache, a cote de lui, l'ecoutait en ecarquillant les 
yeux ; M. Deroserays, de temps a autre, fermait doucement les paupieres ; et, plus loin, le pharmacien 
[Homais], avec son fils Napoleon entre les jambes, bombait sa main contre son oreille pour ne pas perdre 
mie seule syllabe [...]. » Seuls Rodolphe Boulanger, un riche proprietaire des environs, et Emma Bovary 



ne pretent pas attention a ces sottises. Rodolphe a decide de faire la conquete d'Ernma et Iui debite des 
banalites faussement amoureuses, qui s'entrecroisent de facon comique avec Ies propos triviaux des 
orateurs officiels : 

« "Ensemble de bonnes cultures !" cria le president 

— Tantot, par exemple, quand je suis venu chez vous. . . 
"A M. Bizet, de Quinquempoix" 

— Savais-je que je vous accompagnerais ? 
"Soixante etdix francs !" 

— Cent fois meme j'ai voulu partir, etje vous ai suivie, je suis reste. 
"Furniers." 

— Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie ! 
"A M. Caron, d'Argueil, une medaille d'or !" 

— Car jamais je n'ai trouve dans la societe de personne avec un charme aussi complet. 
"A M. Baia de Givry-Saint-Martin !" 

— Aussi, moij'emporterai votre souvenir. 
"Pour un belier merinos.. ." 

— Mais vous nVoublierez, j'aurai passe comme une ombre. 
"A M Belot, de Notre- Dame..." 

— Oh ! non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensee. dans votre vie ? 
"Race porcine, prix ex cequo : a MM. Leherisse et Cullemboug, soixante francs !" » 

Et comme par hasard, c'est au moment de cette evocation de la race porcine qu"Emma cede a la cour 
ridicule du sieur Rodolphe qui n'a qu'une envie, la posseder pour ensuite la rejeter. 

Pour Patrice Delbourg : « "U idiot de la famille", selon I'expression de Sartre [en parlant de 
Flaubert], est souvent epingle pour avoir pris le parti de la classe bourgeoise en 1871, pour avoir choisi 
la vie recluse plutot que de paruciper aux querelles de son temps. Face a Stendhal ou a Chateaubriand, il 
incarne le colossal tacheron pour banquet de cornices agricoles. Erreur fiineste. Sa passion de la 
litterature reste entiere. II ne s'en laisse pas detourner par quelques recherches de breloques 
honorifiques. ambitions politiciennes ou autres intrigues d' alcoves comme bon nombre de ses collegues. 
Dans sa neurasthenie sedentaire, dans sa psychologie scrogneugneu, Flaubert reste le patron. » 

Le genial auteur duDictionnaire des idees recues flit beaucoup copie et jamais egale. Avec ce 
sottisier, ce monunient de clairvoyance cynique et de ferocite, il montre a quel point, en fustigeant 
rhumour de salon et en osant tirer au canon sur les prejuges bourgeois de son epoque. il a ete Tun des 
precurseurs de rhumour du XX? siecle. Qui pourrait en effet aujourd'hui mieux definir ces quelques mots 
extraits de son Dictionnaire ? 

— « Academic francaise : la denigrer, mais tacher d'en faire partie si on peut. » 

— « Achille : ajouter "aux pieds legers" ; cela donne a croire qu'on a lu Homere. » 

— « Albatre : sert a decrire les plus belles parties du corps de la femme. » 

— « Beethoven : ne prononcez pas "Bitovan". Se pamer quand meme lorsqu'on execute une de ses 
ceuvres. » 

— « Boudin : signe de gaiete dans les maisons. Indispensable la nuit de Noel. » 

— « Chien : specialement cree pour sauver la vie a son maitre. Le chien est rami de rhomme. » 

— « Concupiscence : mot de cure pour exprimer les desirs charnels. » 

— « Contralto : on ne sait pas ce que c'est. » 

Gustave Flaubert, le « gaillard misanthrope », avait ecrit un jour : « Rien n'est serieax en ce bas 
monde que le rire. » 



Fourest, Georges (1864-1945) 

• # 

A la lecture de sa carte de visite, le ton est donne : « Georges Fourest, avocat, loin de la cour 
d'appel. » Plus lard il ajoutera meme : « Profession : oisif. » 

Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, rhomme, ne en 1864 (et non en 1867, comme certaines 
biographies l'attestent a tort), etait une espece de dandy rentier et proprietaire terrien dans le Limousin, 
mais surtout un des plus grands poetes de la fin du XIX? siecle. .. et peut-etre meme de tous les temps, si 
Ton en croit quelques-uns de ses admirateurs inconditionnels, tels Marc Furnaroli ou Jacques Chirac. 
C'est dans un bistrot de la place Saint-Michel a Paris, Le Soleil d'Or, qu'il commence a declamer ses 
fameux poemes sous les applaudissements et les hurlements de rire d'une foule en delire, parmi lesquels 
Willy, le mari de Colette, qui le traitait d'« argonaute du verbe ». II refuse de les faire editer, mais 
accepte cependant de publier a compte d'auteur en 1909 le recueil qui batit sa legende, La Negresse 
blonde : « Daas la poesie. je ne vois qu'un passe-temps, un peu moins assommant que le bridge, moins 
dangereux que le poker, moins stupide que le loto. » II faut dire que sa poesie vaut son pesant de 
moutarde surtout lorsqu'il s'agit par exemple d'un sonnet delirant africano-gastronomique : 

« Au bard du Loudjiji qu 'embaument les arornes 

Des toumbos, le bo/i roi Makoko s 'est assis. 

Un tn 'gannga tatoua de zigzags polychromes 

Sa peau d 'un noir vinetec tirant sur le cassis. 

II fait unit : les m 'pafous out des senteurs plus freles ; 

Sourd, un marimeba vibre en des temps egaux ; 

Des alligators d'or grouillent partni les preles ; 

Un vent leger courbe la tete des Sorghos ; 

Et le mont Koungoua rond comme une bedaine. 

Sous la lime aux reflets pales de molybdene, 

Se mire dans le fleuve an bleuatre circuit. 

Makoko teste aveugle a tout ce qui I 'entoure : 

Avec conviction ce potentat savoure 

Un bras de son graml-pere et lejitge trap cuit. » 

Georges Fourest, malgre ses cabrioles et autres acrobaties verbales, n'en etait pas moins un honnete 
pere de famille, catholique pratiquanu bourgeois et conservateur (si je peux me permettre ce 
pleonasrne. ..), ce qui ne renpechait pas de feliciter ses enfanls en leur dormant de l'argent quand ils 
avaient zero en maths ni de faire envoyer un caniche nain au president de la Republique a V occasion de 
son anniversaire. 

II donnait des petits noms a ses pantoufles et se levait chaque matin a 5 heures, pour avoir : « Plus 
longtemps rien a faire et pouvoir ecouter pousser ses ongles. » 

D'aucuns Font compare a une sorte de Desproges 1900, mais en plus litteraire. Pourquoi ? Parce 
qu'il est Tauteur de pastiches delirants a travers lesquels il met allegrernent en charpie Racine, Hugo ou 
Corneille : 

« Qu'il est joli garcon l'assassin de papa ! », fait-il dire a Chimene a propos de Rodrigue. Mieux 
encore, ou pire, Phedre, furieuse d'avoir ete larguee par Hippolyte, lui fait savoir haut et fort ce quelle 
en pense : 

« Eh ! va done, puceau, phenomene ! 

Va done, chatre, va done, sal op, 

Va done, lopaille a Tlieramene ! 

Eh I va done t 'amuser. Chariot [...] » 

En 1923, il publie Conies pour les satyres, tout un programme !, et en 1935 Le Geranium ovipare. 



publie celte fois chez Corti. On y trouve d.e grands morceaux de bravoure : « Le nain et le cochon sous Ie 
crane du poete » ou encore : « Le nouvel Origene ou le rut vaincu ». 

Rien ne l'arretait, pas meme la scatologje, puisque pour lui il s'agissait avant tout « d'incaguer la 
pudeur ». Prudent, il prevenait neanmoins les meres de famille que ce qu"il ecrivait « n'etait pas pour Ies 
petites filles ». Ons*en serait doute. 

II meurt en 1945 a Paris, non sans avoir redige une « Epitre fatote et testamentaire pour regler l'ordre 
de [ses] funerailles », et prevu son epitaphe : 

« Ci-gjt Georges Fourest ; il portaii la royale, 

Tel autrefois Arrnand du Plessis-Richelieu, 

Sa moustache etait fine et son ame loyale, 

Oncques il ne craignit la verole ni Dieu ! » 



Fournier, Jean-Louis 

Nous sommes en 1986 ; quelques mois plus tot, j'ai « commis », et non pas ecrit, le mot serait 
inapproprie, un petit livre qui a nia grande surprise est en passe de devenir un best-seller. Sky My 
Husband ! Ciel man mari ! Deux cents expressions traduites en anglais de cuisine rnais, coup genial 
d'apres certains journal istes bienveillants, j'ai la bonne idee d'offrir en prime la bonne traduction. 

Ainsi, ce qui n'etaita priori qu'un clin d'ceil humoristique vers nos amis britanniques devient une 
methode arnusante pour apprendre les idiomes anglais que les professeurs de langue plebiscitent. Et 
Fournier, me direz-vous ? J'y viens. Ce realisateur deja complice de son ami Pierre Desproges a la 
television deboule un jour dans mon bureau without shouting station ! (Sans crier gare !) et me propose 
d'acheter les droits de Sky pour en faire des petits sketches a la television. Son idee est seduisante : des 
marionnettes genre Muppet Show sur les bancs d'une ecole, face a un professeur d'anglais decale, en 
r occurrence Michael Lonsdale. Le projet ne verra pas le jour, je ne me souviens plus pour quelles 
raisons, rnais ce fut le debut d'une longue amitie qui dure toujours, Pourtant, etre et surtout rester ami 
avec ce personnage, que Desproges decrivait comme « un tbu chiffonne, envahi d'angoisse existentielle 
pour qui tout allait bien, jusqu'a ce jour maudit oil il est ne », releve de r exploit. Cet angoisse conpulsif, 
hypocondriaque, misanthrope bougoa taciturne tenebreux, atrabilaire lugubre, n'a pas un caractere facile. 
Cependant, Ie verre n'est pas toujours a moitie vide chez Jean-Louis et, comme dit Jean-Michel Ribes : 
« II a Ie regard calme des grands clowns blancs ou se melent malice et lassitude. D'un sourire tendre, il 
repousse tous les malheurs. » 

Notre complicite s'est forgee autour de beaux projets, que dis-je, de best-sellers, que nous avons 
imagines ensemble et grace auxquels nous nous sommes beaucoup amuses. J'ai eu la chance d'etre Tun de 
ses premiers editeurs avec La Grammaire fmngaise et imperlinente, L'Arithmetique appliquee et 
Impertinente, Sciences natwelles et imperii nentes. Je rne souviendrai toujours du passage de Fournier 
chez Bernard Rapp, ou il presentait sa Grammaire en conjuguant le verbs peter a Timparfait du 
subjonctif. Succes immediat. Pour etre parfaitement honnete, il faut preciser qu'avant notre aventure 
editoriale commune, Jean-Louis avait deja publie La Noiraude, l'histoire d'une vache qui ne cesse 
d'embeter son veterinaire au telephone car « elle rumine des idees noires, fait des cauchemars peuples de 
gens qui mangent des beefsteaks et a peur que son lait soit bleu parce qu'elle a broute des bleuets ». Une 
merveille, comme son dessin anime Antivol, I 'oiseau qui a le vertige* qui sera a I 'origine de sa rencontre 
avec Desproges. 




Depuis, Jean-Louis Fournier n'a cesse de s*inposer au gre de ses nombreux livres comme un 
ecrivain, meme si ses heros sont toujours du cote des victimes. 

II faut dire qu'il a des excuses. Un pere medecin de famille a Arras, aussi genereux et devoue que Ie 
bon docteur Schweitzer, inais aussi ronge par l'alcool qu'Antoine Blondin et qui mourra a quarante-trois 
ans. Fournier lui rendra hommage dans un Iivre pudique et tendre, bien que debordant d'humour noir, // a 
jamais tue persorme, man papa. Mais ce n'etait que le debut d'une longue serie, car si cela n'arrive pas 
qu'aux autres, cela ne pouvait arriver qu'a lui, puisqn il est pere de deux enfants handicapes qui lui 
inspireront son chef-d'ceuvre couronne par le prix Femina en 2008, Oh on va, papa ?, avec lequel il 
reussit I'exploit de seduire cinq cent mille lecteurs, dont des centaines de parents concernes qui le 
remercieront d'avoir gagne a priori Timpossible : rire face au malheur et reussir a I'aneantir. Car c'est 
bien la que Ton touche a son talent, lorsque Ton voit a quel point il sait se servir de son angoisse 
existentielle. a l'image de Schopenhauer qu'il venere, car son pessirnisme Ie revigore : « Tant qu'il y a 
de la vie, il y a de Pespoir », dit-il, et il ajoute : « avec les. progres de la medecine, notre desesperance 
de vie augmente ». 

Comme un malheur n'arrive jamais seul, Jean-Louis perd subiternent son epouse, la belle Sylvie, en 
2010. Tres choque, il decide quelques mois plus tard de publier. fidele a sa legende, ce qu'il entend etre 
un hommage. Lorsqifil nfen parle, en me soumettant le litre Veuj\ je crains le pire ; pourtant, une fois 
encore, il se sauve de reffondrement et avec lui de nombreux veufs et veuves qui ne cessent de lui 
temoigner leur reconnaissance d'avoir ose exorciser leur peine. 

Je pourrais vous enu-etenir encore longtemps de Jean-Louis, pour lequel, vous l'aurez compris, 
j'eprouve une certaine tendresse, meme si celle-ci est souvent matinee d'un zeste d'accablement, tant il 
peut etre parfois desagreable et fier de l'etre. Je pourrais vous parler de ses autres livres, de son 
Curriculum vine de Dieu^ de son precis de bonnes manieres Je vais t'apprendre la politesse... p'tit 
con /, de son passionnant documentaire sur Egon Schiele et de sa « Minute necessaire de M. Cyclopede », 
dont il etait le realisateur et le coauteur avec Desproges. 

Je prefere pour conclure lui laisser la parole en citant le debut d'Oii on va, papa ? Toute la tendresse 
refoulee de ce personnage y est resumee, a condition de savoir lire a travers les lignes : 

« Cher Madiieu, cher Thomas, 

Quand vous etiez petits, j ' ai eu quelquefois la tentation, a Noel, de vous offrir un livre, un Tintiti par 
exemple. On auraitpu en parler ensemble apres. Je connais bien Tintiixje les ai lustous plusieurs fois. Je 
ne Tai jamais fait. Ce n' etait pas la peine, vous ne saviez pas lire. Jusqu'a la fin, vos cadeaux de Noel 
serontdes cubes oudes petites voitures [...]. 

Je vais quand meme vous offrir un livre. Un livre que j'ai ecrit pour vous. Pour qu'onne vous oublie 
pas, pour que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidite. Pour ecrire des choses 
que je n ai jamais dites. Peut-etre des remords. Je n'ai pas ete un tres bon pere, Souvent je ne vous 
supportais pas, vous etiez difficiles a aimer. » 



1 

Ah !! j'oubliais. A l'heure ou j'ecris, Jean-Louis, bien que ne en decembre 1938, ne fait pas son age 
et, au risque de Ie decevoir, je me dois de preciser qu'il va bien... 



France, Anatole (1844-1924) 

Une ceuvre considerable, un scepticisme moqueur et un atheisme affiche : « Le hasard est Ie 
pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer. » Ainsi pourrait-on brievement resumer Anatole 
Frangois Thibault, alias Anatole France. Peut-etre suis-je attire vers lui par une obscure pulsion 
d'anticonformisme, car il a reussi a se faire detester, non seulement par les reactionnaires de tout poil, en 
raison de ses idees anarchistes et de son anuclericalisme determine, mais aussi par la gauche bien- 
pensante qui jalousait son ecriture raffinee et sa pensee complexe. Andre Breton et Aragon, Ie chantre du 
communisme le plus sectaire, ne pouvaient supporter cet esprit libre qui passait tout au crible de 
rhumour et qui devint leur cible preferee, « execrable histrion de F esprit », et c'etait d'autant plus facile 
qu'un mort ne pouvait guere se defendre. Ainsi Anatole France fut-il chasse du pantheon des ecrivains 
politiquement corrects. 

Sa finesse et ce fameux recul humoristique se font surtout jour dans Crainquebille, ou il fait un eloge 
teinte d'humour noir du verdict inique d'un juge stupide : « Ce dont il faut louer le president Bourriche. 
c'est d'avoir su se defendre centre les vaines curiosites de I'esprit et se garder de cet orgueil intellectuel 
qui veut tout connaitre. En opposant les depositions contradictoires de Tagent Matra [un imbecile] et du 
docteur Matthieu [favorable a F accuse], le juge serait entre dans une voie ou Pon ne rencontre que le 
doute et rincertitude. La methode qui consiste a examiner les faits selon les regies de la critique est 
inconciliableavec la bonne administration de la justice... » 

En voila un qui avail vraiment le sens de la fonnule qui tue : « On croit mourir pour la patrie et on 
meurt pour les industriels. » 



Frederique, Andre (1915-1957) 

On raconte que e'est lui qui inventa les mots « ringard » et « connasse », et qu'il etait a 1'origine de 
cette afFirmation qui me rejouit au-dela de ce que tout humoriste normalement constitue est en droit 
d'attendre de Tun de ses confreres, meme decede en 1 957 : « Le chant gregorien, comme chacun sait. est 
d'origine crapuleuse » ! II serait aussi Tinventeur du principe des « diners de cons » ou chaque invite est 
suppose arnener un con pour le faire briller. Trois raisons amplement suffisantes, me semble-t-il, pour 
voir ce gargon ne en 1915 figurer dans le present recueil. 

Pharmaciea poete et ajusteur de mots d'esprit, inconnu ou presque des non-inities, grand connaisseur 
des maisons closes de luxe, il etait complice de Vian, Queneau, Tardieu. Carmet et Vialatte, lequel le 
decrivait comme un tres bel homme « qui tenait de sa grand-mere allemande sa silhouette d'officier 
fran9ais ». 

Andre Frederique etait capable du pire, comme de grifFonner cette inscription sur la nappe d'un grand 
restaurant : « La masturbation est Fasperge du pauvre », de recevoir sa clientele dans sa pharmacie 
costume en Louis XIV ou de decider apres la mort de sa mere ne plus voir que des films en noir et blanc 
parce qu'il est en deuil ; et capable du meilleur, en affirmant que : 

« Celui qui est maitre des mots est maitre du monde. Le langage, e'est repeter un mot autant de fois 
qu'il faut pour le volauliser et analyser Ie residu » ou. mieux : 

« Si vans avez la vue double 



Si vous voyez a travers les choses 

Si vous pensez avec tout ie corps 

Si vous diplacez les cathedrales 

Si vous peupfez tout seul la solitude du rnonde 

Si vous criez des conseils a Dieu 

Si vous criez adieu uilx conseils 

Mors vous etes tin humoriste, » 

Dans un roman inacheve. La Grande Fugue, on decouvre que Ie heros lui ressemble etrangement : 
« Ce Iivre est l'histoire d'un desordre, le desordre d'une tete. Mon heros est atteint de confusion, de 
doutes, mais il lutte contre Tinforme qui l'engloutit. C'est un reveur eveille qui se maintient avec peine a 
la surface de la realite. Des qu r il plonge en lui. il se noie. Alors, il plastronne pour donner le change 
[...].» 

II est aussi Fauteur de belles « poesies sournoises », dont Tune, sous forme de curriculum vitce, est 
adressee a Gaston Bonheur : 

« En reponse a votre demande de curriculum vita?. 

J'ai Fhonneur, monsieur le president, de vous adresser la liste de mes specialites. 

Je pratique professionnellement la calligraphic dite a Tanglaise, ayant servi au greffe du tribunal de 
Meaux. 

Je puis faire des traces a la main levee de toutes sortes, comme terrains, perspectives et vues 
d* ensemble. 

On aurait interet a me confier des affaires de justice elementaire, par exemple des arbitrages entre 
joueurs de sabot ou des contestations de hoiries n'excedant pas deux a trois mille francs [...]. » 

Ce pharmacien qui s'y connaissait en barbituriques se suicide le 1 7 mai 1957, non sans avoir pense a 
deposer un bouquet de fleurs a ses pieds. 



Funes, Louis de (1914-1983) 

Le 31 juillet 1914, cela ne commencait pas tres bien pour notre petit Louis Germain David de Funes 
de Galarza. Son pere, venu d'Espagne, avait enleve sa mere, la famille de celle-ci s'opposant a leur 
union. Louis de Funes a raconte qu'elle iut en realite son premier professeur de comedie : « II arrivait a 
ma mere de me courser autour de la table en criant : "Ye vais te toue P' Dans sa facon d^etre et d'agir, 
elle possedait, sans le savoir„ le genie des planches. » II faisait parait-il une imitation desopilante de sa 
maman espagnole. 

Elle lui donna des Tage de cinq ans ses premieres lecons de piano qui l'aideront a survivre comrne 
pianiste de jazz dans les bars pendant les annees de vaches maigres. II est paye « a la soucoupe », mais 
grace a ses grimaces il accumule un petit pecule qui lui permettra plus tard de s'oflrir le cours Sirnon. 

II etait d'abord entre, comme son frere, a TEcole professionnelle de la fourrure mais fut renvoye pour 
chahut, renvoye aussi de TEcole technique de photographie et de cinema, cette fois pour incendie 
volontaire. Renvoye enfin comme etalagiste, dessinateur industriel, aide-comptable, etc. 

Bien avant les producteurs, ses employeurs avaient compris qu'il n' etait fait que pour la comedie. II 
taudra attendre dix ans de carriere pour qu'il accede enfin aux premiers roles. Daniel Gelin et Sacha 
Guitry turent les heureux parrains qui lui permirent de penetrer cet univers. Sa gestuelle etourdissante les 
fascinait : « Quand on decrit une forme de bouteille avec ses dea\ mains, expliquait-il en joignant le geste 
a la parole, la bouteille est la, on la voit. Elle flotte un instant dans Fespace, meme quand le geste est 
termine. » Les situations explosives sont pour lui des alliees, tant il excelle dans ce role de Tatrabilaire, 



grognements, bruits de bouche, gifles repetitives, grands gestes, mais son genie, c'est d'inearner Ies 
salauds, ceux qui font des coups en douce, se prennent pour des chefs et ne sont en fait que des minables. 
II est le roi du leche-bottes et du courtisan a courbettes. 

Difficile de jouer a ses cotes, comme l'explique le comedien Dominique Zardi, qui Fa cotoye daas 
une dizaine de films : « Louis de Funes etait deja tres perfectionniste a ses debuts, et c'est d'ailleurs pour 
ca que beaucoup de gens Font considere comme un voleur de roles, car des qu'il apparaissait a Fecran, 
c'etait fini, il emportait tout et on ne voyait que lui. Ce qui fail que Louis n'a jamais ete remplace, c'est 
qu'il a passe le mur du son », confiait son vieux complice Gerard Oury. 

Jardinier dans Tame, il se considerait comme ecologiste avant Fheure : « Dans ma vie 
professionnelle comme dans mon jardia j'ai Fintention d'exclure les navets. » La nature etait selon lui 
« la seule chose qui vaille la peine qu'on descende dans la rue... ». 

De Funes, c'est l'inoubliable Jambier de La Traversee de Paris, apostrophe par Gabin : « Monsieur 
Jambier, 45, rue Poliveau, pour moi ce sera 1 000 francs. Monsieur Jambier, 45, rue Poliveau, 
maintenant, c'est 2 000 francs », etc., avec un Bourvil epoustouflant qui scelle dans ce film (1956) Fun 
des plus grands trios du cinema francais. De Funes, c'est aussi le delire avecLe Comiuud (1964), La 
Grande Vadroaille (1966) el Rabbi Jacob (1973) et la cultissime replique : « Salomon, vous etes 
juif ? », dans la non rnoins cultissime DS noire qui termine dans lui lac. 

On a dit que de Funes ne tenait aucun compte des desiderata de ses metteurs en scene et on ne peut 
que s'en rejouir, car plus il improvise, plus il en rajoute. 

II parait aussi qu'il ne se faisait jamais doubler, y compris dans les tres nombreuses cascades 
epuisantes de Rabbi Jacob. 

Ceci explique peut-etre cela. un premier infarctus en 1975 et un ultime malaise en 1983. Cent trente 
films et une seule reconnaissance, le prix Courteline, maigre recompense pour ce genie comique, 
heureusement plebiscite par le rire des foules, qui vaut toutes les medailles. 



Genette, Gerard 

Qui eut cru que le pape de la theorie litteraire, le celebre analyste de la poetique du langage, I'auteur 
de la monumentale serie des cinq volumes critiques, Figures, dont il dit lui-meme « qu'elles ont bassine 
des generations de potaches », puisse figurer dans un ouvrage d'humour ? Moi qui vous parle ou plutot 
qui vous ecris, lorsque j'ai voulume plonger dans ses ceuvres pour essayer de ne pas mourir idiot, j'ai eu 
beaucoup de mal, je dois le dire, face a ses theories sur la cornplexite de la creation litteraire. Mais, en 
2006, je decouvre Bardadrac, premier titre d'une trilogie etonnante, suivi de Codicille en 2009 et 
d'Apostille en 2011. Exit le maitre de f analyse structurale, bienvenue au disciple de Vialatte, Ponge, 
Perec et du Flaubert du Dictionnaire des rdees recues. 

Quelle mouche avail done pique ce (heoricien, qui decide un jour de livrer en desordre Bardadrac, 
faisant allusion au fourre-tout d'un sac a main ? Des morceaux d'anthologie sur ('observation du 
quotidien, du tout et du riea Un abecedaire enjoue ou Ton trouve un Genette plein d'humour qui regarde 
son passe et son epoque avec tendresse et lucidite. 

Pour lui, « ce livre n'a jamais ete fait, il a ete recolte ». Jolie formule pour celui qui ecrit que 
« l'arrogance est un defaut exasperant qui consiste a mal supporter celle des autres », qui s'interroge sur 
le sens enigmatique de : « On a beau dire »... et qui pretend qu'« une belle-sceur est bien utile pour 
deverser de profondes observations sur Tespece humaine. surtout precedees de : "Je vois", comme dans : 
"Je vois ma belle-sceur, elle deteste la compote de rhubarbe" », que « la girolle n'est pas un poisson, 
e'est la girelle », que « le chevreau n'est pas le fils du chevreuil », qui denonce le machisme qui preside 
a I'ordre dans lequel on designe les couples celebres : «: Adam et Eve, Orphee et Eurydice, Philemon et 
Baucis, malgre quelques exceptions difficilement explicables : Heloi'se et Abelard ou Bonnie and 
Clyde », qui constate que le veuf est toujours « inconsolable », alors que la veuve est toujours 
« eploree », mais que le tolle est « general », la vegetation « luxuriante » et la vindicte « populaire ». 
Tout en proposant une reflexion tres appropriee sur un mot qui me tient particulierement a cceur : 
T« oxymore : contradiction, dit-on, dans les termes : docte ignorance., obscure clarte (Corneille), 
oublieuse memoire (Supervielle), reveuse bourgeoisie (Drieu), musique militaire, justice militaire (pour 
ne rien dire de la civile), union europeenne, autorite palestinienne, utopie realiste, realisme socialiste, 
individualisme collectif (Tocqueville), democratie directe, carcan (ou camisole) liberal (Marie-George 
Buffet), convergences paralleles (Aldo Moro), dictature relativiste (Joseph Ratzinger), banque populaire, 
islamisme rnodere, tele realite, bonne surprise, mensonge avere, etc. ». 

Et c"est ainsi que Genette est grand, surtout quand il confirme ce que j ' ai toujours pense tout bas, sans 
oser le forrnuler : « Faire du roman r alpha et Fomega de la creation litteraire est un tic qui nous separe 
de tout un immense patrimoine litteraire. »• 

Voila pourquoi Genette, comme Vialatte, a toujours sa place sur ma table de nuit. 



Gogol, Nicolas (1809-1852) 

Avec un patronyme aussi badiix Nicolas Vassilievitch Gogol, ne en Ukraine le 20 mars 1809. devait 
forcement etre un ecrivain leger et plein d'humour. En fait, il est avant tout reconnu comme Fun des plus 
grands romanciers russes du xix* 1 siecle. Encourage par un pere petit auteur de comedies, Gogol etait 
encore adolescent lorsqu'il fit ses premiers essais Iitteraires, dont une tragedie et une satire. Nous y 
voila ; ce qui m'interesse chez lui, en dehors de ses celebres romans historiques dont le fameux Tarass 
Boulba, c*est qiTil avait le genie de la satire. II excellait a decouvrir le cote ridicule des evenements et 
des personnages les plus communs, deformant Ies situations et les physionomies. C'est ainsi qu*il 
decouvrit la (riste realite de son epoque et de son pays ronge par la corruption et Tignorance : « \bici 
comment je procedais, ecrivait-il : prenant un de mes propres defauts, je me rimaginais sous d'autres 
aspects, sur un autre terrain, j'en faisais un ennemi inortel, me gaussais de lui et le persecutais par tous 
les moyens [...]. Quand je lus mes ebauches a Pouchkine, il devint de plus en plus sombre - lui qui aimait 
tant rire - et en fin de compte, il laissa echapper d'une voix desolee : "Seigneur que notre Russie est 
triste !" » 

Curieusement cet homme tourmente brula son oeuvre majeure Les Ames mortes, alors qu il traversait 
une grave crise spirituelle. 

J'ai eu la chance il y a quelque temps de decouvrir une excellente traduction du Nez § un chef-d'ceuvre 
d'humour corrosif dans lequel il decrit avec un realisme stupefiant la vie de la petite-bourgeoisie russe. 
Jugez-en plutot au premier paragraphe du recit : « A son immense stupefaction, il vit que Tendroit que 
devait occuper son nez etait parfaitement lisse. » S'ensuit une liistoire abracadabrantesque oil il voit son 
nez traverser la ville en carrosse, costume comme unhaut fonctionnaire de TEtat ! 

« Observateur fin jusqu'a la minutie, habile a surprendre le ridicule, hardi a Texposer, mais enclin a 
l'outrer jusqu'a la bouffonnerie, monsieur Gogol est avant tout un satirique plein de verve. » Spasibha 
pour lui !, cher Prosper Merimee, qui ecrivit ce bel hommage a cet homme qu'il venerait. 

Pauvre Gogol, il meurt demuni le 21 fevrier 1852, hante par la peur de Penfer. Ses dernieres paroles 
auraient ete : « Une echelle ! Vite, une echelle ! » 



Goscinny Rene (1926-1977) 

II est ne le 14 aout 1926 a Paris, originaire d'une famille dMmmigres juifs polonais, qui s'etaitetablie 
a Paris en 1912, oil le grand-pere paternel tenait une inprimerie. 

Ses parents partent pour Buenos Aires en 1928, oil son pere avait trouve un poste d'ingenieur 
chimiste. Le petit Rene etudie au lycee frangais de Buenos Aires et commence a dessiner, inspire entre 
autres par Zig et Puce. Tarzan et Les Pieds nickeles dont il recopie scrupuleusement les albums. 

En 1946, il rejoint Tannee francaise. Son pere est mort subitement et il a besoin de changer d'air. II 
va gagner ses galons de sergent, non pas en s'illustrant pour de brillants faits d'arme, mais en illustrant... 
les menus de son regiment dont le chef n'est autre que le futur marechal de Lattre de Tassigny. 

De retour a New York en 1948, il trouve un job dans la publicite et croise le fondateur du celebre 
magazine MAD, Harvey ICurtzman. C'est le debut d'une serie de rencontres qui vont Paider a mettre le 
pied dans le monde de la bande dessinee : Jige, et surtout Morris, Tauteur de Lucky Luke, avec qui il va 
travailler aux Etats-Unis pendant quelques armees. On imagine bien que cette periode sera propice pour 
favoriser sa decouverte de riumwur anglo-saxoa qui correspond tout a fait a sa facon de regarder « de 
travers » les choses de la vie. 

II rentre definitivement en Europe et, en 1954, il abandonne la planche a dessin pour sa fameuse 



machine a ecrire qu'il ne quittera plus. 

Avec Pierre Dae, il cree le MOU, Mouvement Ondulatoire Unifie. Avec Pierre Tchernia, il ecrit le 
scenario du Viager et des Gaspards. II tiendra meme la rubrique « Savoir-vivre » de Bonne soiree, la 
signant Liliane d'Orsay. II se fait toutefois virer le jour ou, a la question : « Oiiasseoir a table un eveque, 
un P-DG, un general ou un academicien ? », il repond : « Le cul sur une chaise ! » 

Entre un scenario d"Asterix t une nouvelle aventure de Lucky Luke, une histoire du Petit Nicolas et 
une planche d' Iznogoud, Rene Goscinny trouve encore le temps de se livrer a Tun de ses exercices 
preferes : faire rire ses amis. Les faire se gondoler auxdepens de leurs contemporains, les presomptueux 
et les chochottes. L'humour meme de Goscinny et son penchant immodere pour les balourds s'expliquent 
par sa noblesse de cceur. Pourquoi les pires cretins n'auraient-ils pas autant droit que les autres a la 
tendresse ? : « Les imbeciles pullulent dans mon oeuvre. II faut dire que j'aime beaucoup les imbeciles, 
enfia, je les aime dans la mesure ou je les invente, et ou, par consequent, je peux les controler. J'aime les 
imbeciles parce qu"ils ont une force comique extraordinaire. J'aime leur candeur, leur tenacite, leur 
infaillibilite dans rerreur, la lueur de fausse intelligence dans leurs yeux, et leur sourire satisfait alors 
que tout s'ecroule par leur faute autour et sur eux » II vole aux eleves ce qu'ils ont de plus flagrant. Un 
tic, un trait, un travers : 

— « Agnan le premier de la classe et le chouchou de la maitresse. 11 a des lunettes et on ne peut pas 
taper sur lui aussi souvent qu'on le voudrait » 

— « Geoffroy qui a un papa tres riche qui lui achete tous les jouets qu'il souhaite. » 

— « Alceste qui est tres gros et qui mange tout le temps. » 

— « Rufus dont le papa est agent de police. » 

Sa faculte d'invention est liee a la simplicite d'une situation : 

« Alors que je n'ai jamais ete gaulois, ni cow-boy, j'ai ete enfant, l'odeur du petit pain au chocolat a 
la sortie de l'ecole, rarnbiance d'une recreation, le chahut dans le preaiu je m'en souviens. » 

« L* humour ne se fait jamais sur la gentillesse, rnais la colere ou 1'aigreur perpetuelles sont aussi 
ennuyeuses que le gnangnan. Je ne suis pas un agressif, je ne denonce rien. Mais j 'aime bien parodier les 
choses, voir les choses telles qu'elles se passent, avec le petit decalage qui les rend droles. L'humoriste 
n'est pas la pour faire des cadeaux au lecteur, mais aimer ce qui vous fait rire est le seul moyen de faire 
rire», explique-t-il. 

Goscinny aime raconter des histoires et observer les attitudes de nos prochains, sans modifier la 
realite, juste en soignant les details. Dans les annees 1960, il participe a la creation de Pilate, A partir de 
ce journal, il invente la bande dessinee telle que nous la lisons toujours aujourd'hui, passee du statut de 
l'enfermee a celui d'art respectable. « C'est a cette epoque que les adultes ont commence a acheter eux- 
memes des albums et a avouer qu'ils les lisaient sans besoin de les cacher derriere les cours de la 
Bourse. »... Goscinny conprend qu'un tel hebdomadaire peut fonctionner comme un laboratoire oil se 
cotoient narrations classiques et planches debridees. A la tete de la redaction du journal avec Charlier, 
Goscinny imposera des choix intrepides, revelant ainsi de nombreax jeunes talents comme Fred, Reiser, 
Cabu, Gotlib, Tardi, Bretecher, F'Murr, Bilal, etc. 

A sa conscience professionnelle s'ajoutent les vagues d'une anxiete pennanente. Une angoisse 
insupportable. Stresse, nerveux, colerique, il est persuade que la terre entiere le deteste. Que toutes ses 
histoires en cours vont s'arreter la et redoute que le scenario du Grand Vizir, qui souhaite devenir calife 
a la place du calife, ne tombe en panne. 

En 1971, avec Uderzo et Georges Dargaud, il cree les Studios Idefix qui donnent naissance a un 
premier long rnetrage, Les Douze Travaux d'Asterlx. Les albums sont traduits dans vingt-huit pays, sans 
compter Tesperanto qui n'est pas un pays, mais une langue... « Je me suis toujours inspire des pages 
roses du Petit Larousse pour faire parler mes Romains. II m'est arrive de recevoir des lettres de 
latinistes distingues qui me signalaient une incorrection dans telle phrase, et je les renvoyais a la page 



lant du Petit Larousse. Moi, je ne peux pas faire d'erreurs, je n'ai jamais fait de latin. » 

Sur sa vieille machine a ecrire, il multiplie les scenarios. Quand Tinspiration est en panne, il crie a 
son entourage : « Je vais me tuer. Je n'ai plus d'idees. II faut done que je me tue. » La crise passe et un 
mauvais calembour le ravigote. II invente ainsi un personnage qu'il baptise « Bete pour la vie », 
cantonnier de son etat. Ce qui donne : « Cantonnier Bete e'est pour la vie »... Une telle trouvaille vaut 
bien dix seances de psychanalyse. .. 

Goscinny meurt d'un arret cardiaque le 5 novembre 1977, a Page de cinquante et un ans, au cours 
d'une epreuve d'effort de routine dans une clinique de la rue de Chazelles, a Paris. Un comble pour un 
dilettante qui rechignait a toute depense physique. 

Pour Patrice Delbourg : « II etait devenu a la bande dessinee ce que la tour Eiffel est a Paris, ce que 
Balzac est au roman francais, en un mot ce qu'Obelix est a tous les porteurs de surcharge ponderale. Par 
le biais de scenarii plein d'humour et de drolerie, il a veritablement ouvert Punivers des petits Mickey 
aux grandes personnes et donne ses lettres de noblesse a un art souvent vilipende, voire meprise. » 



Guitry, Sacha (1885-1957) 

Le roi du « mot d'auteur », « rempereur de r esprit francais ». que n'a-t-on pu lire et entendre sur 
Sacha, de son vrai nom Alexandre Georges-Pierre Guitry, ne en fevrier 1 885 a Saint- Petersbourg ! 

Auteur de plus d'une centaine de pieces de theatre et interprete de la quasi -totalite de ses trente-trois 
films, il etait a la fois comedien, dramaturge, metteur en scene, realisateur et exceptionnel homrne 
d'esprit. 

Un homme qui, bien que marie cinq fois, sans compter ses liaisons avec des artistes dont Arletty, 
Simone Paris, Yvette Lebon,sedisaitmisogyne, merite que Fonessaied'ensavoir unpeu plus sur lui. 

Tout avait commence a Saint-Petersbourg ou jouait son pere Lucien Guitry, Pun des grands acteurs dc 
son temps, marie a Pactrice Rence Del mas dite de Pent-Jest, qui deviendra la mere de Sacha et de son 
frere Jean, 

Le jeune Sacha n'aime pas les etudes, mais, fascine par les personnalites du tout- Paris artistique qu'il 
croise dans les salons de son pere separe de sa mere, il publie des 1903 Des connus et des inco/inus, 
dans lequel il croque avec talent des gens comme Leon Blum, Jules Renard ou Tristan Bernard. Au meme 
moment, il ecrit une piece et commence a jouer des petits roles que Iui propose son pere. Un soir, en 
retard, il rate son entree en scene. Lucien, furieux, le met a r amende, mais Sacha n'accepte pas la 
punition et ils resteront brouilles treize ans durant. 

Avec Charlotte Lyses, sa premiere femme, il cree Nona, puis if Veilleur de Jiuit, qui le font 
connaitre du grand public. Excellent dessinateur et caricaturiste, il est sollicite pour concevoir ce que 
Ton appelait a l'epoque des « reclames ». En admiration devant Claude Monet, II reve d^ecrire un livre 
sur sa vie, qu s il considere « exemplaire ». 

En 1 915, il rencontre Yvonne Printemps, qu'il veut faire jouer avec sa femme Charlotte qui refuse. La 
rupture devient inevitable, mais pour Sacha c'estle temps du bonheur avec celle qui Hit sans doute leplus 
grand amour de sa vie. 

En 1918, il incarne Deburau, le celebre mime du xix* siecle ; succes triomphal et reconciliation avec 
Luciea A cinquante ans, apres avoir commis plusieurs pieces, parmi lesquellesZw Jalousie ou Un soir 
quand on est sent, il rencontre la belle Jacqueline Delubac : « J'ai cinquante ans, elle vingt-cinq... 
Pourquoi n*en ferais-je pas ma moitie ? » Aussitot dit, aussitot fait, le 21 fevrier 1935, a la mairie du 
VD e arrondissement de Paris. 




Avec Jacqueline, c'est une nouvelle ere qui commence, celle du cinema. II tourne coup sur coup deux 
films qui vonl transformer sa vie : Bonne Chance et Pasteur. Et en plus, ce sont de vrais films parlants. 
Suivra Le Roman d'un trichew, oil Guitry introduit la voix off sax cinema. C'est une grande premiere. 

En 1938, il seduit une jeime aristocrate, qu'il epousera, pour la premiere fois, a l'eglise : Genevieve 
de Sereville, et en 1 939. il fait exploser de rire les salles de cinema avec lis etaient neuf celibataires. 

En 1944, on lui reprochera d'avoir fait jouer des pieces et d'avoir realise des films pendant 
TOccupation. Apres six semaines d'emprisonnement, deux juges delivrent successivement un non-lieu : 
« Puisque j'ai beneficie de deux non-lieux, c^est probablement qu'il n'y avait pas lieu ! », s'exclame-t-il, 
nonsans. ajouter : « La Liberation... J'enai ete le premier... prevent! » 

Au printemps 1945, il fait la connaissance de celle qui deviendra sa cinquieme epouse, Lana 
Marconi : « Les autres furent mes epouses, vous serez ma veuve. » Ce qui tut le cas. En 1953, c'est le 
succes deS/ Versailles m'etuit conte, avec une belle distribution, et en 1955 il persiste dans la veine 
historique avec Si Paris m 'etait conte et Napoleon. Un triomphe servi par des grands comediens : Gabin, 
Gelia Pellegrin, Michele Morgan et Dany Robin... 

Sa voix si particuliere s'est tue depuis bientdt soixante ans, mais il demeure Tun des plus grands 
comediens et homines de theatre duxx c siecle, que l'ecrivain Henri Duvernois evoquait ainsi : « On se 
rendra coinpte plus tard de l'enorme influence qu'exerce Saclia Guitry sur le theatre contemporaia IL a 
substitue a un esprit agreable, mais artificiel, qui etait Tesprit de theatre, un esprit direct et humairL [...] 
Cest surtout grace a lui que les lieux communs sentirnentaux ou drolatiques nous sont devenus 
insupportables. Nous serions condamnes a ce xvui e siecle de tapissiers et a tous les retapages plus ou 
moins ingenieux de Marivaux ou de Crebilloru sans le coup de poing triomphant dont Sacha Guitry a 
creve les vieilles toiles. » 

Reste Phomme a femmes. .. qui selon Francis Huster n' etait pas du tout misogyne : « C'est n"importe 
quoi. Dans ses pieces, c'est 1'homme qui trompe, pas la femme. II etait fou des femmes. Elles n'ont 
malheureusement jamais ete folles de lui. Peut-etre parce qu'il n'a jamais su les entendre, meme s'il 
savait leur parler. » Mais personne ne pourra contester qu'il etait celui qui en parlait avec le plus 
d'esprit : 

— « Les hommes qui disent que les femmes sont frigides sont de mauvaises langues. » 

— « Ce qui fait rester les femmes, c'est la peur qu'on soit tout de suite console de leur depart. » 

— « Le pire, quand on est trompe par une femme, c'est que quelqu'un sait a present de quoi on se 
contentait. » 

— « Les honnetes femmes sont inconsolables des fautes qu' elles n'ont pas corrnnises. » 

— «I1 ya des femmes dont l'infidelite est leseul lien qui les attache encore a leurmari. » 

— « II faut s'amuser a mentir aux femmes. On a rimpression qu'on se rembourse. » 

— « Quand on ditd "une femme qu'elleestassezjolie, c'est qu'elle ne Test justement pas assez. » 

— « Toutes les femmes sont comediennes, a I'exception de quelques actrices. » 

— « Je suis contre les femmes, tout contre. » 



— « Dieu a cree la femme en dernier ; on sent la fatigue. . . » 

Depuis juillet 1957, Sacha Guitry repose au cimetiere de Montmartre, aux cotes de son pere, de son 
frere Jean et de Lana Marconi, decedee en 1990. 



Humorisfi's associes 

Qu'entends-je par la ? J'entends d'abord le doux murmure de ceux qui nfaccompagnent depuis 
longtemps dans mon parcours d'editeur, de defricheur et, j'espere, de porte-etendard de la juste cause 
humoristique. II y a ceux a qui je dois tout, d'autres a qui je dois beaucoup, mais tous ceux dont 
j'aimerais vous entretenir sont devenus des amis et parfois plus, au gre de vraies affinites. J'entends aussi 
par « Humoristes associes » evoquer ceux nx>ins intirnes que j'ai eu Fopportunite de croiser depuis que 
je fais profession de representant en farces et attrapes drolatiques. 

Tout a commence cornme je Fai explique plus haut, en evoquant mon ami Jean-Louis Fournier, 
lorsque j'ai, en 1985, eu 1'idee de commettre SA-y My Husband ! Ce succes inespere a ete le 
declenchement d'un nouveau parcours inattendu. J'etais a Fepoque ce qu'il convenait d'appeler un jeune 
cadre dynamique., apprecie de ses chefs, rentable, et toujours pret a servir la cause d'un grand groupe 
d'edition qui m'avait designe pour precher la bonne parole a travers le monde. Aureole du succes de Sky, 
je pris alors le risque insense d'interrompre cette belle carriere. Bien que je ne 1'aie jamais regrette 
depuis, ce fiit un nouveau parcours certes, mais du combattant. jalonne de vaches maigres dont le peu de 
lait ne m'autorisait que bien peu de beurre a mettre dans mes epinards. 

Un jour, Pierre Bouteiller m'appela tel le general de Gaulle, non pas de Londres, mais de la Maison 
de la Radio, pour me proposer de chroniquer dans son emission du matin « Quoi quil en soit » sur 
France Inter. Son fameux « Bonjour ! » faisait frissonner non seulement les menageres de moins de 
cinquante ans, mais aussi les autres. J'avais commence a publier d'autres petits livres d'humour, dont une 
memorable Theiere de Chaniin et Pierre, qui les trouvait a son gout, souhaitait que je fasse un billet 
d'hurneur dans son emission. Une experience aussi exceptionnelle que terrorisante, car je devais 
apprendre a maitriser Tangoisse du direct II me fit confiance, tout en ne me laissant rien passer pendant 
Fannee ou dura notre complicite. Je pris de Fassurance et j'eus la chance Fannee suivante d'etre sollicite 
par Stephane Bern pour venir faire le fou... du roi, toujours sur France Inter. Un moment crucial dans ce 
parcours, car non seulement je devins un drogue de la radio, mais encore, j'eus Fopportunite deux ans 
durant autour du micro de Bern de rencontrer quelques-uns de ceux qui accepteront d'etre publies dans la 
maison d'edition que je venais de creer et dont la profession de foi se resumait en trois mots « La farce 
tranquille ». Avant de revenir sur ces nouveaux compagnons de route, je me dois d* evoquer avec 
tendresse ma troisieme bonne etoile qui brillait elle aussi dans le firmament de France Inter, Albert 
Algoud Comme Pierre Bouteiller, Albert appreciait mes livres et avait pris la bonne habitude de 
nfinviter regulierement dans son magazine culturel de Fapres-midi, « La partie continue ». Nous nous 
revimes regulierement apres son eviction inconsideree, qui lui valut d'ailleurs des excuses et un retour en 
grace et en ondes quelques annees plus tard. Albert, ne en 1950, a d'abord ete professeur de francais en 
Haute-Savoie, puis s'exer9a au micro dans diverses radios libres, avant de se faire connaitre et apprecier 



du grand public, en participant a I'ecriture des textes d'Antoine de Caunes dans « Nulle part ailleurs » sur 
Canal +. Comedien et imitateur hors pair, Albert ne se contente pas d'ecrire. II joue aussi les personnages 
grotesques qu'il invente, que ce soit le pere Albert, un pretre lubrique, ou Ie marechal Ganache, 
pensionnaire a l'hospice des Vieux Glands, petainiste de la premiere heure. Un clin d'ceil a la fois tendre 
et reprobateur a feu son pere maurrassien et catholique traditionaliste. Albert Algoud est un homme- 
orchestre, un Fin litteraire, dote d'un humour decapant. Depuis 2010, il est coauteur avec son complice 
Pascal Fioretto des textes de la chronique quotidienne de Laurent Gerra sur RTL, lequel lui laisse parfois 
la parole pour imiter le president chinois Hu Jintao telephonant a Francois Nollande. A ne manquer sous 
aucun pretexte. 

Puisqu'il est question de pretexte, en voila un bon pour saluer Laurent Gerra. Un grand comique et 
un vrai gentil qui ne se contente pas d'etre de bonne hurneur sur les ondes. II airne la vie, les gens, son 
terroir, en roccurrence sa Bresse natale, et de plus il est fidele en amine, j'en sais quelque chose. Gerra 
est a mon avis Tun de nos meilleurs, si ce n'est le meilleur imitateur de sa generation, et s'il me fallait 
choisir parmi ses sketches, j'opterais pour son trio Eddy Mitchell - Bertrand Tavernier — Jean-Luc 
Godard dans une parodie desopilante de « La Derniere Seance », qui montre sa technique remarquable 
pour jongler simultanement avec ces trois voix si differentes, et ce n'est pas son inimitable, c'est le cas 
de le dire, Karl Lagerfeld qui viendra nous prouver le contraire. 




J'en reviens a Albert, qui comme cliacun sait est aussi le tintinophile le plus competent de 
l'Hexagone. Son dictionnaire des jurons du capitaine Haddock est un classique. Moins connue, mais tout 
aussi joyeuse, je ne peuxque recommander la biographie nonautorisee de La Cas/afiore, que j'ai publiee 
en 2006 et qui a scelle le debut de notre fructueuse collaboration. Dans ce pamphlet tres bien documente, 
Albert, qui a toujours percu chez la Castafiore une troublante ambiguite, confirme ses doutes prepuberes, 
a savoir que la diva, alias Le Rossignol milanais, serait le dernier castrat de l'histoire de la musique. Les 
historiens jugeront, mais pour moi, la cause est entendue. C'est un scoop ! 

Qui dit Tintin dit bande dessinee, et c'est ainsi que notre ami Algoud s'est retrouve redacteur en chef 
du magazine Fluide glacial de 2003 a 2005. Je ne connais pas grand-chose a la bande dessinee, mais 
grace a Albert j'ai appris a decouvrir ce mensuel de BD tres prise par les inities, ou rontrouve aussi des 
articles culturels, des nouvelles et des recits farfelus, sans oublier des hors-series dont certains meritent 
d'etre conserves religieusement comme collectors. Parmi les fbndateurs de ce magazine en 1975, il faut 
saluer le celebre Gotlib et les membres de l'equipe Goossens, Claire Bretecher, Bruno Leandri, Pascal 
Fioretto. Vincent Haudiquet. Ces trois derniers etant devenus, sur les conseils d'Albert, des auteurs 
incontournables de Chiflet et Cie, ma modeste cellule editoriale. Fluide glacial ne serait pas ce qu'il est 
sans la participation d'un homme pour lequel j'ai aussi du respect et de l'admiratioa Yves Frcrnion, ne 



comme votre serviteur dans la bonne ville de Lyon, mais lui, en 1947. Fremion, alias Bethsabee 
Mouchot, Noel Hobalcon ou Paco Tison, est une encyclopedic a lui tout seul. Non content d'etre membre 
du parti Les Verts (i.l a ete depute europeen de 1989 a 1994), c'est un brillant editeur qui a dirige des 
anthologies monumentales et un humoriste « licencie es calembours », membre du jury de la Carpette 
anglaise, qui parodie les prix litteraires et le fondateur de FOupolpot (Ouvroir de politique potentielle). 
C*est aussi un poete. un ecrivain de science-fiction, de polars, de romans, Ploum-Ploum Tralala { 1 975), 
La Revanche de Zarathoitstra (1977), et de pamphlets dejantes, Les marts sont lous des cons ! ( 1 986). 
C'est enfin un chanteur surprenant dans le groupe Los Gonococcos. \bus l'avez compris, rhomme est 
brillant, et je voudrais le remercier de m'avoir permis, grace a sa rubrique de Fluide glacial « far ta 
lacrenfa la recrern », dans laquelle il passe en revue les ceuvres et les biographies de nos meilleurs 
humoristes, de trouver une foisonnante documentation 

Si j*ai pu developper une ligne editoriale satisfaisante, c'est en partie parce que Algoud nva suggere 
de puiser dans le vivier de Fluide. Une peche niiraculeuse, avec dans mes filets quelques poissons qui 
auraient fait palir d'envie Jesus et ses disciples au bord du lac de Tiberiade. Pascal Fioretto, l'auteur 
vedette de Chiflet et Cie, grace a qui nous nous sornmes retrouves en haut de la liste des best-sellers, est 
un garcon delicieux, aussi angoisse que modeste, aussi discret que tourrnente. II est ne en 1962, c'est un 
ancien ingenieur chimistc qui a decide un jour de laisser tomber eprouvettes et alambics pour se risquer a 
recriture. Un pari tres vite gagne d'abord au sein du « Gang des pastiches » (le groupe Jalons) oil il 
endosse le pseudonyme de Dr Sam Bloch. II s'essaie ensuite au pastiche en solitaire ou il se revele 
aussitot cornme le maitre absolu de cet exercice de style difficile, jamais egale depuis Reboux et Muller 
et Patrick Rambaud. Lors de notre premiere rencontre, je lui suggere tout de go de pasticher le best-seller 
du moment. Da Vinci Code, qu'il n'avait jamais lu, moi non plus. II releve courageusernent le defi et rne 
propose de transposer ce recit, pourquoi pas, dans le gay Paris sous le titre evocateur de Gay Vinci 
Code. Persuade que fouvrage ne depasserait pas les limites des quartiers gays du Marais parisien, je lui 
donne quand meme mon accord pour le tester. Les chiffres de vente viendront depasser mes previsions 
les plas optimistes. Une reussite totale qui s'explique par un livre d'une gaiete folle, si je peux. oser ce 
jeu de mots ambigu, mais aussi plein de finesse et de retenue. Pascal Fioretto, qui avancait avec un tel 
sujet en terrain mine, gagne avec ce livre ses galons de veritable ecrivain et pour mon plus grand bonheur 
ceux de « generalissime v> des editions Chiflet, puisquMl ne cessera depuis d'enchainer les succes. Qu'on 
en juge par exemple avec un autre de ses pastiches devenu un classique, puisque publie aussi en edition 
scolaire, mais oui. oil il assassine la rentree litteraire avec Et sic'etait mais ? (2007), dont je vous livre 
la quatrieme page de couverture : « Printen^s 2007. Alors que la rentree litteraire approche, Christine 
Anxiot n'a toujours pas remis son manuscrit annuel. Son editeur declenche une enquete sur Tinexplicable 
disparition, mais les enlevements d'ecrivains continuent. Dans les milieux feutres de Tedition s'engage 
alors une impitoyable chasse a rhomme de Iettres.. . 

Pour realiser ce polar plein de rebondissements, les plus grands noms de la litterature fran9aise se 
sont passe la plume en redigeant chacun un chapitre : 

Denis-Henri Levy, Barbes Vertigo / Christine Anxiot, Pourquoi moi ? I Fred Wargas, Tais-toi si tu 
veux parler / Marc Levis, Et si c'etait niais ? / Melanie Notlong, Hygiene du tube (et tout le tremblement) 
/ Pascal Servan, lis ont touche a mes glaieuls (Journal, tome XXII) / Bernard Werbreux. Des fourmis et 
des anges / Jean d'Ormissemon (de la Francaise Academie), C'etait rudement bathV Jean-Christophe 
Range, Les 1 i mbe s pourpres du concile des Ioups / Frederic Beisbeger, 64 % (Soixante-quatre pour cent) 
/ Anna Galvauda, Quelqu'un m'attend. c'est tout » 

Dans cette peche, un autre produit pur Fluide glacial, Bruno Leandri. Ce jeune sexagenaire, pilier 
du magazine depuis le nurnero 5 en 1 976, est lui aussi une encyclopedic vivante, avec une nuance de 
taille, puisque les cinq tomes de sa Grande Encyclopedic du derisoire sont une compilation loufoque 
mais eclairee de chroniques resultant d'enquetes tres serieuses sur les petits mysteres et anecdotes de 



Fexistence. Un bijou adapte par Arte, avec Bernard Haller, ou les textes sont traites sous Tangle de 
1' humour. Leandri a commence sa carriere comme animateur au Club Mediterranee, avant d'offrir une 
nouvelle par mois pendant trente ans kFluide glacial. Bruno est un encyclopediste distingue et pas 
seulement du derisoire. C'est un puits de culture. Auteur de romans, de nouvelles, de feuilletons, et 
probablement celui qui a renouvele le concept du roman-photo en le sortant de ses eternelles histoires 
sentirnentales pour en faire un outil humoristique. On dit de lui que son humour, entre absurde et logique, 
plaisanteries et tragique, peut se comparer aisement avec les grands du theatre de 1* absurde des 
annees 1950. Sous le petit bonhomme bourru a 1'ceil rieur et aux grandes moustaches gauloises, il y a 
aussi cet auteur delicat, capable d'ecrire un livre bouleversant sur son pere. Encyclopedic de mon pere 
(2010). 

Vincent Haudiquet est la troisieme perle cueillie en milieu (Fluids) glacial. Encore un energumene 
follernent sympathique. Imaginez un grand dadais au crane aussi lisse qu'une boule de billard. Statisticien 
et rnathematicien, il est P auteur d'aphorismes que j'ai publies en 2007 avec jubilation, sous le titre 
prometteur Mon boomerang s'appelle revient. Vincent, inspire par sa logique tout euclidienne, nous 
laisse entendre que : 

— « Les chanteurs arabes chantent de droite a gauche. » 

— « Les marmottes qui pissent au lit passent un sale hiver. » 

— « L'hornme est parfois triste apres r amour sauf si c'est gratuit. » 

— « Les girafes sujettes au vertige vomissent plusieurs fbis par jour. » 

— « La statue de la Liberte n'a pas de culotte. » 

C'est en 2009 que Vincent atteindra la quintessence de son art, en coecrivant avec Fioretto et Leandri 
un atlas non autorise. La France vue du sol. Un vrai faux-guide de FHexagone richement illustre avec ses 
cent departements, ses vingt-six regions, ses spectacles et ses caracteristiques locales. 

Dans la carte du Calvados par exemple, on trouvera un authentique trou normand a decouper, on 
apprendra aussi que si la Sainte Vierge est bien apparue a Lisieux, des andouilles sont aussi apparues a 
Vire et Brad Pitt a Deauville, ou Ton peut d'ailleurs se procurer un stock de planches de rechange. J'en 
passe, pour ne pas dormer Fimpressionde favoriser mes prouesses editoriaies. 

Si je dois beaucoup a Fluide glacial, je dois autant aux « Fous du roi », qui ont enrichi mon catalogue 
avec de belles pointures comme le celebre Bruno Masure, qui a pendant plus de dix ans squatte nos 
salons a travers la petite lucarne. Drole de garcon que ce Nono, pour les intimes. amoureux des chats et 
obsede par 1'injustice et Pinegalite. En perpetuelle rebellion contre les usurpateurs et les explolteurs de 
tout poil. Toujours en train de defendre une bonne cause contre vents et marees, sans se departir pour 
autant de son humour caustique, dont il use et abuse, pour tirer parfois a boulets rouges sur ses ex- 
confreres, quand il estiine a tort ou a raison qu'ils ont depasse la ligne rouge. D n'est pas tendre avec les 
autres, pourtant il est difficile de ne pas etre louche par ce gros nounours droit dans ses fameuses 
pantoufles, qui revera jusqu'aubout de changer le monde. On connait ses jeux de mots approximatifs, ses 
poemes, ses a-peu-pres et ses calembours « bour et bour et ratatam ». La France profonde, qui l'a 
longtemps plebiscite comme son presentateur prefere, en redernande. Preuve etablie dans les Salons du 
livre oil ses ouvrages bien ecrits font des scores plus qu'honorables, Enquete sur mon assassinai (2006) 
et Le Journal d 'une curie de campagne (20 1 1 ), entre autres . 

Encore une rencontre autour du micro de Stephane Bern. Vincent Roca. Ne en 1950, ancien 
professeur de mathematiques, il devient au gre de ses nombreux spectacles, souvent mis en scene par son 
complice Francois Rollin, le Monsieur Loyal des mots. 11 jongle, funambule, voltige, trampoline, trapeze 
et prestidige. II ne fait pas son cirque, il Tliabite avec ses Papiers bavards, ses Mots et usages de mots, 
son Texte-appeal (finance textuel a la sauce aigre-douce)^ son Moderate Cantabudule (Piece montee 
pour mailre queue, tovrefacteur de piano flambe et accordeon chromatique ) et son Allegro ma non 
troupeau (Feuillete maison servi sur un lit d'ecriture renversi). Dans le spectacle qu'il presentait en 



2012, Vite, hen ne press e /, il nous proposail dans un sketch delirant sur Fhopital une emouvante priere 
des malades, a lire entre un « aperitif-cancer » et une « miction-impossible » : 

« Notre kine qui etes osseux. 

Que nos articulations soient certifiees. 

Que notre squelette tienne. 

Que nos os emboites soient fermes 

Sur la terre comrne ossuaire. 

Donnez-nous aujourd'hui nos massages quotidiens, 

Pardonnez-nous nos souffrances 

Coinme nous pardonnons aussi a ceux 

qui nous ont chiropractes, 

Ne nous laissezpas succomber a la decalcification 

Mais delivrez-nous du mal de dos, 

Maintenant et Alzheimer de notre mort. 

Abdomen ! » 

Jean-Jacques Vanier, lui, est d'abord un homme de theatre, mais comrne Vincent Roca, il flirte avec 
le monde du cirque. Plus funambule et clown que prestidigitateur, il ne joue pas avec les mots, il 
« introspecte », il observe, il flotte entre rimaginaire et le rationnel. II nous deroute entre un humour fin 
et decale et de la pure poesie. II sait mieux que personne nous inoculer ses angoisses philosophiques et 
les transformer comrne par magie en fous rires irrepressibles. Jean-Jacques et quelques autres 
meriteraient d'etre mieux consideres et soutenus par les medias. Vanier. Roca et Herve Le Tellier, dont il 
est question plus loia sont des maitres de cet humour benefique qui nous rend tellement plus intelligents. 
On sort de leurs spectacles revigores en remerciant le ciel de nous avoir permis de partager dans la 
bonne humeur nos questionnements, nos fantasmes, nos faiblesses et nos echecs. Ces gens-Ia„ comrne 
disait Brel, remplissent les theatres, mais ce sont helas des theatres de poche, alors qu'ils devraient 
bourrer des zeniths squattes trop souvent par des icones vulgaires dont je ne vous donnerai pas les noms 
par pure charite chretienne. 

Pauvre France ! Ton humour font le camp. Heureusement, grace a ces gens-la, je ne desespere pas 
d'arriver un jour a convaincre les pouvoirs publics de considerer enfin rhumour absurde et decale 
comrne une grande cause rationale ou, mieux, de le faire inscrire aupatrimoine mondial de l'Unesco. 

Cette digression ne doit pas nous faire oublier Jean-Jacques et ses spectacles : Apart ca la vie est 
belle* Elles et son must, L 'Envoi du pingouin, coecrit avec Francois Rollin II nous emmene dans un 
monde qui ne ressemble qu'a lui. Un univers unique, tendre et devastateur. Ce n'est pas racontable, rneme 
si je 1'ai vu cinq fois. Mais, si vous aimez les gateaux, les seins des filles, les cochons d'Inde, le general 
de Gaulle et rceuf a la coque, vous ne serez pas decus. 

D'autres « Fous du roi », et non des moindres, sont devenus des amis fideles. Je pense a Patrice 
Carmouze, licencie en Iettres, docteur en droit et longtemps redacteur en chef au Quotidien de Paris 
dans les annees 1980. Pour ceux qui penseraient a tort que ce camarade chaleureux et cultive ne serait 
qu'un faire-valoir naif dans les emissions de son ami Christophe Dechavanne, je precise qu'au contraire 
Patrice, daas sa colossale finesse, assume ce role de composition. A tel point qu'il a accepte en 2010 
d'ecrire pour moi un livre amusant et tres documente sur rhistoire des grands ratages. Des anecdotes 
croustill antes et etonnantes rassemblees sous un titre federateur, Le Grand Carrnouzier. 

On ne change pas une equipe qui gagne, et je pense a Camille Saferis. En voila un aussi qui n'a pas 
la place qu^il merite. Ce veritable humoriste, qu'aucun registre ne rebute, a deja tout fait, et il est capable 
d'en faire encore plus. Celui qui se presentait dans les annees 1990 « comrne deconneur professionnel a 
TORTF » etait present dans plusieurs emissions. A cote des sketches vraiment droles qu il realisait lui- 
meme en jouant tous les personnages, ce grand agitateur du PAF, de « Nulle part ailleurs » a Drucker, en 



passant par Christine Bravo, a ecrit des pieces de theatre, une vingtaine de scenarios pour Ie cinema et 
autant de livres, dontLc Manuel des premieres fois , Ferine ta boite a camemhert /, Les Meilleures 
Blagues du Dalai-Lama etLes Meilleures Blagues de Francois Hollande. On Ie voit, Camille n'a peur 
de rien. II a toujours beaucoup de projets en magasin, rnais comrne il est encore jeune, il est ne en 1964, il 
a la vie devant Iui, et il n'a pas fini de nous etonner. 

Autour de la table de Stephane Bern, il y avait un autre garcon de grand talent, Francois Reynacrt. 
Ceux qui ne Font pas ecoute a cette epoque connaissent sans doute ses romans a succes, parrni lesquels, 
et le plus touchant, Rappelle-toi (2008). ou il evoque avec tendresse les premiers emois homosexuels du 
heros. 

Cela dit, Francois est d^abord rhornme des papiers hebdomadaires du Nouvel Obser\>ateur. Un 
festival de jeux de mots qui rne ravissent chaque fois, que ce soit au sujet de la reforme fiscale « Idees 
fisc », d'une exposition culinaire chinoise « Epate imperial », « Saint Siege perce » au sujet des flutes du 
\foticaa ou encore « Presidentielle : bienvenue chez les p'tits ». \bila pour les titres de ses chroniques. 
Le reste a Tavenant, je sais que ce grand angoisse vit chaque semaine dans les affres de la creation. Qu'il 
se rassure, le resultat est toujours a la hauteur. 

Et Guy Carlier, me direz-vous ? J'y viens, car il etait, vous Ie savez, la et bien la, a cette epoque du 
studio 104 de la Maison de la Radio. 11 etait difficile de rater sa silhouette imposante et ses papiers 
d'humeur de tres haute volee. Depuis r epoque ou je l'avais decouvert sur Europe 1, lorsqu'il avait 
imagine ce professeur de mathematiques reactionnaire, M. Zermati, j'ai toujours ete un inconditionnel de 
Guy. Tout le rnonde connait sa brillante carriere et ce n'est pas parce que nous sommes amis que je 
m'empecherai de vanter les qualites de coeur de cet ecorche vif, d'une sensibilite maladive. II est 
cependant capable du pire. lorsqu'il fusille severement Evelyne Thomas, Carole Rousseau, BHL, 
Elizabeth Teissier ou Sophia Aram, et du meilleur quand il parle de sa bonne ville d'Argenteuil, de sa 
passion pour le foot et pour Frederic Dard, le pere qu'il aurait voulu avoir et dont il a epouse la fille, la 
charmante Josephine, en 2006. 

Pour mieux comprendre ce bonhomme. immense dans tous les sens du terme, il suffit d'aller voir son 
spectacle Id et maintenant. En 2011, il a en effet ose se montrer sur scene et aller a la rencontre du 
public. II expliquaitpourquoi : 

« La vie, pour se faire pardonner de m* avoir vole ma silhouette de jeune homme, a exauce jusqu'ici 
presque tous mes reves de gosse. J'ai retrouve mes idoles, Johnny pour qui j'ai ecrit une chanson, et j*ai 
epouse la fille de Frederic Dard que je n'ai pas eu le temps de connaitre. J'ai fait de la radio, et sur de 
grandes antennes ; j^ai ecrit des livres, j'ai faitde la televisioa je m'ysuismemeunpeu perdu... 

II me reste un dernier reve que Frangois Rollin- encore une idole — m'a aide a realiser. Monter sur 
une scene, aller a la rencontre d'un public de chair et d'os pour y faire le con comme je le faisais devant 
1'armoire a glace de ma charnbre d"enfant. Sauf qu'entre-temps, il y a eu ma vie et il y a eu vos vies. 
Alors, je vais vous parler de tout ca, on va en rire, en pleurer, echanger, partager, en un mot s'aimer, ici 
et maintenant. 

Et puisque la vie exauce ce dernier reve, je lui pardonne de m' avoir vole ma silhouette de jeune 
homme... » 

Tout est dit, ou presque. 

Christophe Aleveque aussi officiait a la sainte table. II m"a sollicite pour que je devienne son 
editeur. Sa notoriete meritee, encouragee par Laurent Ruquier dans « Rien a cirer » et dans « On a tout 
essaye » sur France 2, nous a permis de realiser de bons scores avec les difFerentes editions de son Petit 
Aleveque illus/rcK malgre un marche en regression, comme dirait mon libraire. 

Christophe, on Ie sait, est un frondeur qui pratique le cynisme et Tironie pour defendre bee et ongles 
son engagement a gauche, en epinglant les inegalites sociales et Nicolas Sarkozy, sa cible preferee. 

Dans une rrrise en scene geniale, des 2007, il convoquait chaque annee devant Ie Fouquet's a Paris le 



bon peuple de gauche pour celebrer avec lui Fanniversaire de r election du President, en chantant « Mille 
Colombes » de Mireille Mathieu. Une chanson qu'il a rebaptisee depuis « Hymne de la droite 
decornplexee ». Chrislophe afFectionne particulierernent les personnages de Zorro et de Super Rebelle, ce 
qui n'etonnera personne, et n'hesite pas a s'attaquer aux puissants, meme quand Fun d'eux s'appelle 
Zidane. Christophe lui aussi a le temps. A cinquante ans, on peut lui faire confiance pour qu'il refasse Ie 
monde a son image : egalite, fraternite, hilarile, et je souhaite bonne chance a ce trublion qui est un mal 
necessaire pour faire bouger ce qui peut encore bouger. 

Regis Mailhot fait partie de la meme famille. Ce specialiste des billets au vitriol sur France Inter et 
RTL est le digne neveu de son oncle Jacques, avec un zeste d'impertinence en plus. Sans doute le 
privilege de son jeune age. Moins politise qu'Aleveque, et du fait rnerne plus consensuel et rnoins 
agressif, je ne doute pas qu'il puisse se retrouver un jour en pole position. 

Quittons maintenant la Maison de la Radio pour nous pencher sur un personnage etonnant. 
Mathematicien de formation, journaliste, romancier. auteur de nouvelles, de poesies, de pieces de theatre, 
ce linguiste emerite est specialiste des litteratures a contraintes. Hervc Le Tellier est plusieurs fois cite 
dans ce dictionnaire, comme rnembre de FOuLiPo. participant de F emission « Des Papous dans la tete » 
et cofondateur de FAssociation des amis de Jean-Baptiste Botul. ce philosophe fictif de « tradition 
orale ». 

Ses ouvrages me passionnent, sa conversation est eblouissante, mais je ressors toujours frustre de nos 
echanges, lorsqu'il commente ses travaux et ses jeux autour du langage. Ses variations sur la Joconde sont 
irresistibles, et la piece tiree de son recueil Les amnesiques n'ont rien vecu d'inoubl table, mise en 
scene par Frederic Cherbceuf, est remarquable. Herve est aussi capable d'ecrire des romans a succes 
accessibles a tous, et je pense a son excellent Assez parle d' amour. Mais il peut aussi commettre des 
ouvrages moins iaciles. II suffit de lire un court extrait de son Electrico W(2011) pour comprendre que 
Fon est assez loin de La Veillee des chaumieres : 

« Antonio n'avait pas plus voulu retourner vers Canard qu'Ulysse vers Penelope. Qu*etait-ce que 
VOdyssee, sinon la chronique d'un aventurier qui a aime Circe la magicienne, la nymphe Calypso, a qui 
Fon a promis la main de Nausicaa et qui ne cesse, trompant les apparences, de differer son retour ? Un 
homme qui, la mot oil les dieux le deposent de force sur la place d"Ithaque, est si turieux de son sort qu'il 
se livre au plus inutile et sanguinaire des massacres, quand prononcer son seul nom d'Ulysse eut suffi 
pour que les pretendants s'inclinent. >> 

Et si je vous dis que le narrateur de ce recit fait remarquer au passage qu'il se vante d'avoir 
retravaille son tapuscrit « pour qu'il fasse exacternent 52 122 mots parce que c'est... un nombre 
premier », vous serez d^accord avec moi pour constater que F homme vaut son pesant de neurones. 

Puisque je viens d'evoquer « Des Papous dans la tete » 9 cette brillante emission de France Culture 
ou, rappelons-le, les meilleurs jongleurs de mots viennent chaque dimanche rivaliser d' intelligence et 
d' imagination, je voudrais dire aussi le bien que je pense de Serge Joncour. Cet ecrivain timide et 
discret, ancienmaitre nageur, cultive un humour acide qu'il distille au compte-gouttes dans ses Iivres : Vu 
(1998), Situations delicates (2001), In vivo (2002), U. V. (2003). Dans L'homme qui ne savait pas dire 
non (2009), il imagine un specialiste de sondages qui ressemble etonnamrnent a Bartleby, incapable de 
prononcer le mot « non » alors que le « oui » et le « non » sont la base meme de son activite. Du grand 
Joncour. Quand on lui demande s'il ressemble a son personnage. Serge, qui ne s** est jamais remis d'etre 
ne un jour de greve generale en 1961, il repond : « J'ai le sentiment d*ecrire pour ne rien dire de moi. » 
Son dernier livre L 'amour sans le faire (2012) est sans doute le meilleur. 

Les hasards de la vie m'ont fait croiser d'autres gais lurons comme le Quebecois Pierre Legare, 
humoriste connu et reconnu dans son pays pour ce quil appelle ses « questions existentielles ». Grace a 
Frangois Rollin qui Fa fait cormaitre en France, en jouant lui-meme ses textes, le public frangais Fa 
decouvert, et j'ai edite deux recueils de ses Mots de tete. Dommage qu'il n'ait pas eu de ce cote de 



l'Atlantique le succes qu'il merits, avec de telles reflexions profondes : 

— « Dans ton bureau, si t'as un diplome, t'as Fair intelligent. Si t'as un climatiseur, t'as Fair 
conditionne. » 

— « Pourquoi "abreviation" est-il un mot aussi long ? » 

— « Si tu tires sur les bandelettes d'une momie, tupeuxla faire demarrer. » 

Andre Bercoff n'est pas triste non plus, bien qu'il ne soit pas « comique » de metier, puisqu'il est 
avant tout journaliste et essayiste. II a eu des responsabilites diverses dans le monde de la television, 
mais il a aussi participe a des canulars memorables grace a des pseudonymes qu*il utilise volontiers. 
Parmi les plus connus : Philippe de Commines, Caton et meme Catherine de Medicis. 

Ce panorama que d'aucuns soupconneront a tort de « special copinage » ne serait pas complet sans 
Antoinc de Caunes. Nous nous sommes connus et frequentes il y a deja une trentaine d'annees, ce qui ne 
va pas helas rajeunir ce toujours jeune premier. C'etait a Tepoque ou le jeune Antoine se cherchait 
encore entre ses piges a Sciences et Vie, avant de se passionner pour le groupe rock Magma et, en 1978, 
de tenter diverses experiences televisuelles : « Chorus », « Houba Houba » ou « Les Enfants du rock ». II 
presente aussi « Surtout Fapres-midi ». une emission musicale quotidienne et decalee avec r excellent 
Gilles Verlant. C*est son entree a Canal +, en 1984, aux tout debuts de la chaine cryptee, qui lui a permis 
de se lacher dans un tout autre registre, et de montrer, grace a remission « Nulle part ailleurs », sa vraie 
nature d'amuseur public, pince-sans-rire particulierement doue. 




Ses personnages multiples font la joie des telespectateurs, face a un Philippe Gildas a la fois 
complice et victime. On se souvient de Didier rembrouille, fan de Dick Rivers, du scout Ouin-Ouin, 
alias Pine d'huitre, du macho Raoul Bitembois et du notoire Gerard Langdeput, r horrible colporteur de 
ragots du show-biz ! Tous ces sketches etaient ecrits avec la complicite d'Albert Algoud et joues en live 
avec Albert et Jose Garcia, alias Liz Taylor ou Robert De Niro, perpetuel soupconneux avec son : « You 
fuck my wife ? » recurrent. 

Nous connaissons le de Caunes comedien et cineaste. Je ne m'attarderai pas sur ses nombreux talents 
et passions, en dehors de son amour pour Arsene Lupin. Stevenson, et evidemment pour le rock, qu'il 
celebre fort bien d'ailleurs dans la ci-presente collection : le Dictionnaire amoureux du rock. 

Je pense qu 1 Antoine, ne en 1953, n'a pas non plus fini de nous surprendre agreablement. 



Humour, L' 

La France a depuis longtemps flirte avec ce qui ne s'appelait encore au Moyen Age que 1'humeur, et 
que Ton retrouvait chez Rabelais, Montaigne, le cardinal de Retz et d'autres. N'oublions pas qu'au 



xviu e siecle, en France, de beaux el grands esprits debordaient d'humour : Diderot, \foltaire, Marivaux, 
Beaumarchais usaient et abusaient pour le plus grand bonheur de leurs contemporains de cette facon 
d'offrir « les idees de profil », comme disait Jean Dutourd. 

Mais comment definir 1' humour quand le seul fait de le definir presente sans doute le risque de le 
faire disparaitre ? L'humour est-il « un art d T exister » ? (Escarpit), « le plus court chemin d'un homme a 
un autre » ? (Wolinski), « le plaisir etrange issu de la certitude qu'il n'y a pas de certitude » ? (Kundera), 
vient-il « d'un exces de serieux » ? (Tristan Bernard), d'« une tentative pour decaper les grands 
sentiments de leur connerie » ? (Queneau). Toujours est-il que le mot francais « humour » viendrait de 
l'anglais humour, prononce a l'anglaise, qui viendrait lui-merne du latin humor (hurrridite, liquide). A 
Porigine, le mot, en anglais comme en francais, avait une acception purement physiologique. Au Moyen 
Age, V humor designait l'une des quatre « humeurs », le sang, le flegme, la bile jaune et Tatrabile noire, 
dont la proportion dans le corps hurnain determinait le caractere sanguin, flegmatique, colereux ou 
melancolique. 

Mais ce n'est pas parce que rhumour se derobe a toute definition que Ton ne doit pas essayer de le 
cerner. Difficile de s'y retrouver pourtant dans les differents travaux qui cherchent a le circonscrire. 
Jonathan Pollock, angliciste et maitre de conferences a runiversite de Perpignan, se pose, lui, des 
questions qui pourraient faire avancer la reflexion : 

— Comment les humeurs agissent-elles sur Tame ? 

— Quelles sont les cibles preferees de rhumoriste ? 

— Que faut-il au melancolique pour qu'il devienne un humoriste ? 

— Peut-on parler d'humours nationaux ? 

— Comment riiumour differe-t-il du comique ? 

— L'humour depend-il d'une entente tacite entre Tauteur et son public ? 

— Comment riiumour genere-t-il du plaisir ? 

— En quoi rhumour differe-t-il des notions de satire, d'esprit et d'ironie ? 

Autant de questions auxquelles je ne repondrai pas, parce que j'en suis bien incapable, mais qui 
montrent Tampleur du debat, bien que j'aie ma petite idee. Uhumour, c'est avant tout une reflexion, une 
histoire que Ton s'adresse a soi-meme. La personne qui nous fait face nous stimule, et on se retrouve 
emerveille par notre interventiort Le danger qui consiste a chercher coute que coute a vouloir faire rire 
est le meilleur moyen de ne pas y arriver. Martin Page pense qu'il en est de meme de la sexualite : « Etre 
obnubile par Torgasme est le moyen infaillible de ne pas Fatteindre », et pour lui, la proximite entre 
humour et sexualite est evidente : « Nous suons, nos pupilles se dilatent, notre cceur bat plas fort, notre 
bouche s'ouvre comme si nous nous appretions a devorer un fruit mur, notre langue apparait, rouge et 
avide, nos pheromones se dispersent. Enfin nous touchons le bras de notre voisine. On se tromperait a 
croire que cela n'est qu'une affaire de langage. Spirituel et physique, rhumour se transmet par les yeux, 
les mains, les expressions, les gestes, le mime. Tout le corps est convoque. [...] Du decalage vient la 
surprise. » 

\bila qui ouvre bien des horizons, mais n'etant pas sexologue, ni historien, mais plutot grammairien 
tendance buissonniere, je nfen tiendrai a Texplication semantique que donne le Littre, qui parle d'« une 
sorte de gaiete railleuse et originale ». Ainsi Fhumour serait-il Tapanage de ceux qui aiment rire et ne se 
prennent pas au serieux. A condition de pratiquer rhumour solidaire (rire avec.) et non rhumour qui 
prone ['exclusion (rire de...)- 

Freud l'a bien explique > en rappelant que le mot d'esprit est une valeur relationnelle oil Ton 
transgresse les conventions rigides habituelles entre deux etres. 

Mais a trop vouloir definir rhumour, il ne faudrait pas arriver a en manquer, parce que 
paradoxalement c'est son absence que Ton remarque le plus. J'ai lu recemment une etude qui montrait 
que le sens de l'humour ameliorerait l'esperance de vie de 20 % ! \bila qui devrait faire reflechir les 



plus grincheux, lesquels devraient aussi lire plus souvent les plus droles d'entre nous : 

— « L'humour est une idiotie intelligente », David Katan. 

— « L'humour est le meilleur detecteur de mensonges », Konrad Lorenz. 

— « L'humour est enfant de nos haines », Jacques Prevert 

— « L'humour est une disposition d'esprit qui fait qu'on exprime avec gravite des choses frivoles et 
avec legerete des choses serieuses », Alfred Capus. 

— « Le sens de l'humour ne guerit pas les rhumatismes mais les rend plus supportables a vos 
proches », Yvan Audouard. 

— « Le manque d'humour est rimpolitesse de I'espoir », Emmanuel Cocke. 

— « II y a des gens qui sont chauves au-dedans de la tete : ce sont ceux qui n'ont pas le sens de 
rhumour », Francis Blanche. 

— « Le probleme avec le sens de rhumour, c'est la facilite avec laquelle chacun pretend en etre 
pourvu », Alain de Bottoa 

— « Les deux caracteristiques essentielles de r Anglais sont rhumour et le gazon L' Anglais tond 
toujours son gazon tres court, ce qui permet a son humour de voler au ras des paquerettes », Pierre 
Desproges. 

— « L'humoriste est un homme de bonne mauvaise humeur », Jules Renard. 

— « L'humour est la seule forme autorisee du crime passionnel », Georges Neveux. 

— « La seule chose absolue dans un monde comme le notre. c'est rhumour », Albert Einstein. 

— « Uimagination a ete dormee a r homme pour compenser ce qu'il n'est pas. L'humour pour le 
combler de ce qu"il est », Saki. 



Humour au XVII e siecle, L* 

On imagine qu'a cette epoque les courtisans de Versailles etaient engonces dans une etiquette rigide 
et prisonniers d'un catholicisme rigoriste tout-puissant, rnais non ! Les gens avaient besoin de rire pour 
echapper a Tambiance oppressante de la Cour. II suffit de lire Madame de Sevigne (1626-1696) ou, 
mieiLx. Scarron ( 161 0-1660), qui etait fort apprecie du monarque pour sa conversation spirituelle. 

De Boilcau (1636-1711), on a souvent r image d'un ennuyeux pondeur d'alexandrias se succedant 
sans fin. Pourtant, dans Les Emharras de Paris, il fait preuve d'une verve digne de ses modeles latins 
Horace et Juvenal : 

« La, sur une charrette une poulre branlante 

Vient menacer de loin la joule au 'elle augmente ; 

Six chevaux alleles a cefardeau pesant 

Out peine a I 'ehranler sur le pave glissant ; 

D'un earrosse, en tournant, il accroche une roue. 

El du choc le renverse en un grand las de boue... » 

Boileau ne se contente pas d'imiter ses maitres latins. II cree un nouveau genre comique, « heroi'- 
comique », qui inverse les codes du burlesque. La le sujet est mesquin, ridicule, alors que le burlesque 
part d'un theme grandiose. Ceux qui se contentent de leurs souvenirs de Tecole primaire oil ils anonnaient 
peniblement Le Corheau et le Renard ne peuvent pas gouter l'humour de Jean de La Fontaine (1621- 
1695) qui transforme un modeste anier en «: empereur romain », et son baton en « sceptre >v ! Un brin 
d'herbe devient pour la fourmi « un promontoire », pour le rat, la moindre taupiniere devient « les 
Apennins ». II appelle le chat « TAttila, le fleau des rats ». La poule convoitee par deux coqs n'est rien 
de moins qu'« une Helene au beau plumage » . . . 



Comme on le voit, r humour etait deja un moyen detourne, mais sur, de critiquer Ies abus de pouvoir 
et Ies Cavers des puissanls de ce monde. 

Paul Scarron est certainement Pun des plus interessants. Ce Parisien moqueur ne manquait ni de 
fantaisie ni d'humour. Pretre a dix-neuf ans, il portait la soutane sans avoir recu Ies ordres, et tout cure 
qu'il etait ne se privait pas de mener un train de vie dissolu, en assumant le secretariat de Peveque du 
Mans. Frappe de paralysie en 1638, il ecrit : « Je ressemble pas mal a unZ, j'ai Ies bras raccourcis aussi 
bien que Ies jambes et tes doigts. Enfin, je suis un raccourci de la misere humaine. » II entreprit alors de 
faire rire de lui et des autres, s'autodeclarant « le malade de la reine », qui Pentretient. 

A Paris, il tenait un salon litteraire qui faisait fureur, ou Ton rencontrait Ies hommes et Ies femmes Ies 
plus spirituels de Pepoque dont Madame de Sevigne. II ecrivait beaucoup, des vers burlesques, des 
comedies, des farces, des parodies et des satires, qui trouverent grace aupres de Boileau. Mais le 
meilleur de Scarron est ce roman inacheve, Le Roman comique, paru pendant la Fronde et dedie au 
cardinal de Retz, Phistoire mouvementee d'une troupe de comediens qui deambulent autour du Mans avec 
moult batailles, coups de pied et meme enlevements de civils et de comediennes. 

Scarron voulait faire rire a tout prix, mais souvent aax depens de la Cour, qui, excedee, lui retira ses 
pensions. Toute son ceuvre fait de lui l'ennemi des gens serieux II avait epouse en 1652 une jeune fille 
sans fortune qui echappa ainsi au couvent, mademoiselle d*Aubigne, la future Madame de Maintenoa, a 
qui il trouvait « deux grands yeux fort rnutins, un tres beau corsage, une paire de belles mains et beaucoup 
d'esprit ». 

Coinble de son humour legendaire, il avait prevu sa propre epitaphe : 

« Celui qui cy maintenani dort 

Fit plus de pi tie que d envie, 

Et sou/frit mi lie fois la mart 

Avant que de perdre la vie. 

Passant, nefait iei de bruit 

Garde bien que lu ne 1'eveilles : 

Car void la premiere nuit 

Que le pauvre Scarron sommeille. » 

Bussy-Rabutin (1618-1693), militaire de carriere, audacieuv et brillant, s'attira Pamitie de Conde, 
mais en 1659 ses aventures galantes, sa reputation de cynique et ses medisances sur Ies amours de 
Louis XIV et Mademoiselle de La Valliere lui valurent d'etre emprisonne a la Bastille et exile en ses 
terres de Bourgogne. 

Pour distraire sa maitresse la marquise de Montglas, il ecrivit untHistoire amoureuse des Guides, 
un roman satirique qui fit scandale. 

Pour peindre Ies vices de la noblesse et des courtisans, il adapta le Satyricon, qu'il connaissait 
parfaiternent, et le transposa en singeant Ies mceurs de son epoque. Uauteur ne sMnterdit rien et ne se 
prive pas de medire du souverain lui-meme, avec force grossierete. Mais il serait reducteur de ne retenir 
de lui que cette His toi re amoureuse des Guides, car Bussy-Rabutin entretint aussi une volumineuse et 
brillante correspondance avec Ies beaux esprits de Pepoque, dont sa cousine Madame de Sevigne. 

Saint-Simon (1675-1755). Fils d'un page de Louis XIII, mousquetaire a seize ans, il se distingue au 
siege de Namur, mais, mecontent de ne pas etre promu general, il quitte Parmee et partage son temps 
entre la Cour et son chateau de La Ferte-Vidame. II devient Pobservateur impitoyable de la Cour des 
dernieres annees du regne de Louis XIV et de Madame de Maintenon et redige ses fameux Memoires, qui 
ne seront pas edites avant 1830. Ecrits sans souci de plaire ou de deplaire, ils sont, qui sait ?, peut-etre 
faux, mais quel talent ! Des phrases bondissantes et des personnages saisissants de verite. Un coup d'reil 
magistral sur le peuple de Versailles. L'homme etait parait-il peu sympathique, plein de morgue, ecrasant 
de son mepris tout ce qui n'etait pas noble mais, lorsqu'il n' etait pas anime par la haine, il pouvait etre 



franchement drole. 

Ainsi quand il decrit cerlains membres de la Cour : 

Le Roi-Soleil ? 

Un esprit « au-dessoiis du mediocre », tombant « dans Ies absurdites les plus grossieres ». 

Le Grand Dauphin ? 

« Monseigneur etait sans vice ni vertu, sans lumieres ni connaissances quelconques, radicalement 
incapable d'en acquerir, tres paresseux, sans imagination ni production, sans gout, sans choix, sans 
discernement, ne pour r ennui qu ? il communiquait aux autres, et pour etre une boule roulante au hasard par 
rimpulsion d'autrui, opiniatre et petit en tout a Texces. » 

La Palatine ? 

Un personnage echappe du Roman comiqae, elle gifle son fils en public, a P occasion de ses 
fiancailles : « Madame rhabillee en grand habit arriva hurlante, ne sachant bonnement pourquoi ni Pun ni 
Tautre, les inonda tous de ses larmes, en Ies embrassant, fit retentir le chateau d'un renouvellement de 
cris et fournit un spectacle bizarre d'une princesse qui se remet en ceremonie. en pleine nuiu pour venir 
pleurer et crier, parmi une foule de femmes en deshabille de nuit, presque en mascarades. » 




Ou encore lorsqu'il raconte la conversion de Philippe d'Orleans, frere de Louis XIV : « II avait 
depuis quelque temps un confesseur qui, bien que jesuite, le tenait de plus court qu'il pouvait. II lui 
representait fort souvent qu"il ne se voulait pas damner pour lui, et que si sa conduite Lui paraissail trop 
dure, il n'aurait nul deplaisir de lui voir prendre un autre confesseur. A cela il ajoutait qu' il prit bien 
garde a lui, qu'il etait vieux, use de debauche, gras, court de cou. et que, selon toute apparence, il 
mourrait d'apoplexie, et bientot. C'etaient la d'epouvantables paroles pour un prince le plus voluptueux 
et le plus attache a la vie qu'on eut vu de longtemps, qui Tavait toujours passee dans la plus molle 
oisivete, et qui etait le plus incapable par nature d'aucune application, d'aucune lecture serieuse, ni de 
rentrer en lui-meme. » 

Cardinal de Rctz (1613-1679). Issu d'une famille florentine, dont la fortune avait ete faite par 
Catherine de Medicis, il adopte le statut d'ecclesiastique par ambition, en esperant au moins egaler 
Richelieu et supplanter Mazarin, lequel ruinera ses esperances et Fenpechera d'obtenir Tarcheveche de 
Paris. Ce surdoue de la politique et de la rhetorique etait un terrible polerniste. Dans ses Memoires, on 
decouvre un conteur petillant, qui rappelle La Rochefoucauld pour ses formules breves, saisissantes, et 
La Bruyere pour ses portraits. Rediges enlre 1670 et 1675, ils relatent sa vie, les troubles de la Fronde et 



les intrigues de Paris pendant la guerre civile. II salt a merveille decrire les grandes scenes historiques et 
surtout rediger des portraits a l'emporte-piece, avec une ironie mordante qu'il essaie de cacher sous une 
certaine desinvolture. 

II a la dent dure, mais a la difference de Saint-Simon il est encore plus ironique, en metlant les rieurs 
de son cote. II suffit de lire son portrait d' Anne d'Autriche pour en etre convaincu : « La reine avait, plus 
que personne que j'aie jamais vu, de cette sorte d'esprit qui lui etait necessaire pour ne pas paraitre sotte 
a ceux qui ne la connaissaient pas. Elle avait plus d'aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de 
grandeur, plus de maniere que de fond, plus d'inapplication a F argent que de liberalite, plus de liberalite 
que d'interet, plus d'interet que de desinteressement, plus d'attachernent que de passion, plus de durete 
que de fierte, plus de memoire des injures que des bientaits, plus d 1 intention de piete que de piete, plus 
d'opiniatrete que de ferrnete et plus d'incapacite que tout ce que dessus. » 

Jean de La Bruyere (1645-1696). Cest parce qu'il etait malheureux et meurtri dans son amour- 
propre qu'il se vengea de ses contemporains a travers Les Caracteres ou les Mteurs de ce sieele* qui 
sont en fait le fruit de ses deceptions. II resume tres bien lui-meme ramerturne qui est la sienne avec cette 
phrase enigmatique mais bien sentie : « II faut rire avant d'etre heureux de peur de mourir avant d'avoir 
ri. » 

La Bruyere etait un homme severe, et on dit meme qu'il moiirut sans s'etre deride. Ses Caracteres 
sont un modele du genre ironique, jamais a court de pointes et de saillies inattendues. « Son talent, ecrit 
Taine, consiste principalement dans Tart d'attirer F attention. . . II ressemble a un homme qui viendrait 
arreter les passants dans la rue, les saisirait au collet, leur ferait oublier leurs affaires et leurs plaisirs, 
les forcerait a voir ce qu'ils ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir. » 

La Bruyere est un exceptionnel observateur des mceurs de son temps et un precurseur, car, que ce soit 
le « parvenu », I'« egoiste », le « distrait », le « collectionneur », ce sont des « types de tous les temps » 
qui, avec ou sans perruques, sont nos contemporains. Entre Egesippe qui se croit bon a tout et n'est bon a 
rien, Philemon le cousu d'or qui voudrait qu'on 1'admire, Menippe le vaniteux, j'ai choisi Menalque, le 
distrait. Un grand moment : 

« Menalque descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme, il s'apercoit qu'il est en 
bonnet de nuit, et venant a mieux s'examiner, il se trouve rase a moitie, il voit que son epee est mise du 
cote droit, que ses bas sont rabattus sur ses talons, et que sa chemise est par-dessus ses chausses. S "il 
marche dans les places, il se sent tout d'un coup rudement frappe a restomac ou au visage, il ne 
soupconne point ce que ce peut etre, jusqua ce qu'ouvrant les yeux et se reveillant, il se trouve ou devant 
un limon de charrette, ou derriere un long ais de menuiserie que porte un ouvrier sur ses epaules. On I'a 
vu une fois heurter du front contre celui d'un aveugle, s'embarrasser dans ses jambes, et tomber avec lui, 
chacun de son cote, a la renverse. II lui est arrive plusieurs fois de se trouver tete a tete a la rencontre 
d'un prince et sur son passage, le recoimaitre a peine, et n'avoir que le loisir de se coller a un rnur pour 
lui faire place. II cherche, il brouille, il crie, il s'echauffe, il appelle ses valets Tun apres r autre, on lui 
perd tout, on lui egare tout, il demande ses gants, qu'il a dans ses mains, semblable a cette fernme qui 
prenait le temps de demander son masque lorsqu'elle Tavait sur son visage. II entre a Fappartement et 
passe sous un lustre ou sa perruque s'accroche et demeure suspendue, tous les courtisans regardent et 
rient, Menalque regarde aussi et rit plus haul que les autres, il cherche des yeux dans toute Tassemblee ou 
est celui qui rnontre ses oreilles et a qui il manque une perruque. S'il va par la ville, apres avoir fait 
quelque chemin, il se croit egare, il s'emeut, et il demande ou il est a des passants, qui lui disent 
precisement le nom de sa rue, il entre ensuite dans sa maison, d'ou il sort precipitamment croyant qu'il 
s'est trompe. » 

La Rochefoucauld disait de lui qu'il etait « l'antithese de P ideal represente par l 1ib honnete homme", 
"celui qui ne se pique de rien" ». 



Humour docte, L' 

Moliere a ecrit un jour : « II nous faut en riant instruire ]a jeunesse. » Non settlement notre Jean- 
Baptiste Poquelin national n'avait pas completement tort, mais il se doutait que ce n'etait pas chose 
facile, puisqtfil s'empressait d'ajouter : «: C'est une etrange entreprise que celle de faire rire les 
honnetes gens. » 

Moliere a-t-il vrairnent contribue, comme il le disait, a instruire les jeunes et les moins jeunes ? Ce 
n'est pas si sur, car ce genie de la farce s'evertuait surtout a denoncer les cretins, les idiots, les avares, 
les fanfarons et autres ivrognes. Tout cela n'est pas vrairnent de la pedagogie a Fetat pur, mais c'est une 
facon heureuse et surtout amusante de montrer non pas oil se trouve la difference entre le bien et le mal, 
mais entre r esprit et la betise. 

II faudra attendre deux siecles pour que ce principe soil reconnu et accepte, meme par les enseignants 
les plus conservateurs. 

Aujourd'hui, tout le monde en a plein la bouche ; « II faut apprendre en s'amusant. » C'est la 
pedagogie a la mode, ludique et interactive, et 9a a Fair de fonctionner. 

On peut considerer par exemple que Jean-Louis Fournier a fait mouche avec ses manuels 
Impertinents : grammaire, arithmetique, sciences, code de la route, ou politesse. Pour lui : « La 
grammaire francaise et impertinente est Fenseinble des regies a suivre pour dire et ecrire correctement 
des betises, des grossieretes et quelques horreurs... Une grammaire qui donne peut-etre le mauvais 
exemple mais toujours la bonne regie. » 

Exemple : 

« II existe deux pronoms adverbiaux : en et y, tous deux invariables. 

"En" correspond a : de lui, d'elle, d'eux, de cela. 

— Monsieur Roberval est mort. 

— Je nVen balance. 

De quoi me balance-je ? De cela : monsieur Roberval est mort. » 

On rigole, on rigole, et en plus on apprend. C'est leger, mais ca peut etre incisif : 

« Un telefilm qui compte 4 morts violentes fait en moyenne 10 points d'Audimat. Combien de morts 

violentes seraient necessaires pour obtenir 65 points d'Audimat ? » 

Quand on fait de F humour culturel, il faut aller jusqu'au bout et donner des reponses serieuses aux 

questions farfelues ; 

« Je calcule d'abord le nombre de morts violentes necessaires pour obtenir 1 point d'Audimat Je 

multiplie le resultat par 65. » 

Resultat : « II faut 26 morts violentes pour faire 65 points d'Audimat. » 

Corrige : « L* Audi mat qui tue. Nombre de morts pour 1 point : 4/10 = 0,4 rnort. » 

Nombre de morts pour 65 points : 0,4 * 65 = 26 morts. » 

Le regrette journaliste et ecrivain Raoul Lambert avait bien assimile lui aussi le principe : 

« Grammaire. Urgent. Participe passe avec avoir cherche complement d'objet direct place avant pour 

accord. Pas serieuxs'abstenir. » 

II donnait meme Fimpression d'etre presque serieux quand il imaginait cette dictee : 

« La mouette est un oiseau aquatique blanc ou gris clair, aux pattes palmees, aucri aigre, mangeur de 

poissons et qui se distingue du goeland par sa taille plus petite (moins de 65 centimetres). Les mouettes 

ont un beau vol plane, se posent souvent sur 1 'eau, mais nagent peu et ne plongent pas. 
Elles appartiennent a la famille des Larides. » 

« Presque serieux », disions-nous, car sa chute se trouve dans les questions qui suivent sa dictee : 
« — Les oiseaux aquatiques peuvent-ils pondre sur des planches a voile ? 

— Appartenez-vous a la famille des Larides ? \fotre mere est-elle nee Laride ? Si vous etiez de la 



famille des Larides, quel genre de chaussures porteriez-vous pour avoir vos pieds palmes a raise ? 

— Qu'est-ce qu'un cri aigre ? Connaissez-vous dans voire entourage quelqu'un qui pousse des cris 
aigres en mangeant d.u poisson ? 

— Quelle difference y a-t-il entre un vol plane et un vol a l'etalage ? 

— Combien d'oiseaux aquatiques de mo ins de 65 centimetres peuvent etre contenus dans un cube de 
6^6><8 metres ? » 

Pour les auteurs de la Gramrnaire lurhulente du franca is con tempo/a in (1985) Fasola et Lyant, « Ie 
gout de la grarnmaire est inne chez L'homme [et] conjuguer est son bonheur ». Ce sont eux qui ont eu Tart 
de nous enseigner le verbe haut, le petit nom, les precieux auxiliaires, les superbes articles et le pronom 
triste. le conditionnel passe anterieur parfait decompose. Un modele du genre meconnu : 

« La conjugatoire. Les conjugaisons sont un paradigme coherent et souvent efflcace qui pennet de 
distinguer le verbe de ce qu'il n'est pas. 

Exemples de conjugaison : troisieme groupe, type "concevoir". 

Subjonctif parfait (avec variante) : 

— Que je cueilletroiscornouflettes 

— Que tu les decoupeenrhomboedres 

— Qu'il fissefrissonnirpatro 

— Qu'elle trempetondoigt 

— Que nous yeuise 

— Que vous nouyionslenouet 

— Qu'ils deglacentdansunplatcreuxresistant 

— Qu'elles servezchaud. » 

Et pour fmir L'annee scolaire, pourquoi pas un cours de maintien pour vous lancer dans le monde ? 

« A la fin d'une danse, il reste de bon ton, malgre l'emancipation des mceurs et l'allegement d'un 
code de savoir-vivre franchement depasse, que le cavalier raccompagne sa cavaliere jusqu'a sa chaise. 
Oujusque sous sa chaise, s'il s'agit d'une partouze » (Pierre Desproges). 

Dans un genre different, j'ai aussi apprecie Ie Petit Dictionnaire des mots retrouves, que j 1 ai edite 
eti2004. 

— « Anthrax. n.p.tn Geant de la mythologie grecque, fils de Thorax et d^Eresipele, ravisseur de la 
nymphe Acne. » 

— « Aspiring, s.f Epouse d'un aspirant de marine. Generalement tres elegante, elle donne a la mode 
un caractere parti culier, un cachet d"aspirine. » 

— « Goitre, s.m. Excroissance de nature poliomyelisante, frequente chez les trappistes. » 

— « Colophon. $j& Scaphandrier descendant a de grandes profondeurs. » 

— « Cucu. s.m. Petit singe de Tasmanie, a queue prenante et s'apprivoisant tres facilemenL Le cucu 
se nourrii de pralines. » 

— « Torticolis. s.m. Spirale. Escalier en torticolis : escalier tournant. » 

— « Uterus, n.p.m. Petit torrent du Latium prenant sa source dans le col des Apennins qui porte son 
nom. Le col de I 'Uterus a vu passer toutes les invasions bar bares, » 

Les auteurs de ce dictionnaire disaient vouloir reagir contre les « corrupteurs de notre langue », 
contre « V interpretation fantaisiste des mots » par certains Francais. Qui etaient-ils ? Personne ne le sait 
vraiment, puisqu*ils ne se sont jamais demasques, mais on soupgonne une equipe de joyeux drilles de la 
NRF, dans les annees 1940. 

Desproges, encore lui, avait imagine un Dictionnaire superflu : 

« Quadrumane. adj. et a m, dequadru, quatre, et /nanus, main. Qui a quatre mains. Exemple : Le 
rossignol n'est pas quadrumane. » 

Ce dictionnaire n'elait pas si saugrenu, puisqu"on y apprend des mots peu courants et qu'on peut aussi 



y reviser ses locutions latines : 

— « Aleajacta est : lis sont bavards, a la gare de l'Est. » 

— « Aleajacta ouest : A Monlparnasse aussi. » 

Je pense aussi a cet humour therapie qui « desangoisse ». Quand tout foul le camp, quand on connait 
la pauvrete, la maladie„ les soucis familiaux, la trahison des amis, la vieillesse et l'approche de la mort, 
1 'humour peul noiis sauver : « J'ai de quoi vivre pendant le reste de mon existence, a moins que je 
n'achete quelque chose » (Jackie Mason). 

Pour Desproges il faut rire de tout, cela permet d*« exorciser les chagrins veri tables et de fustiger les 
angoisses mortelles », et quand il a appris qu'il avait un « cancer de biais » sous la forme d'un « crabe 
affame qui lui broutait le poumon, le soir meme, chez Tecailler du coin, [il a] bouffe un tourteau »■. 

Alphonse Allais, qui faisait partie du mouvement Fumiste, aimait ruer dans les brancards de la 
sagesse populaire, d'ou ce conseil de paresseux : « Ne remets pas a demain ce que tu peux faire apres- 
demain. » 

Et Bernard Shaw d'ajouter, pour convaincre les plus timores : « La regie d'or est qu'il rfy a pas de 
regie d'or. » 

L' humour peut aussi alleger les problemes de couple : 

— « Quand un honime el une femme se marient, ils ne font plus qu'ua Mais le plus dur e'est de 
savoir lequel » (Bernard Shaw). 

L'humour permet aussi de digerer les regrets : « A soixante-cinq ans, on commence a regretter les 
peches qu'on n'a pas commis » (anonyme), ou d'atteindre le « lacher-prise » : « Ce qu'il y a de bien 
quand on devient vieux* e'est que toutes ces choses que vous n'avez pas pu avoir quand vous etiez jeune, 
vous n'en avez plus envie » (L. McCandless). D'ou cette lecon de sagesse : « II ne faut compter que sur 
soi-meme. Et encore, pas beaucoup » (Tristan Bernard). 

Pierre Desproges avait raison avec son fameux « Vivons heureux en attendant la rnort ». Parce que : 

— « La vie est parfois invivable, mais la mort Test encore plus » (Anonyme). 

— « Apprendre a mourir 1 Et pourquoi done ? On y reussit tres bien la premiere fois ! » (Chamfort). 

— « J'ai tellement horreur des enterrements que, si je pouvais, je n'irais pas au mien » (Philippe 
Heracles). 

— «Ce n'estpas que j'aiepeur de mourir. Disons quejene veuxpas etre la le jour ouca arrivera » 
(Woody Allen). Lequel ajoutait : « L'eternite, e'est long, surtout vers la fin » et « Si Dieu existe, j 'espere 
qu'il a une bonne excuse. » 

D'apres Joseph Addison (1672-1719), « la Verite engendra le Bon Sens qui engendra r Esprit qui 
epousa Gaiete dont il eut un fils : r Humour ». Et ce bon sens qui, d'apres Descartes, est « la chose du 
nionde la mieuxpartagee », signifie logique, celle-la meme qui nous renvoie a l'aspect naturel des choses 
que Ton trouve chez les enfants. Eux seuls jouent avec la logique comme ils jouent a la marelle. 

Ainsi la petite Floriane explique que son nez « pleure », et Tom pense qu on va « changer » son petit 
frere parce qu'il enerve sa mamarL 

Ils consomment les homophones avec une logique imparable : 

— « Maman, e'estpas un ceuf a la coque, e'est un ceuf a la poule ! » (Pablo). 
Etjonglent avec les liaisons : 

— « J'veux pas de la salade. elle est trop "zonee !" » (Robinson). 
Gaspard, lui, en veut a son grand-pere d'arriver si tard : 

— « T'es xagere, papy ! T'es vraiment xagere ! » 

Puis ces memes enfants grandissent. Adolescents, ils continuent de nous interroger, et leurs 
remarques, quoique plus matures, relevent de la meme logique amusante : 

— « Quel est le synonyme de "synonyme" ? » 

— « Quel est le contraire de "contraire" ? » 



Pas etonnant que leurs professeurs se disent depasses... 

Adultes, ils s'appellent Ambrose Bierce : « Quand j'entends jouer du violon, je pense que c'est la 
vengeance des intestins d'un chat mort », ou Pierre Legare qui nous perturbe avec ses Mots de tele : 
« Si tout le monde te deteste parce que t'es paranoi'aque, lu ne Tes plus. » 
Voila qui enrassurera plus d'un... 

Enfin, Gainsbourg se posait la question « hilarement » existentielle : 
« D "rendra Tame". Oui, mais a qui ? » 



Humour involontaire, L' 




J'airnerais ici rendre un hommage solennel et bien merite aux auteurs de manuels scolaires, guides de 
civilites et alrnanachs divers de la fin duxix et du debut duxx* siecle ; des textes qui, avec le temps, 
sont devenus des chefs-d'ceuvre d' humour. II aura fallu pour cela que je les extirpe des malles 
poussiereuses des bibliophiles et autres brocanteurs, pour decouvrir des ecrits insolites et bi2arres, a 
1' humour suranne mais desopilant. 

Ou 1 *on faisait parler le petit Jesus : 

Limitation du petit Jesus etait un classique tres en vogue dans les institutions catholiques des 1931, 
date a Iaquelle Touvrage recut V Imprimatur Lutetiie Parisiorum. C'est airtsi que Ton enseignait le 
catechisme entre 1930 et 1950. 

« le petit enfant fidele : Mon bon petit Jesus, je ne te connais pas beaucoup et cependant deja je 
t'aime. Je sais seulement que tu as une jolie petite figure, beaucoup plus belle que la mienne et que toutes 
celles qu'on voit sur les images. 

le petit jesus : Quand la Sainte Vierge me disait : "Mon petit Jesus cheri, veux-tu aller me chercher 
de l'eau ?", je quittais tout et y allais bien vite, en ayant soin toutefois de ne pas trop courir pour ne pas 
en renverser par terre. Ainsi je faisais toutes les commissions, je mettais le couvert, j'epluchais les 
legumes, j'aidais saint Joseph- [...] 

Quand j'etais bien occupe a jouer avec mes petits camarades, ou avec le minet de la voisine, on bien 
avec mes petits bouts de bois, et que, tout a coup, j'entendais appeler : "Petit Jesus ! Petit Jesus !", je ne 
disais pas : "Oui,, oui maman, j* arrive", j'arrivais tout de suite, avec un grand sourire, pour qu'elle voie 
bien que je n'etais pas mecontent » (L 'Imitation du petit Jesus, 1931). 

Oil I 'on posait des questions sur / 'hist oi re sainte : 



« Que fit Noe apres Ie Deluge ? 

II offrit un sacrifice a Dieu en reconnaissance de ce qu'Il I'avait preserve de la destruction generate 
du genre humain. Ensuite, il planta la vigne ; mais ayant bu inconsiderement du vin qu'elle avait produit, 
parce qu'il n'en connaissait pas la force, il s'endormit dans une posture indecenle. Cham, le second de 
ses fl Is, appela ses freres, Semet Japhet, pour en rire ; mais ceux-ci le couvrirentde leurs manteaux. Noe, 
qui en fut instruit a son reveil, donna sa benediction a Sem et a Japhet, et sa malediction a Cham Dieu 
maudit en meme temps cet indigne fils, pour apprendre aux enfants a respecter leurs peres, en quelque etat 
qu'ils puissent etre. » 

« Les autres religions ne sont-elles pas aussi saintes que la religion chretienne ? 

Non ; elles ont des caracteres bien differents, et font voir par la qu'elles sont Fouvrage des hommes. 
La religion des pa'iens. par exemple, est pleine de corruption et d'impiete, et les plus grands crimes y sont 
autorises, par exemple Les fausses divinites. Celle de Mahomet est pleine d'absurdite ; car qui peut croire 
que la lime soit tombee un jour dans la poche de Mahomet, comrne il le raconte lui-meme, et que d'un 
coup dc poing il Fait renvoyee au ciel pour ne pas priver le monde de sa clarte ? Outre cela, elle flatte 
les passions des homines pour les attirer, el permet la jouissance des plaisirs sensuels. En un mot, la 
religion chretienne seule detruit tous les vices et tend a une parfaite saintete » (Abrege de I'hisioire 
sainte, 1893). 

Et sur saint Francois d'Assise : 

« On raconte que le saint, en prechant, allongeait la langue et se pourlechait les levres toutes les fois 
qu'il prononcait le nom de Jesus, comrne s'il avait mange du miel ; il s'exercait a prononcer en belant le 
mot Bethleem et s'enfermait dans une etable pour apprendre des meilleurs maitres le belement nature! » 
(Grand Di ctio una ire Larousse du XDt* siecle, 1869). 

Oil I 'on apprenait I 'histoire de France : Le missionnaire : 

« La France n*a pas seulement envoye des soldats et des colons dans les pays lointains. Des milliers 
de missionnaires, peres et sceurs, sont partis vers des regions inconnues pour soulager les miseres et faire 
connaitre le bon Dieu 

Le pere a marche de longs jours a travers la foret vierge : il arrive dans un village negre. II n'est pas 
tres bienaccueilli. 

II y a quelques annees. un missionnaire etait deja venu ; anais le sorcier etait jaloux de lui et il Fa fait 
assassiner. 

Le pere qui arrive aujourd'hui sait cela. Pendant plusieurs jours, personne ne s'approche de lui. E 
construit une case oil il installe une chapelle. 

Un jour il traverse le village : les enfants se sauvent. Fun d'eux tombe. Le bon pere le releve ; le petit 
Negre est blesse au genou. Le pere le prend dans ses bras, il le soigne, le console. Le lendemain, son petit 
ami lui dit bonjour ; les habitants du village ne se cachent plus. Le pere s'approche d^eux, tous Fecoutent, 
il les fait rire. Mais non. le pere n'estpas mechant I » 

Damon, le chasseur gaulots : 

« II y a tres longtemps, notre pays s'appelait la Gaule : ses habitants etaient les Gaulois. lis vivaient 
reunis entribus [...]- 

Damos, le chasseur rapide comrne le daim, revient de la chasse. II est grand et fort. II est alle dans la 
foret, ou vivent des animaux sauvages : les aurochs, grands bceufs au front bombe ; les ours, les elans. 
Damos a reussi a tuer un daim [...]. 

Entrons avec lui dans sa hutte. Attention ! Baissons-nous car sa hutte est tres basse. Quelle mauvaise 
odeur ! La fiimee nous pique les yeux ; nous n'y voyons pas grand-chose d'abord, parce qu' il n'y a pas de 



fenetre [...]. 

Damos s'habille pour le festin. II met un pantalon tres large ou braie. puis il endosse une tunique 
serree a la ceinture, la saie ; enfin il attache ses chaussures a semelles de bois avec des cordelettes. [...] 
Au festin, les invites dechirent a belles dents la viande saignante. lis boivent de rhydromel ou du vin 
contenus dans des cruches en terre cuite. Helas, les convives s'enivrent et le repas se termine par des 
disputes [...]. » 

L 'empereur Charlemagne : 

« Plusieurs siecles apres Clovis, les Francs ont un grand roi, Charlemagne [..-]. 

Charlemagne est grand et fort ; c'est un bon cavalier, un nageur etonnant. II aime beaucoup la chasse. 
II est tres simple, il ne met ses beaux habits que les jours de fete. II est sobre a table ; il deteste ceux qui 
s'enivrent. 

Charlemagne est aussi tres Chretien Chaque matin et chaque soh\ il va a la chapel le qu'il a fait 
construire dans son palais. Pendant ses repas, il se fait lire des passages de FEvangile ; il ne manque 
jamais dejeuner. 

Comme il regrette de ne pas avoir appris a ecrire ! La nuit, quand il s'eveille, il s*assied sur son lit ; 
il prend une plume d'oie ets'exerce a ecrire [...]. 

Tout le peuple franc le remercie de la paix qu'il assure dans le pays. Par admiration, on l'appelle 
"I* empereur a la barbe fleurie", bien qu'il n'ait pas de barbe. » 

Louis XIV, le Roi-Soleil : 

« Louis XIV est le plus glorieux des rois de France. II regne de 1661 a 1715. 

Son air majestueux en impose a tout le monde ; les courtisans I'admirent et lui parlent avec respect. 
Lui-meme ne se permet jamais un mensonge ni une plaisanterie a Tadresse d'une personne. II est 
extremement poli et il souleve son chapeau devant toutes les dames qui passent » (Histoire de France, 
1954). 

Un pen d'arithmetique : 

— « Un cheval tout harnache a coute 620 F ; nu, il aurait coute 350 F ; quel est le prix des harnais ? 

— Un mourant qui possede 1 2 300 F donne 8 900 F a I'hopital et partage le reste entre ses 5 parents ; 
quelle sera la part de chacun ? 

— Un batailion comptait 720 hommes ; 40 sont morts a la guerre, 20 a I'hopital, 15 ont ete faits 
prisonniers, 8 ont deserte, et 50 ont obtenu lew eonge ; combien reste-t-il d"hommes dans ce batailion ? 

— Un ouvrier met 10 minutes a fumer une pipe ; combien d'heures emploie-t-il a fumer pendant une 
annee, s ? il fume 3 pipes par jour ? 

— Un homme portant des ceufs au marche en casse 35, en donne 8 aux pauvres, en vend 7 douzaines 
en route, et arrive avec 476 ceufs ; combien en avait-il en partant de chez lui ? 

— Quelquun promet de dormer 1,10 F a un pauvre toutes les fois qu'il gagnera 13 F ; a combien de 
pauvres doit-il faire Taumone Iorsque son gain s'eleve a 546 F ? 

— Dans une famille, un homme boit 1 5 litres de vin, sa femme 8 litres, et ses enfants 7 litres chaque 
mois ; dans combien de temps auront-ils bu un tonneau de 360 litres ? » (Arithmetique, 1 853). 

Et de composition frangaise : 

« De la composition francaise et autres questions d'intelligence : 

— Ecrivez au proprietaire d'un pressoir mecanique pour lui demander de venir chez vous presser 



vos pommes. 

— \6tre chat a decouvert un trou de souris dans Ie grenier. Que fait-il ? Son attitude ? La souris met 
le nez dehors, rentre, puis revient, avance un pea regarde a droite, a gauche. Tranquillisee, elle quitte son 
trou. Imaginez la suite. 

— Avez-vous vu la fermiere quand vient Theure de soigner la basse-cour ? Elle apparait. Elle 
appelle la volaille. Aussitot, poules, canards, pigeons, etc., de se precipiter a qui mieux mieux. 

Tachez de nous faire une description vivante de cette tache. 

— Un papillon vole, vole... Un enfant le poursuit. C'est Ie matin. Par le chemin embaume de rosee, 
les oiseaux chantent, les fourmis se promenent, les fleurs sentent bon, Ies plantes reverdissent. Un gai 
soleil inonde la campagne de ses bienfaits rayons. Tout a coup, du creux d'une digitale pourpre, un 
papillon sort. 

Racontez» (Pierre Bertrand, 1928). 

Des bonnes manieres - les domes tiques : 

« On doit toujours parler a ses domestiques poliment, mais d'une facon nette et precise. On dira par 
exemple : "Voulez-vous recoudre mon gant, Maria ?", "Vous voudrez bien preparer le the pour 5 heures." 

Mais on ne sera ni dur ni dedaigneux en disant simplement : "Vbus irez chercher Mile Ghislaine chez 
ses amis", "Vous allumerez le feu dans le bureau." 

Si on demande un service exceptionnel, on ajoute volontiers : *Vil vous. plait". On dit merci de temps 
en temps. Et on doit remercier parfois de maniere plus accentuee. II n'est pas bien difficile de dire : 

"Afctre tarte etait excellente Josephine", "On a beaucoup admire la robe que Julie a faite a 
Mademoiselle", "Vous aveztres bien servi Ie diner, Justin". 

Ces eloges merites donnent aux serviteurs le desir de bien faire et les attachent a une maison ou Ton 
comprend le prix du travail. 

Les domestiques emploient la troisieme personne pour parler a tous leurs maitres. Parlant de leurs 
maitres, ils disent monsieur, madame, mademoiselle, et non M. Lorrain, Mme Dantec, Mile Huguette. S* il 
y a plusieurs enfants, ils peuvent faire suivre monsieur ou mademoiselle du nom de bapteme et dire 
M. Roger, Mile Jacqueline. Le bebe lui-meme a droit a etre nomme ainsi » {Le Saroir-vivre, 1928). 

La premiere rencontre : 

« On choisit un terrain neutre, une eglise, un masee, un lieu de promenade, une maison amie ; la jeune 
fille est avec ses parents, le jeune homme est accornpagne de la personne qui s'entremet pour le manage. 
On se rencontre a la sortie de 1'eglise, ou pendant une promenade, au theatre ; apres les presentations, une 
conversation generale s'engage. .. Elle est courte et banale. La jeune fille n'est pas prevenue ; elle est 
ainsi plus narurelle et, par la suite, plus charmante. Cependant, il est des raisons pour lesquelles, 
quelquefois, les parents trouvent utile de Pavertir. Elle feint alors, pour etre plus a Taise, de ne rien 
savoir. Elle est mise simplement, comme ses soeurs et sa mere. On ne doit pas songer a Texhiber » (Le 
Guide des convenances, 1924). 

Du tabac : 

« Le docteur Demeaux atfirme que, depuis qu'on tume dans le departernent du Lot, la sante generale 
s'est amelioree. 

Comment faire admettre que Tusage du tabac abrege Texistence, quand les statistiques, au contraire, 
etablissent irrevocablement que la vie de Thomme s^est accrue dans ces derniers tenps, par une autre 
cause peut-etre, rnais justement en proportion directe de la consommation du tabac ? » (Laivusse du 



wf siecle). 

De I 'hygiene - la sueur des aisselles : 

« Je vais donner un moyen pour empecher tous les inconvenients de la sueur d'avoir lieu. Comme il 
faut bien se garder d'arreter le cours de celte sueur dont la nature se sert pour secreler des hurneurs 
nuisibles, la seule proprete doit conlribuer a vous en delivrer : vous Iaverez chaque matin le dessous des 
bras avec de Teau tiede, puis, Iorsque vous sentirez la premiere atleinte de la sueur. vous glisserez sur le 
gousset de la manche de chemise un petit morceau carre de toile fine ou de batiste. A ce petit morceau 
appele "gousset mobile", on adaptera une petite ganse pour attacher les deux goussets ensemble lorsqu'on 
voudra les blanchir. \bus en aurez une provision afin de les changer rrequemment » {Le Manuel des 
dames, 1827). 

L 'amour : 

« Cette passion exaltee peut produire des resultats heureux ou de facheux efFets. L amour encourage 
fait eprouver un bien-etre general, active toutes les fonctions, colore agreablement tous les objets et fait 
cherir 1' existence. 

Cette passion expansive double la force, Tenergie, la volonte, fait accepter avec joie les plus grands 
sacrifices et peut etre T occasion du developpement des facultes les plus remarquables. L' amour 
malheureux, au contraire, produit tous les efFets des affections sombres. 

Les fonctions principales sont troublees, le sommeil agite ou nul, les idees tristes ; un mecontentement 
continuel. une sensibilite exageree, le degout de la vie, des larmes, des syncopes, des convulsions 
tourmentent frequemment les victimes de cette passion. 

Elles sont beaucoup plus nombreuses parmi les femmes que parmi les hommes et r amour est chez 
elles la cause la plus frequente de Thysterie, de Tepilepsie et de Talienation » (La Nouvelle Maison 
rustique, 1 846). 

Ce qu f il nejaut pas j aire quand on est nervewc : 

« Ne vous mariez pas trop tardivement, si vous voulez apporter la patience au menage. Ne couchez 
pas vos enfants pres de votre chambre. 

Ne vous adonnez pas aux sciences occultes, au spiritisme ; ne vous avisez pas de faire tourner les 
tables. 

Ne mangezni viandes marinees,, ni charcuterie, ni fro mages fermentes, ni coquillages, ni crustaces, ni 
celeri, ni asperges, ni gateaux, ni sucreries. 

Ne vivez pas dans un air confine. Ne transformez pas en tabagie le lieu ou vous travaillez. En tout 
cas, aerez souvent votre bureau. 

Ne prenez pas de vacances au voisinage de la mer. Le climat marin est rennemi du nerveux, chez 
lequel il determine de frequentes insomnies. 

Ne soyez ni depute, ni avocat, ni medecin. ni chauffeur d'automobile, ni homrne d'affaires, ni homrne 
de theatre. Ne preparez aucun concours, ni intellectuel, ni sportif. 

Ne j ouez pas ; les discussions provoquees par le jeu surexcitent enormement le systeme nerveux. 

Ne vous logez pas pres d'un tir, d'une forge, d'une scierie, d'un cours de musique, d'une gare de 
cheinin de fer, d'un depot de tramways », etc. {Almanack Hachette, 1927). 

Du ban usage d 'un discours : 

« Pour rinauguration d'une station de chemin de fer : 



Saluons la blanche maisonnette, minuscule et souriante comme une villa, qui semble de loin inviter le 
voyageur ; nous avons bien le droit de la decorer du nom de gare. 

Elle porte deja fierement le nom de notre petit pays, ecrit en majuscules blanches sur fond bleu. 

Gardons-nous de dedaigner ce grand hangar de planches brunes, qui se tient a Pecart, comme un 
modeste serviteur et qui rnerite bien cependant une large part des dommages que nous adressons a sa 
sceur plus coquette. 

11 est vide encore, mais bientot il abritera tous les produits de notre region : nos pailles, nos foins et 
nos tonneaux ; il sera comme Phumble local d'une exposition permanente, oil Ton pourra administrer tout 
ce que peuvent donner notre sol et notre industrie. 

Benissons aussi et surtout les deux rubans d'acier qui courent a droite et a gauche, a perte de vue et 
qui nous relient aux villages voisins, aux villes plus lointaines. a Paris enfin et au monde » (Louis Filippi, 
1920). 

De I 'admin is l rat fori : 

« \fous avez dernande a beneficier de Paide de I'Etat prevue par la loi du 4 decembre 1985 afin 
d*effectuer le rachat de cotisations que vous propose la caisse regionale d'assuranee maladie Rhone- 
Alpes pour des periodes d'activite au Maroc allant du l er juillet 1957 au 30 juin 1964. Conformement 
aux dispositions de Particle 2 de cette loi, Paide de I'Etat ne peut etre attribute qu'aux personnes visees 
a Particle 1 de ce texte, a savoir aux Francais et aux etrangers vises au deuxieme alinea de Particle 3 de 
la loi du26 decembre 1961 » (Courrier du ministere des Affaires sociales). 

« Votre affiliation au regime general sans critere de residence sera immediate des le depot de votre 
dernande, attestant de votre situation reguliere et stable en France. Si vos ressources et celles des 
personnes composant votre foyer sont superieures au plafond fixe par decret, vous devez payer une 
cotisation a un taux limite proportionnel a vos ressources » (Notes du forrnulaire « Couverture maladie 
universelle-protection de base »). 

« Uactif taxable est calcule en deduisant le passif de Pactif brut, Dans les regimes communautaires, 
vous devez effectuer une premiere liquidation en enumerant et en evaluant les biens de communaute 
desquels vous deduisez le passif. La difference est appelee "boni de communaute'" » (Texte figurant dans 
une notice officielle de declaration de succession, cite dans Le Monde, 3 aout2001). 

De la Securite sociale : 

— « Qa fait seize jours que je suis au lit avec le docteur Dupont, et je voudrais en changer parce qu'il 
ne m*a encore rien fait » 

— « J'ai ete victime d'un accident de la circulation, provoque par un chien a bicyclette. » 

— « Je me suis marie il y a huit jours, dites-moi comment couvrir ma femme. » 

— « Mere d'un enfant de six mois que je nourris au sein, je n'arrive pas a joindre les deax bouts. » 

— « Selon vos instructions, j'ai donne le jour a deux enfants dans une enveloppe ci-jointe. » 

— « Monsieur, je vous envoie mon certificat de mariage et deux enfants. L'un d'eux est une erreur 
comme vous pouvez le voir. » 

— « Monsieur le directeur, mon mari est mort. Dites-moi comment le faire sortir de la caisse. » 

— « Mes dents sont tellement mauvaises que je ne peux macher que des potages. » 

— « En reponse a votre enquete dentaire, mes dents de devant vont tres bien mais les dents de mon 
derriere me font tres mal. » 

— « On a coupe les bourses de mon fils : il ne va plus en classe. » 

— « Je suis enceinte de cinq mois... etpourtantje n'ai rientouche. » 

— « Mon enfant n'a pas une bonne glande tyrolienne. » 



— « Les frais de soins pour Fotite de mon fils ne m'ont toujours pas ete rembourses : la mutuelle fait 
la sourde oreille. » 

— « Comme mon mari est parti chez les fous, je Fenvoie a votre bureau » (Les Perles de la Securite 
sociale, Claude Gagniere). 

De la presse : 

— « L'exil dore mais nostalgique de 1* ex-sultan du Maroc et de son harem. Ben Youssef parmi ses 
Negresses caresse les plus noirs desseins » (Le Dauphine libere, 13-12- 1953). 

— « Tire-lait electrique POMP. Au comptant : 65 000 francs ; ou traites mensuelles » ( Maison de 
sante de France, octobre 1953). 

— « La presentation des concurrentes sera faite suivant nos reglements "Miss France". Les 
concurrentes sont informees que le comite se tiendra a la disposition de celles qui n'ont pas de maillot » 
(Vigie marocaine, 12-02-1954). 

— « Un ancien garde-chiourme accuse : "L'escroc, c'est I'Etat." Dans le doute, le tribunal le 
condamne a trois mo is de prison » (Paris- Presse, 12-03-1953). 

— « Avec le Lave-tout-eclair, un bon rincage a I'eau froide entre chaque operation suffit pour passer 
de la cuvette des W.-C. a la poele a frire et a votre visage » (Prospectus publicitaire). 

— « Quand vous doublez un cycliste, laissez-lui toujours la place pour tomber » (Le Repablicain 
terrain, 12-10-1954). 

— « Un 18 e enfant, une petite Nicole, est ne hier a Lorient, cite Saint-Huel, au foyer d'un tourneur de 
F arsenal, M. Robert Remusat. La maman. nee Alice Calvel, a quarante et un ans et le pere quarante-huit 
ans. Sur ces 18 enfants, 16 sont encore vivants et 2 maries » (Le Telegramme de Brest, 21-01-1954), 

— « La France est representee par un erudiant yougoslave,, M. Vidoknezevitch, designe en raison de 
sa parfaite connaissance de la langue anglaise » (Le Monde, 16-05-1954). 

— « Le nombre de voyageurs descendus dans une gare ne peut etre superieur au nombre de voyageurs 
existant daas le train au depart de la gare precedente » (Circulaire SNCF). 

— « Le tronc de la femme decouvert dans le Rhone provient d'un corps decoupe en morceaux » (Le 
Meridional, 09-06-1 955). 

— « La Pedale chantenaisienne a Passaut du V.C. Nazairien » (Resistance de I 'Quest, 06-04-1956). 

— « Si le blesse perd son sang en abondance, garder son sang-froid » (Preparation militaire. 
Secourisme). 

— « Un cheval alezan fort age a ete abandonne dans la nuit d'hier, probablement sur la place de 
rimmigration. Des personnes Font vu se diriger, ce matin, vers le bureau de FAssistance publique » 
(Cemeen, 19-01-1955). 

— « Encore un reglement de comptes a Marseille. Un couple traque par le milieu abattu en plein 
centre » (La Liberie de ClermoiU-Ferrand, 13-10-1956). 

— «LisezIa page 8 d'une oreille attentive »(Club, mai 1955). 

— « Les premieres u^anspirations de la reunion preparatoire de la fete viennent de nous parvenir. 
El les sont abondantes et de bonne qualite » (Le Counter du Maroc, 02-1 1-1955). 

— « II va y avoir un an que le vieux sanglier tourne comme un ours en cage dans sa cellule » (fci- 
Paris, 14-11-1954). 

— « Andre Leriche, cinquante et un ans, comparait pour attentat aux mceurs commis sur la personne 
de ses deux filles, et pour divers outrages publics a la pudeur. Leriche aurait notamn^nt urine dans la 
cheminee, eteignant le feu » (L 'Echo repuhlicain, 24-06-1953). 

— « Marcel Gagnon, soixante-dix ans, s'est suicide de cinq coups de revolver dans la tempe, tires 
chacun a un quart d'heure d"intervalle » (La Republique du Centre, aout 1954). 



L'humour involonlaire de certains ecrivains « dislraits » trouve aussi ici sa place. lis ont laisse 
passer de jolis mots dont la posterite se regale. On ne se relit jamais assez, quoique je soupconne certains 
d'entre eux de ne pas etre dupes et d'avoir voulu s'amuser un peu : 

— « Adonne a la poesie erotique. Melendez pensa entrer dans les ordres » (James Fitzrnaurice-Kelly, 
Histoire de la litterature espagnole). 

— « Alors, elle apercut un pied qui riait dans un rayon de soleil » (Emile Zola, Les Contes a Ninon). 

— « Ah ! ah ! dit don Manoel en portugais » (Alexandre Dumas, Le Collier de. la reine). 

— « II est inadmissible qu'on me demande de prononcer prouffe un mot ecrit proof » (Remy de 
Gourmont, Esthetique de la langue Jrancaise). 

— « Elle tendait a mes Ievres son triste front pale et fade sur lequel, a cette heure matinale, elle 
n'avait pas encore arrange ses faux cheveux, et oil les vertebres transparaissaient comme les pointes 
d'une couronne d"epines » (Marcel Proust, Du cote de chez Swam). 

— « Guillaume est un garcon horuiete, rnais qui ne s'est jamais apergu que son coeur lui servait a 
autre chose qu'a respirer » (Alfred de Musset, Le Chandelier). 

— « Jeantrou avait garde sur le coeur les coups de pied au cul de la baronne » (Emile Zola, 
L* Argent). 

— « Je n'y vois plus clair, dit la vieille aveugle » (Honore de Balzac, Beatrix). 

— « La Delaweare coule paral [element a la rue qui suit son bord » (Chateaubriand, Voyage en 
Amerique). 

— « Le colonel, sans plus vouloir entendre, tarnbourinait le rappel, de pied ferme, sur le bras de son 
fauteuil » (Henri Pourat, Le Mauvais Garcon). 

— « Lhomme brun aux yeux noirs est reste maitre des quatre demi-hemispheres qui forment T Europe 
meridionale » (Gabriel Hanotaux, Histoire de la France contemporaine). 

— « On dirait deux oranges-mandarines qui auraient des yeux noirs » (Rene Bazin, Impressions de 
voyage en Portugal). 

— « Puis c'etait un capitaine, le bras gauche arrache, le flanc droit perce jusqu'a la cuisse, etale sur 
le ventre, qui se trainait sur les coudes » (Emile Zola, La Debacle). 

— « Triomphante, elle rompait de son pied cette epee de Damocles suspendue sur sa tete » (Gabriel 
Martia Margarett). 

L* humour peut se cacher aussi dans des traductions surprenantes. Ainsi on peut lire : 

Dans un hotel de Tokyo : 

« Est interdit de voler les serviettes de 1' hotel s'il vous plait. Si vous n'etes pas le genre de personne 
a faire une telle chose, s'il vous plait ne pas lire la notis. » 

Dam le lobby d'un hotel de Bite west : 

« Lascenseur sera en reparation le prochain jour. Pendant ce temps, nous regrettons que vous soyez 
insupportables. » 

Dans I 'ascenseur d 'un hotel de Belgrade : 

« Pour deplacer la cabine, appuye sur le bouton pour Tetage desirant. Si la cabine devait entrer plus 
de personnes, chacun devra appuyer un nombre d'etage desirant. La conduite est alors faite 
alphabetiquement par ordre national. » 



Dans un hotel en Yougoslavie : 

« I/aplatisement des sous-vetements avec plaisir est le travail de la femme de chambre. » 

Dam le lobby d'un hotel de Moscou, en face d'un monastere orthodoxe russe : 

« \fous etes les bienvenus a visiter le cimetiere ou des compositeurs, artistes et ecrivains russes 
celebres sont enterres tous les jours sauf le jeudi. » 

Dans un aseenseur de Leipzig : 

« r*Tentrez pas dans ascenseur de reculons, et seulement si allume. » 

Dans un hotel d'Athenes : 

« On s* attend a ce que les visiteurs se plaignent au bureau entre 9 het 11 ha. rn. tous les jours. » 

Darts un hotel japonais : 

« Vous etes invites a profiler de la femme de chambre. » 

Dans un hotel autrichien pres despentes de ski ; 

« Ne pas preambuler les corridors pendant les heures de repose en bottes d'ascension. » 

Dans un bar de Tokyo : 

« Cocktails spec iaux pour les femmes avec noix. » 

Dans un aeropovt de Copenhague : 

« Nous prenons vos sacs et les envoyons dans toutes les directions. » 

Dans un bar no/vegien : 

« On deinande aux femmes de ne pas avoir d'enfants aubar. » 

Dans une brochure de location d'autos de Tokyo ; 

« Quand un passager de pied a en vue, flutez le klaxoa Trompettez-le melodieusement au debut, mais 
s'il continue d'obstacler votre passage, alors flutez-Ie avec vigueur. » 

Stir le menu d 'un restaurant Suisse : 

« Nos vins ne vous laissent rien a esperer. » 

Dans un zoo de Budapest : 

« S'il vous plait ne pas nourrir les animaux. Si vous avez de la nourriture appropriee, donnez-la au 
gardien en service. » 

Chez un taitleur de Rhodes : 

« Demandez votre costume d'ete. Parce que est grosse affluence, nous executerons les clients en 



rotation stncte. » 

Extrait du Soviet Weekly : 

« II y aura une exhibition d'arts de Moscou par 150 000 peintres et sculpteurs de la Republique slave. 
Ceux-ci ont ete executes au cours des deux dernieres annees. » 

Deux pancartes a I 'entree d 'un magasin de Major que : 
« 1. Frangais bienparlant. 2. Ici discourons americain. » 

Dans un hotel de Zurich : 

« A cause de Finconvenance des invites de divertissement du sexe oppose dans Ies chambres, il est 
suggere d'utiliser le lobby pour cette intention. » 

Sur une pancarte a hord d 'un traversier de San Juan : 

« En cas d'urgence, Ies lifeguards sont sous les sieges dans le centre du vaisseau. » 

Dans une buanderie de Rome : 

« Mesdames, laissez vos vetements ici et passez 1'apres-midi a avoir du bon temps. » 

Dans un temple de Bangkok : 

« II est interdit d'entrer une femme meme une etrangere si habillee comme un homme. » 

Autres exemples de cet humour involontaire, mais savoureux lorsqu'il s'agit de modes d'emploi : 

Savon Dove : 

« Mode d'emploi : utiliser comme un savon normal. » 

Cacahuetes Sainsbury : 

« Avertissement : contient des cacahuetes. » 

Biscuits aperitifs sur les vols American Airlines : 

« Instructions : 1 - ouvrir paquet. 2 - manger biscuits. » 

Plats surgeles : 

« Suggestioas de preparation : congeler. » 

Quirlandes lumineuses pour Noel : 

« Pour usage interieur ou exterieur uniquement. » 

Pudding Marks & Spencer : 

« Le produit sera chaud apres avoir ete rechauffe. » 



Somniferes Nytol : 

« Atlentioa la prise de ce medicament peut entrainer un etat de somnolence. » 

Tronconneuse suedoise : 

« Ne doit pas etre utilise pour un autre usage. » 

Strop pour la toux pour en/ants : 

« Ne pas conduire ni operer sur machine-outil apres absorption. » 

Seche-chevewc Sears : 

« Ne pas utiliser en dormant. » 

Enfin, quelques perles entendues dans Ies librairies : 
« L 'Etrangle\ de Cabu. » 

— « Zorro et I 'Infhii, d' Arthur Koestler. » 

— « La Cousine bete, d'Honore de Balzac. » 

— « Le Zoo de Hurlevent, d** Emily Bronte. » 

— « Le Proves de Kafka, c'est de qui ? » 

— « Antigone de la nouille. » 

— « Les Fourberies d'Escarpin, de Moliere. » 

— « Vipere an poing, d'Herve Vagin. » 

— « Eugenie Grandil, de Balzac. » 

— <c Je cherche : J'attends un enfant, mais je ne sais pas de qui... » 

— « Le Che est homo, de Friedrich Nietzsche. » 

— « Le Tiramisu (Le Kama-Sutra). » 

— « Avez-vous un manuel de savoir-vivre de Georges Perec ? (La Vie mode d'emploi). » 

— « Ainsi parlait Haroun Tazaeff(.4/7w/ parlail Zaraihoustrcu Friedrich Nietzsche), » 

— « Avez-vous Premier de cordee, dans la collection "Frissons de roche" ? » 

— « Les oiseaux se couchent pour dormir. de Colleen Mac Cullough. » 

— « Neuf trots (Quatre-vingt-treize, Victor Hugo). » 

— « Je cherche des livres de Yann Anus Bertrand. » 

— « Les Freres Bogdano/f de Dostoi'evski. » 

— « La Menopause, de Kafka. » 

— « Omelette, de Shakespeare. » 

— « On ne badine pas avec Zemmour. » 



Humour juif, L' 




On a tous luca el la que rhumour juif etait le reflet de Thistoire tourmentee etetonnante cTun peuple 
persecute et que le theme « rire pour ne pas pleurer » se retrouve tout au long de l'histoire de cet humour 
doloriste et mortifere. Le plus bel exemple en est sans doute cette anecdote rapportee par Sacha Guitry 
qui, essayant de venir en aide a son ami Tristan Bernard incarcere a Drancy, lui avait fait demander ce 
dont il avait besoin. Reponse de Tristan Bernard : « Un cache-nez. » L' humour juif n'est done pas 
seulement masochiste, e'est aussi comme l'explique le philosophe Gerard Rabinovitch « un art de 
rautoderision du cote de la vie en prenant acte de la discordance ineluctable entre les ideaux proclames 
et la realite observee ». En cela il se rapproche de l'humour anglo-saxon, rnais pour Rabinovitch, 
rhumour anglais serait plutot un humour d'aristocrates d 1 insider et rhumour juif un humour du peuple, un 
humour d 1 outsider. 

Rien de ce qui est humain n'echappe a cette derision phenomenale, a cet humour que hantent des 
themes eternels, couple, travail, argent, sante, lourdeurs de la tradition, sans oublier Dieu et les ancetres. 
A ce propos, savez-vous quels sont les juifs qui ont le plus influence Thistoire de rhumanite ? 

— Moise en enoncant : « Tout reside dans la loi. » 

— Jesus et son axiome : « Tout reside dans ramour. » 

— Marx pour qui ; « Tout se trouve dans 1' argent. » 

— Freud : « Dans le sexe. » 

— Bergson : « Dans le rire. » 

Et Einstein de conclure : « Tout est relatif ! » 

Gertrude Stein, que la modestie n"etouffait pas, affirmait, elle : « Les juife n'ont produit que trois 
genies originaux, Jesus, Spinoza et moi. » 

Ce sont les juife eax-mernes qui donnent la meilleure definition du commercant juif : « Celui qui 
parvient a vendre ce qu'il n*a pas a quelqu'unqui n'ena pas besoin. » Le juifpense que : « Dieuaime les 
pauvres et aide les riches. » 

Autre histoire d'argent qui m'a ete contee par un juif plein d'humour. si je peux me pennettre ce 
pleonasrne : Jacob qui habite Tel-Aviv telephone a son fils Samuel qui a emigre a New York : 

« Je regrette de te gacher ta journee, mais je dois t'informer que ta mere et moi sommes en train de 
divorcer. Quarante-cinq ans de souffrance, e'est assez. 

— Papa, comment peux-tu dire ga?Et juste avantles fetes ! 

— Nous ne pouvons plus nous voir, repond le pere. Nous sommes fatigues Tun de l'autre et tu rne 
rendrais service en prevenant ta sceur Anna a Chicago. » 

Desespere, le fils appelle sa sceur, outree. 
« Comment 9a ? Divorcer a leur age ? Je m'en occupe. » 
Aussitot, la fille telephone a son pere : 

« \fous n'allez pas divorcer. Ne (aites rien jusqu'a ce que noas venions vous voir. Tu m'as bien 
entendu. Rien ! » 



Le pere raccroche, se retourne vers sa femme : 

« Rebecca, tout est parfait, ils viennent passer Ies fetes avec nous et ils vont meme payer leurs billets 
d'avion ! » 

Et comment deflnir l'ethique dans les relations commerciales ? « C'est tres simple, repond le 
commercant. Si un client quitte par exemple le magasin sans avoir pris sa monnaie, dois-je la garder pour 
moi ou la partager avec mon associe ? C'est 9a, l'ethique. » 

Les transformations de la societe ? Elles sont evidentes si Ton considere que « la difference entre un 
tailleur et un psychanalyste, c'est une generation. . . ». 

Que dire des histoires qui jalonnent les differentes immigrations et qui temoignent des circonstances 
difficiles auxquelles les juifs etaient confronted ? Je pense a celle du juif recemment arrive aux Etats-Unis 
et qui s'extasie devant une machine a sandwichs. H met une piece et obtient un sandwich, puis une 
deuxieme et prend un nouveau sandwich. Au bout de six sandwichs, son ami lui demande : « Mais 
pourquoi tant de sandwichs ? » Et F autre de repondre : « Parce que je gagne a tous les coups ! » 

Et celle de 1'atelier de confection, a New York, oil Ton ne parle que yiddish. Un visiteur s'etonne d'y 
voir un Chinois parlant yiddish. On lui demande alors discretement de se taire car le Chinois croit qu'il 
apprend ramericain ! 

Uhumour juif israeli en ne manque pas non plus de saveur. On se souvient combien les premieres 
annees apres la creation d'lsrael en 1948 ont ete difficiles : un touriste americain venu voir son neveu en 
Israel s'etonne de voir qu'il ne parle que de nourriture, de problemes de logement, de transports et 
d'emploi, alors que chez lui aux Etats-Unis on parle plutot « d'art, de musique et de litterature ». Reponse 
du neveu : « Chacun parle de ce qu'il n'a pas. » 

Les histoires sur les meres juives ? Une mine d'or : 

Un Fils telephone a sa mere : 

« Comment 9a va ? 

— fava bien. 

— Oh, pardon, je me suis trompe de numero. » 
L 1 obsession, aussi, de voir leur fils reussir : 

Une mere promene ses bebes. Emerveillement d'un passant : 
« Qu'ils sont beaux ! Quel age ont-ils ? 

— Le medecin, Samuel, a un an, et David, Tavocat, a deux ans. » 

Quelle est la station de metro preferee des meres juives ? : Monge, parce que : « Monge rnon fils, 
Monge. » 

Une mere est sur le point de se jeter par la fenetre. Les pompiers tendent une toile, un policier essaie 
de la dissuader : 

« Madame, arretez, votre fils mange ! » 

Et elle, de repondre : « Vraiment, meme des legumes ? » 

Quant a Mme Bensoussan, elle n'hesite pas a telephoner a Roissy-Charles-de-Gaulle : 

« Alio, c'est madame Bensoussan. A quelle heure arrive Tavion de mon fils ? » 

Meme durant les periodes les plus rragiques, 1'humour a toujours ete present. Ce qui faisait dire a 
Golda Meir : « Le pessimisme est un luxe que les juifs ne peuvent pas se payer. » 

Le juif a toujours peur de ce qui pourrait encore lui arriver, comme celui qui annonce a sa femme 
qu'un tremblement de terre a eu lieu en Amerique du Sud et qui Tentend repondre : 

« C'est bon ou c'est mauvais pour les juifs ? » 

De rneme, cet homme qui entre dans un cafe et annonce : 

« On va tuer Les juifs et les coiffeurs. » 

Et tous de repondre : 

« Pourquoi les coiffeurs ? » 




Et celle de la juive polonaise qui, apres vingt ans de manage, se regarde dans la glace un beau matin 
el qui declare, triomphante : 

« Bien fait pour lui ! » 

Ou encore, ce telegramme juif : 

« Commence a t'inquieter. Details suivent... » 

Et ma preferee : « J'ai deux nouvelles pour vous, dit le docteur. Une bonne et une mauvaise. Je 
commence par laquelle ? 

— La bonne, dit le patient 

— Eh bien, vous n'etes pas hypocondriaque. » 

Freud, en 1905, avait ecrit un livre tres accessible, Le Mot d 'esprit et ses rapports avec 
I'inconscient, dans lequel il traite de 1' humour en general mais aussi de P humour juif, qui, a son avis, 
explique le mieux la technique du mot cT esprit Ce trait d'esprit, le fameux Witz allemand, provient d'une 
idee qui surgit sans qu'on Tattende. Freud explique qu il s'agit de concepts qui ne sont pas faits pour 
aller ensemble, mais que l'esprit combine dans une espece de « mesalliance ». Et de citer l'histoire de ce 
vendeur de billets de loterie qui se glorifie de ses relations privilegiees avec Salomon Rothschild, a cote 
de qui il se retrouve par hasard dans un train : « J'etais assis a cote de ce monsieur qui m'a traite comrne 
son egal, d'une maniere tout a fait famillionnaire. » 

Pour Freud, c'est un bel exernple de fonctionnement exprime par ce brave homme, frappe par le cote 
famil ier surprenant chez ce millionnaire. 

L* humour juif, c'est aussi un mecanisme joyeux de defense contre les agressions de la vie, et de la 
mort. Ainsi : « Je suis tres, tres vieux », disait le celebre comique juif americain George Burns, peu de 
temps avant sa disparition : « La preuve, c'est que quand j'efcais petit la mer Morte n'etait que malade. » 



Humour noir, L' 

On a souvent pu lire, lorsque Ton s'interesse a ['humour, cette citation attribuee tantot a Boris Vian, 
tantot a Georges Duhamel : « Lhumour est la politesse du desespoir. » En realite, son veritable auteur, 
Achille Chavee, avait ecrit : « L'humour NOIR est la politesse du desespoir », ce qui parait plus logique 
pour qualifier cet humour qui consiste a evoquer avec detachement, voire avec amusement les choses les 
plus horribles et les plus /wires, \bila un humour qui suscite souvent une forme de gene, car ce n'est pas 
evident de faire rire quand ce n'est pas drole. Suivant les cultures, il sera accepte avec raillerie ou 
desespoir et plus ou moins bien vecu en fonction des tabous qu'il titille : la mort, la maladie, la religion, 
les enfants ou les vieillards. Lhumour noir navigue done dans des eaux troubles, proches de celles du 
mauvais gout <iu scandale et de Tindecence. 



Pour Andre Breton, le pape de l'humour noir et I'auteur d'une anlhologie ineontournable en 1940 : 
« L'humour noir est borne par trop de choses, telles que la betise, l'ironie sceptique, la plaisanterie sans 
gravite (remuneration serait longue). Mais il est par excellence l*ennemi mortel de la sentimentalite 
perpetuellement aux abois - la sentimentalite toujours sur fond bleu — et d'une certaine fantaisie a court 
terme. » II ajoute : « \fous n'avez rien a craindre, j'ai la fantaisie d'etre serieux. » Mais, pour Breton, 
l'humour et l'humour noir se confondent, car 1'humour est de toute facon une revolte de 1'esprit 

L'humour noir ne pardonne a personne. Ni a ceux qu'il tient a distance ni a ceux qui le considerent 
comme un poison delicieux. Dans son Anthologies Breton explique bien qu'il a evite de choisir des 
auteurs qui n'ont cherche qu'a distraire ; non, il a selectionne des esprits aptes « a voler les consignes du 
monde exterieur ». Parmi ceux-ci, dont certains figurent dans le present dictionnaire, on en trouvera 
marques par la folie, Swift, Sade, Nietzsche ; la drogue, De Quincey, Baudelaire ; Talcool, Poe, Jarry ; 
ou le suicide, Roussel, Vache, Rigaud. 

Ce n'est pas un hasard si a l'epoque le gouvernement de Vichy ordonna de saisir la premiere edition 
de cette anthologie qui, eviderrrment, portait un serieux coup a l'ordre moral en vigueur. Cette forme 
d'hurnour etait consideree comme trop audacieuse, mais elie correspondait bien a I'entreprise de 
destruction menee par les surreal istes. 

II n'est pas necessaire d'etre dans une situation desesperee pour faire de rhumour noir. C'est 
l'humour antisocial, l'humour contre la societe. Dominique Noguez, un specialiste du genre, cite par 
Patrick Moran et Bernard Gendrel. le dit joliment : « De toutes les couleurs de l'humour qu'il identifie 
dans l'arc-en-ciel des humours, le noir semble bien etre la couleur primaire, primordiale, dont toutes les 
autres ne sont que des reflets. » Et Noguez ajoute : « Le malheur se venge. » Pierre Desproges resumait 
parfaiternent, en septembre 1982, dans son requisitoire contre Jean-Marie Le Pen, lors de remission « Le 
Tribunal des flagrants delires » sur France Inter, pourquoi il fallait donner a rhumour noir ses lettres de 
noblesse : « Si le rire sacrilege et blasphematoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de 
vulgarite et de mauvais gout, si ce rire-la peut parfois desacraliser la betise. exorciser les chagrins 
veritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout : de la 
guerre, de la rnisere et de la mort ! Au reste, est-ce quelle se gene la mort, elle, pour se rire de nous ? 
Est-ce quelle ne pratique pas rhumour noir, elle, la mort? » 

L'humour, meme noir, reste un trait d'esprit, et s'il prefere faire rire des choses, c'est pour ne pas 
avoir a en pleurer. Et puis, comme l'ecrivait Tristan Bernard : « Un journal coupe en morceaux 
n'interesse aucune femme, alors qu'une femme coupee en morceaux interesse tous les journaux. » 




Incoherents, Les 

C'est Jules Levy qui a, en 1882, Tidee d'associer un nouveau mouvement arlistique a celui des 
Hydropathes, en organisant « une exposition de dessins executes par des gens qui ne savent pas 
dessiner », lors d'une kermesse de charite. La veille du 14 juillet, aux Champs-Elysees, des visiteurs 
decouvrent, a la lueur des bougies, a cause d'une panne d'electricite, un capharnaurn d'ceuvres 
moqueuses et espiegles mais dont le seul but est evidernment de faire rire. 

Le 2 octobre, Jules Levy reitere Texperience et plus de deux mille personnes essaient d'envahir son 
minuscule appartement ou se tient ('exposition insolite. Un an et un jour plus tard, les Parisiens 
decouvrent, galerie Vivierme, la premiere exposition officielle des Arts Incoherents : « toutes les ceuvres 
sonl admises, les ceuvres serieuses et obscenes exceptees » et, cette fois, vingt mille visiteurs feront le 
deplacement. 

En 1884, la galerie Vivienne les accueille de nouveau Hope cree le blason de l'Incoherence « en 
chef de tuyaux de poyle de sable sans nombre, sur champ d' argent sur lequel une statue antique s'apprete 
a sculpter au burin un academicien qui n'en mene pas large ». 

En 1886, a r entree de l'Eden Palace, les commandements de l'Incoherence sont rnis en evidence : 
« Un seul but te proposeras, rire et fegayer franchement. » 

Encourages par la reussite de leurs expositions, ils organisent leur premier bal le 11 mars 1885 ; 
d'autres suivront qui feront courir le tout-Paris a la mi-careme et, dans A la recherche du temps perdu , il 
est meme question de Swarm, tremblant a 1'idee qu'Odette ne se rende au bal des Incoherents en 
compagnie d'un concurrent 

Sur les murs decores de l'Eden Palace, on pouvait lire : « La rnelancolie Centre pas ici » ou « Priere 
de ne pas cracher au plafond ». Le bal se terrninait par la proclamation de TOrdre et une rosette, ne 
devant jamais etre portee, etait attribuee a tous les invites. 

En 1 886, le souper eut meme lieu assis sur le gazon, « que chacun avait ete prie d'amener avec lui ». 

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, contrairement aux mauvaises, les critiques 
commencerent a s'attaquer a Jules Levy qui dut helas annoncer la fin de Tlncoherence le 16 avril 1887, 
avec en prime un cortege funebre. Pourtant, elle renaitra de ses cendres le 27 mars 1889 lors d'un 
nouveau bal organise a TEden, mais ce sera un derni-flasco, la presse refusant de couvrir Tevenernent. 

Tout le monde pouvait faire partie de cette assemblee, chaque participant, quMl se nomme Dada, 
Zipette, Troulala, qu'il soit « eleve des lapins » ou « eleve de son propre talent », pouvait esperer 
remporter une medaille en chocolat. Bien entendu sous certains pseudonymes se cachaient des farceurs 
professionnels, Toulouse-Lautrec, Caran d'Ache, Alphoase Allais, des ecrivains, des comediens, des 
caricaturistes, des musiciens et des illustrateurs de presse et d'affiches. 

lis exposaient tout et n'importe quoi : caricatures, portraits-charges des « personnalites du jour », 



satires poliliques et satires de mceurs, parodies des salons officiels et des peintres reconnus. Puvis de 
Chavannes, alors tres en vogue, sera une de leurs cibles privilegiees comme Henner qui voit sa Nymphe 
qui pi cure travestie en La nymphe qui pleure parce qu 'elle a perdu sa tante. 

Les Incoherents exposent des aquarelles a la salive ou a l'eau de Sellz, des terres mal cuites, des 
portraits a l'huile de coco, a l'huile de foie de morue, des tableaux en jus de reglisse, en chocolat, en 
petits pois, en tabac, en macaronis, des sculptures sur gruyere, des dessins a la mouchure de nez ; ils 
utilisent des supports tels que manches a balai, sacs a cafe, marmites, pots de charnbre, casseroles, 
cervelas a Tail, toile emeri, cheval vivant qu'ils peignent en bleu-blanc-rouge en 1889. 

On dit meme que les monochromes d'Yves Klein seraient une copie des monochromes de Malevitch, 
eux-memes rechauffes de ceux des Incoherents et en particulier Ie fameux Combat de Negres dans une 
cave pendant la nuit de Paul Bilhaud. Alphonse Allais exposera, lui, ses celebres monocroides dont la 
Reeolte de la tomate sur les bonis de la mer Rouge par des cardhumx apopleciiques et la Venus de 
Milo sera dotee d'un mari, Venus demi-lot, puis d'une cousine, Venus des nolle eaux. Le rapport entre 
les Incoherents el les delices de la langue est evident puisque les membres de cette auguste assemblee 
avaient a leurs debuts fonde un club litteraire, ce qui explique leur gout pour les jeux de mots et les 
calembours douteux pour titrer leurs ceuvres. Reste a savoir si, comrne on l'a souvent ecrit, les 
Incoherents peuvent etre consideres comme des prophetes de Tart moderne. J'aurais tendance a dire... 
oui. 



lonesco, Eugene (1909-1994) 

Le 16 mai 1950, a 18 h 30, quelques badauds stationnent devant la porte du theatre des Noctambules 
dans le Quartier lau'a On yjouait pour la premiere fois une piece curieusement intituleelw Cantutrice 
chauve, ecrite par un inconnu au nom tout aussi sibyllin : Eugene lonesco, ne le 26 novembre 1909 (le 13 
selon le calendrier orthodoxe) a Slatina en Rourmnie, a cent cinquante kilometres de Budapest En (ait il 
avouera plus tard s'etre rajeuni de trois ans pour etre sur d'etre reconnu cornme faisant partie de « la 
nouvelle generation dejeunes auteurs des annees 1950 », parmi lesquels figuraitlejeune... Beckett. 

Peu de temps apres la naissance d'Eugene, la famille s'installe a Paris. Franco-roumain, lonesco sera 
longtemps ballotte entre les deux pays et aura des relations difficiles avec son pere : « La derniere fois 
que je Tai vu, j'avais termine mes etudes... J'etais marie. II respectait PEtat rournain, je detestais TEtat. 
II irfavait traite d'enjuive. II vaut mieux etre enjuive que con ! » 

II se fixe definitivement en France apres la Liberation, dans ce pays qui pour lui etait avant tout 
anticomrnuniste. 

Si Ton avait dit a ces spectateurs temeraires, qui se risquaient ce soir de 1950 a aller voir jouer La 
Cantatrice chauve, qu'un jour son auteur entrerait a TAcademie francaise (1970) et qu'il serait le seul 
dramaturge avec Henry de Montherlant a etre edite dans « La Pleiade », ils n^n seraient pas revenus, 
d'autant que les critiques etaient severes vis-a-vis de ce spectacle ou « des families se recitent leurs 
menus et des sornettes face a la salle, sur le ton mecanique d'un cours de langue Assimil accelere » ! 

Pourtant la piece sera jouee plus de quin2e mille fois et, encore aujourd'hui, six comediens se 
relaient au fil de l'annee dans une mise en scene de Nicolas Bataille, pour nous montrer Mme Smith qui 
dit a son mari : « Tiens, il est 9 heures. Nous avons mange du poisson, des pommes de terre au lard, de la 
salade anglaise. » Du pur lonesco qui, a travers un echange de cliches et de lieux cominuns, montre la 
betise arnbiante, Tinsolite de la banalite et le tragique des choses ; « Je ne puis dire que mon theatre est 
un theatre de la derision. Ce n'est pas une certaine societe qui me parait derisoire, c'est rhomme. » 

On a dit qu'il aurait pu etre Ie frere de Jacques Tati et le cousin de Buster Keaton, tant il se 



complaisait dans une impassibility cacliant une anxiete metaphysique, qu'il considerait comme sa 
« maladie chronique ». On a dit aussi que son theatre est plus « canulardesque », facon Jarry, que 
litteraire. et qu'il etait le leader du « theatre de l'absurde », en ne faisant pas la difference entre la 
tragedie et la comedie et en utilisant un materiau brut pour parler de notre quotidien. 

Panni ses grands succes Les Chaises (1951), Viciimes du devoir (1952), Amedee ou comment s'en 
debarrasser (1953) et la serie dite des Beranger, un personnage qu'il promene dans plusieurs pieces et 
qui devient son porte-parole, comme dans Rhinoceros (1960), un chef-d*a2iavre oil il depeint une 
epidemic imaginaire de « rhinocerite », qui effraie tous les habitants d'une ville et les transforme bientot 
en rhinoceros. 

11 s'agit en fait d'une metaphore de la montee des totalitarismes a la veille de la Seconde Guerre 
mondiale, car Ionesco etait un ecrivain engage au meme titre que ses contemporains roumains Cioran ou 
Brancusi qui se sont battus pour defendre la liberte et la dignite de rhornme avec comme principe, pour 
essayer de sauver rhumanite : commencer a dresser le catalogue de notre rrrisere incurable. En Mai 1968, 
Ionesco se dit convaincu qu'il taut rattacher ces convulsions estudiantincs a un besoin biologique, que 
l'homme precaire passe son temps a poser ses pieds sur des terrains mines el que le seul remede, c'est 
« d'ecrire pour soi, car c'est aiasi que Ton peut arriver aux autres ». 




Ionesco etait un prince de rhumour qui cacl^ait bien son jeu, en dezinguant discreternent les 
convenances de la prose francaise, facon surrealistes. En demolissant le langage, il arrivait a composer 
des chefs-d'ceuvre iconoclastes : 

— « L'air est plus pur a la campagne, parce que les paysans dorment les fenetres fermees. » 

— « J'aime mieux un oiseau dans un champ qu'une chaussette dans une brouette. » 

— « La raison, c'est la folie du plus fort. » 

— « Le yaourt est excellent pour Festomac, les reins, l'appendicite et rapotheose. » 

II pretendait avoir apprivoise la mort, derriere rhumour qui lui servait de cuirasse : « Pourquoi a la 
rubrique de l'etat civil, dans le journal, donne-t-on toujours Tage des personnes decedees et jamais des 
nouveau-nes ? » 

Le 28 mars 1994, Eugen Dumitru Ionesco meurt a son domicile a Paris. La ceremonie a lieu a Teglise 
orthodoxe. II est enterre au cimetiere du Montparnasse le vendredi saint, qui tombait cette annee-la un... 
l er avril. 



Ironic. L' 

Lorsqu'il est question d'humour. l'ironie n'est jamais bien loin. Mais comme rhumour, il est difficile 



de lui trouver une definition, et elle passe souvent inapercue lorsqu'elle suggere autre chose que ce que 
Ton dit. Elle aime rester tapie dans F ombre et elle est parfois si difficile a deceler qu'en 1899 Marcel 
Bernhardt avait, dans son essai L'Ostensoir ties ironies , imagine un point d* interrogation renverse pour 
avertir le lecteur lorsqu'il s'agissait d'un propos ironique I Un peu comme le point d'exclamation 
considere a Forigine comme un « point d'admiration ». Heureusement la tentative ne flit pas retenue. 

En grec eironeia signifie « dissimulation ». Rien de tel pour bien dissimuler que de faire parler un 
autre ou de se servir d'une citation pour vehiculer des propos ironiques. Rien de mieax en effet que de 
laisser parler un autre a sa place Iorsque Ton ne souhaite pas assumer ses propres paroles. Dans son 
Dictionnaire phi Josophique, ce malin de Voltaire, a Particle « Fornication », cite le dictionnaire des 
jesuites : « Le dictionnaire de Trevoux dit que c'est un terrne de theologie... » Le jesuite n'est pas 
force ment eel ui que I'oncroit... 

II ne faut pas confondre Fironie avec la saillie, la moquerie, le persiflage, la raillerie, la derision ou 
le sarcasme, car Fironie, beaucoup plus subtile, est un jeu de r esprit qui consiste, le ton aidant, a ne pas 
dormer aux mots Ieurs valeurs reelles. Renan pensait qu'elle permettait a F« esprit humain d'etablir sa 
superiorite sur le monde », mais e'est Fun de ses risques, car elle peut etre mordante lorsqu'elle cherche 
son propre plaisir au detriment de F autre. Lorsqu'elle ne trahit pas Forgueil ou le mepris, elle se 
rapproche de la satire dont Boileau etait le maitre absolu. En ternoigne ce qu'il ecrivait un jour sur un 
diner qu'il avait apparemment fort peu « goute » : 

« Je me suis vu vingtfois pre/ a quitter la table ; 

Et dut-on m 'appeler el fa nt as que et bourru, 

J'aliais SOrtir enjin quand le rot a pant. 

Sur un lievre jlanque de six poulets cliques, 

S'elevaient trois lapirrs, anirnaux domesliques. 

Qui ties leur i end re en fa nee el eves dans Paris, 

Sentaient encor le chou dont Us f went nourris. 

Autour de eet amas de viandes entassees 

Regnait un long cordon d'aiouettes pressees, 

Et sur tes bords du plat six pigeons Stales 

Presentaient pour renfort leurs squelettes brides. 

A cote de ce plat paraissait deux salades, 

L 'tine de pour pier jaune, et i autre d 'herbes fades, 

Dont I 'futile de fort loin saisissait I 'odorat, 

Et nageait dans des flats de vinaigre rosat. » 

Pour le philosophe Alain. « le propre de la satire est d'attacher les travers, Ies vices et la sottise a un 
personnage veritable, ce qui nous reduit au plaisir melange de rire des puissants, et en tout cas de rire des 
autres >>. Et pour Diderot : « II faut permettre la satire et la plainte : la haine renfermee est plus 
dangereuse que la haine ouverte. » 

Dans le meme genre, Fepigramme, qui dans la Grece antique faisait pourtant Feloge des guerriers et 
des athletes, revendiquera ses lettres de noblesse sous la plume de Marot, Racine, Hugo, Musset et 
\bltaire, orfevre en la matiere. Ces « petites banderilles empoisonnees n'assassinent d'ailleurs que la 
sottise et la suffisance humaine » (Bernard Lorraine). De Fironie a la satire, de la satire a Fepigramme, 
de Fepigramme au pamphlet il n'y a qu'un pas, que certains franchirent allegrement. 

Je pense a Jules Renard pour qui « la rosserie n'enrichit pas, on y est toujours de sa poche a fiel ! », 
mais qui s'en donnait a cceur joie : 

— Sur Mallarme : « Intraduisible, meme en francais. » 

— Sur George Sand : « La vache bretonne de la litterature. » 

— Sur Verlaine : « Est-ce que son fils ressemble a Rimbaud ? » 



— Sur les Quarante : « U Academic, le commun des Immortels. » 

— Sur les femmes : « Appelons femme un bel animal a fourrure dont la peau est tres recherchee. » 

— Sur Dieu : « Qui ne l'a pas vu rf a rien vu. » 
Leon Bloy (1846-1917) n^etait pas mal nonplus : 

— Sur George Sand : « Celte fille trouvee du cuistre Jean-Jacques se boursouflait comme la pecore 
du fabuliste dans le marecage des adulteres heroiques et evangelisait contre Dieu. » 

— Sur Sainte-Beuve : « Une grande imbeeillite meconnue. » 

— Sur Jean Richepin : « Iniame bandit, abominable scelerat, cynique malfaiteur, pirate de bordel, 
parricide, atroce canaille », etc. 

— Sur Guy de Maupassant : « La parfaite stupidite de ce jouisseur ithyphallique est surtout 
manifestee par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse. » 

— Sur Paul Bourget : « L'eunuque des dames. » 

— Sur Rosny aine : « Son esprit ressemble a une lampe fumeuse, dans un cabinet d'aisance trop 
etroit. » 

Je ne parle pas de Leon Daudet ( 1 867- 1 942) : 

— Sur Leon Blum : « L'hermaphrodite circoncis. » 

— Sur Aristide Briand : « Souteneur sanglant, empoisonneur chevelu, Talleyrand de la crotte. » 

— Sur Joseph Caillaux : « Un surineur en ha ut-de- forme. » 

— Sur Georges Clemenceau : « Tete de mort sculptee dans un calcul biliaire. » 

— Sur Emile Combes : « Petite tete de perroquet moisi. » 

— Sur Arrnand Fallieres : « Pieds de lard, bras de saindoax, nombril couenneux. » 

— Sur Eugene Frot : « Cacatilina. » 

— Sur Jean Jaures : « Le gaz de ses metaphores lui remonte. » 

Ni enfinde Barbey d'Aurevilly (1808-1889), qui se definissait d'ailleurs tres bien lui-merne : 

« Je me nomme "Le Sagittaire" 

Je suis ne sous ce sigiie etje le mets partout 

Et dans ce monde inepte ennuveiix el vu/gaire 

J 'crime a lancer lafleche a tout. » 

Pour lui, George Sand etait une « insupportable radoteuse », et les monarchistes « des syphilitiques 
de la legitirnite ». 

Quant a Henri Rochefbrt (1831-1913). que Victor Hugo appelait « le tier archer », il ne cessa de 
combattre Napoleon III, Jules Ferry ou Thiers, « un serpent a lunettes », et Jean Jaures « le sergent 
recruteur du syndicat de la trahison ». 



Jeanson, Henri (1900-1970) 

Henri Jeanson aurait pu se reclame r du dicton anglais : « Ne faites jamais nn bon mot qui puisse vous 
faire perdre un ami, a moins que ce mot ne soit meilleur que rami. » 

Evoquer la vie de journaliste d' Henri Jeanson reviendrait a ecrire rhistoire d'un demi-siecle. 
Chaque fois que la liberte etait menacee, il se retrouvait en premiere ligne. Condamne en 1939 a cinq aas 
de prison par Daladier a la suite d'un article pacifiste pour « provocations de militaires a la 
desobeissance »,. malgre des temoignages favorables de Louis Jouvet, Benjamin Cremieux, Tristan 
Bernard, Saint-Exupery et Robert Desnos. Libere huit mois plus tard, il retournera en prison sous 
TOccupation allemande et essaiera d'y lire Claudel, « ce qui doubla [sa] peine », avouait-il. On dit aussi 
qu'il demissionna du Canard enehaine par solidarity avec Jean Galtier-Boissiere, le fondateur de la 
revue Le Crapouillot, nee dans les tranchees en 1915, dont le premier numero, en aout. donne le ton de la 
revue : « Courage, les civils ! » 

Henri Jeanson passa sa vie a se mettre a dos la moitie du tout-Paris du monde de la politique et du 
cinema. Que ce soit en tant que reporter, intervieweur ou critique de cinema pour des joumaux comme La 
Bataille, le Journal du peuple, Les Homines dujour ou encore Le Canard enehaine\ Jeanson ne trempait 
pas sa plume dans du miel et ne se Iaissait pas acheter, capable de demolir l'hote qui, la veille, pensait 
Tendormir en etouffant son independance avec un peu de champagne et de foie gras. 

Ne a Paris, ce fils d'instituteur avait fait ses classes, comme Alexandre BrefFort ou Louis de Funes, 
en faisant une foule de petits metiers : secretaire, facturier, manutentionnaire, emballeur, representant en 
cartes postales, etc. Au debut des annees 1930, ses talents de dialoguiste font mouche et sont rapidement 
sollicites par des grands cineastes : « Tu ferais un excellent critique. Tu paries fort bien de ce que tu 
connais mal », La Fete it Henriette, de Julien Duvivier (1952). « Je ne suis pas sceptique. Je ne crois a 
rien, nrais j'y crois fermement », Le Repas des fauves, de Christian-Jaque (1964). « Quand on fait 
l'andouille, on finit toujours par etre mange » t Pas de caviar pour tanle O/ga, de Jean Becker (1965). 
« Le cceur sur la main quand il faut, et la main sur la figure quand c'est necessaire ! », Paris an mois 
d'aout y de Pierre Granier-Deferre (1966). « L* ami tie entre un homme et une femme, ca n'a pas cours, 
c'est de la fausse monnaie ! », Au bonkeur des dames, de Julien Duvivier ( 1930). « Si Ton savait, avant, 
qui Ton epouse, tout le monde serait celibataire ! », La Nuit fantastique, de Marcel UHerbier (1942), 
avec des dialogues ecrits en partie en prison, sans oublier Hotel du Norrf (1938), de Marcel Came, et 
Finoubliable « Aunosphere, aunosphere ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphere ? », film que le 
critique du journal La Croix du 25 decembre 1938 ne semble pas vraiment apprecier : « Pour le fond. 
Hotel du Nord est moins edifiant encore que Own des brumes et necessite de plus severes 
condamnations, Le realisme de ce dernier film portait en soi une sorte de contre-poison a cause de sa 
durete... Hotel du Nord nous livre une tranche de vie avec le beurre d'un fait divers... Les dialogues 



d'Henri Jeanson sonnent faux dans la bouche d'acteurs qui ne sont pas a leur affaire. » 




Henri Jeanson abandonne le cinema en 1965 pour se consacrer au journalisme polemique et a la 
redaction de ses memoires, qui seront publies sous le titre 70 cms d 'adolescence, quelques mois apres sa 
mort. Sur les conseils de son aini Marcel Pagnol : « Ce n'est plus de ton age, couillon, d'engueuler les 
autres », il se retire a Honfleur. 

A Pinitiative de sa veuve, Claude Marcy, et par rintermediaire de la Fondation Paul-Millet, la 
SACD remet depuis le prix Henri-Jeanson a un auteur dont « Tinsolence, r humour, la puissance 
dramatique perpetuent la memoire de Tun des plus celebres auteurs du cinema francais ». 

Jeanson etait membre du College de 'pataphysique, et ses celebres impertinences etaient bien dans la 
veine de cette « science du particulier et de Pexception » : 

— « Retenez bien ce non% vous n'en entendrez plus jamais parler.. . » 

— « Vous avez deja Iu le Larousse ? C'est un recueil de noms celebres completement inconnus. » 

— <cl_a vie : une course contre la mort. .. Le meilleur ne gagne pas. » 

— « La guerre justifie r existence des militaires. En les supprimant. » 

— « Un livre posthume est presque toujours une ceuvre que Ton a eu tort de ne pas enterrer avec son 
auteur. » 

— « En France, le ridicule ne tue pas. On en vit. » 

— « Le verbe desarmer ne se conjugue qu'au ftitur ou au conditionnel. » 

— « Tu sais, la fabrication de la fausse monnaie, 9a va chercher dans les dix ans de travaux forces... 
Et encore, quand on connait le president de la Republique !.. . » 

— « Je savais qu'on pouvait vous verbaliser pour exces de vitesse, j'ignorais que Texces 
d* intelligence relevat des tribunaux. » 

— « Au temps que nous vivons, c'est tres simple, tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire. » 



Jerome K. Jerome (1859-1927) 

Parrni tous les maitres des situations absurdes, je voue une admiration particuliere a Jerome K. 
Jerome. En 1889, Fannee de ses trente ans, il public Trois Homines dans un bateau (sans oublier le 
ckien). Le livre recoit un accueil enthousiaste aupres du public. Pourtant, allez savoir pourquoi, les 
critiques litteraires, proches de la gentility, denoncent son style trop populaire et son humour pauvre, 
limite et decidement vulgaire. Ce qui n'est pas sans faire sourire son editeur, Harrowsmith : «. Puisque le 
livre n'a apparemment aucune valeur, les gens rachetent peut-etre pour le manger. . . » 

Trois Hommes dans un bateau relate un periple de deux semaines sur la Tamise, qu'entreprennent 
les trois heros - pardon, quatre, avec le cliien ! 



Les cent cinquanle kilometres qui separent Kingston d'Oxford sont jalonnes de souvenirs historiques 
et de charmants villages. Le reck du voyage est agremente de nombreuses digressions avec des references 
a Henri V1I3 et Cromwell et des reflexions tres amusantes sur le couple, la vie, la nature, etc. 

Si le livre fait encore rire aujourd"hui, c'est grace a la modernite des situations car les trois 
comperes, modestes employes de bureau ou de banque, ont les reves et les insatisfactions des gens 
ordinaires. Meme le chien Montmorency est 1 'archetype de tous les animaux de compagnie. 

Chacun a droit a un portrait rapide : George ne travaille pas dans une banque, il y dort tous les jours 
de 10 heures a 16 heures, sauf le samedi ou on le reveille pour le mettre dehors a 14 heures. Harris est un 
non-emotif qui ne pleure jamais, sauf quand il epluche des olgnons, et le narrateur, hypocondriaque, se dit 
accable de toutes les maladies... sauf V hydarthrose des femrnes de chambre. II respecte tellement le 
travail qu'il evite d'y toucher, anime d'une logique desarmante : « Paime le travail, il m'enchante. Je 
resterais des heures a le contempler. J'adore l'avoir aupres de moi. L'idee d'en etre separe me navre. » 

Le chien Montmorency est une parfaite compilation des qualites et des defauts des trois hommes. 
Craneur devant les petits, il fait preuve d'une grande timidite en face d'un inalou sur de lui, au point 
d'etre traumatise a jamais par les chats, n n'a pas plus de chance avec les objets : des que la bouilloire 
lui crache dessus, il la saisit par le bee. S'ensuit une promenade de digestion a 30 km/h, qu'il 
ninterrompt que pour enfouir son museau dans une flaque de boue. 

Leurs preparatifs pour Paventure ressemblent aux notres quand nous partons en vacances, car ils ne 
savent pas voyager leger. Ils semblent avoir oublie leur promesse de rendre plus leste la barque de la vie, 
de la munir settlement de ce dont ils ont vraiment besoin. Mais les catastrophes vont se succeder, 
provoquees par ces problemes domestiques qui empoisonnent la vie de tous les campeurs celibataires. La 
preparation des repas frole le delire : lorsqu'il leur taut cuisiner des ceufs brouilles ou ouvrir une boite 
d'ananas sans ouvre-boite, les trois comperes font preuve d'une grande hardiesse et d'une telle 
ingeniosite que, dans cette escalade de prise de risques, on se brule et on s'assomme dans un desordre 
irresistible de drolerie. 

Comme ils croient aux vertus de la perseverance, si folle soit-elle, ils se lancent dans la confection 
d'un ragout. D'ou un repas d^anthologie agremente de tous les ingredients qu 1 ils trouvent sur le bateau, 
auxquels ils ajoutent un rat d'eau creve que Montmorency leur apporte, mais rien ne pourra adoucir leur 
digestion, pas meme le recital de banjo que George voudrait dormer. Montmorency tente de le faire taire, 
mais en vaia A la question : « Qu'est-ce qui lui prend a hurler comme ca quand je joue ? », Harris 
repond : « Et toi, qu'est-ce qui te prend a jouer comme ca quand il hurle ? » 

Lorsqu'ils passent la nuit dans des auberges, ils les choisissent avec soin. Le narrateur. qui avoue son 
faible pour le chevrefeuille, refuse de s'arreter dans un petit hotel dont les murs sont seulement couverts 
de clematites et de vigne vierge. Trois Hommes dans un bateau, qui ne saurait etre reduit a des souvenirs 
de vacances, vehicule tous les credo de Jerome K. Jerome. La Tamise est la metaphore de la vie avec ses 
moments de decouragement, ses coups de gueule et ses grands bonheurs. Quand la pluie ne cesse de 
sangloter comme une femme « qui pleure tout bas dans les tenebres », les trois comperes essaient de se 
persuader que « la nature est belle, meme en pleurs ». Cette nature qa ils redecouvrent les apaise. Parfois 
ils se tournent vers la nuit qui, « pareille a une mere pleine d'amour, pose sa douce main sur notre cceur 
enfievre et toume sa face vers notre visage baigne de pleurs ». 

Sous pretexte de nous embarquer dans les mesaventures aquatiques de faux navigateurs, voila un livre 
ou Tauteur se joue a merveille des contraintes de Pordre social, et plutot que de charnbouler les codes, il 
pousse les situations jusqu'a Tabsurde. transcende le banal en incongru. .. et les gens ordinaires en heros 
pathetiques. 



Jeux de mots, Les 

II arrive que les mots soignent parfois les maux, mieux qu'un divan, grace a leurs gammes 
inepuisables. Pour avoir le « mot pour rire », i! suffit de jouer avec eux, de les mettre sens dessus 
dessous et de leur en faire voir de toutes les couleurs. J'aime cette « allusion plaisante fondee sur 
F equivoque de mots qui ont une ressemblance phonetique, mais contrastent par le sens », comme dilLe 
Robert. J'en use et j"en abuse. 

Ce rfest pas simple, car ce jeu s'apparente souvent au manage de la carpe et du Iapin. Mais c'est ce 
qui fait sans doute son charme. Du A d'acrostiche au Z de zeugme, en passant par les lipogrammes et 
autres paragramrnes, la liste de ces violations ludiques du langage est infinie, mais j'ai mon prefere : le 
zeugme. Cette figure de style cocasse resume assez bien Funivers biscornu du jeu de mots. 

Le zeugme consiste a joindre a un mot deux complements disparates, le plus souvent par le 
rapprochement d'un element concret et d'un element abstrait. 

— Le plus celebre : « Vetu de probite candide et de lin blanc » (Victor Hugo), 

— Le plus sophistique, le double zeugme : « Apres avoir saute sa belle-sceur et le repas de midi, le 
Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane » (Pierre Desproges). 

— Le plus mignon : « A defaut de sonnettes, ils tirent la langue » (Paul Valery). 

— Le plus ose : « Elle m'ota d'un doute et mes vetements avant de me faire Famour » (Paul Valery). 

— Le plus tire par les cheveux : « Je fiis presente a la famille oil je plus tout de suite, a verse » 
(Alphonse Allais). 

— Le plus tarabiscote : « En voyant le lit vide il le devint » (Ponson du Terrail). 

— Le plus feministe : « Madame Bovary passait son temps a tromper F ennui et son mari » (Gustave 
Flaubert). 

J'ai aussi un faible pour les homonymes et les homophones, telles les fameuses oies de Raymond 
Devos : 

« L'oui'e de Foie de Louis a out. 

— Alioui ? Etqu'a oui' FouTe de Foie de Louis ? 

— Elle a oui' ce que toute oie oit. . . 

— Et qu'oit toute oie ? 

— Toute oie oit, quand mon chien aboie le soir au fond des bois, toute oie oit : ouah ! ouah ! » 
Amusants aussi ces polysemiques qui nous chatouillent avec leur double sens et nous permettent de 

« faire souffler un peu le trompettiste », d'imaginer que « Facrobate fait le pont », que « le train est arrive 
sans crier gare », que ce « couple de Champagne vend une flute traversiere » ou que « la cuisiniere 
cherche un maitre queue pour passer a la casserole ». 

Je venere aussi les mots-valises, les fameux portmanteau-words % chers a Lewis Carroll, celebres par 
Madame de Sevigne qui « bavardinait », ou par Balzac feru de « patrouillotisme ». Restent aussi les 
mauvais jeux de mots, mais comme dit Daniel Pennac : « Les plus mauvais jeux de mots vont aux 
meilleurs amis. C'est ['ineffable prixde Fintimite. » 



Joubert, Joseph (1754-1824) 

Qui connait Joseph Joubert ? Ne en 1754, ce moraliste et essayiste fran9ais prit la soutane saas 
prononcer de vceux, ne publia jamais rien, si ce n'est de nornbreux fragrnenls inacheves qui ne virent 
jamais le jour, comme une Etude sur la peinture a in cire des Anciens (sic). II etait atteint de toutes 
sortes de miseres physiques, qui lui faisaient dire de lui : « Mes ressorts sont excellents, mais le bois 



donl je suis construit est frele, mou et delicat. II nuit souvent au jeu de la machine. Ce qui sert a la pensee 
abonde en moi, mais ce qui sert a la vie est en petite quantite. » Riende tres gai, mais neanmoins fort bi en 
dit, et voila pourquoi je tiens a le faire figurer ici. 




Contrai rement aux apparences, Joseph Joubert, bien que moraliste, etait habile par un humour 
etonnant qui transpirait des irmornbrables aphorismes - pres de mille ! — qu'il a Iaisses et ou il reportait 
ses reflexions sur la nature de rhomme et la vie en general. 

De son vivant, Joubert fascinait Diderot dont il flit le secretaire, Restif de La Bretonne — il etait 
Tamant de sa femme - et Chateaubriand, sur lequel il avail un veritable ascendant, en T encourageant tout 
en le critiquant parfois severernent. Chateaubriand acceptait tout de lui et lui temoignait meme un 
attachement indefectible. 

Joubert, nous Tavons dit, ne publia pratiquement pas. Mais a sa mort, sa veuve confia ses notes a 
Chateaubriand qui en fit publier un choix en 1 838, sous le litre Recueil des pensees de M Joubert. 

Un homme comme lui. qui fascinait les plus grands de ses contemporains, ne pouvait etre qu'un 
homme d'esprit hors du commun, si Ton en juge par ce qui suit : 

— « Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil. » 

— « Quand je liiis... je me consume. » 

— « S'il est un homme tourmente par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute 
une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c'est moi. » 

— « Mes idees ! c'est la maison pour les loger qui me coute a batir. » 

— « Le chatirnent de ceux qui ont trop aime les femmes est de les aimer toujours. » 

— « La vieillesse aime le peu, et la jeunesse aime le trop. » 

— « La politesse aplanit les rides. » 

— « Que peut-on faire entrer dans un esprit qui est plein, et plein de lui-meme ? » 

— « Pensez aux maux dont vous etes exempt. » 

— « Le poete s'interroge ; le philosophe se regarde. » 

— « Avant d' employer un beau mot, faites-lui une place. » 

— « Les mots liquides et coulants sont les plus beaux et les meilleurs si Ton considere le langage 
comme une musique ; mais si on le considere comme une peinture, il y a des mots rudes qui sont fort bons, 
car ils font trait. » 

— « Un seul beau son est plas beau qu'un long parler. » 

Cetetre, discret etcharmantaudirede ses amis, aimable et subtil, s'esteteint le4 mai 1824. 
« D a cherche la verite, non pour la repandre, mais pour la posseder. 11 a desire par-dessus tout 
ameliorer son esprit et realiser sa perfection. . . Son chef-d'ceuvre. .. c'est lui » (Andre Beaunier). 



Karr, Alphonse (1808-1890) 




Ne d'un pere allemand et d'une mere frangaise, ce journaliste un temps redacteur en chef du Figaro 
cultivait a lafois sonjardin, il elait foude botanique, etTamitied'Hugo, de Lamartine, Dumas ou Balzac. 
Prenant conscience que F atmosphere de son epoque se desseche, il fonde un mensuel satirique, Les 
Guepes, qu'il publie seul de 1839 a 1876 et qail saupoudre de saillies destinees a pourchasser la betise 
et le conformisme arnbiants. D va meme, pour attirer 1 'attention sur cette revue, lorsqu'elle commence a 
etre en perte de vitesse, faire courir le bruit qu'il est rnort. Lorsqu'il reparait le lendemain en pleine 
forme, il declare a ses amis : « Oui, j'etais mort mais 9a va mieux. » C'est a lui que Ton doit le fameux : 
« Plus ga change, plus c'est la meme chose », mais aussi : 

— « Des cinq sens que possede rhomme, le plus precieux est le sens commuru » 

— « Supprimer la peine de mort ? Soit ! Que messieurs les assassins commencent ! » 

— « Ondiminue la taille des statues ens"en eloignam, celle des hommes ens'en approchant. » 

— « Un baiser : c'est une demande adressee au deuxieme etage pour savoir si le premier est libre. >•> 

— « Les auditoires ne se composent pas de gens qui ecoutent mais de gens qui attendent leur tour 
pour parler. » 

Lorsqu'il se langa dans V horticulture, il imagina de concurrencer Genes qui avait en Europe le 
monopole du commerce des fleurs coupees. II y reussit de fa^on eclatante. En un rien de temps, il se 
constitua une clientele de premier ordre ou les princes du gotha et les rois en exercice cotoyaient les 
grands personnages de la litterature et de la peinture. II avait acquis un grand terrain a la peripheric de 
Nice, dans un endroit encore desert, et ii avait cornme voisin le prince Oscar de Suede, dont 
Fintelligence n'avait qu un tres lointain rapport avec la richesse de sa bibliotheque. Alphonse Karr, 
desireux d'approfondir un point de botanique, fit respectueusement demander au prince la permission de 
lui emprunter un ouvrage de Linne. La reponse le de9ut : « Que monsieur Karr vienne lire chez moi tout 



ce qu'il lui plaira, inais je ne prete jamais mes livres. » 

Quelque temps plus lard, le jardinier du prince, ayant besoin d'un arrosoir, vint en faire la demande a 
Alphonse Karr : « Que le prince Oscar vienne arroser chez moi autant qu'il le souhaitera. mais je ne prete 
jamais mes arrosoirs. » 

Alphonse Karr vecut heureux jusqu'a Page de quatre-vingt-deux ans, ecrivant ses Guepes^ et 
jardinant ses roses. Le 30 septembre 1890. il fut emporte en quelques jours par une fluxion de poilrine. 
Quatre mille personnes se pressaient a son enterrement dans le petit cimetiere de Saint-Raphael qui, en 
vertu de la loi du premier occupant porte son nom En avril 1906, la ville de Saint-Raphael inaugura la 
statue d'Alphonse Karr. 

Modeste, il avait predit : « Que restera-t-il de moi plus tard ? Peut-etre six ou huit petites phrases ! » 

II n' avait presque pas tort 



Lapointe, Boby (1922-1972) 




Barbe, style oursin au reveil, chemise bariolee, discret, la demarche bringuebalante de ceux qui ne 
veulent pas deranger, tendre a Finterieur, grand virtuose de I' helicon, mais aussi inventeur du systeme 
bibi-binaire, systeme de numeration qui prefigure rinformatique. De lui, Brassens disait qu*« il aurait du 
logiquement lui ravir le titre de roi des ours mal leches, avec ses chansons oil se rnelent calembours, jeux 
de mots, contrepeteries, alliterations ». II est le symbol e d'une poesie humoristique a nulle autre pareille, 
il aime les mots, les doubles mots, leur sens, Ieur non-sens, leur contresens, leur sonorite. Chercheur de 
fausses notes et d'accords discordants, il invente un langage et prouve qu'on peut etre populaire sans etre 
complaisant. II interprete sa chanson « Avanie et Framboise » dans le film de Francois TrufTaut Tirez sta- 
le pianiste, accompagne au piano par Charles Aznavour, et « Aragon et Castille » a ete choisie par 
Bourvil pour le film Poisson d'avril : 

« Au pays dagad 'Aragon 

II v avail fugitd'uneJUle 

Qui aimail les glaces au citron 

Et vanille 

Au pays deguede Castille 

II y avail tegued 'un garcon 

Qui rendu it des glaees vanille 

Et citron, » 

Georges Brassens et Pierre Perret lui proposent la premiere partie de leur spectacle, Joe Dassin 
produit ses disques et il est r invite recurrent de remission de Jean-Christophe Averty « Les Raisins 
verts ». A sa mort. Brassens lui rendait ce bel hommage : « Ce satane Boby Lapointe, depuis qu'il a 



tourne le coin, a Pezenas corame a Paris, ses copains et admirateurs ont du mal a s'y habituer. En ce qui 
me concerne, les soirs ou son amitie et sa bonhomie me manquent un peu, je fais comme si de rien iTeta.it, 
j'ecoute ses chansons pour qu'il continue a vivre, le bougre, et il continue. Mon vieux Boby, putain de 
moine et de Piscenois, fais croire a qui tu veux que tu es mort ; avec nous, les copains, ca ne prend pas. » 
Comme Brassens, on peut continuer a le faire vivre en ecoutant : « L* helicon », « Saucisson de cheval », 
« Comprend qui peut », « Meli-melodie », « Le tube de toilette », « La maman des poissons » ou « Ta 
Katie Ta quitte ». 

Maintenant, si vous preferez « La peche aux moules », 9a ne regarde que vous. 



Leacock, Stephen (1869-1944) 

L"art du nonsense ne date pas d'hier, mais comme vous Favez peut-etre remarque, il m'obsede un 
tantinet, d'oii mes recherches qui nront conduit jusqu'a Stephen Leacock, un humoriste canadien aux 
multiples facettes. 

Des sa preface a Sunshine Sketches of a Little Town (Un ete a Mariposa* 1912), il fait son premier 
clin d'ceil aux lecteurs : ses parents ont quitte FAngleterre pour le Canada en 1876 et il a « decide » de 
les suivre : il avait sept ans... 

Brillant eleve, il decouvre les langues « vivantes, mortes, et a moitie mortes », et il consacre seize 
heures par jour a courir apres les mots. Un cursus sans faute lui vaut meme un doctorat de sciences 
politiques et economiques. D'ou ce plaisir de profiter de ce qu'un homme d'affaires ne peut pas 
connaitre : « La possibility de penser, et ce qui est encore mieux, d'arreter de penser pendant des mois. » 

Quand il arretait de penser, il redigeait des articles traitant de politique et d'economie, si bien qu'a la 
fin de sa vie il se vantait de « pouvoir ecrire sur tout ce qui se trouve dans un rayon de cent metres », et si 
ses livres etaient si amusants, c'etait parce que : « Pendant des annees, ceux qui auraient du les imprimer 
riaient tellement qu'ils ne pouvaient pas faire Ieur travail. Meme maintenant il faut se mefier quand on les 
fait circuler, et il faudrait eviter de preter ces livres aux gens de sante fragile. » Le quotidien The 
Evening Standard Favait surnomme « le Grock de la litterature ». II faut lire Nonsense Novels (1911), 
qui porte bien son nom. Les personnages sont excentriques, leurs reactions bizarres, les situations 
incongrues. Ainsi Caroline's Christmas a des allures de conte. Le decor est une image d'Epinal au pays 
de Maria Chapdelaine et de Jack London : un « manteau de neige immaculee qui scintille de mille 
diamants », une petite ferme au pied de la colline, des buches dans la cheminee. Un florilege de poncife, 
interrompu par des propos adresses au lecteur : « \fous qui avez choisi la bousculade et F agitation de la 
grande ville, ne vous arrive-t-il pas de penser a cette petite maison au pied de la colline ? Non ? Jamais ? 
Pauvre type ! » 

Le miracle de Noel se presente sous les traits de Caroline qui. un bebe dans les bras, cherche un 
refuge. Elle a bien essaye de se debarrasser de ce petit fardeau en le Iaissant sur un banc dans le pare, 
puis sur une etagere dans la salle d'attente de la gare, mais chaque fois quelqu'un lui faisait remarquer 
qu'elle avait « oublie quelque chose ». Elle reprenait alors son paquet... Je ne vous laisse pas deviner la 
suite, elle n'est pas devinable, mais irresistible. 

A ceux que Stephen Leacock fait sourire par mon intermediaire, je conseille vraiment de poursuivre 
la lecture de ces Nonsense Novels. Pour y gouter aussi cette histoire de naufrage. Upset in the Ocean, ou 
il est question d'une rencontre brutale avec un bateau-pirate peint en noir, avec des voiles noires et un 
equipage vetu de noir qiu se promene bras dessas bras dessous. A suivre... Vous ne serezpas decus. 



Lear, Edward (1812-1888) 




« II elait un petit homme, pirouette, cacahuete »... Rassure2-vous, je ne suis pas retombe en enfance, 
meme si d'aucuns dironl que je iren suis jamais sorti, pas plus qif Edward Lear, le roi du nonsense 
special bambins. 

On dit qifil avait une flopee de talents. Illustrateur, paysagiste et ornithologue, il seduit les 
Londoniens avec ses lithographies. De sante fragile, un peu ours, il ne supporte ni le bruit, ni la musique, 
in la foule, ni les imbeciles, ni les bonnets de nuit. Meme les enfants le derangent : « Les voisins avaient 
deux jumeaux et jouaient du violon, mais un des jumeaux est mort, et I' autre a mange le violon. 
Maintenant j'ai la paix. » 

Qu'il me pardonne si je fais un tri parmi ce qu'il nous a laisse, si je dedaigne ses lithos de perroquets 
ou il se montre, parait-il, aussi bon qu* Audubon- La petite histoire nous dit qu"il a aussi donne des cours 
de dessin a la reine Victoria. Qui, du professeur ou de Feleve, s'est Iasse le premier ? Dieu seul Le sait. 

C'est seulement son nonsense, puisque c'est la reputation qu'on lui fait, qui m'interesse. Comme son 
contemporain Lewis Carroll, Lear joue avec l'incongru. Le reel derape dans l'absurde, le rationnel 
devient fou. Son Book of Nonsense (1846) est un recueil de limericks* ces mini-poemes avec rimes et 
sans raison, tons illustres par l'auteur. H y est question d'un vieux monsieur avec une barbe si fournie que 
les oiseaux y font leur nid ou d'une dame qui joue de la harpe avec son menton, toujours le meme schema, 
qui commence par une banalite pour divaguer ensuite vers une situation sans queue ni tete. Tout cela en 
cinq vers, dont le dernier est caique sur le premier, histoire de boucler la boucle de l'absurde. En voici 
un exemple. adapte par mes soins : 

« II v avait un Vieil Homme du Perou, 

Dont la jemme j'aisait im ragout, 

Lorsque par erreur elle lejit sauter an beurre, 

Cepauvre Homme du Perou. » 

C'est tout ? J'ai bien peur que oui. On lit sans rire, desarmes par ce regard surrealiste sur le 
quotidiea Lear aurait-il pratique Tecriture automatique ? Chez lui les mots s'emballent, avec la rirne 
pour seul garde-foa Cela nous fait penser aux complines ancrees dans notre memoire collective, comme 
« Une souris verte qui courait dans Therbe ». Quant a ses Twikky wikky twikky wee, Wikky bikky twikky 
tee, Spikky bikky bee /, ils ne me parlent pas beaucoup. J'ai quand meme un faible pour cette histoire du 
hibou et de la chatte (The Owl and the Pussycat), qu'un professeur un peu defante nous avait fait 
apprendre par caiur. Ces petits animaux prennent la mer dans un bateau vert, achetent un anneau d'or a un 
petit cochon, demandent a un dindon de les marier et se nourrissent de tranches de coing. Ce joli 
Nonsense Poem est reste dans mes souvenirs de collegien. 

Lear a mis du nonsense partout, meme dans des recettes de cuisine ou sur des planches de botanique. 
Fallait-il qu'il en ait assez de son metier d'illustrateur ! Et fallait-il qu'il trouve un sens a tant de 
nonsense ! Cestui peu la raison pour laquellejetenais ace qu'il aitsa place ici. 




Lemercier, Valerie 

Difficile de ne pas aimer cette grande fille (1 T 77 metre) toute simple, qui apparut un jour de 1989 
dans un exceptionnel one-woman show au Splendid, en reussissant a se faire adopter immediatement 
comme une des humoristes feminines les plus droles de sa generation. 

II fallait la voir arpenter la scene de ses longues jambes fuselees, entre Taristo de la Renardiere : « II 
y avait les cousins. On les adore. Tu penses, ils ont des bites enooooormes ! », la petite chipie de cinq 
ans : « Elle fait la craneuse parce que son pere il est dans un Mickey a Mirapolis », 1'etudiante 
insomniaque et de mauvaise foi : « \bus pouvez pas faire un peu moins de bruit j *ai un partiel demain. » 
Resultat : quatre cent mille spectateurs et un Moliere. 

Nee Ie 9 mars 1964, elle est elevee avec ses trois sceurs a Gonzeville en Normandie, dans une 
fhmille aisee d'agriculteurs. Elle y apprend le violon et Pequitation, qui sera sa premiere vocatioa Fan 
de Bourvil, elle ecoute tous ses disques, s'inscrit au conservatoire de Rouen pour prendre des cours d'art 
dramatique puis s'installe a Paris, court les castings, tout en multipliant les petits boulots alimentaires, 
dont celui de vendeuse de parfiims dans un grand magasin. En 1987, Jean-Michel Ribes recoit sa photo 
avec son numero de telephone cousu sur un ruban. II l'engage aussitot pour une scene de « M'as-tu-vu ? » 
puis dans la serie televisee Palace, oil elle tient le role de Lady Palace, une bourgeoise coincee. 

Apres un premier film, Milou en mat de Louis Malle, elle connait la consecration dans le double role 
de Frenegonde de Pouille et Beatrice de Montmirail dans la comedie de Jean-Marie Poire Les Visiteurs. 
Resultat : quatorze millions de spectateurs et un Cesar du meilleur second role feminin. Elle est de plus 
en plus dernandee, meme si elle refuse de se laisser enfermer dans un registre specifique. Elle veut 
multiplier les experiences, realise des publicites dont une memorable pour un gateau : « C'est moi qui 
l'ai fait ! », s'essaie a la chanson avec un album, Valerie Lemercier ehattte. 

Decidee, semble-t-il, a ne plus accepter d'autres mises en scene que les siennes, elle signe en 1997 
un long rnetrage, Quadrille, un remake de Guitry, dans lequel elle tient le role principal, et Le Derriere, 
comedie caustique sur le parisianisme. Succes mitiges. Elle revient alors devant la camera : Vendredi 
soir de Claire Denis, Fauteuils d'orchestre de Daniele Thompson et, en 2005, elle se met de nouveau en 
scene avec Palais royal ou, en interpretant une roturiere devenue princesse, elle passe au crible le 
ridicule des monarchies europeennes. 

Pour moi, \&lerie Lemercier est avant tout habitee par un humour extrememenl intelligent Elle manie 
le decalage avec un talent rare, et lorsque Ton se souvient de ses presentations de la ceremonie des 
Cesars en 2006, 2007 et 2010, animee avec brio, on regrette de ne pas la voir plus souvent dans ce genre 
d'exercice. 



Lichtenberg, Georg Christoph (1742-1799) 

Non content d'etre Ie dix-septieme enfant d'un pasteur et de se retrouver bossu a huit ans a la suite 
d'une chute, c*etait unjeune homme plein d'humour et choye par les femmes. Ne en Allemagne, il mourut 
a Gottingen, non sans avoir donne son nom a un cratere lunaire, car la diversite et Toriginalite de ses 
competences etaient etonnantes : cartographe, il calcule Taplatissement de la Terre, volcanologue, il 
evalue le volume des laves emises par r eruption du Vesuve de 1784, meteorologue, il construit la 
premiere version allemande du paratonnerre de Franklin en 1780, chimiste et rnathematicien, il contribue 
au debat sur les fbndements de la theorie des probabilities, historien, il ecrit une biographie de Copernic, 
astronome, il observe comeles et meteorites et le transit de Venus. 

Ignore de nombre de ses contemporains, il a pourtant ete encense par les plus grands, comme Goethe 
qui recommande de « se servir des ecrits de Lichtenberg comme de la plus rnerveilleuse des baguettes 
magiques. Lorsqu'il fait une plaisanterie. c'est qu'il y a la un problems cache ». Kant, qui adorait ses 
aphorismes, ecrivait ; « Je ne comprends pas que les Allemands d'aujourd'hui negligent autant cet 
ecrivain, tandis qu'ils raffolent d'un coquet feuilletoniste tel que Nietzsche. » Schopenhauer voyait en lui 
le « penseur par excellence », et Freud trouva dans ses ecrits certaines idees fondatrices de la 
psychanalyse. 

Ce sont quelque huit mi lie pensees non destinees a etre publiees que ce maitre de Tironie, une fois 
dans son cabinet prive, trouvait encore le temps, apres ses lecons, de consigner dans ses carnets : 
anecdotes, choses vues, reflexions sur la nature humaine, la science, V intelligence, la psychologie, la 
morale, la politique, Testhetique ou la linerature : 

— « Je tiens les comptes rendus critiques pour une espece de maladie infantile qui s'attaque plus ou 
moins aux livres nouveau-nes. II y a des exemples prouvant que les plus robustes en meurent, tandis que 
souvent des livres debiles resistent. Certains sont meme tout a fait immunises. » 

— « Parmi les plus grandes decouvertes qu'ait faites la raison humaine ces derniers temps, il y a, 
selon moi. Tart de juger les livres sans les avoir lus. » 

— « Une preface pourrait etre intitulee : paratonnerre. » 

— « C'est a peine s'il existe une marchandise au monde plus etrange que les livres ; irnprimes par 
des gens qui ne les comprennent pas ; vendus par des gens qui ne les comprennent pas ; relies, censures et 
lus par des gens qui ne les comprennent pas ; bien rrrieux, ecrits par des gens qui ne les comprennent 
pas. » 




II a des idees modernes sur l'education, tant il est vrai que certains cancres se revel eront des genies : 
« II vaudrait la peine de chercher s'il n'y a pas quelque inconvenient a cultiver exagerement Teducation 
des enfants. Nous ne connaissons pas 1' homme assez bien encore pour retirer enuerement cette tache au 



hasard, si j'ose dire. Je crois que si nos pedagogues menaient leurs intentions a bien, c'est-a-dire 
reussissaient a maintenir les eniants sous leur influence absolue, nous n'aurions plus un seul vrai grand 
homme. » 

Athee, il se demande si le bon Dieu est catholique ou s'il ne pourrait pas faire un effort : « Un 
Shakespeare, un Newton, un Franklin, etc. Pourquoi sont-ils si peu nombreux s'il est egal a Dieu de creer 
un genie ou un cretin ? », et il trouve etrange « que les hommes se battent si volontiers pour la religion et 
vivent si peu volontiers selon ses regies ». 

Pour Andre Breton qui le celebre avec enthousiasme dans son Anthologie de I 'humour noi/% il doit 
etre considere comme le prophete du hasard. De ce hasard dont Max Ernst disait qu'il est le « maitre de 
rhumour » : « Un des traits les plus remarquables de mon caractere, c'est assurement la superstition 
singuliere avec laquelle je tire de tout un presage et me donne pour oracles cent choses en un jour », 
disait Li chtenberg. 

D parait que dans sa solitude, il avail reussi a decrire soixante-deux positions, non pas pour faire 
l'amour, niais pour appuyer sa tete sur sa main. 

Andre Breton, toujours lui. adinirait surtout « Tinventeur de cette sublime niaiserie philosophique qui 
configure par Tabsurde le chef-d'ceuvre dialectique de Tobjet, "un couteau sans Iarne auquel manque le 
mane he" ». 



Lodge, David 

David Lodge, ne en 1935, est un maitre de rhumour endemi-teinte et de Pautoderision. Professeur de 
litterature anglaise a Tuniversite de Birmingham et ecrivain, il n'a pas son pareil pour depeindre les 
« intellos » qu'il a tant frequentes, et ses nombreux autoportraits sont sans complaisance. Outre des essais 
et des nouvelles, il a cornmis une quinzaine de romans, parmi lesquelsLtf Chute du British Museum, 
Therapie, Pensees secretes ox La Vie en sourdine, ou il decrit la decheance physique qui le guette, et 
dont le premier symptome, la surdite, est detaille avec un humour tragique. 

Mon prefere est sans doute Therapie, merveille de Tautoderision, II s'y met en scene comme un 
auteur a succes de sitcoms, empetre dans des relations complexes avec sa femme qui le quittera, les 
femmes qu'il aimerait seduire. et des specialistes de medecines paralleles, acupuncture, aromatherapie et 
physiotherapie. Car Laurence Passmore, surnomme Tubby, est atteint d'une nevrose non definie qui se 
manifeste par des douleurs au genou. Outre une calvitie qu'il tente de compenser en laissant pousser ses 
rares cheveux en couronne jusqu'a ce qu'ils atteignent le col de son blouson, son torse est tres velu : 
« Ma poiu-ine est couverte d'une sorte de tampon Jex qui aurait la taille d'un paillasson et qui rnonte 
jusqu'a ma pornme d'Adam. » 

Ses amis, avec lesquels il essaie de jouer au tennis, ne sont pas mieux lotis : 

« II y a Joe, qui a de serieux problemes de dos. II porte un corset tout le temps. Rupert, qui a eu un 
grave accident de voiture il y a quelques annees et qui boite des deux jambes, si tant est que ce soit 
possible, et Humphrey, qui a de 1'arthrite aux pieds et a qui on a pose une prothese de la hanche. Si vous 
nous voye2 ainsi, vous en pleureriez, de rire ou de pitie. » 

Mais rien ne soulage ce genou douloureux Tubby ne peut que le proteger, quitte a se ridiculiser lors 
de ses tentatives de seduction, et la volumineuse Amy ne peut refrener un fou rire devant sa genouillere : 
« Elle est capitonnee, en neoprene, comme les combinaisons de plongee, rouge vi£ avec un trou au niveau 
de la rotule, C'etaitd'autantplus drole qu'il etaitnu... Etquand il a ajouteun bandage decoudej'ai failli 
m'ecrouler de rire... Je me suis demande s'il n'allait pas ajouter quelque chose, des protege-tibias, par 
exemple, ou un casque de velo. » 



Amy ne considere pas l'amour comme une discipline handisport, d'autant plus que, dans cet hotel de 
Tenerife, le matelas est recouvert d'un plastique : « Je croyais que seuls les bebes et les personnes agees 
incontinentes avaient droit a des aleses en plastique. » Autre detail aussi embarrassant pour elle que 
desopilant pour le lecteur, la voila aux prises avec ses excrements baladeurs quand, « apres avoir tire la 
chasse, elle a vu les crottes qui dansaient joyeusement dans l'eau comme des petites balles de 
caoutchouc, et refusaient de disparaitre ». 

Laurence-Tubby connait bien d'autres echecs. Une autre femme, Stella, s'offre a lui. Determinee a 
mener le jeu, elle ne s'embarrasse pas de preliminaries et attaque tout de go. Desarconne par la question 
si directe : « As-tu des preservatifs ? », Tubby repond : « Eh bien. . . oui. . . mais pas sur moi. » 

Que les autres s^appellent Samantha ou Louise, Paventure tourne toujours au fiasco. Cette libido en 
berne et ce genou malade sont a la fois la cause et la consequence du rnal-etre. Pour Tubby, une libido 
defaillante. un genou en mauvais etat et un rnal-etre existentiel forrnent la trilogie du malheur. Le medecin 
a qui il demande une ordonnance pour uii antidepresseur le met en garde sur les effets secondares du 
Prozac : « Celui-ci empeche l'orgasme. » Lucide, il repond qu'il a deja les effets secondaires d'un 
medicament qu'il ne prend pas. 



M uilhin. Jacqueline (1923-1992) 

Quand on parle d'elle a ceux qui s'en souviennent, et ils sont encore nombreux. on pense 
immediatement a Folic Amanda, a la fin des annees 1950, ou Ton decouvre cette blonde petulante au rire 
devastateur dans l'un de ses plus grands succes au theatre. Elle etait en effet plus attiree par la scene, oil 
elle excellait, que par le cinema. Elle atteint le somrnet de sa gloire en donnant la replique a Louis de 
Funes dans Pouic-Pouic, en 1 963. 

Jacqueline est nee dans la gare de triage de Paray-le-Monial, oil son pere etait ingenieur des Ponts et 
Chaussees. Arrivee a Paris, elle s'inscrit au cours Simon, oil elle rencontre Pierre Mondy, qui deviendra 
l'un de ses fideles partenaires. Pourtant, meme au cinema, elle etait irresistible, que ce soit avec Ies 
Branquignols dans Ah J les belles bacchantes ! (1954) ou elle joue une Mme Maillan plus vraie que 
nature, directrice du theatre Folie Mericourt, ou dans des roles de composition qui ne lui faisaient pas 
peur, que ce soit une bourgeoise dans Archimede et le Clochard de Gilles Grangier (1959), une espionne 
russe dans Chen, fais-moi peur de Jack Pinoteau ( 1958) ou une secretaire d'Etat dans L 'Oiseau rare de 
Jean-Claude Brialy (1973). 

Jacqueline est aussi une des pionnieres de ce qu'il convient d'appeler les one-woman show. II fallait 
l'entendre avec sa voix de gorge lire tout haut un projet de curriculum vide plutot subjectif, quelle 
proposait a son impresario, et qui etait cense vanter ses merites ; « II fallait vraiment quelle se 
sublimasse, qu'elle s'identifiasse et se hissasse, ou plutot qu'elle se fusse hissee aux sommets de la 
gloire. » 

Elle meurt subitement, justement en pleine gloire, a soixante-neuf ans, deux mois apres son ami Jean 
Poiret. 



Marot, Clement (1496-1544) 

Autant mes bons maitres avaient bade Tetude de rhumour paillard et debride de Rabelais, autant ils 
s'etaient attardes sir celui plus raffine de son contemporain, le poete Marot. Sans doute est-ce pour cela 
que j "*ai plus d'attirance pour le premier ? Neanmoins s comme Marot est injustement oublie, j'ai quelques 
remords a ne pas Fevoquer, et certains de ses poemes qui jouent sur les similitudes de sons et de sens rne 
font penser a la virtuosite de mon ami Vincent Roca. Pour preuve ces vers qu'il adresse a Francois l er 
afin de lui demander de l'argent : 

<( Or ce me dit imjour quelque rimari :. 

Viens ea, Marot. trouves-lu en rime art 



Qui serve awe gens, toi qui as h masse ? 

Oui vraiment, repo/ids-je, Henry Mace. » 

Ainsi, Marot a su faire preuve d'un humour etonnant pour l'epoque et s'attirer les faveurs de 
Francois I er , qui seul pouvait le tirer d'affaire, a un moment ou TEglise toute-puissante faisait bruler ceux 
qui osaient manifester de la sympathie pour la Reforme. Marot avait meme reussi a pi aire au roi en 
quemandant non plus de r argent mais une juinent : 

« Mapauvre bete, awe signes queje vols, 

Dit qu 'it grand-peine irajusqu 'a Narbonne. 

Si vous voulez m 'en dormer une bonne. 

Savez comment Marot I 'accepter a ? 

D 'aussi bon cceur que la sienne il donne 

Au ftn premier qui la demandera. » 

Mais voila Marot emprisonne au Chatelet « pour avoir mange le lard en periode de careme ». Cette 
accusation etait extremement grave et le seul rnoyen pour le poete d'echapper a line fin afFreuse etait 
encore une fois de divertir le roi en esquivant l'accusation d'heresie et en la reduisant a un differend 
entre deux plaideurs, le roi et Iui-meme : 

« Roi des Francois, plein de toutes hontes 

Quirtze jours [il y] a.je les at bien camples 

Et des demain seront justement seize, 

Que je fus fail confrere au diocese 

De Saint-Marry t en / 'eglise de Saint- Pris. » 

Marot Fait un jeu de mots sur Saint-Merry, F eglise jouxtant sa prison, et Marry, marri, ainsi que sur 
Saint-Pris, un village proche, une facon humoristique de designer la prison. Reste a aborder le problerne 
de P amende qui risque d'etre salee : 

« Prenez le cas queje vous fa [V amende] demands, 

Jeprerrds le cas que vous me la donnez. » 

Ainsi, Francois E cr , toujours aussi sensible a l"humour de Marot, paya pour le faire liberer. 



Marx Brothers, Les 

Mais oui, ils etaient reellement freres. Fils de juifs emigrants, Minnie et Simon Marx, des Francais 
qui avaient quitte Mulhouse et s'etait expatries aux Etals-Unis. Par ordre d'arrivee au monde, dans la 
famille Marx, on dernande Chico (Leonard), petit, noiraud, il est reconnaissable a sa curieuse technique 
due du « doigt revolver », pouce replie et index tout en detente, Harpo (Adolph), Tange fou. il se 
promene dans un trench-coat informe bourre d^ustensiles voles dans cent quincailleries, toujours muet 
comme Harpocrate le dieu grec du silence, Groucho (Julius), petites lunettes rondes, le sempiternel 
cigare colle aux levres ou a la main, Gumno (Milton), impresario du precedent et Zeppo (Herbert), celui 
qui « est comme tout le monde et e'est bien cela le drame » et qui ne jouera que dans cinq des films de la 
fratrie. Le pari des Marx Brothers fut d'introduire au cinema l'univers de Tabsurde et 1' utilisation 
burlesque du langage. Jeux de mots, syllogismes, habiles calembours, eblouissantes reparties devenues 
celebres, raisonnements hallucines parsement leurs films, qui feront souffrir les traducteurs des sous- 
titres. Les Marx ne sont pas droles parce qu'ils en font beaucoup, ils sont droles parce qu'ils sont ee 
qu'ils sont, des figures archetypales constantes d'un film a r autre. Leurs attitudes, leurs costumes, leurs 
gestuelles, leurs demarches, les sequences musicales, loin de surprendre le spectateur, font partie d'un 
rituel que j'airne. Pour s'offrir une vraie tranche de rire on peut regarder leurs ceuvres demeurees intactes 



au fil du temps, The Cocoanuts, premiere adaptation cinematographique d'une de leurs comedies 
musicales a succes, Horse Feathers, sur les failles du systeme educatif americain, Duck Soup, fable 
antimilitariste grotesque, A Night at the Opera, oil, en prime, on peut assister a des spectacles musicaux 
grandiloquents, Animal Crackers, Monkey Business, A Day at the Races, Love Happy, avec une 
debutante du nom de Marilyn Monroe, et-4 Night in Casablanca turent leur chant du cygne, « les 
dialogues etaient couverts par ]e bruit de mes articulations », rapporte Groucho dont les memoires 
restituent le chemin parcouru depuis leurs debuts, propulses sur les planches des leur plus jeune age, 
pousses par Fenthousiasme de leur mere juive et par le vide de leurs assiettes, en enehalnant des toumees 
dans des bleds paumes : « II y a quelques annees, j'ai recu une lettre par mon avocat. C'est-a-dire qu'elle 
m'etait adressee, mais qaon la lui avait envoyee a Iui. Car a Hollywood, on ne recoit jamais son propre 
courrier. On l'expedie toujours a votre avocat; votre medecin, voire homme d'affaires ou votre 
impresario. Si vous recevez une lettre de votre dentiste, vous n'avez meme pas a lui repondre. Glisse2 
vos caries dans une enveloppe, expediez-lui le tout; il les plombera et les renverra ensuite a votre homme 
de loi. Tout cela est tres embrouille et on s'y perd. » 




Si les freres Marx se retirent du cinema en 1950, Groucho, lui, entame une nouvelle carriere de 
presentateur de television, notamment a remission « Bet Your Life », celebre show des annees 1950- 
1960 et qui reste un classique de la television americaine : 

Morceauxchoisis : 

— « J'ai passe une excellente soiree, mais ca n'etait pas celle-ci. » 

— << Je rf oublie jamais un visage, mais pour vous je ferai une exceptioa » 

— « Je vous oflriraisbienun parachute, si j'etaissur quMl ne s'ouvre pas. » 

— « Tout le monde sait qu'en cas d'insomnie il suffit d'additionner mouton apres mouton pour 
s'endorrnir. Mais combien de personnes savent que, pour rester eveille, il suffit de soustraire les 
moutons ? » 

— « Je suis ne tres jeune. » 

— « Ne vous fiez pas aux couples qui se tiennent par la main. S'ils ne se lachent pas, c'est parce 
qu'ils ont peur de s'entre-tuer. » 

— « La discretion est ma devise. Je ne dis jamais rien. Meme sur ma carte de visite, il n*y a rien 
d'ecrit. » 



Mikes, George (1912-1987) 

Que dire de George Mikes ? Que c'est un humoriste anglais ? Qu'il n'est pas anglais ? Qu'il juge les 



Anglais inimitables ? Qu'il est arrive a Ies imiter ? 

Son histoire n'est pas banale, journaliste hongrois, il fut envoye a Londres en 1938 pour y couvrir un 
evenement. II devait y rester quinze jours, il n'en est jamais repartt. Ces Anglais qui ne faisaient rien 
comme tout le monde l'intriguaient tellement qu'il n'a pas pu Ies quitter. II a essaye de jouer a 
l'anthropologue mais en vain, car leur comportement resiste a toute explication rationnelle. Puis il a 
essaye de Ies imiter. Sans succes. En 1946, devenu citoyen de Sa Majeste, il a publie son best-seller How 
to Be an Alien, veritable lecon de choses sur ce pays oil la rigidite cotoie 1' indiscipline. Dans la preface, 
pleine d'une sagesse resignee, il ecrit : « Si vous n'arrivezpas a Ies imiter, vous serez ridicules ; si vous 
y arrivez, vous serez peut-etre encore plus ridicules. » D'autres guides cornico-sociologiques ont suivi : 
How to Be Inimitable (1960) etHow to Be Decadent (1977), que Ies Anglais ont accueillis avec leur 
fair-play legendaire. 

Mais Ies temps ont change, rAngleterre aussi. Aujourd'hui le the n'est plus considere comrne la 
boisson unique, Ies croissants et la baguette menacent de detroner le pain de mie et la salad cream est 
remplacee par la vinaigrette. C'est pourquoi sa trilogie regroupee sous le titre Drotev tie gens a pris un 
coup de vieux Pour George Mikes, Ies Anglais etaient une caricature d'eux-memes, mais depuis leur 
insularite s'est assouplie. S'ils continuent de rouler a gauche, ils ont mis de I'eau dans leur vin ou du 
soda dans leur whisky. Eux qui rf avaient soi-disant pas de vie sexuelle et dormaient avec une bouillotte 
ont rattrape leur retard. Pourtant certaines pratiques, comme Tart de faire la queue, ont la vie dure : « Un 
Anglais, meme s"il est seul, forme, a lui tout seul, une queue parfaitement rangee. » 

La plupart des bizarreries qui faisaient sourire il y a cinquante ans se sont emoussees, et Ies livres de 
Mikes se sont couverts de poussiere. 

Un ouvrage, pourtant, semble avoir resiste aux annees. Tsi-Tsa (1978), que j'adore, un livre- 
confidence sur l'amitie qui lie l'auteur a une chatte venue s'installer chez lui. Mikes y delaisse enfin 
Tetude satirique pour decrire Ies relations des hurnains avec Ies animaux de compagnie. Sujet universel, 
traite avec un humour, d'une grande Finesse. Tsi-Tsa est une star, joueuse, hautaine, capricieuse. Ses 
copains de gouttiere sont tellement exceptionnels que c'est a eux que Mikes dedie son livre. II dit merne 
sa fierte d'avoir le meme prenomque Tun d^ux, George... Quant a Tsi-Tsa, c^st elle qui Tadopte etqui 
ritual ise son quotidien. Et Iorsqu'elle fait une fugue, le desarroi de son maitre est d'autant plus terrible 
que Ies avis de recherche pour « un chat noir aux signes particuliers : neant » sont sans effet. Jusqu au 
jour ou on lui annoncequ'unchataete renverse par une voiture : « J'ai couru tellement vile que j'ai failli 
me renverser moi-meme. » Inquietude et soulagement se bousculent dans sa tete, pirnentes par un 
sentiment de culpabilite que connaissent, je suppose, Ies parents d'enfants fugueurs. Puis viendra 
1'attendrissement devant un ventre qui s'alourdit, la grossesse et Ies exces alimentaires ayant Ies memes 
effets, et 1'impuissance devant la depression de sa protegee. Tous ces sentiments sonnent juste. 

Tsi-Tsa est aussi l'histoire d'un homrne qui se voit vieillir. Un accident lui fait redouter une cecite 
prochaine, car c'est a cause d'une balle de tennis que ce grand joueur va peut-etre perdre la vue, et il se 
resigne avec beaucoup de dignite et d'humour a envisager la vie autrement : « Quelqu'un m'a demande (il 
y a toujours des gens qui posent des questions comme 9a) si je pourrais continuer a jouer au tennis. 

— Oui, ai-je repondu, avec une raquette blanche. » 



Moliere (1622-1673) 

Trois cent quarante ans apres sa mort, tous Ies critiques qui comptent dans le microcosme theatreax, 
de Philippe Sollers a Philippe Tessoa, s'entendent pour affirmer haut et fort qu'il nous fait encore rire, 
qu'il continue a fasciner et a plaire, qu'il n'a jamais ete aussi moderne, etc. 



Autant de raisons pour qu'un hommage appuye (lous les hommages sont « appuyes » au meme titre 
que les concubins sont toujours « notoires ».. .) lui soit rendu ici. 

Pourtant, tout le monde n'est pas d'accord avec tout le monde. D'un cote, Philippe Sollers nous 
explique qu'il vient d'avoir deu\ fous rires en relisant Le Bourgeois gentilhomme et L 'Ecole des femmes 
et, de r autre, Claude Bourqui. un des specialistes de Jean-Baptiste Poquelin, declare : « Certes le rire est 
eternel, mais dire que ses pieces sont modernes siricio sensu, non. La plupart du temps nous rions a 
contresens a notre hauteur qui n'est pas celle du xvn e siecle. » N'en deplaise a Philippe Sollers, j'aurais 
tendance a abonder dans ce sens : rire oui, rnais exploser de rire non, car nous ne rions pas des memes 
choses qu'auxv]i e siecle. Ce qui pretait a rire a cette epoque est sensiblement different des 
« poquelinades » qui nous font sourire aujourd'hui. Moliere etait un resistant ; il resista a Bossuet et a 
d'autres moralistes cornme le pere RouIIe, cure a Paris, qui tonnait contre ses « impietes » et ses 
« infamies ». C'est parce qu'il etait rennemi du systeme que le public en redemandait en explosant de 
rire... Cornme Philippe Sollers ! Mais je ne suis pas sur que ce rire-la, qui correspondait plutot a une 
sanction morale du public a Tegard du ridicule de I 'epoque, ait traverse le temps. Ce qui m'interesse 
chez Moliere, c'est la modernite, je dirais meme plus, l'eternite de ses personnages que je continue a 
croiser a tons les coins de rue : Tartuffes. Harpagons, Misanthropes, Malades imaginaires et Precieuses 
ridicules font partie de notre quotidien. Moliere etait un visionnaire, et un observateur de la vie. Mais une 
fois de plus, cornme souvent dans ce dictionnaire, ce sont les mots et la verve satirique tres proche de 
celle de Boileau que j'apprecie. Ainsi sa facon de parodier dans Monsieur de Pourceaugnac le jargon 
verbeux des rnedecins est un vrai plaisir : « Notre malade ici present est malheureusement attaque, 
affecte, possede, travaille de cette sorte de folie que nous nommons fort bien melancolie 
hypochondriaque, espece de folie tres facheuse... Je Tappelle melancolie hypochondriaque pour la 
distinguer des deux autres ; car le celebre Galien etablit doctement, a son ordinaire, trois especes de cette 
maladie que nous nommons melancolie, ainsi appelee non seulement par les Latins, mais encore par les 
Grecs [. ..] : la premiere qui provient du propre vice du cerveau, la seconde, qui vient de tout le sang fait 
et rendu atrabilaire ; la troisieme, appelee hypochondriaque^ qui est la notre, laquelle procede du vice de 
quelque partie du bas-ventre, et de la region inferieure, mais panic ulierement de la rate, dont la chaleur et 
rinflammation portent au cerveau de notre malade beaucoup de fuligines epaisses et crasses dont la 
vapeur noire et maligne cause depravation aux fonctions de rintelligence, et fait la maladie dont, par 
notre raisonnement, il est manifestement atteint et convaincu. » 

Alors, Moliere imrnortel ? Moliere auteur au genie comique universel ? Evidemment, mais aussi 
maitre du bon sens : « Je suis pour le bon sens », professe Dorante dansZ.^; Critique de /'Ecole des 
femmes. Cette bonne facon de juger, « qui est de se laisser prendre aux choses et de n'avoir ni prevention 
aveugle ni complaisance affectee, ni delicatesse ridicule ». 

Alors, vive Moliere l'impertinent ! Plus que jamais nous avons besoin de son rire qui a deja traverse 
trois siecles, y compris le debut du xx e ou Alphonse Allais, toujours lui, le celebrait a sa fapon : « Moi je 
suis un type dans le genre de Moliere, je suis cocu. » 




Montesquieu (1689-1755) 

Le principe consistent a faire observer son propre pays et a le juger a travers Le regard neiif 
d'etrangers m'a toujours paru une idee ingenieuse et subtile pour pouvoir critiquer, l'air de rien, Ies 
travers de son temps. Le maitre du genre est incontestablement Charles- Louis de Secondat, baron de La 
Brede et de Montesquieu, descendant d'une fainille de parleinentaires bordelais. Lors de son bapteme, on 
lui donne un mendiant pour parrain, afin qu'il se rappelle toute sa vie que les pauvres sont ses freres. 
Apres une carriere politique et scientifique et des publications sur Ies coquillages ou les maladies des 
glandes renales, il decouvre que c'est rhomme et les singularites de cet etrange animal qui l'interessent 
plus que tout, et il va le prouver. Demode, le baron ? Que nenni, il suffit de lire ou de relire Les Lettres 
persanes avec le regard neuf de ses heros, deux Persans cultives et curieux, qui avec un humour corrosif 
se livrent a une critique hardie du roi de France et du pape : 

« Le roi de France est le plus puissant prince de r Europe. II n'a point de mines d'or comme le roi 
d'Espagne, mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanite de ses sujets, plus 
inepuisables que les mines. On lui a vu entreprendre de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des 
litres d'honneur a vendre, et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payees, ses 
places fbrtifiees, et ses flottes equipees. D'ailleurs ce roi est grand magicien : il exerce son empire sur 
r esprit meme de ses sujets... SMI n'a qu'un million d'ecus dans son tresor, il n'a qu'a leur persuader 
qu'un ecu en vaut deux, et ils le croient.. . Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t'etonner, il y a un 
autre magicien, plus fort que lui. qui n'est pas moins maitre de son esprit qu'il ne Test de celui des autres. 
Ce magicien s'appelle le pape. Tantot il lui fait croire que trois ne font qu'un. que le pain qu'on mange 
n'est pas du paia ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin. et mille autres choses de cette espece. .. » 




Et Montesquieu de conclure dans ses cahiers : « Le ridicule jete a propos est d'une grande 
puissance. » Ce n'est pas la devise du Canard enchaine, mais ca pourrait bien l'etre. Montesquieu est 
aussi rhomme de L 'Esprit des lois, dont Paul Valery disait : « II n'ecrit pas pour nous, qu'il ne prevoyait 
pas si primitifs. II aime l'ellipse, et, dans nombre de ses maximes, il calcule sa phrase, la renoue finement 
a elle-meme, il prevoit des esprits un peu plus delies que les notres, il leur offre les plaisirs de 
l'intelligence elegante et leur prete ce qu'il faut pour enjouir. » Quant aux fameuses Maximes^JG ne pea\ 
m'empecher de vous en faire gouter quelques-unes pour le plaisir, meme si elles ne sont pas forcement 
desopilantes, rnais une telle finesse vaut le detour : 

— « 11 faudrait convaincre les hommes du bonheur qu'ils ignorent, lors meme qu'ils en jouissent. » 

— « Un homme qui enseigne devient aisement opiniatre, parce qu"il fait le metier d'un hornme qui n'a 
jamais tort. » 

— « Les lois inutiles affaiblissent les lois necessaires. » 

— « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est Ioi ; mais doit etre loi parce qu'elle est juste. » 



— « L'homme pieux et Fathee parlent toujours de religion : Fun parle de ce quil aime, et F autre de 
ce qu'il crainL » 



Monty Python, Les 

lis ont ete a F humour anglais ce que les Beatles ont ete a la musique : une revolution sans precedent. 
Plus les annees passent, plus ils se bonifient, leurs textes comiques ne vieillissent pas car ils ne sont lies 
a aucune actualite et se fondent sur Fabsurdite et le grotesque de la condition humaine. Si j'ai tin faible 
pour Graham Chapman, John Geese, Terry Gilliam, Eric Idle, Terry Jones et Michael Palin, c'est parce 
que je ne doute pas qu'ils aient ete inspires par Jonathan Swift, Bernard Shaw, Oscar Wilde ou Evelyn 
Waugh. II semble aussi que nos six lascars, adolescents, aient ete influences par une emission en vogue en 
Grande-Bretagne au debut des annees 1960, le « Goon Show », imagine par Mike Spilligan, avec la 
participation de Peter Sellers. Imaginez un melange anarchique de personnages insenses, de jeux de mots, 
de bruitages bizarres, le tout sur un rythme d'enier. 

Leurs meilleurs sketches ? En 1972, Serial Killer, Le Cows de disputes, Fin de..., Le Sens de la 
contradiction ou encore ce genial telescopage phonetico-syntaxique : Mr. Hn Th. 

Pour apprecier leur humour, il faut prendre du recul, et je pense a cette declaration du colonel Harry 
McWinter, president du Club des sectaires incorrigibles, qui se termine sur ces mots : « Souvenez-vous, 
la tolerance est une des grandes vertus de notre peuple, ne la gaspillons pas pour les youpins, les Polaks, 
les meteques, les Chleus et les bicots. » 




Le groupe avait choisi de s'appeler Monty Python's Flying Circus, c'est leur nom complet, en 
hommage affectueux au marechal Montgomery alias Monty. Us avaient des la creation du groupe une idee 
precise de la fa^on dont ils envisageaient leurs sketches televises. II fallait etre le plus surrealiste 
possible, quitte a demarrer sans generique, ou en diffusant, par exemple, le generique de fin au debut. 
Parfois, ils imitaient le ton compasse des annonceurs invisibles pour parodier la BBC. Mais en general, 
ils melangeaient differents styles d'humour, que ce soit Farrivee de FInquisition espagnole devant un 
pavilion de banlieue ou les duos Cleese/Chapman ou. invariablement Fun insultait F autre, tandis que le 
troisieme, Idle, parlait en anagrammes, le tout sur fond de collages surrealistes de Terry Gilliam. 

Mais leur plus grand succes, celui qui les a fait connaitre dans le reste du monde, c'est leur premier 
film en 1975, Sacre Graal /, inspire tres librement, et c'est un euphemisme, de la legende du roi Arthur. 
joue en Foccurrence par Chapman. On a tons en memoire la scene des chevaliers chevauchant 
majestueusement leurs pseudo-montures, tandis que les ecuyers frappent des moities de noix de coco 
Fune contre F autre pour imiter le bruit des sabots. Ce gag irresistible n'etait pas gratuit, c'est le cas de le 



dire, car le budget limite ne permettait pas de tourner avec des chevaux. Meme motif, meme punition pour 
les cottes de mailles qui etaient des pulls en laine teintes de peinture argentee, trempes pendant le 
tournage realise sous des trombes d'eau en Ecosse. 

Apres avoir ridiculise le roi Arthur, il n'y avait qu'unpas pour se moquer de... Jesus. C'est ainsi que 
naquit le controverse La Vie de Brian, oil Ton voit Jesus precher serieusement le sermon sur la montagne. 
Tout rhumour provient de la fagon dont les disciples comprennent ses propos de travers. La Vie de Brian 
tut interdite pendant huit ans en Irlande, ne flit pas distribute en Italie et interdite pendant un an en 
Norvege, ce qui permit aux Suedois d'en faire la publicite : « Le filmtellernent drole que les Norvegiens 
ont du T interdire. » Ambiance... 

Graham Chapman est mort en 1989 d'un cancer de la gorge et, meme au cours de ses runerailles, 
rhumour etait encore de la partie quand Michael Palin, faisant allusion aux retards chroniques de 
Chapman, annonca a 1' assistance : « Graham est parrni nous en ce moment meme, on, si ce n'est en ce 
moment meme, en tout cas d'ici vingt-cinq minutes. » 



Morel, Francois 

Vfous en connaissez beaucoup qui n'apprecient pas Francois Morel ? Avouez que c'est difficile de ne 
pas aimer ce garcon si talentueux, capable d'etre a la fois employe de la fromagerie Morel chez les 
Deschiens, chanteur dans Collection particuliere, de preter sa voix au chien le plus bete de I 'Quest 
(Rantanplan), au chat du Rabbin Sfar, a Pierre et le Loup et au Petit Ponce/, de chroniquer avec finesse 
sur France Inter, d'etre un Monsieur Jourdain inoubliable et d'avoir joue dans une trentaine de films, 
presque autant de series televisees et de pieces de theatre,, que ce soit en tant qu'acteur ou metteur en 
scene. Eh oui ! II a deja tout ga a son actif, le pere Frangois. Et je sais pourquoi ca vous surprend. parce 
que cet hornme-la, grand rnodeste, trace son petit « gentilhomrne » de chemin sans faire de bruit. Oui, 
j'aime Francois Morel ; oui je suis peut-etre subjectif parce que nous sornmes amis depuis que nous 
chroniquames ensemble dans les emissions de Stephane Bern sur France Inter. Non, Francois n'est pas 
seulement un Deschiens (oui, je sais, on n'est pas obliges d'aimer les Deschiens), mais il se trouve que 
depuis lews debuts en 1978, je suis accro a cette serie si intelligemment imaginee par Jerome Deschamps 
et Macha Makei'eff, avec des comediens etonnants comme Broche. Duquesne, Lochet, Kelif, Lorella 
Cravotta et la stupefiante Yolande Moreau, laquelle resume bien leur etat d'esprit : « J'ai compris que 
l'on n'est jamais aussi drole que lorsque Ton joue de ses defauts. » Le cote popuiaire et simple pour 
decrire la France d'en bas, avec ses anomalies, ses doutes et sa fragilite explique vraisemblablement le 
succes de la serie. 

Ne a Flers (Orne) en 1959, Francois Morel a grandi a Saint-Georges-des-Groseillers ; a croire que 
cette charmante bourgade au patronyme si poetique n'a ete imaginee que pour accueillir notre camarade. 
Dans un recent portrait, L 'Express le definit comme un « touche-a-tout synpathique ». C'est en effet assez 
bien vu, et j'ajouterai aussi que, non content d'etre sympathique, il est desarmant d'humour et de 
gentillesse. II dit lui-meme que dans ses chroniques il s'efforce de ne pas etre dans le rrrilitanusme 
forcene, et c'est une fagon de voir, ou plutot de ne pas voir les choses qui me va droit au coeur. Je partage 
avec lui ['amour de Vialatte pour sa passion du style, son gout pour le coq-a-I'ane, ses costumes en lin et 
son penchant immodere pour les mots compliques comme « dithyrambique » ou « oxymore ». Frangois 
n'est jamais aussi bon que dans ce registre, et je pense bien sur a sa prestation dans Les Diablagues de 
Dubillard en 2007 et 2008. Autre coup de cceur, parrni d'autres, sa mise en scene d' Instants critiques 
(201 1), ou il fait revivre la grande epoque du « Masque et la Plume » ; Bory et Charensol, interpreters par 
Olivier Broche et Olivier Saladin, y sont irresistibles. 



L 'Express cite aussi une de ses plus belles chroniques sur France Inter (30 juin 2011) oil notre 
trublion explique qu'il a envie de parler de « tout et de rien » : « "Alors comme 9a, on revient du Perou", 
fit d'un ton badin mon copain Reinhardt a une jeune femme qui. dans le bocage nonnand, arborait un joli 
bonnet peruvientres colore. "Non", repondit-elle, retirant son bonnet et laissant decouvrir un crane lisse. 
"Comme ca, on revient de chimio." 

Pouvoir rire de tout, ce n'est pas riea » 

Et un peu plus loin : 

« Ce matin, j'avais envie de parler de tout. J'avais envie de parler de rien. Mais dire aux humoristes 
anonymes, aux rigolos ignores, aux fanlaisistes inconnus, aux gens d'esprit meconnus la reconnaissance, 
la gratitude pour ces instants qui enchantent le quotidien, pour tous ces moments qui rehaussent 
Tordinaire, pour la beaute du geste gratuit, pour le charme du mot benevole, pour la delicatesse de la 
pointe gracieuse. » 

Bel hommage ! Du pur Frangois Morel, genereux et modeste, qui oublie de signaler que si certains de 
ces humoristes encore « anonymes » existent, c'est qu'ils ont sans doute ete a bonne ecole.. . la sienne. 

J'arrete ici ce dithyrambe (!) mais quand on aime, on ne cornpte pas. J'ajouterai que Francois 
confirme quelque part qu'« on peut rire de tout quand ce n'est pas sous-tendu par une mauvaise pensee » 
et, mieux : « on peut rire de tout mais on n'est pas oblige ». Dominage que le camarade Desproges ne soit 
plus la pour commenter ces variations sur sa celebre phrase. 

J'en terminerai par une question tres personnelle que je n'ai jamais ose lui poser, pudeur oblige : 
« Cher Francois, etais-tu shoote au "gibolin" (cf. les Deschiens) pour te dormer du courage lorsque tu as 
longuement embrasse la sublime Ornella Muti dans le filmde Lucas Belvaux Un couple epatant ? » 



Mots croises 

Contrairement a ce que Ton pourrait imaginer, la premiere grille de mots croises ne serait pas une 
invention des vaillants croises patientant devant Damiette, mais remonterait au n e ou iu c siecle apres J.-C. 
Des archeologues americains en auraient decouvert une sur les bords de rEuphrate. C'est a partir de 
1923 que cette vogue touche la France, sous 1' impulsion de Tristan Bernard et de son arnie Renee David. 
Un peu plus tard, les oulipiens s'en emparent, et Perec en imaginera meme avec ses fameuses 
« contraintes ». On connait Tengouement actuel pour ces remue-rneninges, dont je ne suis pas vraiment 
fanatique, mais je m'interesse a cette forme d'esprit qui guide nos « verbicrucistes » a imaginer des 
definitions pour faire enrager les « cruciverbistes » les plus aguerris : 

— « Un entier qui partage sa moitie avec un tiers : cocu » (Alphonse Allais). 

— « Adjectif desordonne : epars » (Scipion). 

— « A reussi a se caser comme negre en litterature : Tom » (Scipion). 

— « Assiette en glaise : ecuelle » (Scipion). 

— « Avec lui la lune est dans Teau : bain de siege » (Max Favalelli). 

— « A bienmerite le baton : marechal » (Max Favalelli). 

— « Prelude a une partie de billard : anesthesie » (Max Favalelli). 

— « Bonne en dessin : becassine » (Michel Laclos). 

— « Brulee sans arret : etape » (Michel Laclos). 

— « On y va a la rame : metro » (Michel Laclos). 

— « Matiere a reflexion : glace » (Leo Campion). 

— « Mesure de redressement : aphrodisiaque » (Leo Campion). 

— « Avec le temps, elle gagne sur tous les fronts : ride » (Roger La Ferte). 



— « Defaut d'allumage : frigidite » (Roger La Ferte). 

— « N*est baisee que par des hommes du monde : main » (Roger La Ferte). 

— « Victirne d'une operation de bourses : castrat » (Roger La Ferte). 

— « Elle doit avoir du culot : ampoule » (Michel Hannequart). 

— « Femme au foyer : Jeanne d^Arc » (Michel Hannequart). 

— « Des quatre as, le plus mal fichu : as de pique » (Pierre Daninos). 

A noter qu'une ruminante, bien connue des divinites grecques, la vache Io, qui etait en fait une jeune 
pretresse d^Hera, fille du dieu fleuve, est devenue Tun des personnages Ies plus en vue des amateurs de 
mots croises. Tout cela grace aux deux seules lettres qui composent son nom : 

— « Si elle avait ete espagnole elle aurait massacre le franc, ais. » 

— « Aurait pu faire son beurre. » 

— « On Fa envoyee pailre. » 

— « A fini sur le pre. » 

— « S'en est mis plein la parse. » 

— « Pratiqua F amour vache. » 

— « S'est trouvee toute bete. » 

— « Aurait du ruminer sa vengeance. » 

— « £a lui a fait un efifet bceuf. » 



Mots de la fin, Les 

Le futur de : « Je suis vivant » etant : « Je serai rnort ». il faut le mieux possible s'y preparer, mais 
s"il est deja difficile d'avoir le sens de r humour durant sa vie, le conserver au moment de mourir n'est 
pas donne a tout le monde. Des hommes celebres, conscients que leurs derniers mots seront peut-etre plus 
importants que leurs premiers, essaient de quitter cette terre avec un dernier trait d'esprit. Tous n'y 
reussissent pas, mais d'autres meritent notre admiration. Ainsi le celebre gastronome Brillat-Savarin, 
s'appretant a quitter cette planete, la veille du reveillon de Noel, nous laissa son : « Je vais avoir un dies 
tree aux truffes ! », et Grimod de La Reyniere, a la surprise de ses proches, reclame un verre d'eau avant 
de mourir : « Au moment de paraitre devant Dieu. je veux me reconcilier avec mon plus mortel ennemi. » 
Henri Monnier, pointant le ciel du doigt : « II va falloir etre serieux Ia-haut », n 1 aurait pas desavoue 
l'adieu d'Oscar Wilde, ruine, recevant la note d'honoraires de son medecin : « Je meurs vraiment au- 
dessus de mes moyens ! » 




Certains ont hate d'y etre, comme le Iaisse entendre ce : « Au ciel ! Au ciel, au galop »• de la fille 
ainee de Louis XV ou se veulent discrets : « Je vais faire semblant de ne pas mourir » (Chamfort). 



D'autres preferent Ie depart en fanfare, comrne cette amie de Jean-Jacques Rousseau qui Iacha une belle 
flatulence : « Bon ! femme qui pete n'est pas morte. » Et elle mourut. 

Rendons hommage aussi a ceux qui restent professionnels jusqu'au bout. Francois de Malherbe 
interrompt son confesseur : « Ne me parlez plus, votre mauvais style me degoute ! », le poete Felix 
Arvers corrige une femme de service qui crie : « "C'est au fond du colidor P — On ne dit pas colidor, on 
dit corridor ! » 

Si Rameau sur son lit de rnort a toujours 1'oreille absolue : « Que diable me chantez-vous la, 
monsieur le cure, vous avez la voix fausse », Antoine Watteau n'est pas aveugle : « Otez-moi ce crucifix ! 
Comment un artiste a-t-il pu rendre si rnal les traits de Dieu ? » Nadar a ce joli mot : « Je sens venir tout 
de bon le moment de dire : ne bougeons plus », et Verdi : « Je desire des funerailles simples, ni chant, ni 
musique ! J'en ai assez entendu de mon vivanL » Simon Fraser, jacobite ecossais, avant d'etre decapite 
en 1747, vit la tribune devant l'echafaud s'effondrer tuant plusieurs personnes : « Plus il y a de degats, 
plus on s'arnuse », dit-il avant de se faire decoller et de decoller vers d'autres cieux 

II y a aussi ceux qui osent enfin dire ce qu'ils ont sur le cceur, tel Lope de Vega : « Dante m'a 
toujours ennuye », et Simon Bolivar : « Les trois personnages les plus ennuyeux de THistoire ont ete 
Jesus-Christ, Don Quichotte et moi. » 

Sully, lui, reste cabot jusqu'a la fin : « C'est dux de mourir quand il n'y a pas de public. » Joli mot de 
la fin aussi de Madame de Fontaine-Martel en 1730 : « Ma consolation est qu'a cette heure je suis sure 
que quelque part on fait r amour. » Tandis que Madame de Boufflers, suivant le corbillard de son mari, 
tres infidele epoux, disait : « Je vais enfin savoir ou il passe ses nuits. » Restent les bien eleves comrne 
Luis Taboada, journaliste espagnol du xix* siecle, qui force un visiteur trop bavard : « C'est bon. A 
present, cher ami, excusez-moi, mais je vais entrer dans les affres de l'agonie. » Et Landru, s'excusant 
aupres de Faumonier Tinvitant a entendre la messe : « Ce serait avec plaisir, monsieur Tabbe, mais je ne 
veux pas faire attendre ces messieurs. » 

Groucho Marx voulait etre incinere, et 10 % de ses cendres devaient etre versees a son impresario. 
Labiche, qui avait vecu sous la dictature de son epouse, ecrivit ses •« premieres volontes », et Scarron, 
lui : « Je legue tous mes biens a mon epouse, a condition qu'elle se remade. Ainsi, il y a aura tout de 
meme un homme qui regrettera ma mort » 

Comrne disait la poetesse Lucienne Desnoues au passage d'un convoi iunebre : « Encore un de plus 
de rnoins. Eh oui ! Encore un de moins de plus. » 



New Yorker, The 

En 1925, un couple de journalistes americains lance le magazine Ie plus chic du monde : The New 
Yorker. Quelques mois plus lard, un de ses fondateurs. Harold Ross, n'etait pas content : « Tout le monde 
parle des dessins du New Yorker et on dit que c'est le meilleur magazine du monde pour ceux qui ne 
savent pas lire. » II est vrai que, me me aujourd'hui, ce sont les dessins que Ton regarde d'abord. Quatre- 
vingt-cinq ans plus tard, publier un cartoon dans The New Yorker est toujours the consecration pour un 
dessinateur. Sempe est d'ailleurs un des rares artistes francais a avoir regulierement cet honneur. 

Pendant des annees, fascine par ce magazine, je me suis heurte a un refus poli mais ferme des editeurs 
americains quant au principe d'une eventuelle edition francaise. Leurs arguments tenaient la route, 
persuades quails etaient, sans doute a juste titre, que les legendes des cartoons etaient intraduisibles et 
qu'ils ne supporteraient pas la traversee de l'Atlantique. II est evident que leur cote private joke les rend 
souvent inaccessibles, si Ton n'est pas au fait du eontexte historique et sociologique de rAmerique des 
annees 1930, 1940 ou 1950. lis craignaient aussi qu'en passant d'une langue a Fautre on perde ne serait- 
ce qu'une once de ce sel si New Yorker t qui donne toute sa saveur aux legendes du magazine. Mais 
devait-on pour autant priver le monde francophone de ce monument a la gloire du nonsense, de Tabsurde 
et de rhumour decale ? Rappelons d'ailleurs que rAmerique a bien herite de rhumour anglais, mais en 
lui imprimant sa propre marque ; et si les Britanniques exorcisent le reel en le diminuant 
{understatement), les Americains, eux, preferent rexageration {overstatement). 

THE 

NEW 




Toujours est-il qu'en 2004 j'ai enfin reussi a convaincre les Americains de me Iaisser traduire et 
adapter un florilege de quelque deux mile cartoons , et dans la foulee a trouver un editeur francais, en 
Toccurrence Les Arenes, assez fou pour prendre ce risque. Pari gagne car, depuis, cet editeur multiplie 
les succes en editant et reeditant les traductions du New Yorker, et un grand quotidien francais publie 
quotidiennement un dessin extrait des livres. 



Certes, avant The New Yorker, le dessin de presse exislait deja, mais il n'avait rien a voir avec ce 
que nous connaissons aujourd'hui. C'est bien ce magazine qui a affine Le concept en imposant un dessin 
simple et parlant avec une seule ligne de texte, une idee dessinee en quelque sorte. 

Avec le temps, ce principe a evolue au contact de grands dessinateurs comme Peter Arno, Charles 
Addams, Robert Weber ou Peter Steiner. Tous se sont plies a cette contrainte qui fait que chaque dessin 
est une scene de comedie classique coneentree en une image unique. Un monde de satire sociale et 
d'ironie dans un petit rectangle de quelques centimetres. Robert MankofY, Pediteur americain et le garant 
de cette orthodoxie, va meme plus loin : « Ce n'est pas le trait, c'est 1'idee qui fait un grand dessin 
d'humour. Souvent, il y a tres peu de difference visuelle entre un dessin qui fonctionne et un autre qui ne 
fonctionne pas. La difference est conceptuelle, et c'est une tres grande difference. » 

La comedie humaine et la vanite sont les premieres cibles des dessinateurs du New Yorker. Leurs 
dessins parlent rarement de politique, mais toujours de la vie, de r amour, de 1' argent, du sexe, du 
shopping, des maris, des femmes, des amants, des collegues de bureau et beaucoup... des chats. 

« Le processus de creation implique dc Texageratioa de la distorsion et des associations d'idees 
inhabituelles en lien avec nos emotions et nos desirs », ajoute Robert Mankoff. 

Le dessin d' humour doit jouer sur l'inconscient pour provoquer le rire, rend l'incongru intelligible et 
tourne souvent autour de cette contradiction entre ce que nous voudrions etre et ce que nous sommes, ce 
qui me fait penser a ce dessin de Steiner oil Ton voit deux chiens discuter devant un ordinateur : « Sur 
Internet personne ne sait que tu es un chien », affirme Tun d'eux. 

Parmi les quatre-vingt mille cartoons publies entre 1925 et 2012, j'ai evidemment quelques 
preferences : 

— Un homme d'affaires, assis a son bureau, repond a un coup de fil et consultant son carnet de 
rendez-vous : « Non, jeudi c'est impossible. Et qu'est-ce que vous diriez de "jamais" ? Cela vous irait, 
jamais ? » 

Oucelui-ci : 

— Un dessin qui date des annees 1930 ; deux ouvriers en train de construire ce qui sera sans doute 
r Empire State Building sont suspendus a une poutre en acier, la tete en bas, sans aucune securite, au 
einquantieme etage : « Tu sais, Robert, la biere a midi, ca me fait dormir. » 

Vbila qui illustre bien la regie fondamentale du nonsense. La chute (ici sans jeu de mots !) doit etre 
une surprise. 

Sans surprise on ne rit pas. Et c'est ainsi que The New Yorker est grand. 



Nonsense 

Pourquoi pas non-sens ? Parce que nonsense est un mot anglais plus fort que le terme francais, qui se 
contente de definir un raisonnement absurde. 

Le nonsense version anglo-saxonne n'est pas une « absence de sens », rnais la prise de conscience du 
cote insolite d'une situation. Cela commence par une affirmation ou une description logique et cela se 
termine par une chute subversive qui va retirer tout ce sens a ce que Ton vient de dire ou de decrire. 
Exemples : « J'ai fait une affaire, j'ai achete une statue de la Venus de Milo au rabais. Elle a deux bras », 
ou : « Je n'ai plus de problemes de parking. J'ai achete une voiture en stationnement » (Henny 
Youngman). 

Ces exemples montrent comment on seme la contusion dans notre esprit sans rien expliquer, sauf 
lorsque Garry Shandling affirme de facon peremptoire : « Une fois, j'ai fait 1 "amour pendant une heure 
cinq ! Cetait le jour du changement d'heure », oil Ton se trouve face a un semblant d'explication. .. 



William Hazlitt, ecrivain anglais du debut du x\yf siecle, expliquait dans un ouvrage interessant mais 
nombriliste que « Phomme, qui est Ie seul animal frappe par la difference entre les choses telles qu'elles 
sont et telles qu'elles devraient etre, ne peut etre que britannique », puisque « seule Pimagination d'un 
Anglais peut etre sensible au ridicule d'une situation ou a Pincongruite d'une affirmation ». Par exemple, 
lorsque George Best affirme : « J'ai arrete de boire. Mais settlement quand je dors », ou quand on lit sous 
la plume de Johnny Carson : « A la chasse, je ne tire qa en situation de legitime defense, par exemple si 
un lapin me menace avec un couteau », ou encore quand Mel Caiman nous confie : « J'ai du laisser 
tomber Ie masochisme. Cela me plaisait trop », et que Charles Pierce juge qu\< il vaut mieux etre noir 
qu'homosexuel, parce que quand on est noir, on n'a pas a Pavouer a sa mere ». \bila le genre d'humour 
qui plait aux Anglais, et le caractere bizarre et incongru de ce genre de declarations les fait eclater de 
rire, car ils airnent en explorer toutes les possibilites comiques. 

Pour nous, c'est peut-etre de P humour absurde, mais pour les Anglais, ca ne Pest pas tant que cela, 
parce qu'ils pretendent a tort ou a raison en etre les « inventeurs », et parce que le nonsense et 
V understatement, qui sont la base de cet humour, seraient les enfants naturels du wit, que Pon peut 
traduire par « mot d'esprit », dont Freud pensait qu'il relevait du rreme processus que le lapsus. 

Ainsi, le mot d'esprit qu s il soit absurde {nonsense) ou litote (understatement), s'il est revelateur de 
Pinconscient, ne serait pas si absurde, et serait meme serieux. II existe d'ailleurs une philosophic de 
Pabsurde, definie par Camus : « L* absurde est la notion essentielle et la premiere verite », comme le 
nonsense qui presente une espece de monde a Penvers qui n'est jamais remis a Pendroit, mais qui en 
decrit Pabsurdite en desamor9ant des situations graves, en pratiquant Pautoderision, par exemple : 

Savoir se moquer de sa propre maladie : 

— « J'ai la maladie de Parkinson, et il a la mienne » (Anonyme). 

Demystifter la religion : 

— « Dieu merci, je suis athee ! » (Anonyme). 

— « Si j'avais ete la Vierge, j'aurais dit non » (Stevie Smith). 

— « Si Jesus etaitjuif, pourquoi avait-il unprenomespagnol ? » (Bill Maher). 

Roiller les intellect uels qui etalent lew savoir : 

— « Mes deux compositeurs preferes sont les Bach. Jean-Sebastien et Jacques Offen » (Victor 
Borge). 

Denoncer les lotalitarismes : 

— « Tout le monde sait que le grand poete russe Maiakovski s'est suicide. Ce que Pon sait moins, 
c'est que ses derniers mots ont ete : "Ne tirezpas, camarades f* » (Fred Botten). 

Le nonsense implique un melange plaisant de drolerie et de retenue. Ce n'est ni de Pironie ni ce que 
les Anglais appellent eux-memes buffoonery, cet humour vulgaire et grotesque, genre histoires beiges, 
mais une reflexion comique qui provoque soit un eclat de rire, soit un plaisir intense, voire les deux ! 

« Pourquoi rions-nous au spectacle d'un Premier Ministre qui s r assoit sur son chapeau ? », se 
demande G. K. Chesterton. « Car le fait de tomber n'est pas drole en soi. Les feuilles tombent et le soleil 
se couche sans provoquer un sourire. » Pour ce polemiste du debut duXX e siecle : « C'est de Phumour 
qui abandonne toute tentative de justification intellectuelle, qui ne se moque pas simplement de 
Pincongruite, mais Pextrait et Papprecie pour le plaisir », un simple sentiment d'emerveillement devant 
Pexuberance des choses. 



Je prefere qiiand meme ['explication qu'en donne Gerard Genelte : « Le negatif d'un dialogue 
parfaiternent sense releve de F humour logique. » Et citons Leon-Paul Fargue, qui cree une relation 
logique entre deux faits qui n'ont rien a voir : « Depuis que j'ai coupe ma barbe, je ne reconnais plas 
personne. » 

Veritable philosophie ou non, le nonsense est une facon de rnalmener a notre maniere le monde, a 
moins que ce ne soit le contraire. 



Obaldia, Rene de 

II a quatre-vingt-quatorze ans, il est comte, academicien, arriere-petit-fils d'un president de la 
Republique du Panama, petit cousin par sa mere de Michele Morgan et il est ne en Chine. II est Tun des 
auteurs Les plus joues dans le monde et aussi Tun des plus traduits (vingt-huit langues). 

En 2009, il etait tous les soirs sur scene pendant deux mois pour lire ses textes et raconter sa vie. A 
dix-sept ans, il voulait devenir poete, a defaut de ne pouvoir etre peintre ou musicien, car il n'en avait 
pas les moyens. En 2009, il declarait a Francois Busnel pour le magazine Lire : « Le theatre est arrive 
dans ma vie par accident. J'avais besoin de gagner ma vie. Et le theatre, pas plus que la poesie ne 
nourrissait son homme, du moins pas un homme qui revenait de captivite et ne savait pas tres bien ce qu'il 
allait ecrire. Clara Malrauxirfa permis d'aller suivre des colloques litteraires a Fabbaye de Royaumont. 
[...] Un soir, j'ai eu Fidee d'ecrire un imprompuu une chose tres Iegere, comme ca, juste pour divertir 
les participants au colloque. J'ai done ecrit deux impromptus. Avec deux personnages. Le premier etait 
Le Defimt. Chistoire d'une jeune veuve qui relate F existence du disparu. £a a fait rire tout le monde. Du 
coup,je me suis pris a monproprejeu, etj'ai continue... » 

Pour moi, Obaldia e'est evidemment, en 1966, Dm vent dans les branches de sassafras qui Hit un 
choc tres agreable. Je decouvrais en meme temps cet auteur qui m'etait inconnu, un spectacle total et un 
depaysement garanti au Far West, avec saloon, cactus, chants, danses, bagarres, chevauchees, cow-boys, 
indiens, love story^ etc., oil Ton voit la brave Mme Rockefeller terrorisee a Tidee que le terrible chef 
comanche CEil de Lynx puisse venir encercler son rancli Et e'est la que Ton decouvre la puissance 
imaginative de cet auteur, qui sait mieux que quiconque inviter le spectateur dans un autre monde que 
celui de la vie ordinaire, le tout sur fond de comique et de parodies linguistiques qui viennent de tres 
loia II faut savoir que, chez Obaldia. on parle T« obaldien vernaculaire » qui se decline en 
« alexandrins, calembours et parodies », ou Ton croise evidemment Tombre des plus grands du genre : 
Queneau, Jarry et lonesco. Par exemple, dans sa piece onirique Genomic (I960), une comedie sur le 
pouvoir de Tesprit, et une satire sur les intellectuels pris aux pieges de ramour, Obaldia se demande si 
pour s'entendre il est vraiment utile de se comprendre, et il invente le « genousien ». On y voit Tun des 
personnages, Hassingor, demontrer que les malentendus familiaux viennent essentiellement du fait que 
chacun parle la meme langue. II fallait y penser ! Pour lui : « Si le pere parlait turc, la mere esquimau et 
un ou deux enfants dongo et bambara, il y aurait beaucoup moins de disputes. » 

Et voila ce que e:a donne : 

« mme de tubereuse : \fous etes un homme comble, cher Hassingor. D'oii vient que ce que vous 
ecrivez soit toujours aussi tragique ? Je sais que je vous pose une question stupide, cornme a pen pres 
toutes les questions qu'on pose aux auteurs. 

ircne : Khi, sefraye hahoto karibor kling ? 



mme de tubereuse ; Pardon ? 

hassingor : Irene demande si j "ai les cles de la voiture. (A Irene :) Oui, elles sont dans ma poche, 
drai'methe poviskaye. (A Mme de Tubereuse :) Vous disiez, chere madame ? » 

Pour ce fou de mots, Ie plus beau vers de ]a langue francaise serait : « Le geai gelatineux geignait 
dans le jasmin », qu'il imagine lui-meme, poiir contrer un vers de Victor Hugo, qui etait selon son 
professeur de francais de Tepoque : « Le cliquetis confus des lances sarrasines. » II ne comprend pas non 
plus pourquoi Michel Tournier aurait elu. lui, ce vers de La Fontaine : « Dans un chemin montant, 
sablonneux, malaise. » Allez savoir ! 

II explique aussi que Pecriture fait partie de la vie et qu'il ecrit pour « rendre heureux ceux qui nous 
entourent », vaste programme, certes, mais qu'il accomplit parfaitement, tant ses quelque vingt ceuvres 
theatrales sont un bonheur pour tous. Parmi les plus connues : L'Air du large (1966), Monsieur Klebs et 
Rosalie (1975) et Le Satyi-e de la Vtllette B qui fit scandale en 1963. 

Rene de Obaldia est aussi rauteur de poemes et de romans comme Tumerkm des emirs (1955) ouLe 
Centenaire (1959). En 1993, il obtient le prix Novembre pour Exobiographie, le contraire d'une 
« autobiographic » explique-t-il, puisqu'il n'aime pas parler de lui et que, coinme chacun saitexo 
signifie : « tourne vers F autre ». 

Je parle beaucoup dans ce dictionnaire d 'humour anglo-saxon, mais Obaldia, lui. se fait le chantre de 
l'humour iberique, qu'il a decouvert en lisant FEspagnol Ramon Gomez de la Serna (1888-1963). Cette 
forme d'humour n'a rien a voir avec le nonsense britannique, et se caracterise plutot par un « sentiment 
tragique de la vie », coinrne disait le celebre philosophe Unamuno (1864-1936), auteur d'un Traite de 
Cocotologie qui explique... les differentes facons de faire des cocottes en papier. .. 

A Francois Busnel, qui lui demandait aussi quels conseils il donnerait a quelqu'un qui voudrait se 
lancer en litterature, il repondait : « Les surrealistes posaient la question : "Pourquoi ecrivez-vous ?" 
C* etait une grande question. On peut renverser la question et demander : "Pourquoi n' ecrivez-vous pas ?" 
C*est encore autre chose... A la question "Pourquoi ecrivez-vous ?", certains affirmaient : "J'ecris pour 
etre riche, pour etre celebre." Francois Mauriac repondait a peu pres : "J'ecris pour emmerder rna 
famille." Andre Breton declarait : "J'ecris pour faire des rencontres." Je prends cette forrnule a mon 
compte. Borges disait : "J'ecris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.." C'est 
superbe > ca ! J'ai ecrit pour cotnmuniquer, pour dire des choses sans penser que je pourrais avoir de 
l'argent, parce que c'etait naturel chez moi, parce que c'etait une necessite. » Vbus aussi, cher « maitre » 
Obaldia, rassurez-vous. vous « adoucissez le cours du temps », en exaltant la liberte du langage. Grace a 
vous et a quelques autres, le tragique de notre condition est plus leger a porter. Merci. 



OuLiPo, L' 

Le 24 novembre 196(K Raymond Queneau et Francois Le Lionnais fondaient l'OUvroir de LIttetature 
POtentielle. qui se voulait une tentative <:< d'exploration methodique de potentialites de la litterature et 
plus generalement de la langue ». 

Queneau est un ecrivain deja celebre et Le Lionnais est ingenieur. Heureuse coincidence, puisque 
FOuLiPo se situe au croisement des mathematiques et de la litterature. L'idee est relativement simple : il 
s'agit d'etablir des « contraintes » puis de les traduire sous forme de textes, afin de produire des ceuvres 
originales. Ainsi, Queneau, avec ses Exercices de style, qui ecrit la meme histoire de quatre-vingt-dix- 
neuf manieres differentes, Perec, coopte par FOuLiPo en 1967, qui ecrit un romansans utiliser la voyelle 
« e », le lipogramme, oultalo Calvino qui construit F intrigue d"un livre selon un concept assezcomplique 
dit : <:< carre semiotique de Greimas ». 




On a souvent pretendu que TOuLiPo etait une espece de societe secrete qui revendiquait quelques 
loinlains precurseurs, que les oulipiens n'hesitaient pas a qualifier gentiment de « plagiaires par 
anticipation » des gens comme Racine ou meme Jean-Sebastien Bach, mais oui, qui dans La Passion 
selon saint Matthieu reprenait, parait-il, les lettres de son nom selon la notation allemande des notes de 
musique (BACH : si bemol -la — do - si becarre). . . Complique, mais etonnant. Trente-huit noms figurent 
sur la liste officielle des membres de TOiiLiPo, dont quelques-uns « excuses pour cause de deces », car 
quand on devient oulipien, c'est pour l'eternile. Pour cela, il ne faut surtout pas demander a entrer dans le 
groupe, mais attendre qu'on vous propose d'en faire partie. On le reste toute sa vie, et toute sa mort 
puisque le temps oulipien ne s'arrete jamais. Parmi eux, citons Marcel Duchamp, Luc Etienne, Andre 
BLavier, Jacques Roubaud, Marcel Benaboo. secretaire provisoirement definitif et definitivement 
provisoire, Jacques Jouet, Michelle Grangaud (ciel, une femme !) et mes amis Paul Fournel, president qui 
en est a son septieme mandat et Herve Le Tellier lequel. membre toujours tres actit est Tun de ceux qui 
eurent la patience de m' inkier au bon usage de la « contrainte ». 

Ces amoureux inconditionnels des lettres ont coutume de se definir cornme des « rats qui ont a 
construire le Iabyrinthe dont ils se proposent de sortir ». C'est bien de cela dont il s'agit, car ils refusent 
de se considerer comme un mouvement litteraire. 

Et rhumour, daas tout ca ? En dehors du fait que, rnalgre leur apparente severite, les membres de 
TOuLiPo sont tous de joyeux drilles, il est le moteur evident des ateliers ou Ton cherche a ecrire en 
jouant, ou a jouer en ecrivant. 

Les activites oulipiennes sont serieuses sur le fond : « Desaruculer les structures, desencastrer les 
nx>ts [...] lyrisme antilyrique qui debarrasse dupathos et du "moi" deviendrait celebration muette de la 
langue [...], ou la litterature s'accomplit de n'etre qu*obeissance a la souveraine transcendance des 
regies et des nombres », comme Tecrit savamment Tuniversitaire Claude Burgelin, mais, si Ton en juge 
par ces « variations minimales », elles ne sont pas molns legeres et ludiques, et Perec en a le secret : 

« Longtemps je me suis bouche de bonne heure. 

Longtemps je me suis mouche de bonne heure. 

Longtemps je me suis touche de bonne heure. » 

L'OuLi Po ne vous fait pas rire ? Ah bon ? 

Que pensez-vous alors de cette « dieorie des sollicitudes » qui consiste a composer des vers se 
terminant par des jeux de mots similaires : « Qu'a mis Kaze ? Qu'ont tes nerfs ? Mais qui lit Mandjaro ? 
Done qu'a Millot ? », ou de ce detournement par Herve Le Tellier du Pater nosier avec la benediction de 
la RATP : <:< Notre Auber qui etes Jussieu v> ? 

Pour faire simple, car les oulipiens peuvent se reveler des etres complexes et tortures, voici un 
exercice facile autour d'un lipogramme, oil Perec imagine un prisonnier qui doit economiser le peu de 
papier dont il dispose, et qui du fait meme va s'interdire les lettres a harnpe (b. d, f, h, 1, t) et les lettres a 
queue (g, j, p, q. y) et meme les « i », evitant ainsi les lettres qui depassent et prennent de la place : 

« Ouvre ces serrures caverneuses 

avance vers ces ceuvres rares ; 

une encre ocre creuse son cerne 



sous sa morsure azur - aucun 

ressac ne navre encore ses aurores. » 

Autre exercice facile, le « poeme de procedure » qui consiste a imaginer un poeme dans un endroit 
donne avec des contraintes ; Jacques Jouet avait realise un « poeme de metro » compose dans le metro, 
pendant le temps d'un parcours, mais ma preference va au « poeme de bistrot » de Ian Monk : « Un 
poeme de bistrot est un poeme compose dans un bistrot, pendant le temps d'une beuverie. Un poeme de 
bistrot compte autant de vers que votre beuverie compte de verres moins un. » 

Quant a la methode de « S + 7 » mise au point par Jean Lescure, elle consiste a remplacer dans une 
phrase choisie chaque substantia, chaque adjectif, chaque verbe par le septieme de la meme espece dans 
un dictionnaire choisi. \bici le resultat du traitement barbare que Raymond Queneau, cet insecticide, fit 
subir a la fable La Cigale et la Fourmi. Dans le Nouveau Petit Larousse illus/re de 1952, le septieme 
substantif feminin en partant de cigale etait cimaise et le septieme a partir de fourmi etait fraction, ce qui 
donna ceci : 

« La Cimaise et la Fraction 

La cimaise ayant chaponne tout I 'eternueur 

Se tuba fart depuralive quand la buxaceefut verdie 

Pas un sexue petrographique morio de motsfflette ou de verrat 

Elle alia crocher fange 

Chez la fraction sa volcaniqtte. 

La processionnant de lui primer 

Quelque gramen pour succomher 

Just/u 'a la salanque nucleaire. 

"Je voids peinerai, lui discorda-t-elle, 

Avant I 'apanage, foldtrerie d 'Atmamite ! 

Interlocutoire et priodonte !" 

La fraction n 'est pas previsrble : 

C'est la son tnoleculaire deft. 

"Que feriez-vous au tendon cher ?" 

Discorda-t-elle a cette enarthrose. 

"Je chaponnais, ne vous deploie. " 

"Vous chaponniez ? J 'en suisfort alarmanie 

Eh bien ! debagoulez rnaintenant V » 

A noter aussi. Tun des multiples groupes directement inspires du modele oulipien : 1'OuPeinPo, 
ouvroir de peinture potentielle, qui ne se veut pas un mouvement artistique mais un ouvroir au sens 
premier du terme ou Ton ouvre, du verbe « ouvrer », mais Ton n'y trouve pas d'ceuvres, comrne le 
precise Thieri Foulc, qui ajoute : « Dans le passe, la peinture a ete peu contrainte alors que rOuPeinPo 
en vingt ans a engrange des di2aines, peut-etre des centaines de contraintes. » 

Parmi les plus amusantes : un projet de redressement du cours de la Seine lorsqu'elle traverse Paris 
(Jack Vanarsky, 1991). Sa methode de lamellisection avec correction angulaire permettrait par le biais 
d"un collage des plans de Paris de redresser la Seine et d'observer les consequences urbanistiques : 
disparition de certains monuments, projection du bois de Boulogne au cosur de la ville, etc. Marcel 
Duchamp, membre de TOuLiPo, est mort trop tot pour etre oupeinpien, mais il parait que son 
oupeinpisme etait avere, puisqu'il avail imagine cette contrainte : « Chercher un ready-made qui pese un 
poids choisi a Tavance, determiner d'abord un poids pour chaque annee et forcer tous les ready-made a 
etre du rneme poids. » 



Papous, Les 

Qui n'a pas eu T opportunity, ou plutot la chance, d'ecouter uii dimanche de 12 h 45 a 14 heures sur 
les ondes de France Culture remission « Les Papous dans la tete » ne pourra pas partager mon 
enthousiasme pour ce rare moment de provocation ludlque. « Les Papous », c'est un club ferme qui reunit 
des gens fort intelligents, qui ne font pas fbrcement profession d'amuseurs patentes. On y trouve des 
ecrivains, des peintres, des cineastes, des journalistes, des comediens qui ont en commun « de prendre 
leurs distances avec Tesprit de serieux, qui ont le courage du derisoire et qui osent la legerete ». Leur 
devise : « Culture sans gaiete n'est que ruine de Tame. » \bus imaginezbien que je ne peuxque souscrire 
a cette formule qui est pour moi aussi un imperatif categorique, depuis que je m'escrime, plus 
modestement certes, a proner Tapprentissage de la culture en s'amusant Le maitre mot de ces emissions, 
c'est done le jeu ; jouer avec les mots et le Iangage, s'amuser avec sa culture a Timage des oulipiens, 
dont certains en sont membres (Herve Le Tellier, Jacques Jouet et le regrette Francois Caradec). 

Une des regies de ces incitations a l'ecriture est la « contrainte ». Comrne disait Bertrand Jerome, lui 
aussi disparu en 2006, apres avoir cree et imagine avec Francoise Treussard cette emission : « II n'est 
pas interdit de detourner la regie de la contrainte. Cela fait partie du jeu qui est une provocation ludique a 
rimaginaire. » Ainsi, on peut trouver au cours de ces joules oratoires des exercices de pastiches, des 
diagnostics litteraires a Faveugle, etc. 

Mais comment vous faire gouter ces moments de bonheur avec des textes ecrits pour la radio, si ce 
n'est en citant quelques ecrits susceptibles d'etre lus ? J'ai choisi parmi la bonne vingtaine de rnembres 
de cette honorable confrerie ceux qui me font Thonneur de leur amitie : Jacques A. Bertrand, Serge 
Joncour, Patrice Delbourg, Herve Le Tellier, Gerard Mordillat et Pascal Fioretto. 

A travers la selection ci-dessous, j'espere vous dormer envie d^en savoir plus sur ce qui se passe 
chaque dimanche dans cette cour de « re-creation », comme le dit son fondateur : 

— Patrice Delbourg imagine Paul Leautaud invite VD? en 1950 a 1* inauguration du premier village de 
vacances du Club Med a Djerba. Comme on peut s'en douter, il flilmine : 

« Ma case est a cote du mini-club Donald, e'est bien ma veine. Les enfants sont comme la creme : les 
plus fouettes sont les meilleurs. Je prends garde de ne pas leur parler. A quoi bon, quand ils seront en age 
de me repondre je serai mort. Tous ces marmots edentes qui sautent gemissent et petent dans la 
pataugeoire sont pour moi des etres inacheves, des fcetus monstrueux a la fontanelle palpitante. qui 
prefigurent leurs geniteurs. Ceux-ci d'ailleurs sont en train de faire monter et descendre une mandarine 
contre leur ventre en poussant des cris d'orfraie. Quelle pitie ! 

lis n'ont pu avoir de chiens, alors ils ont fait des mioches. 

Le seul short quej'aie a ma disposition est pleinde reprises. 

J'avance vers les buffets, drape dans les rideaux de mon gourbi. Me prenant pour un autochtone, une 



vieille Americaine rrVa donne Taumone. Je Taurais pilee, cette rombiere auxcheveuxbleus. » 

— La conlrainte a Iaquelle doit se sournettre Serge Joncour : commenter et interpreter le celebre 
tableau de Vermeer La Laitiere : 

« Ce qui rrfinteresse dans ce tableau, c'est qu'en fait il s'agit du premier vrai nu commis par le 
peintre et, il faut bien le dire, le seul. [...] Pour se distraire un peu de sa morne existence, le peintre avait 
eu Tidee de prendre une jeune femrne pour modele, une femme affriolante et gaie malgre les apparences, 
et de la faire poser nue de la tete aux pieds pendant des heures, histoire d'egayer ses journees de travail. 
Pour justifier la nudite de la dame, il la faisait poser debout, une jambe a peine plus avancee que r autre, 
portant une jarre sur Tepaule, un prodigieux recipient d'ou jaillirait une cascade d'eau. allegorie de la 
source, et de ropulence, tout cela dans un decor champetre et plus ou moins mediterraneen fait de chenes 
verts et d'oliviers, car jamais un peintre n 1 await Tidee de representer une femrne nue en pleine nature 
dans un decor batave. [...] Mais helas, les jarres en terre cuite sont lourdes et la Hollande globalement 
mal chauffee. L* artiste dut tres vite se resoudre a rhabiller son modele et a lui faire porter la jarre, non 
plus a bout de bras, mais comme elle le fait sur le tableau, c'est-a-dire a deux mains. Evidernment, d'une 
jane portee aussi bas, Vermeer ne pouvait plus faire s^ecouler de Teau... d'ou Tidee du lait. » 

— Jacques A. Bertrand nous livre un « inventaire » tres personnel dont il a le secret : 
« Je n'aurais pas aime etre une boite a chaussures. 

D'abord, je ne sais pas si Ton doit dire la boite a chaussures ou la boite de chaussures. Ensuite, on 
doit s'ennuyer. Ou alors une boite a chaussures a talons aiguilles : on peut tricoter. 

Si j'avais ete un stylo a encre, j'aurais fui. Je veux dire : j'aurais fait de gros pates. Cela doit etre 
amusant. 

Pour rien au monde, je n'aurais voulu etre ecrivain. C'est tout a fait etrange, cette expression : "rien 
au monde". Je n'aurais pas aime etre "rien au monde". 

J'airnerais beaucoup etre un autre. Seulement, j'ai feuillete de nombreux catalogues... Aucun modele 
ne me tente. 

J'aurais aime etre une bulle de savon au lait d'amande dans la baignoire de Cleopatre. Je dis 
Cleopatre pour ne pas faire de ja louses. 

Je n'aimerais pas etre une hyene. \fous crevez de faim, il n'y a que de la charogne a bouffer, apres 
avoir ecarte les vautours... 

Et tout le monde croit que ca vous fait rire. 

Je n'aimerais pas etre une pin-up en metal peint sur la calandre d'un soixante-dix tonnes : j'aurais 
Timpression d'etre responsable des accidents. Et puis j'aurais trop peur. 

Je ne voudrais pas etre un carton a chapeau. ' k C'est vous qui portez le chapeau ?" Ah non, merci. 
Responsable, d'accord, mais pas coupable... » 

— Gerard Mordillat fait part de son inquietude a Monique, dont il n'a pas de nouvelles : 
« Monique, 

II y a maintenant presque trois jours que tu es partie et je commence a m'inquieter de ne pas avoir de 
tes nouvelles. 

J'espere que tu as bien suivi mon plan et qu" 1 apres Tembranchement de TA56 et de TA58 tu es restee 
sur la droite, pour prendre la bretelle provisoire en direction de la deviation qui indique la R118, celle 
qu'il ne faut surtout pas prendre, car comme je te Tai indique, si tu la prends tu te retrouves sur 
Titineraire bis, et la, a moins de faire demi-tour au carrefour de la C47 et de Techangeur. tu te perds a 
coup sur. Sinonje crois bien t* avoir precise qu'il faut compter trois stop apres Tancien magasin de sport 
en plein air qui maintenant est un restaurant ou une scierie, je ne me souviens pas. Et la, tourner au 
deuxieme feu rouge apres. C"est-a-dire tres exactement a mi-chemin entre la V824 qui va tout droit 
rejoindre la C24 et la D222, celle que j' indique sur mon plan d'une fleche afin que tu ne la confondes 
surtout pas avec la D223 qui, bien que parallele, s'engage sous le pont, et interdit de rejoindre le 



raccordement qui mene a la bonne route, celle qui descend juste apres r arret dubus. [.„] » 

— Dans la meme « veine », si je puis dire, Herve Le Tellier nous lit un extrail revu et corrige par ses 
soins d'un texte de Rabelais, oil Ton voit Pantagruel partir en week-end a « Estretast » : 

« Apres que Pantagruel eut range les bagages dans la malle arriere, il se frotta les mains paurne 
contre paume en geste de gras benedictin. et se rejouist fort : 

"En route, car elle promest d'estre longuette avec cette voiture de brea Compagnon. connois-tu enfin 
le chemin pour la cite d'Estrelast et ses celebres falaizes ? 

— Si faict, ami, replicqua Panurge. 
II nous fauct prendre Tautoroute A13 
Qui engendre V auto route A131 

Qui engendre la nationale 182 

Qui engendre l'autoroute 29 [...]" 

"Mais ce sera appose dessus un panel escrit en normand", lui respondondict Pantagruel, qui tentoit de 
remettre en ses plis une vilaine carte de France tout escabouillee. 

Eux disant toutes ces paroles, voicy desja arrives a la Porte de Saint-Cloud, oil ils apercurent un 
geans a la tignasze rouge, acroupille sur le bord de la chaussee. Lors feist l'homme tel signe : il leva haut 
la main gausche puis fernia en poing les quatre doigts d'ycelle, et le poulse extendu tout droist vers 
l'avant. 

"Par les couilles de mon mulet, s'esbaudit Pantagruel. vois done ce que faisoit cet Anglois." Car a la 
vestirnente, a la perce d'argent sur le naseau, a la fascon d'etre pitoyablement navre et tant mal en ordre 
qu'il sernbloit estre echappe es chien, Pantagruel avoit reconnuz de quelle contree il venoit. [...] » 

— Enfin, avec Pascal Fioretto, rendez-vous a la fete des voisins. Cette annee-la, comme les 
precedentes d"ailleurs, il a decide d'apporter sonfameux cake auBoursin : 

« J'habite dans une residence a dentistes des annees 1970, on a un immense hall d'entree en faux 
marbre. Chaque annee en juin, on installe les tables de reunion du syndic sur lesquelles on punaise des 
nappes en papier festif. Pour le repas, on met tous nos moyens en commun. La fille de la concierge 
bricole des fleurs en papier crepon, je rechauffe les quiches dans mon four perso, rinfirmiere du studio D 
53 apporte une Cocotte-Minute pleine de sangria, les Karambiri N"Diabate (une fainille qui appartient a 
la rninorite visible des boubous voyants) font leur poulet aux arachides et le vieux garcon du B 37 
debouche les bouteilles... 

Parfois, on installe une so no mais 1 'annee derniere, ga a un peu degenere. 

La proprietaire du A 43 a proteste. Elle a dit : "Ah non, vous n'allez pas nous mettre ga ! Je Pentends 
asseztoute lajournee !" 

Le locataire du A 22 a repondu que e'etait pas de sa faute a lui. si elle espionnait ses voisins, 

Et le vieux gargon du B 37 a surencheri en disant qu'entre ceux qui mettent la musique a fond et celles 
qui font uriner leur teckel dans le local des vide-ordures, il ne savait pas ce qu'il preferait. 

Depuis, on evite la sono. D'autant que Taine des Durnont-Polignac, qui apprend la contrebasse, nous 
fait benevolement une petite demo a r aperitif. C'est fou ce qu'il progresse. C'est chaque annee plus 
long ; du coup, mon cake au Boursin est toujours servi froid. » 

Et nous, rendez-vous chaque dimanche avec Les Papous. . . 



'Pataphysique 

En 1911, Alfred Jarry, le createur de rimmortel Pere Ubu, nous invite avec le docteur Faustroll 
(Gesfes et Opinions du docteur Faustroll pataphysicien) a suivre ce personnage dans des aventures 



soumises aux lois de la 'pataphysique, qui d*apres Jarry serait « la science des solutions imaginaires qui 
accorde symboliquement aux lineaments les proprietes des objels decrits par leur virtualite ». Cette 
science « des solutions imaginaires », qui est une parodie de la theorie de la science moderne, est a mon 
avis la plus belle trouvaille d' Alfred Jarry (1873-1907). Ce fou genial qui, a vingt ans, composa son 
ceuvre majeure, Ubu Rot, piece en cinq actes, Iegendaire et bouffonne, qui devait faire passer son nom a 
la posterite. L'histoire de la famille Ubu est un canular feroce qui denonce les pieces a grand spectacle 
de l'epoque ainsi que l'incommensurable betise et la Iachete de Phomme. Ce langage qui n'appartient 
qu'a lui rappelle celui des ceuvres de Rabelais, un de ses mentors, lorsqu'il imagine un orchestre 
compose de « Jacqubutes » et de « Galoubets ». Sous sa plume, les plantes s'appellent « les taroles », 
« le ravanestron », « la sambugue », « Farchiluth », « la pandore », « le kin », « la turlurette ». 

Son enfance malheureuse commence le 8 septembre 1873 a Laval, entre des parents rapidement 
separes. Reforme militaire pour « irnbecillite precoce », Jarry eut une vie miserable marquee par la haine 
du pere et 1 'amour incestueux de la mere. II trouvait dans Palcool, Tether et r absinthe la vitalite qu" il ne 
pouvait s'offrir autrement. II vivait le plus souvent a la campagne, oil il aimait pecher et se promener a 
bicyclette avec un revolver en guise d'avertisseur. Jarry, le pionnier du surrealisme et du theatre de 
l'absurde, mourut a trente-quatre ans, ronge par r absinthe, « la fee verte », qui demeurait a ses yeux la 
seule boisson hygienique, en faisant don de son corps « a la litterature ». 

Je me contenterai, pour vous inciter a lire, voir ou revoir Ubu Roi, de vous en citer le premier mot, 
« Merdre ! », et la derniere phrase, dont la Iogique lapidaire ne vous echappera pas : « S'il n"y avait pas 
de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais ! » 




Alors pourquoi celebrer Jarry a travers la 'pataphysique plutot que de s'attarder sur le Pere Ubu ? 
Parce que cette theorie qui cherche a « theoriser la deconstruction du reel et sa reconstruction daas 
l'absurde » est non seulement une des bases du surrealisme, mais elle est aussi Torigine d'une conirerie 
d'hurnoristes de grand talent qui ont marque P humour des annees 1950, le College de 'pataphysique, 
fonde en 1948, pour promouvoir « la 'pataphysique en ce monde et dans tous les autres, et de cultiver 
avec tout le serieux qui s'impose cette science de runlverseile aberrance ». 

Redescendons sur terre pour essayer de comprendre pourquoi cette idee de college est une 
exceptionnelle preuve d'intelligence imaginee par des amateurs erudits qui vont marquer leur epoque. 

J'aurais adore pouvoir participer a leurs eminents travaux avec des Raymond Queneau, des Boris 
Vian et des Francois Caradec, qui, avec leur humour decapant, definissaient le College, qu'ils venaient 
de creer, comme « une societe de recherches savantes et inutiles ». 

La 'pataphysique, veritable transcription telle que la souhaitait Jarry, qui devait se faire avec une 
apostrophe precedant le nom, pour eviter un facile calembour, du genre « pas ta physique » ou « pate a 
physique », aurait pu etre simplement perdue comme une invention litteraire d'un ecrivain potache, mais 
c'etait en fait une invention visionnaire. 

Comme il aurait ete fier, le pere Jarry, d'entendre la « harangue inaugurale », prononcee Iors de la 



premiere seance du College, le 29 decembre 1948, et dont voici les premieres lignes des statuts : 

« Fonde le 1 1 mai 1 948 de l'ere vulgaire (il n'y a pas encore de calendrier pataphysique), le College 
de 'pataphysique commence par formuler ses objectifs et se doter d'une structure. Base de tout l'edifice 
ulterieur, les statuts sont signes le 29 decembre de la meme annee (en realite, desormais : le 
l eT decervelage, an 76 de Fere pataphysique) et publies peu apres. En cinq "titres" ils definissent la 
'pataphysique et le role du College ; Ies prerogatives des dignitaires ; la situation des auditeurs et 
correspondents ; l'Ordre de la Grande Gidouille et le cadre emblematique de Tactivite collegiale. » 

Le College etait administre selon Ies regies d'une hierarchie tres stride, Ies « Optimates », parmi 
lesquels le « Curateur inamovible », qui ne peut etre pour le docteur Faustroll : « sis dans l'eternite ». 
Les autres Optimates sont, dans l'ordre, le « Vice-curateur », Ies « provediteurs », Ies « Satrapes » et les 
« Regents ». Les Satrapes sont le corps le plus celebre du College car ils ne sont souirris a aucune regie, 
n'exercent aucune fonction et se cooptent a leur gre. 

L'ere pataphysique commence avec Jarry (8 septembre 1873), sa couleur est le vert, comme la 
chandelle d'Ubu. Le calendrier est de 13 mois de 28 jours de la semaine plus un en dehors, « absolu, 
haha, as, sable, decervelage, gueules, pedale, clinamen, palotin. merdre, gidouille, tatane. phalle », tous 
empruntes a Jarry. Semaines aux dimanches fixes plus « hunyadi ». jour imaginaire sauf les « hunyadi de 
gucule », Ies annees bissextiles et Ies « hunyadi de gidouille » tous les ans. II y a des saints, comme « St 
Sein, tautologue » ; « St Roussel, St Quincey. St Landru, gynecologues ». Etre pataphysicien n' engage a 
riea ca degage au contraire. Le College if a pas de lieu physique, mais des hauts I iai.\. comme la librairie 
Le Minautore, rue des Beaux-Arts, ou ils se reunissent. Les dates de naissance pataphysique sont celles 
de l'entree au College, celles de mort correspondent a la mort « physique », a la demission ou « une 
longue maladie » (cotisation pas payee). Tout est pretexte pour faire la fete, fete du ha-ha, expositions 
Jarry, Allais, defiles, enterrements avec chandelle verte a la maia 

II existe 7 commissions et 77+1 sous-commissions, supervisees par une surcommisslon, une 
transcomission, une precommission, 2 acommissions, 5 cocomrnissions, 13 intermissions. Rappelons que 
le College a accueilli dans ses rangs des esprits aussi singuliers que Raymond Queneau, Boris Vian, 
Marcel Duchamp, Max Erns% Man Ray, Pascal Pia, le baron Mollet, Latis, Michel Leiris, Rene Clair, 
Paul-Emile Victor, Carelman, Arrabal ou Jean-Christophe Averty. II a essaime dans toutes les regions du 
monde. II a fonde l'etude d 1 Alfred Jarry et celle de Raymond Roussel, a publie La Cantatrice chauve et 
d'autres pieces de Ionesco, a fepoque ou les editeurs refusaient ses manuscrits. Toutefois, en 1975, le 
College a suspendu ses activites publiques et s'est « occulte jusqu'a fan 2000 ». L'occultation decidee 
en 1975 par le Vice-curateur Opach etait motivee par la volonte de mettre le College a Tepreuve du 
temps et parce que les annees 1970 sont marquees par de nombreux deces, Latis, Queneau, Ernst, Pia, 
Clair et Man Ray. Heureusement, en 2000, pour feter la « desoccultation » du College, les editions 
Fayard publierent un exceptionnel ouvrage, Les Tres Riehes Heures du College de 'pataphysique, un 
chef-d'oeuvre du genre, sous la direction du « plumifere » Thieri Foulc qui propose ce tres bel album, « a 
la delectation de tous. Redige par les instances collegiales les plus autorisees, puisant dans les archives 
que r"occultation" avail tenues fermees pendant vingt-cinq ans ». 

Un livre magnifique, ne serait-ce que pour la calligraphic et la typographic des diplomes, invitations 
et autres circulaires du College. 



Pawlowski, Gaston de (1874-1933) 

II est l'auteur inconnu de deux livres majeurs :Le Voyage au pays de la quatrieme dimension et, 
mon prefere \Les Inventions nouvelles, dans lequel il donne Iibre cours a une belle imagination 



fantastique et a un irresistible sens du comique. 

\bici, par exemple, comment ce Buster Keaton de 1 invention nous fait part d'une toute nouvelle idee 
qui va revolutionner la fabrication des crayons : « Une importante fabrique de crayons vient de dresser 
specialement plusieurs milliers de ces intelligents insectes, appeles cirons, qui percent Ie bois, et se 
trouvaient sans emploi depuis que les marchands de meubles anciens ont remplace leurs services par 
1'usage plus rapide de fusils de chasse charges a petits plombs. 

Les cirons sont utilises par les marchands de crayons pour percer tres exactement le bois a l'endroit 
oil Ton placera la mine de plomb. Ce qu'il y a de plus interessant dans cette petite invention, c'est la 
sirnplicite avec laquelle le bois est exactement perce en ligne droite. 

11 s'agjt de placer tres rigoureusement le cirondans Paxe du crayon qui\ doit percer [...]. » 

Autres decouvertes capita les de ce Lepine de Pabsurde : 

— « \foici une invention bien curieuse que Ton vient de presenter a rinstitut : c'est le "nouveau 
boomerang francais", dont Ie bois est taille de telle sorte que V instrument, ' k une fois jete sur Tadversaire, 
ne revient pas a celui qui Pa lance". On evite ainsi tout risque d'accident. » 

— « II faut bien le constater. helas ! le sabotage fait encore des recrues et s' introduit parfois jusque 
dans nos campagnes. C'est ainsi que Ton nous signale que les anciens "scieurs de long" se transforment 
en "scieurs de large"" pour diminuer leur besogne. C'est la un manque de conscience professionnelle qui 
discredite la classe ouvriere. » 

— « Parmi les objets usuels de menage, citons "la nouvelle passoire a un seul trou", infiniment 
pratique et qui perrnet de passer instantanement les objets les plus divers et les plus resistants. La 
passoire se compose d'un manche portant a son extremite un simple cercle en metal. ►> 

— « D'apres Ie docteur Ordurin, il parait que Ton peut soigner et "guerir le diabete au moyen de 
simples bains de cafe". Cette cure est basee, parait-il, sur la propriete veritablement exceptionnelle que 
possede Ie cafe pour dissoudre le sucre. » 

— « "Les nouvelles etiquettes cintrees pour bouteilles" seront bien accueillies par tous les 
pharmaciens, cavistes et marchands de via L' etiquette se colle sans difficulte sur la bouteille dont elle a 
exactement la forme. » 

— « Une dame du monde s'etonne que "le vibromasseur" electrique ayant rendu d'utiles services, 
personne n'ait encore songe a construire un"vibromonfrere". » 

La mort a frappe ce cher Gaston, avant qu'il n'ait pu realiser r invention de sa vie : « Lautomobile 
qui se replte entterement dans son coffre arriere. » Notre vie quotidienne en eut certainement ete 
bouleversee ! 



Perec, Georges (1936-1982) 

« On ne lit pas Perec sans passion, on ne Petudie pas par hasard. II est un de ces rares auteurs qui 
changent le lecteur et chargent la lecture », disail de lui son ami Paul Fournel. 

Eh bien voila, tout est dit, ou presque, en tout cas en ce qui me concerne. Oui, Perec a change 
beaucoup de choses dans ma vie de lecteur et d'ecrivain, et si je ne devais en retenir qu'une, ce serait de 
nV avoir inculque cette passion pour Tobservation des choses de la vie. \bila un homme, comme dit 
Patrice Delbourg, qui « prend des notes a la terrasse du cafe de la Mairie place Saint-Sulpice a Paris. II 
recense scrupuleusernent le contenu des filets a provisions des menageres ; une caisse enregistreuse loge 
dans son stylo ». On dit que lorsqu'il envoya aux journalistes La DLsparition, recit d'oii la lettre « e » 
etait bannie, la plupart d'entre eux n^y virent que du feu. Meme chose avec Les Revenenies. qui ne 
contenaient cette fois que la voyelle « e ». Mais Perec a-t-il vraiment sa place dans ce dictionnaire ? 



Perec avait-il de F humour ? Evidemment, et il suffit de se pencher sur ses travaux oulipiens ou il 
s'affirme comme un humoriste delicat. II pratique aussi dans un autre registre cetle fameuse politesse du 
desespoir en camouflant par exemple rhistoire d'un echec en canular avec son Quel petit veto a guidon 
chrome aufond de la cour ? Quant a son edifice La Vie mode d'emploi, c'est un arsenal de trouvailles 
aussi geniales que farfelues. 




Ce roi de la contrainte, ce fixeur de cliches ou de slogans, ce virtuose du paradoxe, ce frenetique de 
rabsurde, ce jongleur d'anacoluthes et autres epizeuxes ne pouvait etre qu un homine profondement 
drole, meme lorsque I'un de ses romans fetiche, Les Chases, debouche sur 1' indifference. C'est une 
banale histoire d'amour qui derive d'objets en objels mais ou la rigueur et la fantaisie ne cessent de 
cohabiter. Patrick Modiano, lui, a ete immediatement conquis : ■« Le souvenir le plus fort, presque ebloui, 
que je garde de mes lectures de Perec, c'est la decouverte des Chases* au moment de la parution du 
roman. C'etait en 1965, j'avais vingt ans, je n'avais rienpublie encore, mais je commencais a ecrire. J"ai 
ete frappe, impressionne par la facon clinique qu'avait Perec de decrire le monde contemporain. C'etait 
tres loin de moi, d'un point de vue esthetique, mais on est souvent d'autant plus louche par les choses 
qu'on lit lorsqu'onse sait incapable de les ecrire. » 

D'ailleurs, il faut une belle dose d'humour pour ecrire : « J'ai longtemps ete persuade que je 
n'arriverais pas a etre ecrivain parce que je preferais Agatha Christie a Faulkner, Jules Verne a Martin 
du Gard, Gaston Leroux a Saint-Exupery. » 

Je me souviens que la seuJe et unique fois ou j'ai ose parler a Perec, c'etait dans un avion entre New 
York et Paris, jecroisen 1980. Nous venionsd'atterririj'etais reste assis derriere lui pendant tout le vol 
sans oser Taborder. Nous nous retrouvons debout, coinces dans cet avion pour cause de passerelle 
defaillante. Perec s'enerve et, au bout de vingt minutes, je me lance, rougissant : « Monsieur Perec, vous 
allez pouvoir maintenant ecrire L' Avion mode d'emploi. II me regarde, eclate de rire : "Bien vu, j'y 
penserai." » Fin de la sequence, mais quel souvenir ! 

En fevrier 2001, sollicites par Jacques Drillon pour Le Nouvel Observatew; ses amis oulipiens aussi 
se souviennent : 

Bertrand Jerome, le regrette animateur de I 'emission « Des Papous dans la tele », sur France 
Culture : 

« Je me souviens que Georges Perec avait recu une carte postale representant une route dans le Sud 
marocain, avec un panneau mentionnant : "Tombouctou, 52 jours". Depuis, il revait de faire le voyage 
Maroc-Tombouctou a dos de chameau avec une secretaire a laquelle il dicterait un roman en cinquante- 
deux jours, le temps mis par Stendhal pour ecrire La Chartreuse de Panne. » 

Michelle Gran gaud : 



« Je me souviens que Georges Perec avait en horreur le mot "salsifis", a tel point qu'il ne pouvait 
manger de ce legume. C'est Henri Deluy, fondateur de la revue Action poet ique, qui m'a communique ce 
detail de gastrolexicophobie. » 

Herve Le Tellier : 

« Je me souviens que Tune des premieres choses que Ton m'a dites a TOuLiPo, c'est qu'il rvy avait 
pas d' accent aigu a Perec. » 

Jacques Bern : 

« Je me souviens de la reunion a 1'OuLiPo oil, apres nous avoir lu les premieres Iignes deLu 
Disparirion qu'il venait de composer, Georges nous a demande si nous avions remarque quelque chose : 
"Non, no, nein. noun, nenni", repondimes-nous, chacun en son langage. » 

Harry Mathews : 

« Je me souviens qu'au cours de notre premier diner suivant la fin de sa psychanalyse, Georges Perec 
me raconta que maintenant, quand il descendait la rue pour aller poster une lettre, il savait qu'il 
descendait la rue pour aller poster une lettre. » 

Marcel Benabou : 

« Je me souviens qu'une des devinettes favorites de Perec etait celle-ci : 

"Pourquoi y a-t-il si peu de juifs meuniers ?" et que la reponse, qui le mettait enjoie, etait : "Parce 
qu'on ne peut pas etre au four et au moulin !" » 

Jacques Roubaud : 

« Je me souviens qu'a son retour d'Australie, en 1981, Georges Perec pretendait que les kangourous 
n*existaient pas, que c'etait une invention de roffice du tourisme australien, qui engageait des Aborigenes 
pour qu'ils fassentsemblanl d'etre des kangourous. » 

Paul Fournel : 

« Je me souviens que Georges Perec tenait sa cigarette entre le majeur et Tannulaire et que, pour 
fumer, il arrondissait sa main comme la coque d"un sabre. » 

Jacques Joiiei : 

« Je me souviens etre arrive chez Georges Perec au moment merne ou il terrninait la dactylographie 
deLa Vie mode d'emploi sur son IBM a boule. II m'a fait signe d'attendre une seconde, il a find la 
derniere phrase, il a mis le mot "Fin" et s'est leve. II etait brise. II a regarde sa machine et a dit : "Je la 
hais." J'ai repondu : "Je Fachete", et je l'ai emportee chezmoi. Elle n'a jamais voulu marcher. » 

Perec, cite aussi par Nathalie Crom, avait tres bien defini le mecanisme de la litterature, et en 
particulier de la sienne : 

« Toute la litterature est, d'une certaine maniere, comme un roman policier. II faut qu'au debut du 
livre on ait rimpression de ne pas connaitre quelque chose qui sera donne au rur et a mesure que le livre 
va avancer [...], pour que tout se resorbe a la fin. comme quand on a fini un puzzle : on a une image 
devant soi, et c'est tout. » 

Lorsqu"il meurt en 1982, il n'a que quarante-six ans, et tous les dictionnaires du monde portent alors 



un crepe, lequel, comme nul ne Tignore, est Fanagramme de Perec. 



Perelman, S. J. (1904-1979) 

Quand j'ai lu, il y a quelques annees, des critiques dithyrambiques sur un certain S. J. Perelman dont 
je n'avais jamais entendu parler, j'ai ete vexe. Etais-je passe a cote d'un genie ? En quelques mois, cet 
homme inconnu en France etait devenu un vrai « Monsieur Plus », le plus talentueux, le plus drole, le plus 
genial, ete. Qui etait done ce Sidney Joseph Perelmaa figure emblematique de Tabsurde, adule en 
Arnerique et si peu connu en France ? Lui que Dorothy Parker placait « au-dessus de la melee » et que 
son grand ami Groucho Marx trouvait irresistible ? Meme Woody Allen admirait « sa folie inventive, son 
talent narratif et l'originalite eblouissante de ses dialogues ». Influence par ces references, et curieux de 
connaitre celui qu'on nommait Fecrivain le plus drole du xx? siecle, je me suis penche sur son cas. 

Ne a New York, il ecrit son premier livre a 1'age de vingt-cinq ans, puis se specialise dans la 
redaction de feuilletons, tout en alimentant pendant quarante ans (1930-1970) The New Yorker de ses 
chroniques. En 1978 il recoit le National Book Award et participe a la redaction de scenarios pour les 
Marx Brothers (Monnaie de singe, 1931, Plumes de cheval, 1932) et son adaptation cinematographique 
du Tour du monde en quatre-vingts jours lui vaut un oscar en 1 957. 

L'CEil de Vidole est parait-il l'ouvrage a lire d'urgence. Un recueil de vingt nouvelles qui m'ont fait 
sourire, sans plus. Je me suis lance ensuite dans Tons a I 'ouest ! ( 1948), sous-titre Le Tour du monde en 
quatre-vingts cliches. Coup de foudre, un regal en quatre-vingts pages. II relate un voyage de neuf mois, 
entrepris par Perelman et le caricaturiste Hirschfeld en 1947. lis partent paumes et rentrent bredouilles, 
perturbes par leurs decouvertes et insensibles aux sites grandioses qu'ils ont visites. Us ont tout faux 
depuis le debut avant le depart, Perelman n'a aucun projet. II hesite entre s'engager dans la Legion 
etrangere et prendre un bain bien chaud. Leur accoutrement est une catastrophe esthetique. Perelman est 
un « binoclard au menton en galoche, afiuble d'un chapeau de pecheur blanc, d'une saharienne crasseuse, 
d'un short de bain kaki et de godasses usees ». Son acolyte, vetu « d'une vareuse militaire, un short bleu 
delave, de chaussettes qui ont retreci au lavage et de sandales », avoue : « Dans un surplus de Broadway 
j'ai achete un kit d'urgence d'occasion. Les bandages avaient deja servi mais le forceps etait en bon etat. 
J'ai aussi achete des gants de chirurgie et un bidon d'ether au cas oil je serais oblige d'operer Perelman a 
la bougie. » 

Des le debut du voyage, ils se plaignent de tout, le poulet qir on leur sert a Macao « avait accompagne 
Marco Polo lors de son premier voyage ». Et ils ont si froid dans la chambre d"hdtel a Shanghai qu'ils 
claquent des dents et leurs voisins sont effrayes par ce qu'ils prennent pour une rafale de mitraillette et 
telephonent a l'ambassade. 

Leur visite de la pyramide de Gizeh fait penser a un episode de Fort Boyard, sans les tarentules, et ils 
doivent traverser a genoux une galerie « aussi longue que le tunnel du Simplon ». 

lis reviennent la tete basse, avec dans leurs sacs de quoi remplir un magasin de souvenirs kitsch. 
D'ou la panique au moment de payer les droits de douane : « Avec ma femme, nous avons hesite entre la 
fuite, une cinquieme hypotheque sur la maison et la vente des enfants. » 

Apres leur voyage en quatre-vingts cliches, ils se sont jure de ne jamais repartir, non sans avoir 
constate, en rangeant ce qu'il restait de leurs pauvres bagages, que « la lingerie pour hotnme offre des 
possibilites de promotion infinie ». Allezsavoir pourquoi, mais je trouve ca tres drole. 



Ferret, Jacques (1901-1992) 

Ce pamphletaire feroce, licencie d'histoire et de philosophic, ce corsaire des temps modernes, ce 
bourlingueur tous azimuts tout en etant journaliste de droite (personne n'est parfait...) se situait, si Ton en 
croit l'ecrivain Jean Raspail, « a mi-cheminentre Ie radotage et rhumour ». 

Sa vie ressemble en effet a un recueil d'aventures, telles qu'on les devorait adolescent : « II fait son 
service militaire dans un bataillon de tirailleurs marocains, car il aime mieux se battre dans les djebels 
que s'ennuyer en France dans une garnison de province. Du Mexique au Honduras, de Guyane au 
Groenland, il pec he le saurnon, charge des bateaux bananiers et s'exerce a temps perdu a la profession de 
chercheur d*or. 

Journaliste, il couvre le front franqui&te espagnol en 1936, Inoccupation de TAlbanie par les Italiens 
en 1937, F affaire des Sudetes en Tchecoslovaquie. Prisonnier des Allemands, il tente quatre evasions. La 
derniere, la bonne, lui permet de gagner le maquis ou, devenu sergent, il ecrira Le Caporal epingle et 
Bande a part. De 1947 a 1958, il tire de ses experiences une ceuvre qui le situe parmi les oiseaa\ rares 
de la litterature tres francaise. "Ce n'est pas seulement contre les vert-de-gris qu'il prit le maquis, a eerit 
Nimier, mais en homme des cavernes contre les seides de ralurninium et du Nylon" De ses 
peregrinations, il rapporte une langue qu'il enrichit de trouvailles lexicales, et son catalogue de bordees 
d* injures, "Bogomites, Teutophanes, Aristopitheques.. .", eblouiratt le capitaine Haddock lui-meme. » 

Jacques Perret avait le sens de la mystification, et son \ivre Le Machin devrait etre au programme 
des ecoles. C'est rhistoire de Marcel qui herite de sa tante un objet dont il ne comprend pas 1'utilite, et il 
va done faire le tour de Paris pour interroger tous les professionnels susceptibles de Feclairer, un chef- 
d'eeuvre d'humour, car chacun possede son avis, sa version et son langage technique. 

« Nous sommes, dit M. Guesdon, dans les salons de TOffice international de 1* objet. \bus voyez que 
je n'y vais pas avec le dos de la cuiller. [...] Le but de cet organisme, a vrai dire, je F ignore, mais je 
suppose qu 7 a 1 4 image de beaucoup d'organismes, il se contente de fonctionner en tant qu 1 organisme. » 

A r image de ce vieil anarchiste de droite, son ecriture etonnante avec ses longues phrases 
enchevetrees semble dater d'une autre epoque, certes, mais quel talent ! II flirte avec la preciosite en 
celebrant les mots qui ne sont plus de mise et se moque bien sur deja du franglais. en orthographiant a sa 
maniere « coquetele, bifeteque et Nouillorque ». 

II tente de resister au progres en imaginant des neologismes truculents dignes d'une autre epoque. 
comme Tun de ses personnages dont l'eloquence, disait-il, etait faite d'un « galimatias gendarmique 
rehausse d'une diction jacobine ». 

II aimait Blondin et Nimier, avec qui il partageait r amour de la belle ouvrage et... des blancs limes. 
II n'aimait pas Sartre, on s'en serait doute, qu'il traitait de « savant bigleux qu'on soup9onnait 
conditionne par Tassouvissement d'obscures vengeances ». 

Je Iaisse a Patrice Delbourg le soin de resumer Ie vagabondage litteraire de ce vieux reac attachant : 
« Dame, ce paysan de Paris a tant roule sa bosse au-dela des oceans que la Patagonie lui est aussi 
familiere que le quartier des Gobelias. Ses Iivres ressemblent a des malles au tresor qu'on trouvait jadis 
au grenier et qui livraient au petit bonheur un sabre rouille, un bateau dans une bouteille, des li asses 
d'emprunt russe, le violon de grand-pere, reventail d'une coasine. Transversal, prehistorique, 
intemporel, Tecrivain oppose aux lendernains qui chantent une tres ancienne musique dont, selon lui. 
s'inspirera Favenir. C'est a peine si Jacques Perret revendique la paternite de son ceuvre, tant il est 
etranger aux devoirs afferents a la cliarge d'ecrivain. » 



Plonk et Replonk 




Encore un univers dejante coinme je les aime. Encore un coup de cceur que j'aimerais vous faire 
partager si j'y arrive, car il faut, comme pour The New Yorker ou Glen Baxter, faire un bel effort 
d'imaginatioa Chez les freres Plonk et Replonk, de leurs vrai noins Jacques et Hubert Froidevaux, cet 
univers est essentiellement graphique. Leur technique ? Le detournement de cartes postales. Une 
merveille du genre. On leur doit plusieurs albums dont Les Plus Beaux Dimanches apres-midt du mcnde. 
La Face cachee du Leman etLes J000 et i lundis, Tun de mes preferes. Imaginez quelque cent vingt 
cartes postales numerotees du lundi 5 decembre au lundi 117 Janvier... Toules aussi belles et droles les 
unes que les autres, sepia ou colorisees, le resultat est etonnant et surtout detonnant. \bus pouvez y 
admirer, au choix : 

— Le soldat inconnu posant sous V Arc de Triomphe avec sa femme et ses cinq enfants. 

— Un livreur d'atome brut en 1890. 

— Un atelier clandestin d'affinage d'aspirine pendant la prohibition (1920-1934). 

— Le secouage des cocotiers en Haute-Marne. 

— La mere du pere Noel en promenade. 

— Deax membres benevoles de Douaniers sans frontieres (entoures de pingouins) apportant Tordre 
et la securite aax populations du Pole Sud. 

— Un panneau de signalisation routiere conviviale de TA45 (sic) : « Prudence. X^us roulez 
actuellernenta contresens. » 

Sachez aussi que Ton apprend dans cet album que Robinson sur son lie etait certes seconde par son 
fidele serviteur, Vendredi, lequel n* etait pas le seul compagnon de Robinson. II y avail aussi Lundi, 
Mardi, Mercredi. Jeudi, Samedi et Dimanche. Samedi par ailleurs etait une femme, et on suppose qu'elle 
tut sa concubine. 



NOYADE 

INTERDITE 




En 2009, nos deux comperes, « marchands de Fabsurde », declaraient a la jounialiste de L 'Express 
Celine Rouzet qu'ils etaient connus pour leurs photomontages : « Mais nous utilisons aussi d'autres 
techniques telles recriture, la betonneuse et la meditation aperitive. » Plonk qui etait dans une vie 
anterieure « moniteur de ski dans le Sahel » rappelle que leurs debuts ont ete tres durs car : « Les petits 
enfants nous jetaient des pierres quand ils nous voyaient dans la rue. Par la suite, nous leur avons renvoye 
de plus grosses pierres et tout s'est arrange dans la bonne humeur. » 



lis detournent des images parce que, disent-ils : « C'est plus facile a detoumer qu un avion de ligne 
ou qu'un sous-marin de combat », et ils songent a mettre sur Ie marche « des bons du Tresor mangeables 
en ltiie de pain agglomeree ». 

Ah ! j'oubliais : nos deux hurluberlus sont jeunes, nes respectivement en 1964 et 1966, et ils sont 
suisses. Ce qui explique pourquoi Pierre Tchernia, en prefacant un de leurs ouvrages, rappelait ce mot de 
Pierre Dae : « Dans ces temps difficiles, nous devons lutter pour que, tous les maiins, chaque petit 
Francais puisse manger un petit Suisse et... reciproquement. » 



Ponge, Francis (1899-1988) 

Si vous ne connaissez pas Francis Ponge, je n'ai pas a me justifier d'imposer sa presence dans ce 
recueil dedie a rhumour. mais si vous Ie connaissez bien. vous serez probablement d'accord avec moi 
pour afflrmer que Ponge merite d'etre considere comme un humoriste, ne serait-ce que pour avoir imagine 
ses fameux Proemes, ce neologisme imagine par lui, pour marquer la double appartenance a la poesie et a 
la prose, et pour avoir ecrit sonceuvre majeure, Le Parti pris des chases, 

Ponge est ne a Montpellier dans une famille bourgeoise, ce qui ne l'empeche pas apres de brillantes 
etudes de lettres d'adherer au parti communiste. En 1920, il contribue a quelques revues litteraires et 
surrealistes. Remarque par la NRF (Nouvelle Revue franeaise), il devient un ecrivain passionne du 
langage qu'il manipule avec panache. En 1942, alors qu'il travaille aux Messageries Hachette, « une 
sorte de bagne », mais qui lui permet de « sauver vingt minutes Ie soir pour ecrire », il publie Le Parti 
pris des chases. Un choc pour Braque, Picasso et bien d'autres, dont je suis. Pourquoi de tels peintres 
furent-ils si seduits par ce texte ? Sans doute parce qu'il y apparait comme le champion de Pecriture 
descriptive, 

Ponge s'y affirme comme le poete des choses et des objets, qui! dit lui-meme « vouloir elever a la 
dignite de heros ». 

Ce recueil de trente-deux poemes en prose doit-il etre considere comme de la prose ou de la poesie ? 
A vous de j uger : 

La cruche est consideree comme stupide ? 

« Certaines precautions sont utiles pour ce qui la concerne. II nous faut Tisoler un peu pour qu'elle ne 
cheque aucune autre chose. Pratiquer avec elle comme le danseur avec la danseuse et eviter de heurter les 
couples voisins. » 

La cheminie d 'usine ? 

« Quoi de plus ravissant que ces simples filles longues et fines mais bien rondes, pourtant, au mollet 
de briques roses bien tourne, qui, tres haut dans le cieh murmurent du coin de la bouche, comme les 
figures de rebus, quelque nuage nacre. » 

La valise ? 

« II suffit de lui flatter Ie dos, Fencolure et le plat. . . 

Elle est comme un cheval fidele contre mes jambes que je selle, je harnache, bride et sangle ou 
dessangle dans la chambre de Thotel proverbial. » 

Le savon ? 



« II ecume, jubile, et plus il bave, plus sa rage devient volumineuse et sacree. Qu'il Ie dise avec 
volubilite, enthousiasme, quand il a fini de le dire, il n'existe plus... » 

Uabricot? 

« Deux cuillerees de confiture accolees ; la palourde des vergers ; nous mordons ici en pleine realite 
accueillante et fraiche. » 

Ce qui est tres interessant aussi, c'est qu'il est sensible a la typographic, aux lettres et a leurs 
formes : 

« Le lezard dans le monde des mots rf a pas pour rien ce zede ou zele tortillard, et pas pour rien sa 
desinence en ard, comme fuyard. flemmard, musard, pendard, hagard. II apparait, disparait, reapparaiL » 
Ons'y croirait ! 

Philippe Sollers lui decerne, pourLc Parti pris des chases, une des premieres places dans le 
panorama litteraire du sieele. Pour ceux qui douteraient encore du cote ludique de cet ecrivain 
exceptionnel, Patrick ICechichian, journaliste au Monde des iivres, devrait pouvoir Ies convaincre avec 
cet article de 1999: 

« II y a une hygiene, une sante Ponge. Lire Le Parti pris des choses, ou tout autre livre de Ponge, 
c'est eprouver au bout de quelques pages ce bienfait, savourer ce reconfort. C'est respirer un air 
vivifiant, et constater qu'il ne souffle guere ailleurs dans la litterature contemporaine. Comme si le monde 
se trouvait soudain nettoye, eclaire, rendu a une sorte de printemps perpetuel. » 



Prevert, Jacques (1900-1977) 

Meme s'il avait fmi par dire que « rhumour est enfant de nos haines », Jacques Prevert refiisait 
toujours de definir rhumour, il ne le fit qu'une fois, en 1950 : 

« Depuis trop longtemps on prenait trop souvent rhumour a la legere, il s'agit maintenant de le 
prendre a la lourde. Alors messieurs definissez-le,. expliquez-le cataloguez-le. contingentez-Ie, prouvez- 
le par Tceuf, dissequez-le, encensez-Ie, recensez-le, engagez-le, rempilez-le, encagez-le dans la marine, 
encadrez-le, hierarchisez-le, arraisonnez-le, beatiflez-le, polissez-le sans cesse et le repolissez » 

Ne curieuseirent a Neuilly-sur-Seine, et pas a Pantin ou a Aubervilliers, son pere est un modeste 
employe qui aime le theatre et sa mere est toujours souriante el chantante, alors que r argent peine a 
rentrer au foyer. II joue au gendarme et au voleur avec un certain Aragoa C'est un vrai gamin de Paris, 
qui aime s'accrocher « au cul » des bus et des tramways et qui connait par leurs petits noms les vieilles 
peripateticiennes des rues chaudes de la capitale. Apres son certificat d'etudes, il multiplie les petits 
boulots, notamment au Bon Marche. Au cours de son service militaire, il est envoye a Istanbul ou il 
rencontre Marcel Duhamel. En 1965, il participe au mouvement surrealiste qui se retrouve a Paris, rue du 
Chateau, dans un logement collectif ou habitent Duhamel et Queneau, mais. trop independant pour 
participer a un groupe, il les quitte. 

Tres engage politiquement, il rencontre Renoir, compagnon de route du parti communiste, avec qui il 
travaillera sur Le Crime de Monsieur Lange, un des seuls films sur le Front populaire. II devient le 
scenariste et dialoguiste de grands films fran^ais entre les annees 1935 et 1945 : Drole de drome (1937), 
Quai des brumes (1938), Lejour se leve (1939). Les Enfants duparadis (1945). 

Jacques Prevert savait dire « non », pour lui, c'etait un mot merveilleux, le premier qu'un enfant 
prononce dans son Youpala. 

II detestait la lachete de ses contemporains devant lesquels il n" 1 avail que « le debarras du choix ». 
Lorsqu'il ecrit en 1932 pour la troupe de theatre Groupe Octobre, il en profite pour tirer sur tout ce qui 



bouge... mal : Citroen, Ies Croix-de-feu, Saint-Cyr et la bourgeoisie en general. C'est lui qui trouve le 
litre <:< Serie Noire » pour la collection de Georges Duhamel. 

Pour lui. la vie serait libertaire ou ne serait pas. Lorsque Paroles sort en collection de poche en 
1957, il devient a cinquante-sept ans « le poete le plus populaire du siecle ». Ce triomphe laissa Breton 
perplexe : « Dans ce succes, il y a du meilleur et du pire », declara-t-il. Certains jaloux pretendent qu"il 
n"a rien invente et qu'il est plutot du genre bricoleur des mots que genie du verbe. Ses copains au 
contraire pensent qu'« il ne s'est jamais trompe sur Tessentiel des choses ». Je pense qu'il avait le genie 
absolu du verbe pour ses formules irremplacables : « II faudrait etre heureux, ne serait-ce que pour 
donner l'exemple. » Plus legerement, il ne donnaii pas vraiment dans la dentelle de chasuble, lorsqu'il 
laissait libre cours a son anticlericalisme visceral dans Fatras : 

— « Dans chaque eglise, il y a toujours quelque chose qui cloche. » 

— « Je vous salis ma rue et je m'en excuse. » 

— « La theologie, c'est simple comme Dieu et Dieu font trois. » 

Dans Paroles, il va encore plus loin : « II nous Iisait toujours la meme histoire, triste et banale d'un 
homme [Jesus] d'autrefois qui portait un bouc au menton, un agneau sur les epaules et qui inourut cloue 
sur deux planches de salul apres avoir beaucoup pleure sur lui-meme dans un jardin, la nuit. C'etait un 
ills de farrrille qui parlait toujours de son pere - rnon pere par-ci, mon pere par-la_ le royaume de mon 
pere — et il racontait des histoires aux malheureux qui l'ecoutaient avec admiration, parce qu'il parlait 
bien et avait de Finstruction. [...] II guerissait aussi les hydropiques, il Ieur marchait sur le ventre en 
disant qu'il marchait sur 1'eau, et l'eau qui leur sortait du ventre, il la changeait en vin ; a ceux qui 
voulaient bien en boire, il disait que c'etait son sang. » 




U homme etait fou de tabac, d'alcool, de jeunes femmes. de poesie, damages de collages, mais chez 
lui la rebellion couvait toujours sous la tendresse. 

Breton et Eluard dans le Dictlonnalre abrige du surrealisme le definissaient en 1938 d'une facon on 
ne peut plus concise : « Celui qui rouge de cceur. » En fait, les rapports entre Breton et Prevert vont vite 
s'envenimer. Prevert souffre du rigorisme que Breton pretend imposer a ses amis. La vraie rupture sera 
consomrnee en 1930, mais leur brouille tut passagere et les deux hommes resterent lies par une amitie 
reciproque. Prevert nereniera jamais ce qu'il doit au surrealisme : «De tous les mots en "isme" c'etait le 
meilleur », ecrira-t-il dans Hebdomadaires, Et quand Breton meurt en 28 septembre 1966, tout le monde 
se souvient des larmes de Prevert dans les couloirs de I'hopital Lariboisiere : « Je suis alle le voir quand 
il est mart, je lui ai parle. Je parle toujours aux morts. C'est tres mysterieux de voir un mort, C'est deja si 
mysterieux de voir un vivant. » 

Si je ne devais retenir qu'une seule pensee de Prevert, ce serait celle-ci, qui maintenant est mon 
maitre mot quotidien : « J'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en partant ! » 

II s'eteint... sans bruit, le II avril 1977. 



Proust, Marcel (1871-1922) 

Paradoxalement, bien que F observation comique ne soit pas la specificite des romanciers du 
xx° siecle, nous devons un vrai roman comique a eel immense ecrivain que ses biographes nous ont decrit 
comme un personnage souffreteux et sinistre, travaillanl sans relache jour et nuit, dans un lit encombre de 
cahiers et se nourrissant a peine de quelques madeleines. C'est vite oublier que Marcel Proust eut une 
jeunesse joyeusement ernaillee de sorties, de fetes, de rencontres, de voyages, de diners ou il regalait ses 
amis de ses imitations drolatiques et de ses histoires cocasses. 

« II etait d'une gaite verbale etourdissante qui divertissait sans jamais fatiguer », pour Mme de 
Clerrnont-Tonnerre et, « dans nos rares entretiens, disait Reynaldo Hahn, j'avais admire 1'amabilite 
ingenieuse de Marcel, sa miraculeuse comprehension, son sens du comique ». 

Le temoignage de Lucien Daudet dans Ant our de soixante letires de Marcel Proust nous en dit 
encore plus. II note par exemple que Marcel se sentait oblige de prevenir ses holes qu'il etait sujet aux 
fous rires : 

« Le comte Robert de Montesquiou avait decouvert une personnalite "geniale" chez qui il faisait a 
Marcel Proust et a moi Thonneur de nous inviter. Marcel, imprudent et scrupuleux, ecrivit a M. de 
Montesquiou pour le mettre au courant du fou rire et le prevenir d'avance qu'il faudrait l'excuser aussi 
s'il nous voyait rire betement et sans raison, que e'etait une espece de maladie, et qu'enfin il le suppliait 
de ne voir la aucune moquerie ni quoi que ce soit d'impoli... L'aspect severe et soupconneux de M. de 
Montesquiou quand nous entrames provoqua bientot ce que Marcel Proust craignait, et apres quelques 
essais de gravite apparente nous ne pumes que nous sauver en cachette, etoufFant de rire et courbes en 
deux... » et Daudet de poursuivre : « Helas ! Le fler comte n'echappera jamais au fou rire de Marcel 
Proust, il deviendra, un jour, le baron de Charlus. » 

Marcel Proust ne cherchait pas le rire comme une fin mais sa vision des gens de son epoque et de son 
propre milieu etait une source inepuisable : 

« L 1 essence du comique proustien : le comique pur se realise lorsque rhornme est observe de si pres 
que son absurdite est eclatante, lorsqu'il est isole de sa situation et prend les proportions d'un animal ou 
d'une marionnette », ecrit Lester Mansfield. 

Jean Cocteau, qui Tavait rencontre, faisait d'ailleurs de ce rire ['element fondamental de A la 
recherche du temps perdu : 

« Que Swann parle, ou Bloch, ou Albertine, ou Charlus, ou les Verdurin, j'ecoute cette voix 
profondement rieuse, chancelante, etalee, de Proust Iorsqu'il racontait, gemissait de raconter, organisant 
le long de son recit un systeme d'ecluses, de vestibules, de fatigues, de haltes, de politesses, de fous 
rires, de gants blancs ecrasantla moustache en eventail sur la figire... Les faux geniescraignentle rire. II 
ouvre un homrne a deux battants. On voit le tresor ou le vide... Marcel Proust y baignait comme daas un 
revel aleur. » 




L'humour chez Proust est a la fois familial, heritier des moralistes du xvn e siecle et de r esprit de la 
Belle Epoque. Un de ses premiers livres, Pastiches et Melanges, publie chez Grasset en 1919, etait deja 
plutot du genre ludique. DansZ,a Recherche, Phumour s'observe dans la satire sociale de la comedie 
mondaine, dans un comique de situation vaudevillesque, dans les caracteres mais aussi dans des formes 
plus elementaires du risible, Ie calembour et le « malapropisme », cette volonte d'ernployer des mots 
savants mal a propos, particuliere aux gens poseurs mais incultes. Proust a exploite cette veine comique 
dans Sodome et Gotnorrhe, lorsque le narrateur note les fautes de langage du directeur du Grand Hotel de 
Cabourg qui dit que « le ciel est parchemine d'etoiles ». 

Autre ressource comique, la parodie scientifique. quand il sous-entend, en nous decrivant 
minutieusement la fecondation de la fleur par l'abeille, le theme delicat de Phomosexualite, de meme le 
decalage entre Ie langage pedant et le sujet : 

« Disons en un mot que madame verdurin, en dehors meme des changements inevitables de 1 'age, ne 
ressemblait plus a ce qu'elle etait au temps ou S wann et Odette ecoutaient chez elle la petite phrase. Sous 
Paction d'innombrables nevralgies que la musique de Bach, de Wagner, Vinteuil, Debussy, lui avaient 
occasionnees, le front de madame Verdurin avait pris des proportions enormes, comme les membres 
quun rhumatisme finit par deforrner. Ses tempes, pareilles a deux belles spheres brulantes, endolories et 
laiteuses, ou roule immortellement r'Harmonie, rejetaient de chaque cote des meches argentees, et 
proclamaient pour le compte de la patronne, sans que celle-ci eut besoin de parler : "Je sais ce qui 
m' attend." » 

II adorait jouer de la metaphore, par exemple lorsque le narrateur compare le rabachage de sa brave 
gouvernante Fran^oise a une fugue de Bach. Ce qui fait que Proust peut etre considere comme Tun des 
romanciers comiques duxx^ siecle, c'est sans doute le choix incongru de sujets recurrents, cornme des 
classes sociales peu compatibles entrainant des quiproquos divers et varies, riches enpotentiel comique. 
II n'est pas non plus de personnage dans La Recherche qui ne soit pas ridiculise, nez de Cambremer, fous 
rires simules de N4me Verdurin et la fameuse fraisette de Charlus ! 

Le genie de Marcel Proust, c'est aussi d'avoir reussi a canper des personnages « comiques 
inconscients », comme aurait dit Bergson, qui mettait aussi dans cette categorie le Homais de Flaubert et 
le Tartarinde Daudet. 



Queneau, Raymond (1903-1976) 

« Je naquis au Havre un vingt et un fevrier en mil neuf cent et trois. 

Ma mere etait merciere et rnon pere mercier : ils trepignaient de joie »■ (Chene et Chien, 1937). 
HeureusemenL. le petit Raymond ne en 1903 va ignorer Ies rubans et les aiguilles et se plonger des 
l'enfance dans la lecture et recriture. A treize ans, il a deja ecrit plus de vingt romans et une quantite 
impressionnante de poemes. A dix-huit ans. il rnonte a Paris pour preparer une licence de philosophic, 
mais tout Pinteresse, Phistoire, la litterature, la langue, le cinema, les mathemaiiques, et son parcours, 
completement atypique, fera de lui. cornme le dit Jean d'Orrnesson : « Le plus, savant des mystificateurs, 
le plus gai des erudits. » 

II y a de quoi en effet se Iaisser intimider par celui qui a suivi les cours d'Alexandre Kojeve sur 
Hegel, d'Henri Puech sur la gnose et le manicheisme, qui lors d'un voyage en Grece a decouvert qu'il y a 
deux langues distinctes : « Tune qui est le francais qui, vers le xv e siecle, a remplace le francien [...], 
Tautre. que Ton pourrait appeler le neo-francais, qui n'existe pas encore et qui ne demande qu'a naitre ». 
II a dirige l&Nouvelle Encyclopedic de la Pleiade che2 Gallimard, est entre en 1948 a la Societe 
mathematique de France et a ete membre de la prestigieuse American Mathematical Society. 

En 1924, il frequente les surrealistes avant de rompre avec Breton et de participer au violent 
pamplilet de douze anciens surrealistes attaquant leur pape en 1930. II ne gardera de ce groupe que 
Finvention verbale et le gout des jeux de inots : « Je suis inculte, parce que je n'en pratique aucutt » 

Son premier roman Le Chienderu, paru en 1 933, lui vaut le premier prix des Deux-Magots. On y voit 
deja sa fascination pour la langue et ses mysteres, et il en fait un objet d'experimentation tant dans la 
construction du roman que dans des trouvailles de ce genre : « Alibiforains et Iantiponnages que tout cela, 
ravauderies et billevesees, battologies et trivelinades. aneries et calernbredaines, radotages et 
fariboles ! » 

Publies en 1947. les fameux Exercices de style , qui nous racontent quatre-vingt-dix-neuf fois la rnerne 
anecdote insignifiante, est un pur exemple de son aisance a se jouer des contraintes qu'il s"impose : 
« Cest effectivement et tres consciemment en me souvenant de Bach que j'ai ecrit Exercices de style. 
C*est en mai 42 que je composais les douze premiers. » 

II se souvient que c'est apres avoir assiste a un concert, salle Pleyel, dans les annees 1930. qu*il 
avait eu Tidee de transposer sur le plan litteraire L'Ari de la fugue , en creant une ceuvre au moyen de 
variations sur un theme donne. II fallait y penser. Beaucoup plus tard, en 1961, il nous epoustouflera avec 
Cent Mi He Milliards de poemes. Cent mille milliards etant le nombre de sonnets que Ton peut obtenir en 
combinant dix sonnets aux rimes identiques decoupes en quatorze bandes horizontales, il nous precise que 
cette « sorte de machine a fabriquer des poemes [...] fournit de la lecture pour pres de deux cenls 
millions d'annees (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre) ». Qui dit mieux ? En 1950, il est elu a 



la tres serieuse Academie Goncourt et entre au College de 'pataphysique ou les adeptes de l'absurde le 
nomment « Transcendani Satrape ». En 1959, c'est la publication de Zazie dims le metro, dont le succes 
popuiaire va l'agacer, et voici d'ailleurs ce qu'il ecrivait, a propos des chefs-d'ceuvre qu'il comparait a 
un oignon, « dont les uns se contentent d'enlever la pelure superficielle, tandis que d'autres, rnoins 
nombreux, I'epluchent pellicule par pellicule ». 

Avec son ami Francois Le Lionnais, c'est lui qui fonde, en 1960, I'OuLiPo. 




Pour moi, la langue de Queneau, qu'il est convenu d'appeler maintenant « la quenelle », est 
incomparable : « Parler, c'est marcher devant soi. » Simple, evocatrice et tres inventive. J'ai dit que le 
succes de Zazie l'agacait. Mais comment ne pas s'incliner devant le neo-francais de 
« Douquipudonktan ? », et Zazie n'a pas forcement tort lorsqu'elle lui demande : « DIs done tonton, quand 
tu deconnes comme ca, tu le fais expres ou c'est sans le vouloir ? » 

J'airne Queneau parce qu'il etait insaisissable, et parce qu'il a inpose un style original sans se plier 
a une seule des modes qu'il a cotoyees, que ce soit le surrealisme ou le Nouveau Roman. J'airne Queneau 
pour son amour des fous litteraires qu'il baptise « enfants du Hmon », ces droles d'ecrivains qui publient 
a Ieurs frais des livres illisibles que personne de lira jamais, sauf lui. J'airne Queneaupour sa passion du 
savoir encyclopedique : « Quelle satisfaction on peut bien eprouver a ne pas comprendre quelque 
chose ? » Enfin, j 'airne Queneau parce qu'un homme qui ecrivait : « C'est en lisant qu'on devient liseron, 
et en ecrivant qu'on devient ecriveron », avait compris que les plus grands evenements n'ont pas 
seulement lieu au coin de la rue, mais aussi dans le dictionnaire. 

Raymond Queneau disparait en 1976, range par un cancer du poumoa II aurait pu transformer en 
epitaphe un de ses petits envois tendre et malicieux : « C'est la vie, Poiseau fait cui-cui. Uoiseau cuit ne 
le fait plus. » 



Rabelais (v. 1494-1553) 




Les bons peres chez qui j'ai siiivi une partie de ma scolarite ne m'avaient evidemment montre de 
Rabelais que ses aspects les plus raisonnables, sa lutte conlre une education scolastique absurde, son 
ouverture vers les textes grecs et ses connaissances encyclopediques. Les textes que nous etudiions 
etaient soigneusement aseptises, Gargantua a la rigueur petait mais ne chiait pas et Panurge ne poursuivait 
pas de ses assiduites perverses les belles dames a la messe en les aspergeant d' urine de chienne en 
chaleur pour qu'elles se fassent assaillir (et saillir) par tous les chiens de la ville... Mais je redecouvris 
un tout autre Rabelais trente ans plus tard grace au professeur de francais d'un de ines enfants qui ne 
craignait pas de choquer ses eleves avec la langue pleine de verdeur du vrai Rabelais, enfin debarrasse 
des voiles pudiques des bons peres. Heureuse fin des annees 1970, ou noinbre d'enseignants, aspires par 
la vague de Mai 68, avaient secoue Ie joug du politiquement correct C*est ainsi que grace a un 
enregistrement etonnant de grands acteurs de la Comedie-Francaise qui interpretaient un episode de la 
« Guerre picrocholine », je decouvrais la force cornique de Rabelais et comprenais enfin la puissance de 
sa phrase celebre : « II vaut mieux traiter du rire que des larmes, parce que rire est le propre de 
Thomme. » 

Ce rnaitre inconteste de la fantaisie verbale - il ne faut pas oublier qu'il est le pere des premieres 
contrepeteries telles que « la femme folle a la messe » - est aussi rinventeur de centaines de mots, pi as 
droles les uns que les autres : le stupide Picrochole ne gagnera la guerre que lorsque les « coquecigrues » 
voleront. Le pretentieux Philippe des Marais est vice-roi de « Papeligosse », les protestants et les 
catholiques enrages sont ranges dans le meme sac des « Papefigues » etdes « Papimanes », les pretres de 
la Sorbonne, tenant de l'orthodoxie et maniant I' excommunication a tout-va, deviennent des 
« Sorbonagres », des « Sorbonicoles » ou des « Sorboniqueurs », et quand les mediants prets a mourir ne 
savent plus a quel saint vouer leur ame, Rabelais les confie aux bons soins de « sainte Nitouche ». 



Meme au simple niveau de 1' invention verbale, le burlesque cache souvent une intention serieuse. 
Rabelais est un humoriste qui nous invite a chercher, sous la plaisanterie, une pensee profonde. Comme 
Pecrivait Victor Hugo : 

« Et son eclat de lire enorme 

Est un ties gouffres de I 'esprit. » 

Dans ce fameux enregistrement, on entend aussi les pillards du belliqueux Picrochole, « a l'humeur 
bilieuse », arriver a l'abbaye de « frere Jean des Entommeures », I'un des personnages recurrents de 
Rabelais. Ce moine « etait jeune, hardi, aventureux, bien fendu de gueule, bien avantage en nez, beau 
depecheur d'heures. beau debrideur de messes, beau decrotteur de vigiles, pour tout dire sommairement 
vrai moine si un jour il en tut depuis que le monde moinant moina de moinerie, au reste clerc jusqu'aux 
dents en matiere de breviaire ». 

Mais voici que Les ennemis saccagent « leur clos oil etait leur boire de tout Tan fonde ». Tandis que 
les autres moines, terrorises, ne savent qu'anonner des prieres, frere Jean s'inquiete : les degats causes 
par les pillards risquent de supprimer toute vendange pendant au moins quatre ans. Et lui de s'exclamer : 
« Seigneur Dieu, donne-moi a boire ! » 

Le prieur s'indigne : « Qu'on me le mene en prisoa Troubler ainsi le service divin ! 

— Mais, dit le moine, le service du via faisons de sorte qu'il ne soit trouble, car vous-meme, 
monsieur le prieur, aimez boire du meilleur. » 

II appelle les autres moines a la rescoasse, en les menacant de les priver de vin s'ils ne viennent pas 
defendre « les biens de TEglise ». Tous obtemperent avec zele ! Et les voici a Touvrage : « Aux uns 
ecrabouillait la cervelle, aux autres rompaitbras et jambes, aux autres delochait les spondyles du col. aux 
autres demoulait les reins, avalait le nez, pochait les yeux, fendait les mandibules, enfoncait les dents en 
la gueule, decroulait les omoplates, degondait les hanches, debezillait les faucilles... 

Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir, les uns mouraient en parlanl, les 
autres parlaient en mourant. » 

Certains moines, restes charitables, confessaient les mourants, mais frere Jean se contentait 
d'assommer ceux qui voulaient s^echapper, disant : « Ceux-ci sont confesses et repentante et ont gagne les 
pardons. lis s'en vont au paradis aussi droit qu'une faucille. » 

Rabelais conclut ainsi l'episode guerrier : « Par sa prouesse. turent deconfits tous cea\ de Farmee 
qui etaient entres dans le closjusques au nombre de treize mille six cent vingtet deux, sans les femmes et 
les petits enfants, cela s'entend toujours », melangeant avec un art consomme rexageration des cliifttes, 
pour parodier un ton epique, et des bribes irreverencieuses de TEvangile. II faudrait certes moult 
volumes pour faire Teloge de ce geant. Je m'entiendrai ici a en sucer la « substantifique moelle ». 



Rambaud, Patrick 

Encore un garcon a qui je voue une certaine admiration, ne serait-ce que parce qu'il a obtenu dans la 
foulee, en 1997, le grand prix de TAcademie francaise et le prix Goncourt pour son roxmn La Bataille. 
Du jamais-vu pour un sujet qu'il ne maitrisait pas du tout, puisque, lorsque son editeur Jean-Claude 
Fasquelle lui proposa de se pencher sur rhistoire de la bataille d'Essling, il la connaissait a peine. Elle 
se solda en mai 1 809 par la defaite de Napoleon contre les Autrichiens avec des pertes enormes (vingt et 
un mille hommes) et la mort du marechal Lannes. \bila qui introduit bien ce personnage assez doue, et 
noas allons le voir, dote d'un humour solide, qu'il cache sous sa barbe et son eternel air de vieux 
gauchiste, revenu de tout. 

Patrick Rambaud est ne en 1946 a Neuilly-sur- Seine. D'origine plutot bourgeoise, « une dynastie 



lyoraiaise de notaires, echevins, soyeux », du cote de son pere, comme il se presente dans son autoportrait 
tel qu'il l'avait imagine pour Jerome Garcinen 1986 : 

« Ainsi, Patrick Rarnbaud va passer resolument a cote des principaux courants de son epoque. SMI Ies 
observe par force, il n'y participe que par hasard et comme a regret. II n'a jamais defile dans la moindre 
manifestation, jamais vendu de journaux militants a la criee, jamais signe une petition. II se flatte de 
n' avoir jamais possede que deux, cartes : celle de l'Association francaise des artistes prestidigitateurs (il 
exerce un temps dans un cabaret) et la carte de presse 46 004. Les annees 1960 restent pour lui celles de 
la Cinematheque ou il voit au moins trois filins par jour, celles d"Aden Arabic et du Voleur de Dariea Un 
moment, il se croit surrealiste, ce qui ne Fempeche pas de lire Drieu et Vaillant a la fois, de venerer 
W. C. Fields, Jean Renoir et Leo Ferre. Etudiant episodique a Nanterre, il ne reussit pas a assimiler la 
phraseologie politique. En 1967 il gagne le concours du '"Masque et la Plume", remission de Michel 
Polac, bredouille a la radio, regoit ses premieres Iettres d'iasultes et publie son premier texte dans la 
revue de cinema Positif. [...] 

Avec Michel-Antoine Burnier, son complice, il s*enferme dix jours par mois dans la grosse maison 
de Marsinge (Haute-Savoie). La, ils concoctent des romans historiques el des livres de parodies, 
notamment le celebre Roland Bardies sans peine, qui s'attaque au jargon principal de Theme. Lecture, 
ecriture a deux, cuisine, billard, cette periode de travail et de reflexion restera benie dans le souvenir de 
Patrick Rarnbaud. » 

II est vrai que le Roland Barthes sans peine est un chef-d'ceuvre de parodie, qui prouve allegrement 
que tout le monde parle le « Roland Barthes » sans s'en rendre compte. Dieu sait si la parodie n'est pas 
mi genre facile, et Reboux et Muller, Ies parodieurs du debut du XDf sieele, en savent quelque chose. Le 
tandem Rambaud-Burnier fera des ravages en utilisant une irnpressionnante serie de pseudonymes comrne 
Bernard de Burnebise, Olympe Ramburne, Roger Piploch, Francisque Trognon, Anatole de 
Concheburland et le celebre Wao-le-Laid. J"ai un faible aussi pour Le Journalisme sans peine (1997), 
dans lequel ils relevent Ies tics journalistiques ou la metaphore boiteuse est reine et F apparition de la 
« novlangue » : « Aujourd'hui les mots qui heurtent par trop de realisme doivent etre adoucis. On ne 
parlera plus de mort mais de non-vie, d'aveugle mais de non-voyant. La non-volonte du gouvernement 
marque mieux en douceur un refus. Mal-comprenant passe mieux que con. » 

Sous le pseudonyme de Marguerite Duraille, Rarnbaud a parodie Duras a deux reprises : Virginie O. 
en 1988 et Mururoa man amour en 1996. Desopilants. 

Ce qui fait I'originalite de Patrick, avec qui j'ai quelques affinites que nous partageons des que j "ai la 
chance de le coincer entre Paris et son joli pavilion de Trouville, c'est sa culture universelle et sa 
capacite de s'adapter a tous Ies sujets, et il Fa prouve en etant l'un des plus celebres negres litteraires de 
la place de Paris, avant que le succes ne le condamne a ecrire ses propres livres. Le devoir de reserve 
nfinterdit de livrer ici le nom de ses command itai res. mais la liste est edifiante. Apres le succes de La 
Bataille, Rarnbaud dut recidiver trois fois pour donner des suites aux aventures napoleoniennes, dont il 
devint lui aussi, a Finsu de son plein gre, un specialiste. II faut en effet Tentendre commenter le courrier 
de vibrants fanatiques de Napoleon le chatouillant sur la couleur d'un bouton de guetre, page 248 ou 
page 862 ! 

C'est ensuite pour « lutter contre la depression qu"a causee en lui la victoire de Nicolas Sarkozy en 

2007 » qu'il a ecrit Chronique du regne de Nicolas I er . Beau succes qui sera suivi jusqu'en 2012 de cinq 
autres volumes. 

Rarnbaud a done comrnis officiellement une quarantaine de livres sans compter les « batards », et il 
est aussi l'un des prestigieux membres de FAcademie Goncourt depuis 2008. 

Patrick va bien, et c'est tant mieux, a Fheure ou j'ecris ces Iignes, mais voici comment, dans son 
autoportrait, il imaginait la fin de cette existence bien remplie : « A sa mort, les cinquante-trois mille 
volumes de sa bibliotheque sont attribues a la municipal ite de Blonville-sur-Mer (Calvados) ou, enfant 



aux seances "Jeunesse et famille", il avait decouvert Scaramouches Quo vadis ? etLes Mines du roi 
Salomon. Ses cendres et celles de sa compagne sont acluellement au Pere-Lachaise, a Paris, entre les 
umes de Pierre Dae etd'Isadora Duncan. » 



Raynaud, Fernand (1926-1973) 

Dans les annees 1960, ce fils d'un conlremaitre des u&ines Michelin a Clermont-Ferrand faisait se 
gondoler la France entiere. \fotre serviteur, qui coimaissait par cceur son repertoire et imitait pas trop 
iral, parait-il, son accent trainant, faisait lui aussi se gondoler quelques adolescentes, qui ne dedaignaient 
pas offrir leurs Ievres rosissantes a Tadolescent boutonneux que j'etais... \bila pourquoi, ne serait-ce 
que pour avoir ainsi participe avec Pierre Repp et Dairy Cowl a Peveil de ma puberte, Fernand Raynaud 
restera une idole de mes vertes annees. 

Nceud papillon, chapeau mou et manteau trop grand, Fernand Raynaud a ete Tun des premiers 
comiques a stigmatiser la franchouillardise et les mutations economiques industrielles ou paysannes et, 
comme il le disait Iui-meme : « £a eut paye, mais ca paye plus. » 

L'homme souhaitait « faire pianiste », mais un accident de train lui ayant fait perdre a dix-sept ans 
l'annulaire et le petit doigt de la main gauche, il se retrouve chez Michelia Pas pour longtemps, car il 
decide d'ernpoigner sa celebre future valise en carton et de partir pour la capitale, a bicyclette, saas 
derailleur, s*il vous plait. 

Les premieres annees seront tres dures. Rien de plus frustrant que de se produire a l'entracte dans des 
cinemas minables. Mais la chance va lui sourire, grace a la star de la television balbutiante, e'est le cas 
de le dire, de Fepoque, Jean Nohain, qui l'engage dans sa celebre emission « Trente-six chandelles ». 
Deuxieme coup du sort, il se fait voler son rnaigre bagage dans un train et deboule sur scene, desespere 
avec sa demarche de canard, son chapeau cabosse, sa paupiere aftaissee et ses grimaces. C'est ce jour-la 
que son destin bascule. Desormais, e'est la contorsion et le mime qui demeureront la meilleure part de 
son art avec les mots en prime, et quels mots ! glanes ca et la par distraction, presque par hasard chez le 
boucher, le tailleur ou la cremiere. C'est le triomphe du pauvre type avec des formules devenues cultes : 
« Bourreau d'enfant ! », « C'est etudie pour ! », « Les gens sont mechants ! », « Restons francais ! » 

C'est un guignol ambulant a lui tout seul, coco, marchand de Iacets, tour a tour M. Chalamont 
Balandar, Tonton qui tousse, le plombier, « qui c'est ? » et T incontournable Mile Lelongbec et sa chorale 
des « Joyeax Pinsonnets du dimanche ». 

Fernand Raynaud se reconnaissait un inaiU"e, Jean de La Bruyere, et ca n'etonnera personne. Comme 
lui. il puisait dans la vie quotidienne, pour s'imbiber de la preoccupation de ses semblables : « Une 
situation, un mot, une altercation, un quiproquo, un canevas que Ton rode un soir, lorsque le public 
semble plus disponible que d'habitude. On etudie ses reactions... le rire. c'est Poxygene ducomique. » 

Sous ses dehors de paysan roublard et bon enfant, ses personnages sont des faux nai'fs, a la fois 
humbles et obstines, comme lui, qui refusera toute sa vie d'avoir un impresario : « Je prefere gagner 
50 % de moins sur un gala, plutot qu'un inconnu gagne 10 % de plus sur mes cachets. » 

Vbila, c'est dit, il n^etait pas auvergnat pour rien. Sa bete noire, e'etait le spectateur qui n'a pas paye 
sa place et il s'en expliquait avec sa logique auvergnate : « II n'est pas oblige de rire puisqu'il na pas a 
se rembourser. » 

Au debut de sa carriere, lorsquMl n'etait pas aussi celebre que Tetaient deja Dairy Cowl, Roger 
Pierre ou Jean-Marc Thibault, il leur confiait : « \feus en avez de la chance, vous, de faire voire nuniero 
pendant le dessert, quand les gens mangent leurs glaces. Moi, je dois monologuer au moment des plats de 
viande, avec tous les bruits de fourchettes, de couteaux et de craquements d'os de poulet sous les dents a 



pivots. Quand je serai star, je demanderai toujours a passer apres le sorbet. » 




Apres avoir joue avec succes plus de quatre cents fois le role d'Auguste dans une piece de Raymond 
Castans, il realise son reve en enfilant l'habit de Sganarelle dans Don Juan. Malgre les critiques parfois 
assassines, il connait enfin la gloire, mais il en veut toujours plus. Devenu rnilliardaire, ses demeles avec 
les impots commencent : « Les gens celebres ont toujours tort devant un tribunal. Je n'ai jamais reussi a 
faire gondoler un juge. » Perpetuellement angoisse par l'echec, il est ronge a 1'idee de ne pas faire rire. 
Quand il sort de scene, il est vide et ravage de tics, avec une seule obsession : « Est-ce qu'ils ont ri 
autant que la veille ? » 

Chaque representation peut se transformer en drame : « Laissez-moi travailler, lance-t-il a un 
braillard au balcon. J'ai une demi-heure pour faire Fimbecile. \bus, vous avez toute la vie ! » Un soir, a 
la Villa d'Este, il avise dans la salle un groupe de spectateurs qui ne rient pas. Agressif, il les 
apostrophe : « Pourquoi etes-vous done venus si vous ne m'aimez pas ? » Ce sont des Allemands qui ne 
parlent pas un mot de francais. Pour les seduire, il decide de decomposer ses gags en saynetes muettes. 
lis s'esclaffent. II a gagne. On a frole la crise de nerfs. Mais les faux pas s'accumulent. Toujours cette 
peur panique de « se ramasser ». Fernand force un barrage de police, moleste une commercante. Son 
caractere soupe au lait se radicalise. Quand on lui dit : « Qa va Fernand ? », il repond : « £a bricole. » 
Uhomme adule ne se sent pas vraiment respecte. Celui qui s'etait lance a la poursuite du grand art de la 
comedie craint toujours d'etre pris pour un gugusse. 

« Les comiques sont des excommunies. Nous ne sommes jamais contents de nous. Nous sommes des 
cabots qui en faisons des tonnes pour decrocher un baillement a une duchesse. » Contre ce mal de vivre, 
l'amuseur triche aux cartes, picole sec. Whisky, porto. gin, vin, biere, vodka, indifTeremrnent et a toute 
heure. A Londres, deprime, perdu, il rencontre xm policeman qui, verifiant ses papiers, lui demande quel 
est son metier : « I am a comic ! », repond-il en bornbant le torse. « Prouvez-Ie-moi. Faites-moi rire ! » Et 
comme il n'y arrive pas, le flic rembarque pour verification d'identite. 

Le siecle va trop vite, et comme 1'ecnvait Alexandre Vialatte, son compatriote : « II faut aujourd'hui 
etre celebre avant d'etre connu. » 

Le 28 septembre 1973, il roule vers Clermont-Ferrand au volant de sa Rolls-Royce blanche 
decapotable. II va officiellement annoncer au public qu'il decide d"abandonner le show-business pour se 
retirer enNouvelle-Caledonie, pour echapper a cette anxiete generalisee qui le ronge. Pres de Riom. daas 
un virage sinueux, il pilote trop vite, percute une betaillere et va terminer sa course dans un mur. Y avait 
comme un defaut. 



Renard, Jutes (1 864-1910) 




\* H* 



« Ah ! Que Vauvenargues avait raison quand il ecrivait que c'est une grande preuve de mediocrite 
que d'admirer toujours moderement », nolait Sacha Guitry, en denoncant les critiques qui, a Pepoque, 
avaient boude la parution en 1927 du Journal de Jules Renard (1 257 pages dans Tedition de « La 
Pleiade »). Sacha Guitry lui ne s'y trompe pas : il y decouvre tout ce que le cceur d'un homme peut 
contenir de grandeur et de bassesse, de haine et d"amoiir. 

Jules Renard etait en efFet sans illusions quant a la nature humaine et il avait subi tres tot les 
humiliations quotidiennes et la haine de sa mere, la fameuse Mme Lepic de son Poll de carotte. (Test 
sans doute dans sa douloureuse enfance qu'il puise ce qui deviendra son ironie et sa balise de survie. Le 
« chieur d'encre », comme Tappelait sa genitrice, definit ainsi rhumour : 

« Humour : pudeur, jeu d'esprit. C'est la proprete morale et quotidienne de Tesprit. Je me fais ime 
haute idee morale et litteraire de rhumour. L'imagination egare. La sensibilite afFadit. L ? humour, c'est, en 
somme, la raisoa L'homme regularise. » 

Son humour a lui variait au gre de ses humeurs : 

Tantot timer : 

« La posterite ? Pourquoi les gens seraient-ils moins betes demain qu'aujourd'hui ? » 

Poete ; 

« Les crabes sont des galets qui marchent. » 

Desespere : 

« Surmenons-nous ! Vivre plus vite, c'est mourir plus tot » 

Leger : 

« Le soleil se leve avant rnoi, moi je xvc couche apres lui : nous sommes quittes. » 

Cynique : 

« La mort des autres nous aide a vivre. » 

Pragma! ique : 

— « Nous ne pardonnons jamais qu'a ceux auxquels nous avons interet a pardonner. » 

— « Pourquoi les hommes de lettres ne font-ils pas, de leur vivant, les discours qu'ils desirent 
entendre apres leur mort ? Cela leur prendrait cinq minutes de leur vie, avant la mort. » 



Premonitoire : 

« Beaute de la litterature. Je perds une vache. J'ecris sa mort et pa me rapporte de quoi acheter Line 
autre vache. » 

Et toujours misogynepur et dur : 

— « Ah ! Faire son voyage de noces tout seul. » 

— « II n'y a pas de remedes de bonne femme contre les mauvaises. »• 

— « Si l'homme a ete cree avant la femme, c'etait pour lui permettre de placer quelques mots. » 

Ce Nivernais se mefiait de r existence factice de Paris : « (Test dans les cafes de la capitale qu'il 
taut voir la hideuse humanite. » Ce qui ne Tempeche pas de guigner les honneurs : membre de la Societe 
des gens de lettres, et lorsqu'il est candidat a rejection a l'Academie Goncourt, au fauteuil de Huysrnans. 
il ne desarrne pas : « Je ne m'interesse comme futur membre qu'a la sante de ces messieurs. N'y en a-t-il 
pas un qui soit malade ? » 

Mai informe enfin, lorsqu'il ecrit : « Je ne suis plus capable de mourir jeune », puisqu'il meurt 
prematurement a quarante-six ans, non sans avoir eu un dernier eclair de lucidite : « Le paradis n'est pas 
sur la terre mais il y en a des morceaux. II y a sur terre un paradis brise. » 

Ainsi mourut celui qui voulait comme epitaphe : « A Jules Renard, ses compatriotes indifferents. » 



Repp, Pierre (1909-1986) 

En voila un qui m'a fait beaucoup rire, et qui m'a aide a faire rire les autres. II me suffisait de 
1'imiter pour faire vibrer les foules et declencher de memorables fous rires, surtout, encore une fois* chez 
les jeunes filles enamourees de mon adolescence. Un true infaillible pour essayer de les seduire. Et <pa 
marchait ! Pas facile pourtant d'imiter Pierre, Alphonse, Leon, Frederic Bouclet, alias Pierre Repp, 
pietre comedien, ne en 1909 dans le Pas-de-Calais, mauvais acteur, mais bafouilleur excepuonnel. Pour 
les plus jeunes d'entre nous qui n'auraient jamais entendu parler de lui, imaginez un petit bonhomme au 
museaude musaraigne qui surgissait Fair ebahi sur scene, pour vous expliquer « la recette des crepes », 
les fameuses « crepes a la ficonnire » et qui commentpait a s'emmeler dans ses explications, en multipliant 
borborygmes, onomatopees et embrouillaminis drolissimes, mais toujours tres habilement maitrises. 
C^etait sa grande force. Unique en son genre, il ne se contentait pas de buter sur les mots, il en proposait 
d'autres, souvent des synonymes, et s'arrangeait meme a produire parfois des contrepeteries. 

Repp ne begayalt que sur scene, contrairement a Sagan ou Blondin. qui eux begayaient aussi dans la 
vie. Malgre une importante filmographie ou il n'apparaissait jamais en pole position, il ne reussit pas a 
s'imposer au cinema ou a la television, surtout lorsqu'il s'obstinait a jouer des roles oil il ne devait pas 
bafouiller, puisque le public n'atiendait qu'une chose de lui, qu'il fasse « le begue ». 

Certes, le cornique de repetition est un artifice tlieatral connu, mais dans le cas de Repp, cela releve 
du grand art, car il ne se contente pas de repeter, il invente un langage qu'il fait mine de decouvrir a la 
seconde. Des qu'il s'agit de nouveaux mots, de langage insolite et impromptu, je suis evideinment de la 
partie, et cela explique ma tendresse pour ce petit homme discret et efface, surtout lorsqu'il se presentait 
comme « premier sinistre ». 

Pierre Repp est rnort le l er novembre 1986. 



Ribes, Jean-Michel 




Reconnaissable entre mille, Fhomme avec ses lunettes rondes, son crane degarni et son petit bouc 
dirige le theatre du Rond-Point depuis 2002. II est auteur et metteur en scene d'une vingtaine de pieces, 
dont mes preferees : Les Praises musclees (1970), Un garcon impossible (2009), Les Diablagues 
(2009) de Roland Dubillard et Les Nouvetles Bre\>es de comptoir (2010) de Jean-Marie Gourio. 

Homme de television, il ecrit et realise de nombreux telefilms et les deux series decapantes Merci 
Bernard (1982) et Palace (1988) avec Roland Topor, Jean-Marie Gourio, Francois Rollin et Gebe. 

Pour le cinema, il ecrit et realise entre autres La Galette du rot (1986) txMusee haut, musee has 
(2008). Acteur. il joue aussi daas une vingtaine de films. Bref, Jean-Michel Ribes est un hoinme coinplet. 

Fils de Pierre Ribes et de Jeanne Bernardet, il fonde en 1966 la compagnie du Pallium, avec le 
peintre Gerard Garouste et le comedien Philippe KJiorsand. 11 cotoie a celte epoque Roland Topor, 
Jerome Savary, Fernando Arrabal, Copi. Des jeunes acteurs comme Andrea Ferreol, Roland Blanche, 
Gerard Darmon. Daniel Prevost, Roland Giraud, Michel Elias rejoignent sa compagnie. II a fait du Rond- 
Point une rnaison de creation qui a fete en 2012 son dixieme anniversaire. C'est un grand marche du 
theatre avec des centaines de spectacles et trois cents auteurs joues dans un grand desordre tres organise. 

Pour moi, Ribes est celui qui a imagine les deux volumes duRire de resistance qui sont des 
manifestes d'insolence libertaire pour saluer ceux qui, de « Diogene a Charlie Hebdo » (tome I) et de 
« Plaute a Reiser » (tome 2), ont resiste a tous les pouvoirs par le rire et F humour. 

Riche idee que d'oser iinaginer cette salutaire petite encyclopedic : « Ou sont, comme le dit Ribes, 
rassembles tous ceux et celles qui nous ont liberes du poids du serieux et de Fhegemonie du 
raisonnement. w 

On savait que le rire pouvait etre une arme offensive d'une remarquable efficacite pour bousculer 
Fordre etabli, mais Ribes a eu rnille tbis raison de rappeler comment le rire peut etre aussi capable de 
nous proteger pour resister face a ^oppression ou au tragique de notre condition. 

C'est ainsi que Rabelais, Jarry, \bltaire. Picabia, Duchamp, Coluche et d'autres sont celebres dans 
cette encyclopedie duRire de resistance pour rappeler que ceux qui onl choisi de rire pour nous liberer 
des pesanteurs du monde sont plus nombreux qu' on ne le pense, ce qui me permet de rappeler a quel point 
le rire doit etre pris au serieux. 

Certains se sont pose la question face a la demarche de Jean-Michel Ribes : est-ce bien necessaire de 
vouloir mettre Faccent sur le « rire de resistance » dans un pays liberal et democratique comme le notre ? 
La situation ne s'est pas a ce point degradee pour que seul le rire puisse nous sauver. 

Non. bien sur, chez nous le « rire de resistance » n'est pas vraiment de mise, il est, et c'est domrnage, 
plutot remplace par un rire tiedasse de pur divertissement. On trouve le vrai « rire de resistance » dans 
les pays oil la liberte est bafouee : « En Iran, la population s'envoie des blagues par SMS », confirrne 
Jean-Michel Ribes, et il ajoute : « Le rire est une boufPee d'oxygene qui permet de tenir le coup, une 



boule de cyanure a l'envers, qu'on avale au dernier moment pour survivre. Historiquement, r humour a 
loujours cree des espaces de liberie. II place une faille dans le couvercle du consensus etouffant » 

En 2007 dans Teferama, Erwan Desplanques et Michel Abescat citaient r excel lent livre de 
l'historienne Amandine Regamey, dont la couverture exhibait un Karl Marx afllible d'un nez rouge, avec 
en litre une blague tres en vogue a l'epoque sovietique : « Proletaires de tous les pays, excusez-moi ! » 
Pour elle, cet humour etait le seul moyen de souder clandestinement la population et produire une sorte 
d'exorcisme collectif : « Humour (noir) contre tyrannie (rouge). » Et elle cite ce que proposaient les juifs 
d'Allemagne apres 1933 : « Echange une peinture de Van Dyck contre une grand-mere aryenne... » 

Reste a savoir si le « rire de resistance » doit desamorcer ou cogner ? Vaste debat que Jean-Michel 
Ribes a eu le courage d'initier, et qui merite vraiment d^etre prolonge. Pour Philippe Tesson, Ribes est 
d'abord un poete, done un resistant : « On aimerait qu'il le soit davantage encore, qu'il casse toute la 
baraque et qu'il elargisse le champ de son impertinence, jusqu'a le pratiquer aux depens de ses amis. » 
Message transmis... 



Rire, Le 

Est-ce bien raisonnable de disserter. de raisonner, de deraisonner, d'ergoter, d'epiloguer, de 
chicaner, d'induire. de deduire, de retorquer, de demontrer, de prouver, bref d'argumenter autour d'un 
sujet aussi grave que le rire dans un ouvrage d'humour ? 

« Rien n T est plus serieux dans ce bas monde que le rire », ecrivait Flaubert en enurnerant la quantite 
d'eeuvres qui ont inspire le sujet. Je nVinterroge, est-il bien « serieux » d' essayer d'en debattre dans la 
legerete ? Je ne vois qu'une solutioa essayer d'en rire comme Louis Scutenaire, pour qui « le rire est une 
facon de se tirer d'embarras sans se tirer d'affaire ». 

Mais avant de rire du rire, on peut se demander pourquoi des ecrivains ou des philosophes comrne 
Baudelaire, Bergson, Freud, Jeanson ou Jankelevitch se sont autant penches sur la question. Plus pres de 
nous. Dominique Noguez pretend que Ton emploie ce mot pour designer « toutes sortes de choses qui ont 
ires peu a voir avec lui, sourire, gaiete, comique, ridicule, grotesque, satire, raiLlerie, ironie, sarcasme, 
derision, plaisanterie, farce, canular, caricature, pastiche, parodie, esprit, saillie, pointe et rnerne 
humour ». Pour lui, te rire est un faux ami, mais est-il oui ou non le propre de rhomme ? En clair, est-il 
Fapanage de notre espece ? Pour Aristote e'est evident, « aucun animal ne rit, sauf rhomrne ». \bila un 
probleme regie, bien que Rabelais tienne a preciser que si la « beste » ne rit pas, e'est parce qu'elle ne 
possede pas d^ame rationnelle « en la teste » et que la vocation de rhomme est de rire et non de pleurer. 
n n'empeche qu'au Moyen Age, on ne rigolait pas avec Le rire qui etait d"incitation salanique, et le 
meilleur moyen de s'en proteger etait : « une saine hygiene de la bouche pour le reprimer », comme le 
rappelle Thistorien Jacques Le GofTqui, au passage, pose la vraie question : « Jesus a-t-il ri ? » 

D'apres Jean Chrysostome, le rire etant a condamner au meme litre que le peche, Jesus n'aurait 
jamais ri et Gerard Genette d'en rajouter une drole de couche : « Selon le meme principe on pourraitdire 
qu'il n'a jamais eternue, tousse ni meme respire. » 

En 1900, Bergson publiait son livre essentiel Le Rire, essai sur la signification du comique. ou il 
s'attachait a rechercher le caractere commun de tous les objets dont on rit : « Que signifie le rire ? Qu'y 
a-t-il au fond du risible ? Que trouverait-on de cornmun enlre une grimace de pitre, un jeu de mots, un 
quiproquo de vaudeville, une scene de fine comedie ? Quelle distillation nous donnera l'essence, toujours 
la meme, a laquelle tant de produits divers ernpnmtent ou leur indiscrete odetr ou leur parfiim delicat ? » 
11 demontre qu'on ne peut rire qu'en groupe, car « le rire cache une arriere-pensee d'entente et de 
complicite avec d'autres rieurs reels ou imaginaires », et le psychanalyste Daniel Sibony pense que « le 



rire a une portee symbolique transmetteuse de vie qui engage notre rapport a l'etre, aux autres et a nous- 
memes. Le rire libere ou plutot decharge une curieuse charge signifiante dont on a rec-u le choc ». 

Pour s'en tenir a des considerations moins philosophiques et plus terre a terre, je pense que le rire est 
une exceptionnelle experience de liberie, et la reponse a la fameuse question de Desproges : « Peut-on 
rire de tout ? Oui, mais pas avec n'importe qui », la tarte a la creme des medias, n'est pas evidente. 

Je rejoins sur ce point Francois Roll in qui repond : « Oui, on peut rire de tout pourvu que ce soit 
drole pour soi, et personne ne peut decider a notre place si Ton est en droit de rire ou pas. » En clair, il 
est interdit de discipliner le rire et le codifier serait liberticide, comrne le montrent ces quelques 
definitions qui me font « rire de rire » cornme disait Prevert : 

— « Nous sommes ici-bas pour rire. Nous ne pourrons plus rire au purgatoire ou en enfer, et au 
paradis ce ne serait pas convenable » (Jules Renard). 

— « Qui donne aux pauvres prete a Dieu. Qui donne a l'Etat prete a rire » (Tristan Bernard). 

— « Qui prete a rire n' est jamais sur d'etre rembourse » (Raymond Devos). 

— « Lorsqu'un humoriste declenche des rires imprevus, sa premiere reaction est dc verifier si sa 
braguette est ouverte » (W. C. Field). 

— « L'hornme souflre si profondement qu'il a du inventer le rire » (Frtedrich Nietzsche). 

— « Un oignon suffit a faire pleurer les gens mais on n*a pas encore invente le legume qui les ferait 
rire » (Will Rogers). 

— « Jamais nous ne sommes plus heureux que quand nos plaisanteries font rire la bonne » (Jules 
Renard). 

— « Si l'homme des cavernes avaitsurire. le cours de l'Histoire eut ete change » (Oscar Wilde). 

— « Dis-moi de quoi tu ris. et je te dirai qui tu es » (Marcel Pagnol). 

— « Les mots en ont toujours un pour rire » (Bernard Pivot). 

Et j^ajouterai pour terminer sur une note franchement gaie : « Mourra bien qui rira le dernier » 
(Jacques Prevert). 



Rivarol, Antoine (1753-1801) 

Antoine Rivarol, ne au cours du xvin c siecle qui s'est si mal termine pour les aristocrates, n'avait pas 
eu une tres bonne idee en decidant de devenir comte de Rivarol, chevalier de Parcieux. Comme Chamfort 
son contemporain, il avait frequente les memes salons et usurpe ses titres de noblesse. C'est a Berlin 
qu'il fut nomrne membre associe de l'Academie pour son Discours sur I'universalite de la langite 
francaise, ou il insistait sur ce qu'il considerait comme la principale qualite du rrancais, la clarte : « Ce 
qui n"est pas clair n'est pas francais. » 

En fait, Rivarol etait d'abord un homrne d'esprit, et son Petit Almanack des grands homines (1788) 
est un florilege de vacheries. II se moque de tout, des ringards de la litterature et de la politique, ce qui 
lui attire une collection d'ennemis qui Iui meneront la vie dure. II denonce aussi la noblesse et les 
intrigants, ce qui ne rernpeche pas d'etre promis a la guillotine. II Tevite de peu en s'exilant en 1792 a 
Bruxelles oil il restera deux ans. 

Lorsqu'on lui dit : « Ces mots ont depasse ma pensee », il repond : « lis n'ont pas du aller bien 
loin. » A un autre qui lui annonce qu'il « lui ecrira sans faute », il n'hesite pas : « Mais non, ecrive2-moi 
comme a votre ordinaire. » II disait du Ills de Buffon : « C'est le plus pauvre chapitre de rhistoire 
naturelle de son pere. » De Mirabeau : « II est capable de tout pour de Targent, meme d'une bonne 
action. » De Marat : « Le pauvre, il n'a pas eu de chance, pour une fois qu'il prenait un bain. » 

En 1797 il decide de se consacrer a un dictionnaire de la langue fran9aise, dont il ne publiera en fait 



que Ie Discours preliminairt *. II voyage en Hollande., en Angleterre, en Allemagne, a Hambourg puis a 
Berlin, ou il meurt brusquement en 1801, non sans avoir redige son epitaphe : « La paresse nous Pavait 
ravi avant la mort. » 

En 1808 paralt un premier recueil de bons mots, L' Esprit de Rivarol r puis, beaucoup plus tard, en 
1836. ses Pensees inedites. 

II est injuste d'associer Rivarol a Textreme droite, sans doute parce qu'un hebdomadaire proche de 
cette mouvance (entre 195 1 et 2008) portait son nom, en reference a son engagement antirevolutionnaire 
et anticonformiste. II etait certes royaliste, mais avant tout il detestait la betise. On le disait pretentieux 
mais il avait de grandes qualites litteraires, et ce visionnaire ecrivait en 1790, en prefigurant Napoleon : 
« Quand on succede au peuple, on est despote. » 



Rollin, Francois 

Encore un qui, bien que nous soyons amis, continue a m'impressionner. Ne en 1953 a Dunkerque et 
diplome de l'ESSEC, il n'avaitdufait meme aucune raisonparticuliere de « faire clown ». 

D'abord journaliste au Monde puis a Fhtide glacial^ c'est la serie televisee Palace qui va asseoir sa 
notoriete. Depuis, on Le retrouve partout avec ses propres textes, mais aussi avec ceux, et ils sont 
nombreux, qu'il a ecrits, coecrits et souvent mis en scene pour ses camarades : Jean- Jacques \fonier,. Guy 
Carlier, Arnaud Tsarnere ou Vincent Roca. 

Rollin, c'est aussi Tun des complices des Guignols (la « boite a coucou » de Johnny, c'est lui). Mais 
c'est avant tout le professeur Rollin qui lui inspire par exeirple, en 2007, Les Belles Lettres du 
professeur Rollin. Un regal ! Imaginez cinquante-neuf modeles de lettres supposees etre utiles en toutes 
circonstances, et qui vont d'une demande de causerie au roi d'Espagne a la recette du gaspacho, en 
passant par les traditionnelles lettres d'amour et de rupture. Hilarant, surtout parce que ce malade de la 
langue, et c'est la-dessus que nous nous rejoignimes, fait suivre ces lettres de diverses explorations 
lexicologiques autour de mots aussi austeres que « petaouchnok », « gougnafier » ou a cenobite ». 

Francois a fait des apparitions remarquees., selon la formule consacree, dans plusieurs films, dont 
Fauteuils d'orchestre de Daniele Thompson, pour ne citer que celui-la. Mais il est avant tout rhomrne de 
theatre, seul en scene avec son spectacle phare et dejante Coleres, ou il incarne le personnage de Jacques 
Martineau, reac et conservateur, si je peux me perrnettre encore ce pleonasme, terrifiant et attachant a la 
fois, paranoi'aque ordinaire, hermetique a toute espece d'humour et fmalement hors de lui, mais plus 
pathetique que redoutable. 

A ne pas manquer non plus son role du roi Loth d'Orcanie, dans la serie televisee Kaamelott* ou il lit 
un discours de politique militaire mais n' arrive jamais a le finir, car il ne cesse de s'interrompre pour 
critiquer son contentL Dans cette serie, une de ses grandes compositions est son poerne de huit lignes, 
Vertiges, sur lequel il brode un sketch qui lui servira de base pour le discours en question : 

« Hier matia ma mere est allee au marche. 

Maman a du marcher pour aller au marche. 

Elle y a achete un petit potiron pour la somme de seize francs soixante-quatorze tout rond. 

Quand elle a eu reinpli son panier a pro'sions, elle etait ra-vi-vie et prit une decision : Puisqu'on 
trouveau marche de si beaux potironsj' vais le dire a tous mes potes, et ils vonttousy aller »... 

Mais, le plus drole, c'est Texplication qui en est faite par le professeur Rollin, face a un presentateur 
qui lui demande quelques eclaircissements sur les rimes ; « Parce que je comprends ce qui vous fait 
ricaner, c'est que je dis "seize francs soixante-quatorze tout rond", hein, alors que seize francs soixante- 
quatorze ce n'est pas tout rond, c'est 9a ? Alors, simplement, je vous ferais observer une chose, c'est 



qu'il fallait que je fasse la rime avec potiron, et je rfavais pas un choix infini, parce que j'ai regarde 
nalurellemenl, je ne suis pas si fou, eh bien j'avais : aileron, aviron, biberon, baron, clairon, environ, 
fanfaron. forgeron, macaron, marron, percheron, puceron et vigneron [...].» 

Voila ungarconqui ira loin... entoutcas je Tespere, pour lui, et surtout pour nous. 



Romains, Jules (1885-1972) 

Ce serait une grossiere erreur de ne pas mentionner ici le succulent Louis Farigoule, alias Jules 
Romains, ne en 1885 dans le Velay de ses ancetres. Pour les plus jeunes qui n'ont peut-etre jamais 
entendu parler du pere de Knock, c'est le moment de faire connaissance. 

Cet agrege de philosophie et normalien n'en etait pas moins un homme d'humour qui le prouva en 
commettant des 1913 Les Copains, 1'histoire d'une joyeuse bande d'amis qui monte un enorme canular, 
en tirant de leur torpeur deux vieilles sous -prefectures d'Auvergne. 

Poete et romancier, il est aussi un auteur de theatre fecond avec Monsieur Le Trouhadec saisi par la 
debauche et Knock ou le Triomphe de la medecine. Une farce satirique mise en scene et interpretee par 
le grand Louis Jouvet en 1923. Encore un canular, mais qui tourne cette fois au grandiose dans la plus 
grande tradition molieresque, lorsquMl vise le charlatanisme de certains medecins et Tinsondable 
credulite de leurs clients. C'est 1'histoire du bon vieux docteur Parpalaid qui a vendu a Knock sa 
clientele d'un village de montagne, Saint-Maurice. Mais Knock decouvre vite qu'il n'a pas fait une bonne 
affaire, car la clientele en question est presque inexistante. De son cote, Parpalaid a des doutes sur les 
pretetidus diplomes de Knock, qui afifirme etre « doctoral ement docteur »... Aussitot arrive a Saint- 
Maurice, Knock passe a Taction ; le tambour de ville annonce une consultation gratuite pour appater une 
population avare. Aussitot dit, aussitot fait, et « la dame en noir », une solide paysanne de quarante-cinq 
ans, se presente a la consultation. Knock Tausculte d'abord financierement et decouvre qu'elle a de quoi 
payer, il lui annonce que ca lui en coutera environ « le prix de deux cochons et deux veaux ». II Lui 
apprend ensuite, sur le ton d'une voyante extralucide, qu'elle a du etant petite tomber d'une grande 
echelle et que c'est sans doute « la fesse qui a porte ». Arrive le moment du diagnostic : 

« la dame : Mais qu'est-ce que je peux done avoir de si terrible que 9a ? 

K.NOCK (avec une grande courtoisie) : Je vais vous l'expliquer en une minute au tableau noir. (II va 
ait tableau et commence un croquis.) \foici une moelle epiniere, en coupe, tres schematiquement, n'est- 
ce pas ? \bus reconnaissez ici votre faisceau de Tiirck et ici votre colonne de Clarke. \bus me suivez ? 
Eh bien ! quand vous etes tombee de Techelle, votre Tiirck et votre Clarke ont glisse en sens inverse (il 
trace des jleches) de quelques dixiemes de millimetre. \bus me direz que c'est tres peu evidemrnent. 
Mais c'est tres mal place. Et puis vous avez ici un tiraillement continu qui s'exerce sur les multipolaires. 
(11 s 'essuie les doigts.) » 

La meme scene se reproduira avec d'autres patients : « la dame en violet » ou encore « les deux 
gars » venus pour se moquer. et qui ressortent avec des mines hagardes et terrifiees. 

Quand Parpalaid revient trois rnois plus tard, il trouve Saint-Maurice transforme en hopital. Knock 
est devenu un heros et un bienfaiteur. II arrive meme a persuader son confrere qu'il est malade ! 

Franchement, si vous n'avez pas encore lu Knock, il n'est pas trop tard, et vous ne le regretterez pas. 
Du vrai Moliere, vous dis-je ! 

Le portrait de Jules Romains ne serait pas complet si je ne mentionnais pas son ceuvre rnaitresse et 
grandiose, Les Homines de bonne volonte\ dans laquelle il brosse en vingt-huit volumes (!) une vaste 
fresque de la vie politique, economique et sociale entre 1908 et 1933. Cette saga fait furieusement penser 
a Balzac et a sa Comedie humaine. 



Jules Romains, qui flit elu en 1946 a PAcademie franchise, est mort a Paris en 1972. 



Roussel, Raymond (1877-1933) 

II parait que cet homme etrange et excenlrique etait milliardaire. Dans son premier poeme ecrit a dix- 
sept ans, il note : « Mon ame est une etrange usine. » 

Ne a Paris, dans une famille ostensiblement riche : Torpedo, yachts, somptueuses villas sur la Cote 
d'Azur, Ie jeune Raymond s'ennuie, mais il decide d'ecrire des livres... si bizarres et si peu 
commerciaux qu'il doit les editer lui-meme. Cet echec le rendra neurasthenique jusqu'a sa fin tragique a 
Palerme, en 1933, dans la chambre 224 du Grand Hotel, les veines ouvertes au fond d 1 une grande 
baignoire en fonte. Mais pourquoi le faire figurer dans le ci-present ouvrage ? Parce que Roussel, malgre 
son faible succes aupres de ses contemporains, etait un inventeur de genie, non seulement a cause de son 
ecriture, on Ie verra plus loin, mais aussi dans d'autres domaines bien difFerents : depot d'un brevet sur 
l'utilisation du vide, formulation aux echecs « d'une methode de mat dans le cas de la finale roi, fou et 
cavalier contre roi seul », decouverte d'un theoreme mathematique, etc. 

Fan de Pierre Loti et de Francois Coppee, il eut le privilege de rencontrer Proust et Jules Verne, il 
s'essaya sans succes au theatre, puis, apres avoir visite l'Egypte de fond en comble, il met cinq ans, en 
travaillant jour et nuit, pour commettre ses Impressions d'Afrique (1910). Encore un echec, mais 
Apollinaire. Ducharnp et les surrealistes coinmencent a s'interesser a lui parce que son style est 
deconcertant. Plus tard, dans Comment j 'm ecrit certains de mes iivres, il expliquera les mecanismes de 
cette curieuse ecriture imaginaire. 

C'est la premiere fois que, dans rhistoire litteraire, un auteur utilise seulement les mots el jamais les 
sentiments. II se fout des personnages et de r intrigue, rien que des mots nus pour developper le recit. D 
joue sur la confusion possible entre deux phrases et les manipule. Ainsi : « Les letlres du blanc sur les 
bandes du vieux billard » et « Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard. » 




On peut le considerer comme un precurseur des surrealistes et des oulipiens, et il sera considere 
comme rnembre des fameux « fous litteraires » repertories par Andre Blavier en 1989. 

Roussel avail une jolie maitresse, Charlotte Dufrene, qui n'etait en fait qu'un paravent, car il etait 
homosexuel et friand d'ephebes et de mar ins en goguette. Ses repas duraient cinq heures et conprenaient 
une vingtaine de plats. II entretenait trois cuisiniers, trois jardiniers, trois Rolls-Royce, deux valets de 
pied, une lingere et une gouvernante. 

A partir de 1925, il se deplace dans une roulotte automobile, une espece de Nautilus terrestre de neuf 
metres de long, avec cuisine, chambre a coucher, logement de domestiques et salle de bains. Son cliien 



fiime la pipe et il recommande aiix lecteurs de ses Impressions- d'Afrique qu'« ils ont avanlage a lire ce 
livre d'abord de la page 212 a la page 455, ensuite de la page 1 a la page 21 1 ». 

Son ceuvre breve, dont je vous propose un exlrait, je le reconnais assez hermetique, a parait-il suscite 
des dizaines de volumes de commentaires a rimage des plus grands (Rabelais, Flaubert, Queneau). C'est 
plutot bonsigne : 

« L 'ombre, vers midi sur le cadran solar re 

Mont ran f que I 'estomac reclame son salaire 

Par le gel, le nidt-on, le metre etalon 

Defiant la crotte un retrousse pantalon 

Un journal sur la planche a trou d 'un edicule 

La hotte a reiaper dont le talon s 'ecule 

Ce qu 'atteniifdecoiffe a coups d' angle un rabbin 

Lorsqu 'il met le convert la pile d 'un larbin 

Mu par un barbier, un dossier de fauleuii tiede 

Le metre, an reveii qu 'un soldat ancien possede 

Juliette, au gala d 'Ejur, et Romeo 

Par deux mimes enfants faits gratis pro Deo... » 



Saki (1870-1916) 

On a ecrit que Saki elait sans conteste Tun des ecrivains les plus originaux, les plus droles et les plus 
noirs duxx? siecle. Rien que 9a ! Raison de plus pour le saluer Ici, car il merite en eifet ce concert de 
louanges au me me titre que son contemporain Wodehouse. On dit aussi que ses ecrits rappellent le 
fanlaslique de certains contes de Kipling. Gilles Barbedette disait de lui dans Le Monde : « Ce qui tient 
le lecteur rive a cette ecriture au vitriol, c'est Paudace des personnages de ses nouvelles. II nous fait en 
effet traverser des jungles mondaines et cocasses grace a de merveilleux guides. » 

Mais qui etait Saki (de son vrai nom Hector Munro) ? Ne en 1878 en Birmanie, il perd sa mere tres 
jeune ainsi que son pere, colonel de Parmee des Indes. II sera alors eleve par deux vieilles tantes 
autoritaires ; resultat : une enfance triste et morne. II devient journaliste et ecrivain en Angleterre sous le 
pseudonyme de Saki, en reference a un personnage du poete persan Omar Khayyam Apres avoir ete 
correspondant a Petranger, il frequentera surtout les salons londoniens, y rassemblant la matiere de ses 
« croquis » publics dans la Westminster Gazette entre autres. Un humour devastateur, mordant, centre les 
extravagances et les hypocrisies de la bonne societe edwardienne, ou les femmes en particulier ne sont 
pas menagees. C'est en lisant77;f Chronicles of Clovis, publiees en 191 1, que j'ai pu apprecier et 
admirer son talent pour saisir les conversations sur le vif. 

A quarante-cinq ans, il sera tue au front en 1916, apres s'etre engage volontairement. Ses nouvelles 
ecrites pendant la guerre seront publiees en 1924 sous le titre The Square Egg. 

Saki tenait sans doute son gout pour les plaisanteries macabres et les farces et attrapes de son enfance 
epouvantable, ou il s'est forge cet humour cruel et glace qui jalonne son ceuvre. On retrouve toujours daas 
ses nouvelles des jeunes gens qui echangent des repliques empoisonnees avec P accent d'Oxford et des 
petites filles qui jouent d'horribles tours a des grandes personnes agees. Le tout dans un decor de joueurs 
de tennis et de maisons de campagne aisees. Par exemple, la petite Matilda qui essaie d'expliquer a une 
vieille dame pourquoi elle est punie : 

« \bus comprenez, reprit Matilda, je suis un peu en disgrace. Je sejourne chez ma tante, et on m'a dit 
que je devais me conduire particulierement bien aujourd'hui. car des tas de gens doivent venir pour une 
garden-party ; on m'a recomrnande d'imiter Claude mon jeune cousin qui ne fait jamais de betise sinon 
accidentellement, et alors il s'en excuse toujours. On a estime, paralt-il, que j'avais mange trop de 
marmelade de framboises, alors que Claude, selon eux, n ? en mange jamais trop, lui. Or Claude dort 
toujours une demi-heure apres le dejeuner parce qu'on le lui dit ; alors j 'ai attendu qu'il soit endormi, je 
lui ai ligote les mains et j "ai commence a lui faire avaler de force tout un compotier de marmelade de 
framboises qu'on gardait pour la garden-party. » 

C'est Saki qui est a Torigine de cette jolie reflexion : « L'imaginauon a ete donnee a rhomme pour 
compenser ce qu'il n'est pas. L* humour pour le consoler de ce qu'il est. » 



Satie, Erik (1866-1925) 




Apprecierais-je autant la musique d'Erik Satie et ses sublimes Gymnopedies si, en Ies ecoutant, je 
n'avais en memoire le destin et 1 "humour de ce personnage qui se presentait en disant : « Quand j'etais 
petit, je m'appelais Erik Satie, comme tout le monde » ? 

Comment n'etre pas fascine par cet homme qui. bien qu'ayant pris « en haine et la musique et le 
conservatoire », des ses huit ans, passera les trente-neuf annees de sa courte vie a composer et a 
frequenter les musiciens de son epoque. qu'il a si souvent influences ? 

Comment ne pas se laisser seduire par un pianiste qui recommandait de « ne jamais accorder son 
piano : on entend moins bien les fausses notes », et un compositeur qui donnait a ses ceuvres des litres 
aussi delirants que Airs a faire fuit% Dames de t ravers, Morceaax en forme de poire \ Sonatine 
bureaucrat ique, Vieux Sequins et Wei I les Cuirasses., Prelude en tapisserie, Preludes flasques (pour un 
ehien). Trots Valses distinguees du precieux degoute ? Des titres qu'il defendait avec ferveur dans un 
dialogue extravagant avec Claude Debussy : 

« Dis-moi, Satie ! Pourquoi viens-tu d'appeler ton dernier cahier Veri tables Preludes J las ques ? 

— Mon cher Debussy, on trouve bien dans tes Preludes « la terrasse des audiences au clair de lune » 
et « la cathedrale engloutie ». .. 

— Mes titres veulentdire quelque chose ! 

— Je t'assure que les miens aussi veulent dire quelque chose : les Croquis et Agaceries d r un gros 
honhomme en hois plaisent beaucoup au fils de ma concierge. Tu as bien dedie ton "Children's corner" a 
ta fllle Chouchou, je peux bien dedier les Croquis et Agaeeries au fils de ma concierge, c'est un petit qui 
a beaucoup de gout ! 

— Je n-y vois aucun inconvenient, mais je prefererais de beaucoup que tu ne m'appelles plus "rna 
bonne dame" quand je recois Ravel et Stravinski... » 

Comment ne pas se demander ce qui se passe dans la tete des pianistes qui jouent une paru'tion sur 
laquelle « vivache » remplace vivace ou qui annoncent a un public distingue que la piece qu'ils vont 
interpreter s'appelle Embryons desseches ? 

Comment ne pas partager Tadmiration de Roland Manuel qui, s'enthousiasmant pour la comedie 
[yriqueXe Piege de Meduse^ composee par Satie en 1921, rend a celui-ci la place de visionnaire et 
d'inventeur de genie qui lui revientdans Phistoire de la musique etde la litterature ? 

« Que Ton songe que Le Piege de Meduse precede de beaucoup les manifestations du mouvement 
Dada, qu'il fut ecrit et represente dix ans avant le Manifeste du sur real isme, trente ans avant le theatre de 
Ionesco (qu'il annonce par tant de traits), en un temps ou personne, sauf Satie lui-meme (et peut-etre 
Alfred Jarry avant lui), ne s'etait avise que l'absurde put qualifier une philosophic et done une sagesse. » 

Comment rarnoureux des mots et de Tabsurde que je suis pourrait-il rester insensible a ses ecrits ou 
il joue aussi bien avec la langue etles idees qu'il le fait avec les notes ? 



Un extrait pour en juger : 

« L' artiste doit regler sa vie. 

Voici Fhoraire precis de mes actes journaliers : 

Mon lever : a 7 h 18 ; inspire : de 10 h23 a 1 1 h47. Je dejeune a 12 h 1 1 etquitte la table a 12 h 14. 

Salutaire promenade a cheval, dans le fond de mon pare : de 1 3 h 19 a 14 h 53. Autre inspiration : de 
15 h 12 a 16h07. 

Occupations diverses (escrime, reflexions, immobilite, visites, contemplation, dexterite, natation, 
etc.) :de 16h21 al8h47. 

Le diner est servi a 19 h 16 et termine a 19 h 20. Viennent des lectures symphoniques, a haute voix : 
de20h09a21h59. 

Mon coucher a lieu regulierement a 22 h 37. Hebdomadairement, reveil en sursaut a 3 h 19 (le 
mardi). [...] 

Je ne dors que d'un ceil ; mon sommeil est ires dur. Mon lit est rond, perce d'un trou pour le passage 
de la tete. Toutes les heures, un domestique prend ma temperature et m'en donne une autre. Mon rnedecin 
m'a toujours dit de turner. 11 ajoute a ses conseils : 

— Fumez, mon ami : sans cela, un autre furnera a votre place. » (Extrait de « Memoires d'un 
amnesique. La journee d'un musicien », Revue musicale S.I.M., n° 2, l er fevrier 1914.) 

Satie disait : « Je suis ne si jeune daas un monde si vieux. » II collectionnait les parapluies et les faux 
cols, faisait parti e de I'ordre kabbalistique de la Rose-Croix, crea sa propre « Eglise metropolitaine 
d'art de Jesus Conducteur », entama en 1893 une courte relation avec la peintre Suzanne Valadon, herita 
la me me annee d'une somme d'argent qu'il dilapida avant de s ''installer a Arcueil dans un placard a 
balais, tout en denoncant les mefaits de la capitale : « Lair de Paris est si mauvais que je le fais toujours 
bouillir avant de respirer. » 

En 1919, il rencontre Tristan Tzara et d'autres dadaistes comme Picabia, Man Ray ou Ducharnp. avec 
qui il fabriquera unready-made. 

Avec Page, sa misanthropie se radicalise : « Plus je connais les hommes, plus j'aime les chiens », et 
aussi : « L'humour est la derniere tristesse. » 

II meurt en 1925 non sans avoir fait remarquer, quand il avait cinquante ans : « Quand j'etais petit on 
me disait : "Tu verras quand tu auras cinquante ans" ; j'ai cinquante ans etje n'ai rien vu. » 



Scutenaire, Louis (1905-1987) 

\feila un homrne qui avait Irouve la quadrature du cercle : « Je resous maintes questions en ne me les 
posant pas », avait-il coutume d'affirmer. 

Ne en 1905, il s'etait mis en 1940 a noter des « choses vues », aphorismes. conversations, rencontres, 
historiettes, petits riens et grands touts : « J'ecris pour des raisons qui poussent les autres a devaliser une 
banque, un bureau de poste, abattre un gendarme ou son maitre, detruire un homtne social. » Et pour etre 
sur qu'on comprenne bien ou il voulait en venir, il avait fait ajouter un bandeau sur le premier des cinq 
volumes de Mes inscriptions, son ceuvre majeure : « J'ose m'exprimer ainsi. » 

\b\\A un homme « concu par faineantise probablement », mais beige de nationalite qui se decrivait 
« marxiste tendance Groucho ». II etait contre tout mais proalbanais et probolchevique. Et quand je dis 
contre tout, e'etait vraiment tout : Dieu, les femmes, les blindes, les oiseaux, les amis, les oignons, les 
triglycerides, le pape et les pretres : « La plus ancienne profession du monde est helas celle de pretre. » 

\bila un homme dont Frederic Dard disait « qu'il avait fait davantage pour la Belgique que le roi 
Baudouin et Eddy Merckx reunis et, qui sail, la vie, la mort, r avant, Tapres, Tainere patrie, le 



surrealisme, Ies frites, les cons, les mceurs, les larmes et la facon dont chez lui il doit eteindre au rez-de- 
chaussee avant l'eclairer au premier pour ne pas faire sauter le compteur electrique », et qui ajoutait : « D 
est une fois Scutenaire, et les Beiges n'en savent rien. » 

Vbila un homme qui pretendait : « Avoir trop d'ambition pour en avoir », qui « ne pli[ait] le genou 
devant rien ni personne parce [qu'il avait] de Tarthrose, ne cherch[ait] qu'a regarder la vie en farce, 
n'[avait] aucune envie de se suicider parce [qu'il passait] sa vie a le faire, et qui [pensait] que tout 
homme a droit a vingt-quatre heures de lucidite par jour ». 

Voila un homme qui etait capable de fbrmules superbement senties : 

— « "Je Tai echappe belle" est un idiotisme de la langue francaise et de P esprit humain. » 

— « Le temps n' a jamais pris son vol. » 

— « Le surdoue : on lui montre un poil, il voit le pubis. » 

— « Je ne mens pas, je juxtapose. » 




Vbila enfin un homme qui conchiait le surrealisme en general, parce qu'il detestait Breton : « S'il est 
un mouvement qui fait penser a r Industrie sucriere, c'est bien le surrealisme ; peu de sue, beaucoup de 
pulpe ». mais qui etait quand meme foncierement surrealiste, cornme ses amis Blavier. Chavee et 
Dotremont, meme s'il arrivera a s'en detacher, trouvant Pinstitution empesee et commerciale. 

11 etait toujours reste tres proche de Magritte pour les tableaux duquel il avait imagine certaias titres. 
C*est en regardant un film a la television sur son ami qu'il meurt le 15 aout 1987. 

« Une fois mort on se nourrit de soi-meme », disait-il. 



Sedans, David 

Quand j'ai decouvert David Sedaris, il etait deguise en elfe, tout habille de vert, chez Macy's a New 
York, ou il s'etait fait embaucher dans les annees 1990 pour seconder Le pere Noel. II etait le heros de 
SantaLand Diaries, la compilation de ses experiences dans ce grand magasin, lues a la radio en 1992, 
qui Font revele cornme un humoriste hors pair. Depuis. il a enchaine les succes litteraires a tel point 
qu'en 2008 il avait vendu plus de sept millions de livres. 

Jeune, facetieux, il associe avec talent autobiographic et autoderision. Tous ses livres sont de la 
meme veine, parsemes de reflexions sur sa famille, son enfance, les pays ou il a vecu, France et Japon, 
entre autres, et Hugh son ami de cceur. Sans oublier ses autoportraits qui nous laissent hi lares et attendris. 
Ma premiere lecture a ete When You Are Engulfed in Flames (2008), devenu par je ne sais quelle 
prouesse de traducteur : Je suis tres a chevaf sur les principes (2009). 

Dans cette galerie de portraits foisonnante, on rencontre Mrs Peacock, nounou de depannage pour les 
enfants Sedaris. Cest elle qui I'a initie a la laideur : « Ce sont ses cheveux que j'ai remarques en 



premier, ils etaient de couleur margarine et tombaient en vagues jusqu'au milieu du dos. [...] Seulement 
vetue de son jupon. Comme sa peau, il etait couleur vaseline, une non-couleur, en fait. » 

Parmi les femmes qui lui ont fait preferer les hommes, il y a aussi la vieille Helen qui flit plus tard sa 
voisine. Grossiere, vulgaire, mais avec un cceur gros comme 9a. C'est David qu'elle charge d'aller 
ramasser son dentier qu'elle a perdu alors qu'elle invectivait un voisin. HeureiLsement, il y a Hugh, qui 
n'a que des qualites. En face de lui, David fait pietre figure, avec ses crises d'angoisse qui le paralysent : 
« Des que je discute argent au-dela de 60 dollars, je commence a transpirer. Pas juste du front, mais de 
partout. Au bout de cinq minutes a la banque, ma chemise me colle a la peau. Au bout de dix minutes, je 
ne peux plus me lever de mon siege. J'ai perdu six kilos pour le dernier appartement,. et encore, je n'ai eu 
qira signer. » 

Ses fesses plates le desesperent : « Je n'ai pas de cul. D'autres, dans ma famille, sont plutot bien 
pourvus a ce niveau, mais le mien consiste en a peine plus qu'une peche fletrie. » Le faux derriere 
rembourre qu'il recoil pour Noel lui convient, meme si c^est un « popotin de femnie ». D'ou la deception 
des inconnus qui croyaient suivre la doublure de Pamela Anderson... 

Persuade que la meilleure facon d'arreter de flimer est de changer d'environnement, il choisit le 
depaysement total. A Tokyo pour trois mois, il fait Tapprentissage de la difference a la piscine : « De 
tous les gens presents, j 'etais le seul a avoir des poils sur la poitrine. » 

Parrni ses autres livres, je me suis delecte avec Je purler franqais (2000), impregne de ses souvenirs 
de jeunesse. On le voit adolescent, avec sa voix de fille et son cheveu sur la langue, dont rnerne 
rorthophoniste ne pourra venir a bout, le condamnant a s'appeler « David Thedarith ». Et j'ai aussi un 
faible pour son ultime tete-a-tete avec Neil, son vieux chat qui a ete incinere et dont il vient de recevoir 
les cendres. Comme Neil etait du genre casanier, il lui rend rhommage qu'il merite : plutot que de 
disperser ses cendres dans le jardin ou il ne s'aventurait jamais, il les repand sur le tapis du salon, puis 
passe I'aspirateur. II fallait y penser... Ce nettoyage a sec effectue des potron-minet prend une dimension 
biblique car, c'est bien connu, nous retournerons tous en poussiere. Meme les chats. 



Sempe, Jean-Jacques 

« Beaucoup d'elegance, un certain moralisme, une melancolie aux tons pastel, un arislocratique desir 
de legerete, la douceur de sourire, le gout casanier du silence. Tart de la litote, le "mettons que je n'aie 
rien dit" de Paulhan, une sensibilite a fleur de peau et une absolue indifference aux modes », tel est le 
portrait delicat que fait de lui Jerome Garcin. 

II n'y a pas plus francais que Jean-Jacques Sempe, mais d'un autre tenps, lui qui met encore une 
plate-forme aux autobus parisiens ne sait pas dessiner une Smart, ce qui pourrait laisser penser qu'il est 
inactuel, alors que le desarroi de ses petits bonhommes dans des villes gigantesques est on ne peut plus 
contemporain. Le monde de Sempe est peuple d'individus qui nous ressemblent, tirailles que nous 
sommes entre nos reves impossibles, nos angoisses et les mille tracas de notre quotidien. Tendre 
chroniqueir de notre temps, il pretend detester le ricanement. Ce qu'il veut, c'est faire sourire avec des 
personnages dont il se sent proche : « Ils sont mes semblables. En me moquant d'eux, je me moque de 
moi-rnerne. C'est la difference entre rhumour et l'esprit : Tesprit consiste a rire et faire rire des autres, 
rhumour a rire de soi. fl est tres rare que je trouve les gens ridicules. lis font ce qu'ils peuvent pour s'en 
tirer dans la vie. » 

L'un des dessinateurs les phis celebres du monde est en effet Tun des seuls Frangais a contribuer au 
magazine The New Yorker. II Test devenu a la fois par hasard, il n'a jamais frequente la moindre ecole 
artistique, etpar necessite : « Parce qu'il fallait bientravailler. £a n'a jamais ete facile. » 




Sa vie de gamin est perlurbee par la mesentente de ses parents et Jean-Jacques murit avanl l'age, en 
subissant un quotidien tres rude a Bordeaux, ou son pere adoptif, pelit representant en epicerie, peine a 
boucler Ies fins de mois, car en plus il depense ses maigres emoluments dans les bistrots. On peut 
imaginer que c'est parce qu'il a souffert pendant les premieres annees de sa vie que Sernpe a toujours ete 
fascine par le monde des enfants. Dans un magnifique livre illustre sobrement intitule Enfances (201 1), il 
se confiait a son ami de toujours. Marc Lecarpentier : « Mon enfance n'a pas ete follement gaie. Elle etait 
meme lugubre et un peu tragique. » Mais il etait toujours soucieux de sauver les apparences, et reconnait 
aussi qu'« il lui est arrive de devenir par moments raisonnable, mais jamais adulte ». 

L'ecole ou il se montre chahuteur, rnais bon en francais, est un refuge. La radio lui assure une survie. 
11 y apprend que Ton peut s'exprimer d'une autre facon que dans son milieu et ecoute des six ans 
1'orchestre de Ray Ventura qui I'enchante. Vers onze ans, il lit des rornans policiers de Maurice Leblanc, 
des magazines comme L 'Illustration, Confidences, Nous Deux auxquels les voisines de sa mere sont 
abonnees ; tout ce qu'il trouve lui perrnet de ne plus faire de fautes d'orthographe, parce qu'il veut s'en 
sortir, gagner sa vie et dormer de l'argent a ses parents. C'est vers douze ans qu'il commence a realiser 
des dessins sans legende. Apres avoir quitte Bordeaux en 1951, il va vivre chichement a Paris en vendant 
quelques dessins a la presse : « Quand je suis arrive a Paris, j'ai trouve les Parisiens tres gais. A 
Bordeaux, les gens n'etaient pas naturellement souriants. J'ai ete tout de suite enchante par le metro, les 
autobus, la fievre de la ville. Et surtout j'ai fait beaucoup de velo. Pendant trente ans, je suis alle partout 
en bicyclette. » Sempe propose en 1952 de nouveaux dessins avec un petit garcon qu'il appelle Nicolas, 
se souvenant d'une publicite de vins vue dans l'autobus. Rene Gosctnny, a qui on 1'a presente, 
rencourage a reprendre son personnage et lui propose de travailler avec lui. Goscinny signe ainsi en 
1954 vingt-huit gags, un par semaine, sous le pseudonyme d'Agostini alors que Sempe garde son nom : 
« Le Petit Nicolas, c'est d'abord une histoire d'amitie. Nous avons mis nos souvenirs d'enfance en 
partage. Je racontais a Rene mes histoires de football, de colonies de vacances, mes chahuts a l'ecole. Et 
Rene Goscinny adorait interpreter ces souvenirs. Partant de ce que disais, il a brode tout autour, invente 
tous les personnages, imagine des situations. » 

Sempe qui s'avoue paresseux. mais qui continue a soixante-dix-sept ans a explorer la vie quotidienne 
des gens, n" est jamais mechant. Rien ne lui echappe et, surtout, il s'arrange pour que tout le monde puisse, 
en se reconnaissant dans ses dessins, se sculpter soi-meme. 11 jongle avec le trait, mais aussi la gouache, 
l'aquarelle, la plume et 1'encre de Chine. Sempe n'est pas seulement un dessinateur, et surtout pas un 
caricaturiste, c'est un veritable artiste. 

Comme les oulipiens, il lui faut une « contrainte » et, pour lui, c'est le quotidien des gens, qu'ils 
soient consommateurs ou musiciens, etc., a condition de rester dans l'intemporalite. Et lorsque Nathalie 
Crom de Telerama lui demandait en 201 1 si pour lui « dessiner c'est saisir un instant ou raconter une 
histoire », il repondait : « C'est une question terrible ! En fait, quand je commence un dessin je n'ai pas 
d'idee preconcue sur ce qu'il doit etre. C*est lorsque j'y travaille qu'il se revele, s'il doit etre en 



plusieurs images, ou pas. S'il a besoin d'etre accompagne d'un texte, ou pas, mais je n'ai pas d'idee 
predefinie. » II ajoute aussi, que s'il s'escrime a decrire cette vie quolidienne derisoire, c'est pour rnieux 
rire de lui-merne et de ses peurs. 

L'oeuvre de Sempe est considerable, elle se compte en dizaines et dizaines d* albums, et des niilliers 
de dessins que Ton pouvait admirer en 2012 a r Hot el de Ville de Paris, sans compter Ies films et les 
docurnentai res consacres a sa vie. 

« Mes personnages ne sont pas minuscules, a-t-il coutume de preciser. C'est le monde qui est grand. » 
Bien vil 



Sharpe, Tom 

Brillant observateur de ses pairs et de leurs folies, Tom Sharpe. ne en 1928, fait ses etudes a 
Cambridge, puis sert dans Ies Marines avant de s' installer en Afrique du Sud. II en est expulse pour avoir 
ecrit une piece contre F apartheid. De retour en Angleterre, il enseigne l'histoire a Cambridge. Toutes ces 
experiences ont fait de ce bourlingueur un expert en sciences humaines, car ses livres, faits d'outrances et 
de delires, mettent en scene tous les falots, Ies frustres et les tordus qu'il a cotoyes. 

Leurs rnanies et leurs defauts sont grossis jusqu'a rextrerne et eux-memes ont des comporternents 
tellernent absurdes qu'on arrive a trouver une logique a Ieur invraisemblance. Leurs fantasmes les plus 
fous sont suivis de passages a Facte a la fois insenses et coherents. Avec son regard impitoyable et sa 
plume corrosive, Sharpe seduit et perturbe. II n'a pas son pareil pour decrire des personnages tout aussi 
deranges que brillants. La demi-teinte ? II ne connait pas. Sa plume ignore Fesquisse et le subtil, se 
nourrit du burlesque, du delirant, voire du vulgaire. Ses livres les plus celebres sont la collection des 
Wilt qui lui valut le Grand Prix de r humour noir en 1986. Son dernier livre, redige dans sa Catalogne 
d'adoption, estde la meme veine delirante : Le Gang des megeres inapprivoisees (2009). 

Ma premiere lecture de Wilt ou Comment se sortir d'une poupee gonfiable m'a deroute. Situations 
invraisemblables, heros dejantes, reactions excessives, c'etait/oo much. Du Benny Hill en livre de 
poche. Je me suis done penche sur cette creature de caoutchouc et sur sa victime. Et j'ai eu la revelatioa 
Revelation comico-absurde, of course. Henry Wilt est M. Tout-le-Monde, professeur desenchante, loser 
absolu dont Texistence monotone est ponctuee de corvees. Un jour, alors qu'il sort le chien, ou que le 
chien le sort, il decide que seul le meurtre de sa femme le Iibererait de sa vie minable. Eva, son epouse, 
est une femme frustree « qui ne peut rester tranquille une minute sans ranger, nettoyer, faire briller et 
laver ». La cuvette des WC, qu'elle inonde regulierement de Harpic, est sa fierte. Dans ses moments de 
repit, cette desperate housewife cherche Tabsolu dans le judo, la danse orientale et la meditation 
transcendantale. Mais, comme elle met autant d'energie dans la confection des bouquets japonais que 
dans le maniement du balai, ses tentatives pour trouver Pepanouissement sont vaines. 

Pour connaitre la suite de cet ouvrage extravagant, lisez-le ! Je ne voudrais pas vous priver du plaisir 
de decouvrir vous-meme la fin de cette intrigue desopilante. Laissez-vous embarquer dans rimagination 
debridee de Sharpe, en vous gaussant avec lui de ses cibles preferees : professeurs, flics, parvenus et, 
surtout, les femmes. 

Sliarpe est Fequilibriste de Tabsurde. II empile les situations qui ne tiennent pas debout avec une rare 
maestria. II deboulonne la logique et donne une coherence a la folie. II nous fait rire de tout, rnanies, 
obsessions, certitudes auxquelles on aime s'accrocher. Mais, a mon avis, il joue dans un registre si 
particulier qu'un seul Wilt devrait suffire, car son dernier opus, Le Gang des megeres inapprivoise.es, 
cite plus haut, m'a donne une legere impression de deja-vu-deja-lu, a Fexception de quelques mechantes 
fonriules comme celle-ci : « Si les pauvres existent, c'est parce qu'ils ne font pas d'economies. » Les 



femmes y sont toujours des fees du logis, Ies hommes toujours faibles, jusqu'a ce que tout s'agite et que Ie 
delire chamboule leurs vies. 

Puisse ce fringant octogenaire nous amuser encore longtemps. 



Shaw, George Bernard (1856-1950) 

En bon Irlandais, Shaw etait contre a peu pres tout, surlout Ies Anglais : « Je n'ai jamais admire le 
courage des dompteurs, dans la cage lis sont a I'abri des Anglais. » Mais contrairement au proverbe : 
« L'Anglais pense assis, le Francais debout, l'Americain en marchant, l'lrlandais a retardement », son 
esprit etait particulierement vif. 

Eleve par une mere incapable, dont il disait que : « Techniquement, elle etait la pire mere que Ton 
put irnaginer. Elle avait deux servantes souillons, et on n'aurait pas pu leur confier trois chats, et encore 
moms des enfants. » Ses annees de scolarite a Dublin sont des annees d'humiliation et de douleur. 

Ne en 1856 dans une famille de petite noblesse protestante, il quitte a vingt ans Flrlande pour 
Londres. Travailleur acharne et autodidacte opiniatre. il fait ses premieres armes en qualite de critique 
musical, litteraire, artistique et theatral (il a ecrit soixante-trois pieces et vingt-cinq mille lettres...). 
Activites qui lui convenaient parfaitement et qui servaient sa verve eblouissante et sa fantaisie naturelle, 
avant de se tourner ensuite vers la politique. Apres avoir lu Karl Marx, une veritable revelation, il 
denonce : « Le seul vrai peche a combattre : la misere. Le plus grand des maux et le pire des crimes, c'est 
la pauvrete », en masquant la gravite de sa satire sous son esprit irresistible, ce qui donnera ses deux 
ceuvres majeures, Pygmalion (1913) et Sainte Jeanne (1923). 

II se plut aussi a faire descendre des piedestaux sur lesquels FHistoire Ies avait hisses certaias heros, 
Napoleon dans The Man of Destiny ou Cesar dans Caesar and Cleopatra, mais aussi 1* amour et le 
manage : « Le manage, c'est Phistoire d'un jeune homrne et d'une jeune fille qui cueillent une fleur et 
recoivent une avalanche sur la tete. » 




II recut le prix Nobel de litterature en 1925 et un oscar pour le scenario adapte au cinema de sa piece 
Pygmalion, la celebreA/y Fair Lady. Sa correspondance pendant quarante ans avec I'actrice Stella 
Campbell Lui donna le pretexte d'ecrire une autre piece, Cher merueitr, clin d'ceil aux caprices des 
artistes, une piece grave, mais desopilante. 

Ce vegetarien, au physique redoutable, etait un seducteur. Avait-il neglige de lire Shakespeare ? 
« Mefie-toi des veuves. » Toujours est-il que Tune d'entre elles, Jenny Patterson, « Torageux cotillon », 
lui mit le grappin dessus. Ce n* etait que le debut de ses aventures amoureuses, car : « Les femmes se 
jetaient a son cou et certaines, disait-il, pesaient cent kilos... » Malgre sa misogynie, il epousa a 
quarante-deux ans une femme riche, Charlotte Payne-Townshend. 

Etsi, comrne moi, certains aiment Shaw, je vous en propose un petit florilege : 



— « Si les Anglais peuvent survivre a leur cuisine, ils peuvent survivre a tout. » 

— « Ma man! ere de plaisanter, c'est de dire la verite, c'est la blague la plus drole du monde. » 

— « Quand une femme du monde dit non, cela veut dire peut-etre ; quand elle dit peut-etre, cela veut 
dire oui ; et quand elle dit oui, ce n'est pas une femme du monde. » 

— « Le seul sport que j'aie jamais pratique* c'est la marche a pied, quand je suivais les enterrernenls 
de mes amis sportifs. » 

— « On peut beaucoup plus largement se passer des hommes que des femmes, c'est pourquoi c'est 
eux qu'on sacrifie dans la guerre. » 

— « Le whisky est une mauvaise chose, surtout le mauvais whisky. » 

— « De toutes les perversions sexuelles, la chastete est la plus dangereuse. » 

— « La mort ne m'impressionne pas, j'ai moi-meme, en effet, Pintention bien arretee de mourir un 
jour. » 

Ce jour-la tomba en 1950, un 2 novembre, a Ayot St Lawrence, le jour des defunts, et il legua une 
partie de son heritage a une fondation chargee d 1 imaginer un nouvel alphabet phoneuque francais. 



Splendid, Le 

II semblerait que I'histoire de ce cafe-theatre ait commence en 1968-1969 au lycee Pasteur de 
Neuilly-sur-Seine, plus precisement en classe de troisieme, ou trois eleves, Michel Blanc, Thierry 
Lhermitte et Christian Clavier, ont. avec un eleve de seconde, Gerard Jugnot, monte une troupe de theatre 
amateur, pour jouer une piece de Michel Blanc La concierge est dans I'escalier. Les quatre larrons sont 
fans du Cafe de la Gare imagine en 1966 par Romain Bouteille, Henri Guybet et Coluche, dans une 
ancienne fabrique de ventilateurs de la rue d'Odessa pres de la gare Montparnasse, a Paris, ou ils 
installment leur petite troupe, Patrick Dewaere, Gerard Depardieu, Renaud et Sylvette Henry, alias 
Miou-Miou. L'aventure ne durera que deux ans, mais elle donnera des idees a la bande du lycee Pasteur, 
qui reve de les imiter. Pour apprendre le metier, ils suivent des cours d'art dramatique avec Tsilla 
Chelton, l'actrice de Ionesco, et en 1972 ils se produisent au cafe-theatre du Poteau avec Non Georges, 
pas ici. En 1975, ils s'installent dans une arriere-salle de bistrot qu'ils baptisent Le Splendid et jouent 
une piece de Marie-Anne Chazel, encore une copine de lycee, avec Je vais craquer. Les rejoindront aussi 
Josiane Balasko. Bruno Moynot Anemone, Dominique Lavanant el Martin Lamotte. Entre-temps, ils ont 
emigre rue des Lombards. 

Leur avenir va vraiment se jouer, e'est le cas de le dire, lorsque le producteur Yves Rousset-Rouard. 
entliousiasme par leur piece Amours, Coquillages el Crustaces, inspiree par leurs sejours au Club Med, 
leur propose de r adapter au cinema dans une realisation de Patrice Leconte, sous le litre Lev Bronzes 
(1978). On connait la suite, succes phenomenal, suivi par Le pere Noel est une ordure. Le secret de la 
bande du Splendid, qui compte dans I'histoire de I'humour francais conternporain, e'est une conjoncuon 
de talents multiples, des heros passe-partout, ou chacun peut se reconnaitre. Le succes des Bronzes va 
marquer la fin de Fepoque du Splendid, mais ils auront beaucoup appris ensemble, en pratiquant une 
ecriture communautaire exigeante, et en reussissant a faire rire sans scenario ou presque, mais avec un 
incroyable talent pour traasformer chaque sketch en une veritable scene. Stephane Germain, auteur du 
Dico Splendid des Bronzes, resume ainsi le cocktail magique de la troupe : « Une dose de realisrne 
italien, une rasade de gauloiserie, le tout lie avec un ingredient secret : leur sens du rythme et leur 
complicite, rodes a la rude ecole du cafe-dieatre. » 

Uhistoire du Splendid, c"est aussi celle d'un vivier d'acteurs qui vont compter, Gerard Jugnot, ne en 
1951, qui poursuit une jolie carriere de comedien et de realisateur avec Pi not simple flic en 1984, et une 



belle prestation entre Ie rire et le drame, Phumanisme et la farce dans Monsieur Batignole (2002). 
Michel Blanc, le Jean-Claude Dusse des Bronzes, maigrichon a la calvitie precoce, qui va au Club pour 
jouer les Don Juan et qui n' arrive jamais a « conclure ». L'hypocondriaque, a la fois pleurnichard et 
agressif de Marche a I 'ombre ( 1984), c'est toujours lui. Un etonnant comedien qui, comme nombre de 
comiques, se dit qu'il ne sera reconnu qu'en faisant ses preuves dans le drame. Nous le retrouvons daas 
Monsieur Hire (1989) et Tenue de soiree (1986). Thierry Lhermitte, c'est le beau Popeye des Bronzes, 
alors que Christian Clavier joue dans le meme film le bellatre pretentieux, docteur je-sais-tout qui 
devient une vedette a part entiere et Tidole des cours de recres, en incarnant Jacquouille la Fripouille 
dans Les Visiteurs (1993). 

Le Splendid a ete une belle ecole, certes, mais aussi pour nous, spectateurs, une belle decouverte. Un 
genre nouveau qui a marque cette generatioa Uun de leurs grands merites ayant ete de nous faire 
comprendre comment, en enfoncant des portes ouvertes et en debitant des platitudes, on peut declencher 
le rire le plus enorme. 



Sterne, Laurence (1713-1768) 

Je n'ai lu qu'un livre de lui, mais quel livre ! La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, gentleman , 
publie en neuf petits volumes a York, de 1 759 a 1767, et ce, apres avoir lu, je ne sais oil, que Jacques le 
Fataliste de Diderot lui devait beaucoup, quant a cette technique de narration differee, consistant a 
repousser sans cesse le deroulement de Phistoire. Sensible a rhumour de Diderot je ne fus pas decu par 
celui de Sterne, ecclesiastique britannique et petit-fils d'archeveque, ni par sa philosophie sans amerturne 
qu'il appelait lui-meme « shandysme » : « Le vrai shandysme dilate le crew et les poumons et, comrne 
toutes les affections du meme genre contraignant le sang et les autres fluides a circuler plus librement 
dans les vaisseaux, active joyeusement le sang. » 

Aucune intrigue a proprement parler. Le roman. derriere la peinture fine de quelques personnages, le 
pere de Tristram, Toncle, le serviteur de Toncle, la mere, le docteur de famille et le pasteur, n'est qu'un 
enorrne enchevetrement de digressions qui procedent de l'association d'idees souvent saugrenues et 
pourtant toujours rattachees a l'histoire en cours, meme si c'est parfois de facon tenue, comme Sterne 
Tecrit lui-meme : 

« Car la digression ou je viens d'etre conduit par accident et en verite toutes rnes digressions sont 
marquees par un trait de magistrale habilete digressive dont je crains que le lecteur ne se soil pas avise... 
Cet ingenieux dispositif donne a la machinerie de mon ouvrage une qualite unique : deux mouvements 
inverses s'y combinent et s*y reconcilient quand on les croit prets a se conlrarier. Bref, mon ouvrage 
digresse, mais progresse aussi, et en meme temps. » 

L'avantage, pour le lecteur paresseux et reveur que je suis, est qu^on peut ouvrir son Tristram 
Shandy au hasard. On est toujours sur d^tre accroche par une anecdote drole, un foisonnement lieteroclite 
a la Rabelais ou a la Cervantes. 

Voici comment, par exemple, Tristram flit accidentellement circoncis : 

« Ce ne flit rien, je ne perdis pas deux gouttes de sang dans Toperation ; quand un chirurgien eut 
habile la maison voisine. il n'eut pas valu la peine de Tappeler, des milliers d'homines s'offient par 
choix a ce qui tut pour moi un accident. La chose ne meritait pas le dixieme du bruit qu'en fit le Dr Slop. 
Certains hommes ont developpe Tart d'accrocher de grands poids a de petites ficelles : je paie a ce jour 
(10 aout 1761), pour une part du moias, le prix de cette invention. La fagon dont les choses vont en ce 
monde indignerait une pierre. La femme de chambre n'avait pas mis de pot de chambre sous le lit. 

NTaurez-vous pas Tobligeance, mon petit homrne, dit Susannah en relevant d'une main le chassis de 



la fenetre et en me hissant de r autre jusqu'au niveau de Pappui, n'allez-vous pas vous debrouiller pour 
faire vos petits besoins ? 

J'avais cinq ans. Susannah avait oublie que rien ne tenait dans notre fainille : le chassis tornba comrne 
un eclair. 

La bonne s'enfuit dans la maison voisine, celle de l'oncle Toby, ancien rnilitaire a demi impotent, 
dont le dadaestde reconstituer en miniature les champs de bataille qu'il avait connus dans sa jeunesse. » 

A Tannonce de la catastrophe survenue sur le membre viril de Tristram, le caporal Trim, en vrai 
soldat, ne cache pas sa responsabilite initiale. L'oncle Toby fait de meme, suivi par le pasteur, et tous 
vont affronter le pere du petit blesse. Je vous passe les innombrables peripeties cocasses qui emaillent 
cet episode. 

Cette succession d^evenements a la fois loufoques et pourtant logiques me fait penser bien sur a 
Swift, qui nous avait deja habitues a ces digressions sans queue ni tete, et, plus pres de nous, aux Monty 
Python et a Un poisson nomme Wanda de Charles Crichton. Sans doute influence par la fantaisie de 
Sterne qui trouve en lui une joyeuse descendance. C'est Nietzsche qui voyait en Laurence Sterne 
« Tecrivain le plus libre de tous les temps, a cote de qui tous les autres paraissent guindes et sans 
finesse ». Et si ces arguments ne suffisaient pas a vous convaincre, je ne peux que vous conseiller de vous 
procurer r -edition de poche de ce chef-d'oeuvre de loufoquerie disponible depuis juin 2012, et dont 
Roger-Pol Droit ceTebrait en ces termes, la sortie, dansZe Monde : « Cette ceuvre interminable et 
irresistible est un seisme litteraire, un gigantesque tremblement de texte. C'est le texte le plus fou de la 
litterature europeenne. » 



Surrealisme en Belgique, Le 

U humour « a la beige » est une longue histoire. II existe une vraie tradition contestataire qui 
remonterait. dit-on, a Till TEspiegle, ce Robin des bois, figure de la resistance flamande contre 
Inoccupation espagnole auxvi e siecle, et qui trouve de nos jours son prolongement dans les attentats 
patissiers de Noel Godin. Que s'est-il passe d'important pour que les Beiges entretiennent ainsi une telle 
reputation de badinage, de gaudriole, de folatrerie, de paillardise, bref de bonne humeur ? Uavenement 
du regne de la bande dessinee, bien sur, ou ils se sont affirmes comme les mattres du monde, Les 
specialistes dont je ne suis pas, helas, s'accordant a dire qu'entre les Beiges LagafFe et Tintin et le 
franchouillard Asterix, il n'y aurait pas photo. C'est aussi r explosion d'un surrealisme detonnant a cote 
duquel la bande a Breton faisait pale figure. 

Contrairement a ce qui se passait en France, il n'existait pas en Belgique de grande aventure 
collective. L'histoire du surrealisme dans ce pays se resume a un morcellement caracterise entre deux 
groupes distincts, le groupe de Bruxelles autour de Paul Nouge et Rene Magritte et le groupe du Hainaut 
autour d'Achille Chavee et Fernand Dumont. On notera 1' apparition d 'autres petits groupes plus ou rnoins 
proches de I 'esprit surrealiste, CoBrA, Les Levres nues, Phantomas, Temps Meles ou Le Daily Bid. Tous 
les impetrants de ces groupes ou groupuscules se retrouvaient dans la meme veneration pour la farce, le 
canular et un gout prononce pour la contestation. 

Leurs armes ? D'abord et toujours les aphorismes. 

Pour Andre Stas, c'est une saine maniere de « retoumer la realite comme un gant en caoutchouc, une 
facpon d*arriver a Tinconnu bouifon cache derriere lui ». Pour Louis Scutenaire, ce sont ses fameuses 
Inscriptions, alors qu'Achille Chavee, un des membres les plus actifs du groupe, prefere parler de 
Decoctions : « Je suis un vieux Peau-Rouge qui ne marchera jamais en file indienne ►>, repetait ce militant 
forcene du proletariat, fondateur du Groupe Rupture puis du Groupe Hainaut avec Albert Lude, Marcel 



Parfondry et le poete Fernand Dumont. 

Le Groupe de Bruxelles, anime par le compositeur Andre Souris, Magritte, Scutenaire, Nouge et 
Marcel Marien, n'arretait pas de se dechirer et de se retrouver autour de questions fondamentales : 
« Dada or not Dada ? », ou encore : « L'ecriture automatique est-elle negligeable ? » 




Le Groupe de Bruxelles se retrouvera presque au complet dans une passionnante revue, La Carte 
d'upres nature, dirigee par Magritte. SMI me fallait faire un choix entre les differents animateurs du 
mouvement surrealiste beige, j'opterais, en dehors de Scutenaire deja cite, pour Magritte bien sur, mais 
aussi pour Marcel Marien et le groupe Le Daily Bui et son fondateur Pol Bury. Magritte, avant de se 
laisser gagner par F esprit Dada. etait tres influence par le cubisme et le ftiturisme. Les toiles de De 
Chirico et les collages de Max Ernst lui revelent ce qu'il faut faire en peinture, « des effets pochons 
bouleversants », ainsi son tableau Querelle des universaux (1928) qui represente des mots. On y voit une 
etoile a cinq branches entouree de quatre formes arrondies semblables a des pierres r sur lesquelles on lit 
« feuillage », « cheval », « miroir », « canon ». Magritte, avec une telle representation, s'amuse 
evidemment a nous egarer. II en va de meme avec son fameux Ceci n' est pas une pipe ou il joue sur le 
decalage entre un objet et sa representation. II s'en explique : « La fameuse pipe, me Ta-t-on assez 
reprochee ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer, ma pipe ? Non, n'est-ce pas, elle n'est qu'ime 
representation. Done si j'avais ecrit sous mon tableau "Ceci est une pipe", j 'aurais menti ! » 

Passionne de litterature et de poesie, ecrivain a ses heures, il cherche a defendre les mots par les 
images : « Je ne peins pas des idees, je decris au moyen d'images peintes des objets, des rencontres 
d'objets qui empechent la raison d'advenir. » Magritte. non content de peindre des tableaux parfois 
sublimes, se revele on ne peut plus surrealiste en juxtaposant des elements incompatibles. Je pense a 
L'Empire des lumieres . C'est la nuit, les lumieres allumees d'une maison Tattestent et pourtant, le ciel 
bleu clair et nuageux evoque le jour. Trop fort ! Trop fort aussi Magritte le roi des canulars, qui avec son 
complice Marien edite des tracts mystificateurs et subversifs, L'Imbeeiie, L'Emmerdeur eiL'Enculeur. 
Ces deux derniers furent saisis par la poste. La morale est sauve ! Marcel Marien, anarchiste communiste 
ne en 1920 a Anvers, proche de Magritte, se revelera le roi du collage sur papier. Dote d'un humour 
ravageur, il est capable de tout pour ecraser ce qui est reactionnaire, corrompu et droitier, tout en 
multipliant ses eloges au camarade Staline. H voyage beaucoup, monte des maisons d'edition, ecrit des 
dizaincs d*ouvrages percutants, it\sA I 'ombre de la proie (1968), Les Couilles de Bilitis (1976), 
Bruxelles et Gomorrhe (1976) et surtout ses (feroces) souvenirs dans Le Radeau de la memoire (1983). 
Auteur de slogans memorables : « Unijambistes, Lourdes vous fera une belle jambe », ou « Mesdames, si 
on vous embrasse sur le sein gauche, tendez le droit ». II n'a qu'un principe, « imiter les degats ». Marien 
proposait aussi que Ton verse de Tacide sulfurique dans les benitiers et il ecrivait de sa main : « La loi 
punit le contrefacteur », sur des faux billets dessines par Magritte. Yves Fremion voit en lui un « genie 
absolu, buvant, baisant, divorcant, plaidant, creant des scandales comme celui qui provoqua une erneute 
en 1974 a la biennale de la Poesie de Knokke-le-Zoute ou il distribuait des "bons pour sauter une 
poetesse" ». II nieurt en 1993 a BriL\elIes. sans doute epuise mais reconnu, celebre et expose. Pol Bury, 
peintre ne en 1922, membre successif de la plupart des differents groupes surrealistes beiges, est aussi un 
sculpteur reconna Son succes est universel et ses ceuvres cinetiques se retrouvent dans le monde entier. 



Illustrateur de livres. Bury commet aussi des ouvrages d' humour detonnant. II adore les faux traites sur 
Fart avec un serieux imperturbable, en utilisanl des pseudonymes, Ernest Pirotte entre autres. Auteur 
memorable de : L'Art a bicyclette et la Revolution a cheval (1972), Le Pouvoir erect ionnel (1974), Le 
Se.xe des anges et celui des geometres (1976), Le Velo de Staline et le Circuit ideologique (1976), 
Leon III t'Isatirien (1976), Les Horribles Mouvements de Vimmobilite (1977). L'Art inopine dans les 
collections publiaues (1982), dans lequel on retrouve par exemple la biographie d'un certain Wassily 
Dubois, auteur de La pantomime du paralytique et de Gelee de prunes sur bois au Musee de la mimique a 
Los Angeles (sic). « Dubois fut le premier peintre a parvenir a ce qui etait pour beaucoup une 
inebranlable obsession, la veritable gesticulation. C*est en 1910 qu'il agita les bras pour la premiere 
fois, dans cette direction. Ses compositions, ou le clin d'reil alterne avec le hochement, sont tres 
demonstratives de sa degaine. » 

A un moment de sa vie, Bury tenait une librairie et c'est la qu'il rencontra Andre Balthazar, jeune 
surrealiste ne en 1934, poete, auteur de textes animaliers amusants, Buffomieries, et d'un catalogue 
farfelu d'objets quotidiens. Bury et Balthazar creent les editions de Montbliart en 1957 et Le Daily Bui* a 
la fois groupe et revue, oil ils editent les fameuses Poquettes volantes entre 1965 et 1979, des petits 
ouvrages bon marche. Pourquoi ce nom « Daily Bui » ? Parce que Bury sculpte des boules chromees. Le 
Daily Bui, qui multiplie les manifestations, les expos et les banquets, est un point de passage oblige pour 
tous les surrealistes ethumoristes beiges. Non contents de decerner le prix de la « plus mauvaise critique 
d'art », ils essaient de developper la « pensee Bui » a travers des tracts plus ou moins hermetiques : 
« \fous qui avez de I'argent, ceci vous interesse. \fous qui aviez de Fargent, ceci vous interessait. » S'il 
ne fallait retenir qu'une publication du Daily Bui, ce serait le cahier Autot ornhes, veritable ceuvre d'art 
au graphisme flamboyant. Nos deux complices avaient imagine en 1979 d'envoyer une Iettre a quatre- 
vingts personnalites du monde des arts et de la litterarure. en les interrogeant sur « le type d'habitat 
qu['ils souhaitent] reserver a [leur] corps apres [leur] mort (reponse limitee a une page dactylographi ee 
ou a un dessin, souhaitee... avant la Toussaint) ». Bury et Balthazar fiirent combles au-dela de Ieurs 
esperances. Sur le plan graphique, Alechinsky : (« Le dernier qui meurt ferme la porte »), Christo. Ronald 
Searle ou Zao Wou-Ki firent aussi preuve d'une belle creativite qui n'eut d'egale que rimagination de 
quelques ecrivains ravis d'en decoudre avec un sujet aussi morbide : 

— « Mon mausolee ? Ni le plus grand, ni le plus beau, mais le plus tard » (Franpois Baschet). 

— « Je voudrais finir en poussiere d'ego » ( Ben). 

— « Apres ma mort j'aimerais que mon cadavre soit cremate et les cendres distribuees a mes amis en 
autant de petits sabliers que possible, le genre de sabliers dont l*ecoulement correspond a la cuisson 
parfaite d'un ceuf a la coque » (Robert Fillion). 

— <« Je suis trop superstitieux pour pouvoir repondre a votre Iettre. J'espere ne jamais rnourir » 
(lone sco). 

— « Je m'estimerais heureux d'etre reduit en poudre et serre dans une tabatiere ornee d'un motif 
romanuque. Je risquerais enflnd' , etre prise par quelques-uns » (Francois Jacquin). 

— « Mon voisin le charcutier preleverait les chairs de mon cadavre. II les melerait a des viandes de 
faisans, d'oies. de pores. les disperserait dans des petils pates, des bouchees a la reine et des tomates 
farcies... Mon corps serait alors dissemine en des tombeaux pluriels vivants et inconnus de moi » 
(Gilbert Lascault). 

— « Ma depouille serait deposee dans un compotier geant et au cceur d'un amas en dome constitue 
par une cinquantaine de jolies mortes, toutes nues, agees de moins de vingt ans et gauchistes de 
preference » (Marien). 

— « Des deux sens du mot ^biere" je deteste la boite, mais je goute fort la boisson [...], celle que 
Ton boit chez vous et qui se nomme precisement "mort subite" sans doute a cause de son pouvoir 
d'eni vrement souvent meurtrier ! » (Jean Tardieu). 



Ainsi les humoristes beiges souvent decries, car trop associes aux navrantes histoires beiges, 
trouveront je Fespere ici la rehabilitation qu'ils meritent, et comrne l'ecrit Philippe Geluck : « Le Beige 
se delecte d'etre pris pour un con par tin imbecile... » 



Swift, Jonathan (1667-1745) 

Lorsque Andre Breton ecrit dans son Anthologie que tout le designe en matiere d "humour noir comrne 
le veritable initiateur, il a certainement raison. Historiquement parlant d'abord, car Swift ecrase tous ses 
predecesseurs, et meme Rabelais et \bltaire n'ont plus qu'a aller se rhabiller. \bila un hoinme qui 
meprise plus que personne le genre humain et qui deteste « toutes les nations, professions ou 
communautes ». Bien qu'irlandais, il est toujours pret a dire du mal de son pays et, marie trois fois, n'en 
reste pas moins un farouche misogyne. 

Taine disait de lui : « LT esprit positif et Porgueil lui ont forge un style unique, d'une vehemence 
terrible, d'un sang-froid accablant trempe de mepris, de haine et de verite. » 

Jonathan Swift est ne a Dublin. Orphelin de pere, abandonne par sa mere, ordonne pretre a vingt-sept 
ans, diplome d'Oxford, il obtient une modeste cure aux environs de Belfast, s'essaie assez vite a quelques 
pamphlets polemiques et frequente le monde politique a l'occasion de missions diplomatiques a Londres 
pour son protecteur, un aristocrate anglais. 

En dehors des Voyages de Gulliver et de ses diverses reflexions a propos de la Philosophic des 
vetements et de la Meditation sur un balai,]e retiendrai chez lui deux ceuvres majeures. 

Je commencerai par ses Instructions aux domestiques, ou il les incite carrement - en plein 
xvil e siecle ! — a se revolter : 

« Tous les bons morceaux que vous pouvez derober dans la journee, serrez-les de cote pour vous 
regaler le soir en cachette avec vos carnarades et mettez le butler de la partie, pourvu qu'il vous donne de 
quoi boire. Ne venez jamais que vous n'ayez ete appele trois ou quatre fois, car il n'y a que les chiens qui 
viennent au premier coup de sifflet, et quand le maitre crie : "Qui est la ?", aucun domestique n'est tenu 
d'y aller, car qui est la n'est le nom de personne. » 

Ou, mieux ; 

« S' il vous faut du papier pour flamber un poulet, dechirez le premier livre que vous verrez dans la 
maison. Essuyez vos souliers, a defaut d'un torchon, avec le bas d'un rideau, ou une serviette damassee. 
Arrachez le galon de voire livree pour faire des jarretieres. Si le butler a besoin d'un pot de chambre, il 
peut se servir de la grande tasse d'argent. » 

Mais le pire ou le meilleur est atteint avec la Modeste Proposition pour empecher les enfants des 
pauvres en Iriande d'etre a la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au 
public : 

« L' Iriande souffrant de trois plaies qui sont le manque de produits alimentaires. la pauvrete de ses 
habitants et la surpopulation due a la forte natalite de la classe pauvre, done il faut que les pauvres 
vendent leurs enfants comrne viande de boucherie, ce qui fournira une source inepuisable de nourriture, 
procurera des ressources aux pauvres et fera diminuer la population » ! 

On a dit de Swift qu'« il provoquait le rire mais sans en participer ». Je ne sais pas tres bien ce que 
cela signifie mais, ce qui est sur, e'est qu'il est bien Tinventeur de la plaisanterie feroce et llmebre. Ce 
n'est pas generalement mon genre de beaute sauf, et e'est semble-t-il son cas, lorsque Ton est possede 
par un besoin frenetique de justice. 

Si j'etais Stephane Hessel. je le considererais sans doute comrne le pere fondateur des Indignes. La 
preuve, l'epitaphe qu'il composa lui-meme : « Ici repose la depouille de Jonathan Swift, D. D.. doyen de 



cette cathedrale, qui desormais n'aura plus Ie cceur dec hire par 1" indignation farouche. Va ton chemin, 
voyageur, et imite si tu Ie peux rhomme qui defendit la liberte envers et conlre tout » 




Talleyrand (1754-1838) 

Charles-Maurice de Talleyrand-Peri gord, Tun des personnages les plus contestes et les plus 
remarquables de la Fin du xvm e siecle, a traverse Thistoire en soutane de pretre et d'eveque, en uniforrne 
d'ambassadeur sous la Revolution et de ministre des Affaires etrangeres sous le Directoire, Ie Consulat, 
r Empire et la Restauration. Les monarques et les regimes passaient, mais pas lui. Un jour, Louis XVH1 
lui demanda comment il avait pu voir la fin de tant de regimes : « Mon Dieu, Sire, je n'al vraiment rien 
fait pour cela, c'est quelque chose d'inexplicable que j'ai en moi et qui porte malheur aux gouvernernenls 
qui me negligent. » Victor Hugo en fait une description impitoyable dans Chases vues : « C'etait un 
personnage etrange, redoute et considerable. [...] II etait noble comme Machiavel, pretre comme Gondi, 
defroque comrne Fouche, spirituel comme \bltaire et boiteux comme le diable. On pourrait dire que tout 
en lui boitait comme lui, la noblesse qu'il avait faite servante de la Republique, la prelrise qu*il avait 
trainee au Champ-de-Mars, puis jetee au ruisseau, le manage qu'il avait rompu par vingt scandales et une 
separation volontaire. r esprit qu'il deshonorait par la bassesse. » Et le ministre des Affaires etrangeres 
pendant le Congres de Vienne, M. de Jaucourt, d'en rajouter : « On tient a M. de Talleyrand comme on 
tient a une catin que Ton prend pour ce qu'elle vaut et dont on ne peut se passer. » Alors que Balzac, plus 
indulgent, le definit comme : « Le prince qui n'est manchot que du pied. » 




Lorsque Talleyrand parte d'un ecrivain : 

« II croit qu'il devient sourd parce qu'il n'entend plas parler de lui. » 

De I 'ami tie : 



« Ne dites jamais du ma! de vous, vos amis en diront toujours assez » 

De la politique : 

« Si les gens savaient par quels petits hommes ils sonl gouvemes, ils se revolteraient vite », « Agiter 
le peuple avant de s'en servir, sage maxime. » 

Des grands : 

« On connait, dans les grandes cours, un autre moyen de se grandir : c'est de se courber. » 

Des petits : 

« Les mecontents, ce sonl des pauvres qui reflechissent. » 

A Tissue d'un conseil qui avait dure trois heures, on lui demande : « Le roi est reste trois heures en 
son conseil, que s'est-il passe ? — Trois heures. » Son infirmite n'a jamais perturbe son persiflage : « Ma 
jambe. c'est ma carriere », ainsi, quand une dame qui louchait lui demande : « Comment allez-vous ? - 
Comrne vous voyez. » II a seduit aussi les plus belles femmes de son temps. « On avait beau s'etre arrne 
de toutes pieces contre son immoralite, sa conduite, sa vie, il vous seduisait quand meme comine Toiseau 
qui est fascine par le regard du serpent » T confessait la marquise de La Tour du Pin. Ces femmes qui 
l'entouraient avaient elles-memes de Tesprit. La comtesse de Flahaut, dont il eut un fils adulterin, 
Charles, lui-meme amant d'Hortense de Beauharnais dont il aura aussi un fils, le due de Morny, ce qui lui 
faisait dire : « Dans la farnille, on est batard de pere en fils ! » A quelqu'un qui lui demanda quel etait 
pour lui le comble de roptirrrisme,, il repondit : « Commencer ainsi son testament : "Si par hasard je 
meurs." » Thiers, en conversation avec lui, lui dit un jour : « \fous me parlez toujours des femmes, 
j'aimerais bien mieux parler de la politique », et Talleyrand lui repond : « Mais les femmes, c'est la 
politique. » Et Napoleon en parlant de lui : « II a toujours les poches pleines de femmes. » A une femme 
laide qui lui declare : « 11 parait, monsieur, que vous vous etes vante devoir obtenu rnes faveurs », 
Talleyrand repond : « Oh non. madame. surernent pas vante. Accuse, peut-etre ! » Mrne de Stael. Mine de 
Flahaut et Mine de Gand, toutes passees par son lit, se retrouverent un jour ensemble et Mrne de Stael de 
demander au prince : « Si nous tombions a Teau toutes trois, a laquelle porteriez-vous secours d'abord ? 
- Oh ! Baronne, je suis sur que vous nagez comme un ange ! » Au matin du 1 7 mai 1 838, a Paris, dans son 
hotel de la rue Saint-Florentin, le prince de Talleyrand agonise. II a alors quatre-vingt-quatre ans. Sur son 
lit de mort, cet homme d'Eglise defroque ne se resolut a se faire assister par un pretre que dans sa 
derniere demi-heure. tout en n"oubiiant pas de preciser a Pabbe que lui est eveque ! Un dernier peche 
d'orgueil, chez celui qui ne s'etait pas confesse depuis quarante-neuf ans. 

Vigny ecrivit dans son Journal, le 20 mai 1838 : « M. de Talleyrand est mort. II n'y a en France 
qu'un malhonnete homme en moins. » Louis-Philippe, pensif, aurait dit : « Etes-vous bien sur qu'il est 
mort ? C'est qu'avec Talleyrand^ il ne faut jamais juger sur les apparences, et je me demande quel interet 
il pouvait bien avoir a mourir en ce moment. » 

Celui qui avait ecrit unjour : « Je veux que pendant des siecles on se dispute sur ce que j'ai ete, sur 
ce que j'ai pense et sur ce que j'ai dit » ne croyait pas si bien dire. 



Tardieu, Jean (1903-1995) 

Pour ceux qui ne le connaitraient pas, je vous propose une mise en bouche : 

— « Prenez un mot usuel. Posez-le sur une table bien en evidence et decrivez-Ie : de face, de profil. 



de trois quarts. » 

— « Repetez un mot autant de fois qu' il faut pour le volatiliser et analys-ez le residu. » 

— « Trouvez un seul verbe pour signifier I'acte qui consiste a boire un verre de vin blanc avec un 
camarade bourguignon, au cafe des Deux-Magols, vers 6 heures, un jour de pluie, en parlant de la non- 
signification du monde, sachant que vous venez de rencontrer votre ancien professeur de chimie et qu'a 
cote de vous une jeune femme dit a sa voisine : "Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, tu sais !" » 

Des l'enfance, le petit Jean a eu la chance d'etre berce par un pere peintre et une mere musicienne. 
\foila une vie qui debutait sous les meilleurs auspices. 11 travaille d'abord aux Musees nationaux puis 
chez Hachette. Mais la poesie le taraude et il « se demande sans fin comment on peut ecrire quelque 
chose qui ait du sens ». II participe tres tot a I'activite Iirteraire clandestine de la Resistance, aux cotes de 
Paul Eluard, Pierre Seghers et Pierre Emmanuel, rencontre Queneau et, en 1944, entre a la radio comme 
chef des emissions dramatiques pour le directeur du « Club d'Essai ». On lui doit la creation de « France 
Musique » et L'invention des ateliers d'ecriture. Taraude par le doute existentiel et le questionnement du 
Sphinx, il est persuade que la realite du monde ne reside pas dans les apparences mais dans un arriere- 
planqu'il s'agitdedevoiler, etque les mots portent des fauxnez. 

Meme s'il est d'abord un immense poete, c'est le theatre qui le fera connaitre : Tonnerre sans orage, 
Les Amants du metro, Une soiree en Provence, et des chansons dont la fameuse « Fourmi de dix-huit 
metres » chere a Juliette Greco. 

Tardieu passe le plus clair de son temps a se mystifier lui-meme avec une belle complaisance, 
comme dans les premiers textes du Fleuve cache : « Qui est ici ? Quel est cet inconnu ? De moi a moi, 
quelle est cette distance ? » 

Dans le celebre Monsieur Monsieur, il previent lui-meme qu'« il entend sa propre voix interieure 
moduler des accents grotesques, irreels, a force de niaiserie, et s'il sent son masque parcouru de tics 
nerveux annonciateurs d'une gesticulation idiote et liberatrice, alors il aura gagne ». 

Et un peu plus loin, dans le meme recueil, on trouve cette emblematique Mome neant : 

« Pourquoi qu'a dit rin ? 

Pourquoi qna fait rin ? 

Pourquoi qu'a pense a rin ? 

— A'xiste pas. » 

La force de Tardieu, c'est de defricher Tindistinct en s'amusant : « Quelle joie d'accoupler les mots 
sans lien logique et d'accoupler Ieur assemblage cocasse comme le legendaire garnement parigot qui 
attacliait une casserole a la queue d'un chien et le faisait courir sur le trottoir. » 

Alors, surrealiste, Tardieu ? Pas vraiment : « L'aile du surrealisme m'a frole. Mais je ne suis pas un 
homme d'appareil. Ponge, Queneau, Frenaud ou moi-meme, nous aurions pu faire ecole, mais par un 
souci forcene de la matiere lie au renouvellement du langage, nous avons prefere derneurer des isoles 
voisins [...]. Le surrealisme, comme le pangolin, allongeait une langue emrniellee, et les images-fourmis 
venaient s'y coller d'elles-inemes. » 

Voila qui en dit long sur ce qu'il pensait de Breton et de ses camarades. 

J 'adore ses petits problemes et travaux pratiques de Un moi pour un attire. Une petite comedie jouee 
dans le monde entier, et on comprend pourquoi : 

L 'espace ? 

« Etant donne un mur, que se passe-t-il derriere ? », « Quel est le plas long cherrrin d'un point a un 
autre ? » 

Le temps ? 



« Etant donne deux voyageurs, dont Pun est ne en 1903 et 1* autre en 1890, comment feront-ils pour se 
rencontrer en 1 944 ? » 

La geographic ? 

« Oil la Seine se jetterait-elle si elle prenait sa source dans Ies Pyrenees ? », « Deployez a plat le 
relief de la Suisse et calculez la superficie ainsi obtenue. » 

Et, si vous avez encore un peu de temps, n'oubliez pas de lire un jour La Part de J 'ombre ou 
L 'Jnvenfeur distrait, si vous ne Pavez pas encore fait : « Avant d'avoir fait naurxage, je jouissais d'une 
imagination debordante. . . » 

« A peine eveille, j^inventais un homme, c'etait moi. A partir de ce moment tout devenait possible. » 

Tardieusoitloue ! 



Tati, Jacques (1907-1982) 

SMI y en a un qui a pris son temps, c'est bien lui, en cinquante ans de cinema, seulement six longs 
metrages, sans doute parce qu'il n'a jamais voulu jouer le jeu du cinema dit « comique >\ avec ses gags 
appuyes et telephones. Lorsque, dans Jour de fere, une guepe poursuit le facteur a velo, on ne la voit 
jamais. Tati se contente de faire monter ou descendre le bruit selon qu'elle s'eloigne ou s'approche. On 
rit immediatement des gestes desarticules du facteur. Rien de spectaculaire, mais tout est suggere, sans 
aucun dialogue. Meme trait de genie dans Les Vaeances de M. Hulol, un groupe de plagistes, un maitre 
nageur qui donne des ordres au sifflet, « inspiration, expiration, inspiration », Hulot passe par la, 
demande un renseignement au maitre nageur qui s'interrompt, et Ies autres restent gonfles comme des 
outres. On a souvent compare Jacques Tatischeff a Chaplin, puisque. comme lui, il interpretait le 
personnage de ses propres films, mais il s'en defendait : « M. Hulot est a l'oppose des personnages de 
Chaplin et notamment de Chariot Hulot rC est jamais dans le coup. En revanche, si Chariot se trouve 
devant quelque chose qui le gene, il a des idees, rnodifie ou interprete la difficulte a laquelle il est 
confronte. Hulot n'endosse rien, ne construit rien. » 

II preparait chaque gag avec une precision meticuleuse, chaque gestuelle etait travaillee avec la 
rigueur d'un danseur classique et le son utilise comme un vrai ressort comique. Total nonsense, comme 
dans cette scene de Playtime oil plus le personnage se rapproche du premier plan, plus le bruit de ses pas 
diminue. 




Dans ses films, il detourne Ies objels de leur quotidien pour nous laisser entrevoir l'absurdite de 
noire monde. Dans Playtime^ un embouteillage devient un manege pour adultes, dansMo/r oncle^ Ies 
fenetres d'une villa suggerent un regard qui louche. « Grace a un pouvoir d'observation marque qui est 
peut-etre plus fort comme mon sens de rhumour, je voudrais souligner la survie de l'individu dans un 
environnement qui devient de plus en plus inhumain. » « Je suis, disait-il, un peu comme Don Quichotte. 
Les moulins a vent, ce sont Ies feux rouges, feux verts, fleches, traces, transferts et tunnels, tours et 
sorties. » 

Quelques critiques de l'epoque ne l'appreciaient guere : 

— « Jour de fete est tout au plus un petit sketch et, de surcroit, pas drole du tout » (Claude Lazurion, 
1949). 

— « A quoi bon prendre des gants, s'attendrir sur le souvenir des Vacances de M. Hulot, et ne pas 
dire a ce faux monument national qu'est M. Jacques Tati que Playtime est un navet monstrueux ? 
Depenser plus d'un milliard pour reconstruire une realite qui creve les yeux, perdre deux ans de sa vie 
pour exprimer laborieusement ce que Louis Malle dans Zazie dans le metro ou Godard dans Alphaville 
font comprendre en cinq ou six plans rapides, c'est non seulement inadmissible, mais encore scandaleux » 
(Henry Chapier, 1967). 

Mais a part ces empecheurs de rire en rond. la presse etait unanime. Au sujet de Playtime : 

— « Chef-d'ceuvre du rire » {France- Soir). 

— « Chef-d'ceuvre d'ironie souriante » (Le Pupulaire). 

— « Reussite complete d'un film gagne par la beaute. rhumour » {Le Figaro litteraire). 

— « Si le comique kafkaien restait a creer, c'est chose faite » (Le Figaro). 

— « Chef-d'ceuvre sans precedent qui oblige chaque spectateur a etre son propre psychiatre et a 
reinventer a son tour le comique » (Telerama). 

— « Le rire d'abord. Playtime est un vivier de gags » (Le Monde). 

Et Max Favalelli d'en rernettre une couche : « C'est bien vrai que j'ai ri comme un fou pendant deux 
heures, comme je n'avais pas ri depuis ma naissance. Mais Mon onele n'est pas seulement un chapelet de 
gags. C'est bien autre chose. C'est un film qui va beaucoup plus loin. C'est la satire la plus aigue, la plus 
incisive que Ton ait faite de notre temps. » 

Interroge lors du tournage des Vacances de M. Hulot sur la plage de Saint-Marc, Tati disait avec 
simplicite : « Je traiterai d'un theme general. Je veux que tout citadin qui regardera mon film pour 
150 francs se paie une heure de vacances. » 

On a dit et ecrit qu'Hulot etait une espece de cassure dans le cinema francais d'humour, qui jusque-la 
n' etait que verbal et theatral. C'est exactement <;a, l'homme a la pipe, au pantalon court et chaussettes a 
rayures, ne disant jamais rien de comprehensible, sauf quand on lui faisait repeter son nom. Pour moi, 
Buster Tati ou Jacques Keaton, c'est selon, reste Fun des pionniers incontestes du cinema. 



Television, La 

II faut rernonter, je crois, en 1955 pour trouver la trace de la premiere veritable emission de 
television hurnoristique, presentee par Jacques Grello, Robert Rocca et Pierre Tchernia : « La Boite a 
sel », oil on retrouvait Paul Preboist et la troublante Dora Doll. C'etait aussi la premiere emission 
satirique qui dut se saborder en I960, pour avoir refuse la censure qu'on lui imposait, guerre d'Algerie 
oblige. 

En 1964, c'est la « Camera invisible » de Jacques Rouland, avec le sympathique moustachu Jacques 
Legras. De grands moments de television amusants, inspires par le succes de la serie americaine Candid 



Camera creee en 1948. C'est au debut des annees 1960, dans les premieres emissions dites de 
« varietes », que Ton voit apparaitre un trublion qui fera parler de lui : Jean-Christophe Averty. Ne en 
1928, passionne par la 'pataphysique, il ne cesse de braver 1 'opinion publique et le patron de l'ORTF, en 
passant par exemple un bebe a la moulinette dans sa serie Les Raisins verts. Critique comme « rnaboule 
de la tele », ou « zinzin » du petit ecran. il reussit a inventer une nouvelle ecriture televisuelle qui sera 
reconnue et consacree par de nombreux prix, dont le fameux Emmy Award aux Etats-Unis. 

De 1967 a 1970, c'est la television de divertissement qui prend le relais, sous la houlette du couple 
Mari tie et Gilbert Carpentier. Les invites, parmi lesquels Jacqueline Maillan, Dairy Cowl, Roger 
Carel ou Jose Artur, jouent des sketches souvent improvises. C'est une premiere. 

On entre ensuite dans le vif du sujet humoristique, avec « Le Petit Rapporteur », cree par Jacques 
Martin, entre Janvier 1975 et juin 1976, le dimanche a 13 h 20 sur TF1. Ce sera ensuite « La Lorgnette » 
sur Antenne 2, de 1977 a 1978, mais cette fois sans Desproges. Le concept de ce vrai-faux journal 
televise, dont rhymne de reconnaissance etait « La peche aux moules » et le slogan du Beaumarchais. revu 
et corrige par Martin : « Sans la liberte de flatter, il n'est pas d'eloge blameur. » L'equipe est composee 
de joyeux drilles, dont Stephane Collaro, Pierre Bonte, Piem, Pierre Desproges et Daniel Prevost, un 
exceptionnel comedien, pour lequel j'ai un vrai penchant. J'ai appris a le connaitre dans les Salons du 
livre, car, meme s'il n'a que peu ecrit (cinq livres), c'est un vrai ecrivain, ne serait-ce que pour Le Pont 
de la revolte (1995), oil il devoile avec pudeur ses racines kabyles qui lui viennent de son pere et qu'il a 
decouvertes sur le tard. Daniel, ne en 1939, a veritablement explose dans ses premieres apparitions au 
« Petit Rapporteur », apres des etudes dans un lycee « qui ne se souvient pas de son passage », un 
premier prix de comedie au Centre d'art dramatique et des apparitions chez Jean-Christophe Averty et 
dans des sketches de la « Camera invisible ». 

Le tandem qu'il forme avec Desproges dans remission de Jacques Martin est cocasse : une bataille 
de boudins blancs dans une charcuterie, la visite du village de Montcuq, qu'il prononce « Mon cul », et 
l'irresistible interview de Francoise Sagan, a qui les deux larrons demandent d'entree de jeu : 
« Coinment ga va la petite sante ? » Autre moment de gloire, la chansonnette poussee sous les fenetres du 
ministre de l'lnterieur Michel Poniatowski, leur tete de Turc : « Adieu Ponia, on t'aimait bien. » Daniel 
Prevost a tourne dans des dizaines de films, dont quelques-uns assez serieux, Uranus ouLe Colonel 
Chaheri, meme si Ton retient avant tout sa prestation dans Le Diner de eons de Francis Veber, ou il 
campe un inoubliable controleur des impots, Lucien Cheval. On dit de Prevost que son humour a froid est 
inquietant et qu il est d'un abord difficile. Je pense plutot que c'est un grand sensible qui se protege 
comme il peut, derriere une sournoiserie de fagade. 

En 1982, Jean-Michel Ribes imagine sur FR3 Merci Bernard. Gros succes de ce format de vingt-six 
minutes, qui inspirera Palace* dans un univers kitsch et decale, truffe de situations absurdes, qui, d'apres 
Le Nouvel Ohservatew\ font « hurler, hoqueter et pleurer de rire ». 

A la meme epoque, toujours sur FR3, c'est « La Minute necessaire de M. Cyclopede », de Desproges 
et Fournier, et autre innovation, cette fois sur Antenne 2, « Le Petit Theatre de Bouvard », en concurrence 
sur TF1 avec « Le Bebete Show » de Stephane Collaro. D'un cote. Bouvard proposait un banc d'essai de 
jeunes comediens, dont certains ont fait grace a lui de brillantes carrieres : Les formidables Inconnus, 
Chevallier et Laspales, Jean-Frangois Derec, Bruno Gaccio, Didier Benureau ou Gustave Parking, de 
r autre, chez Collaro, c^est une equipe de comediens de qualite, dont Jean Roucas et Claire Nadeau, que 
Ton decouvre avec plaisir. 

Quant a « La Classe » de Guy Lux, animee par Fabrice, elle a permis comme chez Bouvard a des 
eleves huinoristes de faire « Ieurs classes », et de se faire connaitre : Pierre Palmade, Jean- Jacques 
Vanier, Anne Roumanoff, Elie Kakou ou Didier Gustirt 

Nous sommes en 1987, et Ton decouvre sur Canal + un quatuor de zozos particulierement doues, qui 
vont nous faire rire tous les soirs, avec le « JTN, Journal Televise Nul », dans « Nulle part ailleurs ». 



Les Nuls debordent d'imagination avec leurs fausses nouvelles, leurs fausses pubs et leur fausse meteo. 
Le regrette Bruno Carette, la piquante Chantal Lauby, le meteorologue Dominique Farrugia et le 
presentateur Alain Chabat, qui ponctue les reportages bidons par « de bien belles images que Ton 
aimerait voir plus souvent », sont de vrais innovateurs, meme s'ils se croient parfois obliges d'user un 
peu trop de « foufounes » et de « bites », en precisant en outre qu'il ne faut pas confondre « tourte aux 
cailles » et « larte auxcouilles »... Scatos ounon, ils accumulent les recompenses, dont un Septd'or. 

Un an apres Les Nuls, on decouvre, toujours sur Canal +, celui avec lequel le PAF va devoir 
compter. Karl Zero, que Ton retrouvera presque partout, que ce soit dans « Nulle part ailleurs », ou il 
realise de nombreux sketches, « avec trucages », et ou il egratigne souvent avec fracas et en plein delire 
les grands de ce monde. Karl Zero, e'est rhomme de « Zerorama », en 1988, ou il pastiche avec talent 
des actualites en noir et blanc des annees 1950. 

Quand il est question de l'ami Zero, de son vrai nom Marc Tellenne, ne en 1961, il est difficile de ne 
pas citer le reste de la famille, Bruno Tellenne, altos Basile de Koch, Eric Tellenne, alias Raoul Rabut, 
Daisy d'Errata, epouse de Karl, et Frigide Barjot, epouse de Basile, une joyeuse bande a l'origine d'un 
groupe politico-deconnant, Jalons, cree en 1970. Bien que ce « groupe d'intervention culturelle », issu de 
Septembre nul, n'ait presque rien a voir avec la television, e'est F occasion de saluer leurs travaux et 
leurs parodies de haul niveau. 

Basile de Koch, proche de Charles Pasqua et de Poniatowski, cultive un cote vieille France 
anarchiste de droite, parfois derangeant, mais son veritable engagement parait beaucoup plus 
humoristique que politique, et ce n'est pas plus mal. De Koch a imagine pour sa bande des pseudonymes 
farfelus : Freddo Man Non Troppo, Dr Sam Bloch, Harry Vederchi, I'abbe Noragy ou Tony MozzarelLa. 
Specialistes des parodies de la grande presse : Franche-Demence, Coin de Rue-Images Immorules, Le 
Figagaro, Le Monstre... Ils sont aussi imbattables pour creer des associations qu'ils sont censes 
soutenir : Medecins sans scrupules ou la Ligue pour la propagation du cancer, et pour organiser des 
actions coups de poing originales. En 1988, par exemple, e'est une « manifestation contre le froid au 
metro Glaciere » a Paris, aux cris de : « Verglas assassin, Mitterrand complice », ou contre le film Roger 
Rabbit : « insultant pour les rongeurs », le tout sur fond d'« Internationale », chantee sur Fair de « La 
Marseillaise », ou de leur groupe rock Les Dead Pompidou's, a moins que ce ne soit avec la chorale 
maison, Hoquet Chorale. 

Enfin. rhumour a la television francaise ne serait pas ce qu'il est sans les deux grands viviers de 
Laurent Ruquier, d'une part, et Canal +, d 1 autre part. 

Les complices de Ruquier sont si nombreux qu'il est difficile de les citer, que ce soient ceax issus de 
« Rien a cirer », sur France Inter, ou « On a tout essaye », sur France 2. On doit beaucoup a ce Lucky 
Luke du calembour, ne a Rouen en 1963. Un bourreau de travail et un formidable entraineur d'hommes et 
de femmes, sachant miea\ que personne deceler les nouveaax talents, grace a un flair incomparable et un 
sens aigu de la derision, lui qui se dit admiratif de Pierre Doris et de Jean Yanne. 

C'est sans doute grace a Andre Rousselet, son fondateur, que Canal + est devenue en 1984 la 
championne des chaines, en y insuftlant, avec Taide de Pierre Lescure, une vraie liberte d^invention ; 
pour lui, une chaine payante se devait d'etre differente, face a des chaines publiques croulant sous les 
lourdeurs administratives. 

Le premier grand succes de Canal +, ce sont bien sur « Les Guignols de Pinfo », en 1988. Les 
celebres marionnettes en latex voulues par Alain de Greef. dont de redoutables imitateurs prennent !a 
voix, pour parodier le monde politique et les people, sont aussi craintes que Le Canard enckatne. Jean- 
Eric Bielle, puis Beatrice Belthoise, Jean-Luc Reichmana Sandrine Alexi, rhomme aux cent voix Yves 
Lecoq, Nicolas Canteloup, Thierry Garcia et Marc-Antoine Le Bret font un tabac. II faut dire quils ont a 
leur disposition un trio d'auteurs de choc, Bruno Gaccio, Benoit Delepine et Jean-Francois Halin, grace a 
qui, eta leurs successeurs, remission est encore tres tendance en 2012. 



C'est une veritable institution pour mesurer la temperature de Topinion publique, tout en n'hesitant 
pas a ironiser sur Ie sac a main de Bernadette Chirac ou a « guignoliser » des personnalites qui 
apprecient plus ou moins : Jacques Calvet, le P-DG de Peugeot, ou Richard Virenque, « a l'insu de son 
plein gre ». Mais la « guignolisation » n'est pas toujours negative, puisqu'il paraitrait que la marionnette 
de Jacques Chirac, en 2002, ridiculise en « Super Menteur », aurait contribue a son election, tant le 
personnage apparaissait sympathique, sans doute aussi « a l'insu de son plein gre »... 

Canal +, c'est egalement une des meilleures cellules de reperage de talents. Depuis des annees, 
Christelle Graillot veille au grain et va denicher ou qu'elles se trouvent les forces vives, pour nourrir 
cette antenne, ou rhumour est prioritaire au meme titre que le cinema ou Ie fool : Jamel Debbouze, 
Edouard Baer, Francois Damien, Louise Bourgoin, Julie Ferrier, qui assurait des chroniques aux cotes de 
Stephane Bern, Michel Hazanavicius et des auteurs a la plume tres aceree, Alexandre Chariot, Franck 
Magnier, Lionel Dutemple, Ahmed Hamidi. Julien Herve et Laurent Vassilian. 

Canal +. c'est aussi Kami Raphael Mezrahi, Omar et Fred, Jules-Edouard Moustic et son equipe de 
Groland, et meme un societaire de la Comedie-Francaise, Guillaume Gallienne, qui s'est laisse seduire 
pour notre bonheur dans « Les Bonus de Guillaume ». 

Last but not least, Les Robins des bois : de grands ados a l'humour plutot pipi-caca, mais parfois 
gentiment caustique, avec deux comediens qui ont depuis explose, a juste titre, Marina Fo'is et Jean-Paul 
Rouve, et « Bref », un bon programme court, avec un comedien qui est une revelation, Kyan Khojandi. 

Bref, c'est le cas de le dire, je pense qu*en matiere d'humour a la television. Canal + tient la corde. 
Reste a savoir si la chaine cryptee pourra rester longtemps la championne de rhiunour corrosif. Pour 
1" instant, cela semble en bonne voie, malgre la concurrence de la tele numerique, meme pour « Le Grand 
Journal », dont le peu d'insolence est largement compense par Tirreverence de Yann Barthes et de son 
« Petit Journal ». 



Thackeray, William (1811-1863) 

William Thackeray, ne a Calcutta, renffe au Royaume-Uni apres le deces de son pere. U passe 
quelques annees au Trinity College de Cambridge et part rouler sa bosse en Europe continentale avant de 
cumuler des experiences professionnelles et universitaires malheureuses. II s'epanouit enfin, grace au 
magazine Punch, pour lequel il redige une chronique sur les snobs. Perturbe par Tetat depressif de sa 
femme, qui finira ses jours dans un hopital psychiatrique, il se lance avec succes dans la redaction de 
fresques satiriques. La societe victorienne, ou Ton « donne de l'importance aux choses sans 
importance », y est vivement critiquee. 

Parrni ses romans, outre les fameux Memoires de Bar/y Lindotu La Foire aux Vanites s'impose avec 
ses sept cents pages qui en ont fait bailler plus d*un. Pourtant, William Thackeray a des circonstances 
attenuantes, son pave a d'abord ete ecrit sous forme de feuilleton pour Punch. Resultat : soixante 
chapitres et une foison de personnages qui, en sitcom, auraient fait un beau record d'audience, car malgre 
sa longueur, il s"agit d'un rotnan passionnant et extremement moderne, en tout cas beaucoup plus que ceux 
de son contemporain Charles Dickens. 




Le titre choisi par Thackeray est inspire par le roman allegorique The Pilgrim s Progress de John 
Bunyan (1628-1688) ou le pelerin traverse la ville de Vanite. La il peut se procurer chateaux, titres de 
noblesse, royaumes, bijoux, etc. Comme sur eBay. Son sous-titre : Un roman sans hems, des 
personnages aussi futiles les uns que les autres qui se complaisent dans un rnonde de faussetes, 
d'apparences et de flatteries. Obsedes par la reconnaissance sociale et par Targent, ils n'aiment qu'eux- 
memes et sont prets a balayer vraies valeurs et principes moraux pour briller. II n'y a pas de gens bien, 
sauf peut-etre William Dobbin, le seul a « regarder les gens en face avec la meme bienveillance et la 
meme humanite, qu'ils soient importants ou modestes ». 

Parmi les autres, imbus d'eux-memes, on trouve : un obese, Joseph Sedley, qui comprime son 
embonpoint dans des gilets barioles trop etroits, un egoTste, George Osborne, qui emprunte de l'argent 
pour s'acheter une epingle a cravate au lieu d'ofirir un cadeau a sa fiancee, un vieillard sale et vulgaire, 
sir Pitt Crawley, qui a besoin de trois valets pour lui servir son maigre repas de mouton bouilli, et un bel 
hypocrite, son fils, Pitt Crawley Jr. 

Les femmes ne sont pas epargnees, sauf la terne Amelia, enfant docile puis epouse effacee, en qui 
Thackeray voit « un charmant petit parasite ». Quant a Rebecca Sharp, Becky, arnbitieuse et sans 
scrupules, qui cherche a se placer dans la high society, elle pourrait etre la cousine de Rastignac. Sans 
naissance ni fortune, elle manipule les hommes et les creanciers de son rnari, joueur malheureux. Dans ce 
monde ou on ne cherche qu'a garder ses privileges ou a les acquerir, on triche, on s'acoquine, on se 
desherite et on se trahit. Sans violence, sans eclats de voix. On ne crie pas, on ne se laisse jamais aller. 
La vanite n'aime pas la franchise. Les evenements majeurs de Fhistoire anglaise sont relegues au second 
plan pour devenir un simple element du decor, quoique George Osborne, le mari d' Amelia, meure quand 
meme a Waterloo. 

Et puisque toute satire est accompagnee d'un message, Thackeray intervient frequemment aupres du 
lecteur, ce qui me semble indispensable vu Tepaisseur du Iivre. II montre ainsi son degout pour une 
societe qui vante la debrouillardise a tout prix. Et ce monde, « miroir qui renvoie a chaque homme le 
reflet de son propre visage », est reste le meme. Uunivers impitoyable de la corruption n^a pas change. 
Cest pour cela que Becky Sharp est devenue Thero'ine du film Vanity Fair, sorti en 2005. La Foire anx 
Vanites a la tele ou au cinema ? Je vous disais bien que Thackeray etait le roi des sitcoms.. . 



Thurber, James (1894-1961) 

James Thurber est un homme pluriel, chroniqueur, editorialiste, illustrateur, il a cumule les talents qui 
ont fait de lui un vrai humoriste. Je regrette qu'il soil peu connu en France. 



II a travaille quelques annees a Paris, a Pambassade americaine. Pendant la meme periode (1918- 
1921), il etait egalement correspondant pour 77/e Chicago Tribune. Ses qualites de journaliste y fiirent 
vite appreciees, completees par la redaction de textes pleins d'hurnour. Ajoutons a son palmares un coup 
de crayon tres sur, qui a fait de lui un precurseur de la caricature. Recrute des 1927 par Jlie New Yorker, 
il devint Tun des piliers du magazine auquel il fournit nouvelles humoristiques et croquis pendant plus de 
vingt ans. II y decrit des gens ordinaires. englues dans leur quotidien, qui ont seulement leurs fantasmes 
pour survivre. Les animaux aussi Pinspirent, probablement parce quails ont les rnernes reves que nous : 
un phoque attire par les feux de la rampe, un corbeau amoureux d'un moineau ou un loup qui essaie de 
pieger une petite fille. 

Lorsqu'il etait enfant, son frere Pa rendu borgne en jouant a Guillaume Tell. Malvoyant de Poeil 
restant, on peut se demander comment sa carriere de dessinateur a pu etre possible. II a tout de rnerne 
reussi a sublimer sa vision floue des choses, et dans un de ses Y\vres 9 L'Amiral sur fa bicyclette (1937), 
on lit que : «Celui dontla vision est parfaite est enferme dans le monde de tous les jours, ilestprisonnier 
de la realite, aussi perdu que Robinson Crusoe sur son ile deserte. » Quand il eut trop de problemes pour 
dessiner, il continua en dictant ses nouvelles. 

Fin observateur de ses proches, la vie de couple et ses aflres a alimente la plupart de ses textes. 
Lorsque la mono tonic des relations conjugales devient insupportable, seule la flute dans Pimaginaire 
permet de survivre. On peut partir dans les reves les plus loufoques, Walter par exemple (dans La Vie 
secrete de Waller Mitty, 1939) se jette dans des divagations les plus folles. II suffit que sa femme aille 
chez le coiffeur ou au supermarche pour qu'il decolle, et il devient tour a tour capitaine de navire, 
chirurgien, pilote, prisonnier devant un peloton d'execution... Que du grandiose, que de Pexceptionnel. 
Parfois Pantiheros ne se contente pas de fabuler et son imagination devient alors une arrne pour se 
debarrasser de sa femme. Dans La Licorne aujardin (1940), il ne garde pas ses hallucinations pour lui. 
c'est a son epouse qu'il decrit P animal a la corne d'or qui mange les roses, les tulipes et les lis de son 
jardia Sa femme. pour qui tout reveur est un fou, veut le faire interner, mais quand il niera avoir vu un 
animal qui n'existe pas, c'est elle qui aura droit a la camisole de force. 

Dans un de ses croquis. House and Woman, la maison et la femme ne font qu^un. El les sont enormes, 
effrayantes. Le bonhomme miniature semble paralyse. II recule. II n'ose pas entrer dans ce sanctuaire 
surdimensionne, domine par un visage enonne au regard mechant 

II est evident que pour Thurber toutes les femmes sont des megeres. Quant aux petites filles. leur 
naivete n'existe que dans les contes de fees. D'ou cette histoire du Petit Chaperon rouge revue et 
corrigee. La Petite Fille et le Loup ( 1940), ou la jeune heroine s'apercoit tout de suite de la supercherie : 
« Car meme avec un bonnet de nuit un loup ne ressemble pas plus a votre grand-mere que le lion de la 
Metro-Goldwyn ne ressemble a Calvin Coolidge. » La fillette sort un pistolet de son panier et tue le loup. 
La morale ressemble a un avertissement : on ne peut plus faire croire n'importe quoi aux petites filles. 

Je ne terminerai pas cet hommage sans evoquer cette remarquable Parahole en image, La Derniere 
Flew (1939), traduite en 1952 par Albert Camus. Une histoire sans fin, de guerre devastatrice, de 
survivants desesperes et d'une fleur, sauvee par une jeune fille. Peu a peu la nature renait, on redecouvre 
P amour, on fait des enfants, on construit des maisons puis des villes, mais la jalousie prend le dessus. 
D'ou une autre guerre. Qui detruit tout. Sauf une fleur. 

On a dit a juste titre que son style repute difficile a definir se rapprochait de celui d'Alexandre 
Vialatte. Et c'est ainsi que Thurber est grand. 



Titres 



C'est la denomination que l'auteur d'une ceuvre choisit pour designer sa production. Jusque-la, rien 
d'anormal, mais lorsque ce titre est aussi excentrique, bizarre, imprevu, extravagant, baroque, cocasse 
que saugrenu, il peut vous laisser hebete, mais aussi fou de bonheur, si Ton se plait comme moi a traquer 
1'insolite ou qu'il se trouve. Ainsi, voici mon florilege personnel, minutieusement constitue au gre de mes 
recherches enbibliotheques : 

— Plaidoyer contre I 'introduction de codettas ou ceintures de chastete, 1750. 

— Dii soulevement et de la cauterisation profonde du cul-de-sac retm-uterin dans les 
retroversions lie la mat rice ; 1858. 

— Trait e de la dissolution du man age pour cause d'impuissance, avec quelques pieces curieuses 
sur le meme sujet, 1735. 

— De ia guerison des fievres intermittentes et larvees au moyen de I 'os de seiche et de I 'ecaifle 
d'huitre, 1864. 

— Playsant quaquet et resjuyssances desfemmes pour que leurs maris n 'aillent plus ivmgner en 
taverne, 1553. 

— Almanach des cocus ou Amusements pour le beau sexe, 1 74 1 . 
— Le Devoir de I armee dans la lutte contre I 'alcool, 1 90 1 . 

— L'Histoired'un giant, ecrite par tin nam, 1755. 

— L'Homme, singe degenere, notes et impressions d'un singe a travers le monde ancien et 
moderne, 1893. 

— La Vie d'Adam, traduction du chevalier de Mailly, 1695. 

— L'Aine humaine et sa demonstration clinique ou medicale mise a la portee des gens du monde, 
1874. 

— Essai sur les moyens de procreer des en/ants d f esprit, 1810. 

— De I 'influence des queues de poisson sur les ondulalions de la met\ 1895. 

— Le Plaisir ineffable de la comptabilite, 1966. 

— Etude sur la crampe des ielegraphistes, 1927. 

— Le Sexe apres la mort, 1 983 . 

— Pourqttoi Jesus etail-ll un homme et pas unejemme, 1914. 

— L 'Heure des marees dans la mer Rouge comparee avec le passage des Hebreux, 1 755. 

— Des merveilleux ejfets de la vis d'Archimede, 1820. 

— De la cottrbe que decrit un chien courant apres son maitre, 1927. 

— Le Sadisme oral et la Personnalite vegetarienne, 1926. 

— Le Guide du pickpocket (Tfieorie et pratique), 1946. 

— Heureuse bien que mariee, 1922. 

— Le diahle existe-t-il et que fait-il ?, 1 863. 
— L 'Eloge du sein desfemmes^ 1801 . 

— La Pogonotomie ou I 'Art d 'apprendre a se raser soi-meme, 1 769. 

— Comme quoi Napoleon n 'a jamais existe, 1827. 

— Guide a I 'usage des chiens ampules, 2002. 

— La Vie et I 'Amour dans I 'aquarium, 1 934. 

— Comment profiler de son camel eon, 1938. 

— Construisez voire cercueil en kit, 1997. 

— Pourquoi Jesus n 'a jamais ecrit de livre, 1932. 

— La Vierge Marie est-elle morte en Angleterre ?, 1985. 



Topor, Roland (1938-1997) 

II parait que le petit Roland, oui, il avail un prenom, des Page de irois ans, gravait dans la puree, a la 
fourchette, des repliques de tableaux de Paul Klee, ce qui laissait sa famille emerveillee. Elle avait 
raison, car celui qui allait se rendre celebre en etant a la fois dessinateur, peintre. ecrivain, poete, 
ehansonnier et cineaste n'allait pas la decevoir. Le denominateur commun de toutes ces activites : 
montrer cornbien Punivers est mal fait. 

J'ai decouvert Topor dans les annees 1980 en lisant Les Memoires d'un vieux con, une parodie aussi 
delicieuse que vache de ce genre litteraire qui est une veritable plaie : les memoires pretentieux. 
Jusqu'alors, je pensais qu'il n'etait que ce dessinateur de talent, certes, mais dont le trait faussement naif 
qui rendait Timage inquietante avec ses monstres graphiques, souvent grotesques, ine mettait mal a 1'aise. 

N'enpeche que rhomme au chapeau melon et aux yeux en « asteroi'des » restera pour moi ce genial 
« vieux con », qui raconte « avoir couche avec Sarah Bernhardt, bu des coups avec Lenine, papote avec 
Levi-Strauss et invente le cubisme sous le nez de Picasso ». II hai'ssait la lettre « p », qu'il considerait 
comme la bete noire de 1'alphabet. Jugez plutot : politique, police, pouvoir, poubelle, public, pollution, 
pourriture, pompes funebres, pretre, prix, paiernent, protocole, peine de mort, punition, prepose, 
parlement, prison, peche, pestilence, patrie, pape, patron, promotion, publicite, possession, piege, parti, 
puritain, potence, procession, pruderie, procureur. partouze, piete, percepteur, progres, etc. Seul le « p » 
de poesie trouvait grace a ses yeux. 

Peu de temps avant la fin de sa vie assez breve, il avait commis un recueil inedit de trente-trois 
nouvelles, Vaches noires, oil il se concentrait, comme Texpliquait son editeur, sur tous les themes qui lui 
etaient chers : « Talienation par les choses et Targent, la monstruosite et la decheance physique, la 
hantise du temps qui file et de la mort qui rode. Le tout baigne dans cet humour noir grincant, ce sens inne 
du grotesque, cette fantaisie tantot potache, tantot inquietante, qui furent la marque de Tauteur ». 

Francois Rollin, qui fut son ami et coauteur, en 1996 a la television, d'une sequence d'une minute 
pour exprimer une pensee personnelle et originale, se souvient : « Topor prenait acte de Timpatience que 
nous avions tous de Fannee 2000. II s'avouait lui-meme inpatient et proposait que, pour gagner du temps, 
pour tromper rintenninablc attente, on saute sans vergogne les annees 1997, 1998 et 1999. qui ne 
serviraient manifestement a rien, qui ne presentaient aucun interet particulier et qu'on aille directement en 
2000, C'etait bien une idee de gosse, une idee libre et magique a la Topor. Et visionnaire, 
malheureusement. Parce que si on avait ecoute Topor, il aurait eu le plaisir de saluer l'annee 2000. Mais 
il est mort en 1997, la premiere de ces annees terribletnent superflues. » 

Et pourquoi avait-il choisi ce titre pour ce recueil de nouvelles ? Parce qu'il detestait les vaches 
noires, et il avait ses raisons : « On pretend qu'elles regardent passer les trains d'un air idiot, \fous 
croyez que c'est par hasard que les trains deraillent ? Que les gens se jettent sous les locomotives ? Qu'il 
y a des retards inexplicables a la SNCF ? Des greves ? Qu'il faut faire des heures de queue pour acheter 
un malheureux billet ? Le vrai probleme des chemins de fer, ce sont les vaches, surtout les vaches 
noires. » 




Twain, Mark (1835-1910) 

Ne en 1835 dans le Missouri, avec le passage de la comete de Halley, il est mort coirure il en avait 
fait le vceu, avec le « repassage » de la comete. Ce qui expliquait pourquoi il se disait « mysterieux et 
peut-etre surnaturel visiteiir venant d'autres lieux ». Et lorsque Ton parle de Iui, on peut se demander s'il 
ne s'agit pas de quelqu'un d'autre : « Mon berceau, dit-il, flit place a cote de celui d'un autre enfant. Et 
Tun de nous est mort. Je n'ai jamais su lequel est vivant, si c'est moi ou si c'est lui... » En fait, il ne 
s'appelle pas Mark Twain mais Samuel Langhorne Clemens. II doit son pseudonyme a son sejour dans un 
show boat sur le Mississippi. « Mark Twain ! », criaient Ies pilotes en lancant la sonde pour verifier la 
profondeur de I'eau, ce qui signifie : « Marques-en deux ! » 

Apres avoir ete typographe, chercheur d'or, pilote de steamer, negociant en bois et conferencier : 
« Mesdames, messieurs, Shakespeare est mort. Swift est mort, Moliere est mort. Et moi-meme je ne rne 
sens pas tres bien ! », Mark Twain debute dans le journal isme et, des la publication de son premier texte. 
La Celebre Grenouille sauteuse du comte de Calaveras, c'est le succes. 

C'est surtout grace a ses deux romans, Les Aventures de Tom Sawyer (1876) ciLes Aventures 
d 'Huckleberry Finn (1885), qu'il connait ensuite la celebrite. 

Pour Hemingway, Huckleberry Finn « est le meilleur livre que nous avons eu. Tout ce qui s'ecrit en 
Amerique vient de la. II n' y a rien eu avant II n'y a eu rien d'aussi bon depuis ». 




Cest dansLe? Voyage des Innocents qu'apparait veritablement Twain Thumoriste : une equipe de 
touristes americains embarquent pour une croisiere de douze mois sur le Quaker City, premier voyage 
organise de l'histoire du tourisme pour parcourir une partie de TEurope, Constantinople, la Crimee et 
TEgypte. Et voila que Ton assiste a un florilege d' anecdotes cocasses sur le Vieux Monde. Twain s'en 
donne a cceur joie : les Francais sont sales, Ies Italiens sont fourbes, les Grecs voleurs, etc. 



— « Le vin allemand se distingue du vinaigre grace a r etiquette. » 

— « Les vaches sacrees font les meilleurs hamburgers. » 

— « La France rTa ni hiver, ni ete, ni principes ; mais exception faite de ces trois inconvenients, c'est 
un beau pays. » 

Rien ne lui resiste, ni les grands maitres ni les grandes figures du passe, pas meme Michel-Ange : 

« A ce propos je voudrais dire un mot sur Michelangelo Buonarroti. Autrefois, je venerais le grand 
genie de Michel-Ange, cet homme qui fut grand en poesie, en peinture, en sculpture, en architecture, grand 
dans tout ce qu'il entreprit. Mais je ne veux pas de Michel-Ange au petit dejeuner, au diner, pour le the, 
au souper et entre les repas. J'aime changer de temps en temps. A Genes, il a tout dessine ; a Milan, tout a 
ete dessine par lui ou par ses eleves ; il a dessine le lac de Come ; a Padoue, Verone, Venise, Bologne, 
de qui nous ont parle les guides, sinon de Michel-Ange ? A Florence, il a tout peint, il a presque tout 
dessine, et ce qu'il ne dessinait pas il le regardait assis sur une pierre et on nous a montre la pierre. A 
Pise, il a tout dessine sauf la fameuse tour, et on la lui aurait attribute si elle n'avait pas ete si 
effroyablement hors de la perpendiculaire. [...] Mais ici c'est effrayant. II a dessine Saint-Pierre ; il a 
dessine le pape ; il a dessine le Pantheon, I'mriforme des soldats du pape, le Tibre, le Vatican, le Colisee, 
le Capitole et la roche Tarpeienne, le palais Barberini, Saint-Jean-de-Latran, la campagne romaine, la 
voie Appienne, les Sept Collines, les thermes de Caracalla, Taqueduc de Claude, le Grand Cloaque [...]. 
Assez, assez, assez ! N'en dites pas plus ! Resumez ! Dites que le Createur a fait l'Etalie d'apres des 
plans de Michel-Ange ! » 

Que les guides soient egyptieas ou italiens, les joyeux croisieristes les surnomment tous Ferguson, 
ceux a qui ils posent toujours la meme question : « Est-il mort ? » 

Les mythes illustres y sont decrits comme des mensonges : bains turcs, barbiers parisiens et vendeurs 
de morceaux de la vraie Croix et des veritables clous que les eglises de tous pays proposent aux 
touristes. Cinq cents pages de bonheur, un « pique-nique dans TAncien Monde », ou la description plutot 
sympathique des employes de Cheminde fer francais de I'epoque a encore de quoi faire rever. 

Mark Twain, c'est aussi une plethore de savoureux aphorismes : 

— « Octobre est un mois particulierement dangereux pour speculer en Bourse. Mais il y en a 
d'autres : juillet, Janvier, septembre, avril, novembre, mai, mars, juin, decembre, aout et fevrier. » 

— « Le fait de turner trf a sauve la vie, Chaque fois que je vais rnal, le medecin me supprime le 
cigare. Et je gueris ! Oil en serais-je si je n'avais pas fume le cigare ? » 

— « On pourrait citer de nombreux exemples de depenses inutiles. Les murs des cimetieres : ceux qui 
sont dedans ne peuvent pas en sortir, et ceux qui sont a Texterieur ne veulent pas y entrer. » 

— « Quelle est la difference entre un taxidermiste et un percepteur ? Le taxidermiste ne prend que la 
peau. » 

— « Je choisirai le paradis pour le climat, et 1'enfer pour la compagnie. » 

— « Le Francais est le chainon manquant entre rhomme et le singe. » 

— « Le lit est Fendroil le plus dangereux du monde, quatre-vingt pour cent des gens y meurent. » 

— « Une heroine est une jeune fille avec qui il est parfaitement agreable de vivre dans un Iivre. » 
Apres des episodes farrriliaux douloureux, mort de sa femme et de deux de ses filles. arrive a la fin de 

sa vie « courbe cornme une parenthese », £1 n'ecrivait plus que dans son lit sans perdre son humour 
legendaire : « Je n'ai pas toujours ete indulgent. Et si vous trouvez dans mes ceuvres des attaques 
personnelles, lisez-les avec prudence. (Mais lisez-les : une rosserie fait toujours plaisir !) » 

Mark Twain se defendait d'etre un humoriste, il voulait apparaitre coinrne un ecrivain, en cherchant a 
depasser la chronique journal istique ou il excellait pourtant. Obsede par un certain pessimisrne social et 
du fait meme par Dickens, il decrit parfaitement les problemes de rAmerique preindustrielle. Mais chez 
lui, le discours incongru retrouvait toujours ses droits. 

Tom Sawyer souhaitait pouvoir « mourir temporairement ». Mark Twain, lui, souhaite une mort 



definitive : « Je suis venu avec la comete de Halley et j'espere qu'elle nvemportera avec elle. » 
II ne croyailpas si biendire et meurtla veille du passage de la comete, le 21 avril 1910. 



Vialatte, Alexandre (1901-1971) 

Quelques jours apres sa mort, le 3 mai 1971, Jean Dutourd ecrivait : « La mort d'un des plus grands 
ecrivains de notre temps, Alexandre Vialatte, est passee completement inaper9ue. Stendhal est mort ainsi, 
et Flaubert, et Gobineau. et vingt autres. Pendant qu'on les enterrait a petit bruit, les journaux litteraires 
etaient pleins d'auteurs dont les noms ont sombre aujourd'hui. Et quand ces noms-Ia sont restes, c'est 
pire : une gloire excessive se paie par beaucoup de ridicule posthume. [...] Dans une trentaine d'annees, 
le modeste, l'obscur Vialatte sera mis a sa place, qui est immense, et divers grands hommes d'a present 
paraitront bien incroyables. Toute epoque a mauvais gout, la notre comrne les autres. Mais on ne le sait 
que trente ans plus tard. » 

Pour moi, Vialatte. que Desproges considerait comme Tun des ecrivains « les plus doues de sa 
generation, voire duxx^ siecle », est Phornme qui nva le plus inspire, celui pour Iequel j *ai de la 
veneration et que j'ai toujours reve d'imiter, en vain. Vialatte, qui disait de lui qail etait « notoirement 
meeonnu » et qui definissait rhomme comme « un animal a chapeau mou qui attend r autobus 27. au coin 
de la rue de la Glaciere », est la preuve incontestable que \e nonsense n'est pas une exclusivite anglo- 
saxonne. Non, messieurs les Anglais, vous n'avez pas le monopole du nonsense ! Ce personnage bien 
francais, auvergnat et amoureux de Tetrange et du saugrenu, est probableinent Tun des meilleurs 
observateurs de son epoque, tout en faisant croire qu'il n'y comprenait rien. 

Ce fils de militaire dont les ancetres etaient agriculteurs. originaires du hameau de la Vialatte pres 
d'Ambert en Auvergne, est ne en 1901. Jeunesse vagabonde au gre des lieux de garnison de son pere, 
etudes « a la Dickens » dans un college a Arnbert avec un professeur « philosophe de specialite et 
ivrogne de vocation ». A seize ans, sous I' influence d'Henri Pourrat, son maitre, il devore Rimbaud, 
Francis Jammes et Dickens. Pourtant, il opte pour les mathematiques et la langue allemande, ce qui le 
menera en Allemagne, a Mayence, en 1922, oil il deviendra redacteur en chef de la Revue rkenone 
jusqu'en 1927, et ou il commet en quinze jours son premier roman. Battling le tenebreux, qui sera publie 
chez Gallimard avec la benediction de Paulhan et de Malraux. Suivront une douzaine d'autres tomans 
dont Les Fruits du Congo et Le Fidele Berger. Traducteur de Nietzsche et de Thomas Mann, il iut aussi 
celui qui traduisit et fit connaitre Kafka en France. 

En 1933, sa femme Helene est nominee a Paris pour diriger TEcoIe des surintendantes d'usines. lis 
s'installent en face de la prison de la Sante et Alexandre ne manque pas de tancer la devise de la 
Republique qui orne le portail de la maison d'arret : « UEgalite et la Fraternite regnent peut-etre en ces 
murs, mais la Liberte passe devant. » 

II doit gagner sa vie, ses romans se vendent peu et ses traductions sont mal payees. II se tourne alors 
vers le journalisme, mais pas n'importe Iequel, le « journalisme d'ecrivain ». C'est ce Vialatte-la et 
surtout celui-la, le chroniqueur de Paris Match, Le Spectacle du Monde, Adam, Arts menagers, etc., qui 



va m'eblouir. 

Ce Vialatte-la, qui, comme disait Yves Fremion, est « capable a propos de tout et de rien de sortir de 
superbes observations, aneetre de tous les Barthes ou Morin, mais quand rneme plus drole. Vialatte 
disposait d'une sagesse exemplaire, absurde, ahurissante, le plus placidement du monde. Un style simple, 
lirnpide - si simple qu'on n' arrive pas a le refaire — , capable de faire saisir Fimparfait du subjonctif a un 
analphabete. Un ton unique. Reconnaissable entre mille. Profond et leger a la fois. La classe ». 




« Chroniqueur », j'ai dit « chroniqueur » ? Parmi les genres Htteraires francais, la chronique est Fun 
des plus difficiles a definir. A priori, comme dit Ferny Besson, amie et biographe de Vialatte. « la 
chronique n'a pas toujours la rneme signification et indique souvent une specialite : chronique fmanciere 
ou chronique mondaine. Les chroniques d'Alexandre Vialatte ont leur style propre. L'ecrivain semble 
toujours, en apparence, y raconter n'irnporte quoi. Supreme politesse. En fait, sous des airs frivoles, il 
nous dit Fessentiel : rhomme, avec sa brouette, ses bouts de ficelle, ses reves telleinent demesures au 
coeur de ses aventures fatalement - quoi qu'il fasse - tellement mesurees. Cependant, au-dela de ses 
etroites frontieres, rinfini. Ueternite. Qu'il trouve ou il peut : dans les spectacles quotidiens ». Ferny 
Besson fait ici allusion^ je pense, a sa chronique qui durera pres de vingt ans dansZtf Montagrre, et j'y 
reviendrai. 

J'aimerais nrarreter d'abord sur ses chroniques plus legeres, comme celles publiees dans Marie- 
Claire, ou ses almanachs drolissimes rendaient son patron furieux, car il n'y comprenait goutte, ainsi ses 
faineux vrais-faux proverbes bantous : 

— « D n'y a pas de bas morceau dans le gros ethnologue. » 

— « Qui rit sous 1'okoume pleure sous Tacajoa » 

— « Ne pile pas ton mil avec une banane mure. » 

— « C'est se conduire en rekeke que d'etouffer le roukoukou dans sa coquille. » 
Ou, toujours dans le rneme Marie-Claire, I'horoscope de ces dames : 

« La femme Capricorne : Elle paie le beurre moins cher que les autres. Comme les hommes, elle 
adore le marbre et Facajou, mais tout specialement le marbre blanc legerement persille de gris-vert qui 
fait penser au fromage de brebis. Elle est frequemment veuve d'un general allemand et fonde dans son 
grand age des religions etranges, d'une grande precision folklorique. » 

C'est pendant les dix-huit dernieres annees de sa vie que, tous les dimanches soir, Vialatte porte sa 
copie a la gare de Lyon et la depose au wagon postal du train de 23 h 15. Ainsi, jusqu'en 1971 , date de sa 
disparition, Alexandre (le grand) Vialatte a commis pour le grand quotidien auvergnat 898 textes dont le 
journal en a publie 888. Et de quoi parle-t-il semaine apres semaine ? De tout et de rien : « Une 
chronique, il faudrait la faire pousser comme une herbe dans la fente d'un mur, dans les pierres de 
Femploi du temps. » 

Cet exercice de style particulier, qui demande acuite et concision, date de la plus haute antiquite. 



comme « rhomme, car rhomme remonte a la plus liaute antiquite », selon lui. 

Vialatte rfa jamais traite, et c'est tant mieux, des grands problemes du monde, mais plutot du 
homard ; il preferait le homard au chien parce qu'il n'aboie pas et « qu'il n'aspire a la cuisson que 
comme le Chretien au ciel ». II disait du chien : « Ce qu'il y a de meilleur dans rhomme, c'est le chien. » 
De Tours : « Uours est fldele, monogame et bisannuel daas ses devoirs conjugaux. » Du kangourou : 
« Sans le kangourou, rhomme n' await jamais su qu'il ne possede pas de poche rnarsupiale. » De 
l'ecrevisse : « La douleur embellit l'ecrevisse », et de l'imparfait du subjonctif: « Que serait la vie sans 
Timparfait du subjonctif... ? » 

Les seuls titres de ses chroniques sont une invite a la lecture : « Magie de la bascule compensee », 
« Elasticite de la punaise », « L'Auvergnat est-il une mamelle ? », « Enfants cuits, enfants frits », 
« Grand-pere danois en loterie », « Chien tournant autour du soleil ». « Evidence du Gaiacum », 
« L'elephant est irrefutable », « Progres de la science : rhomme descendrait de rhomme », « Hitler et 
fleur en pot », « Dames a vapeur ou bateaux a voiles et voiles de vapeur ».. . 

C'est une sorte de rneli-melo, une galerie de portraits, une encyclopedic ou, comme il le dit lui- 
meme, « un bric-a-brac oriental, un nceud de ficelles de toutes couleurs, un Luna Park, un marche aux 
puces, im palais des merveilles du Facteur Cheval ». 

Philippe Meyer, qui en a fait la lecture sur l'antenne de France Inter, ecrit dans une preface : 
« Alexandre Vialatte est un eveilleur, ceux qui frequentent ses livres ont l'oeil. Ou plutot, ils n'ont pas le 
rnerne ceil apres avoir lu Vialatte et laisse murir en eux ses proverbes bantous, ses fulgurances arvernes, 
ses regrets des morts, ses miniatures des vivants, ses comptes rendus de lecture, ses meditations sur les 
ogres et ses considerations imprevisibles sur toute chose, grande, moyenne, ou petite. » 

Lisez Vialatte, il n'a pas pris une ride, vous y trouverez aussi de bonnes recettes : « Pour faire 
r omelette aux champignons, achetez une grande maison rustique exposee aux vents de la tempete, essayez 
les champignons veneneux sur un cousin pauvre avant de servir. » Des conseils pour enfoncer un clou 
sans s'abimer les doigts : « J'achete done une escalope et je continue a taper sur mon clou. » Des verites 
premieres que nous n'avions pas percues : « Le cheval est beau, mais la pantoufle est grande », 
« L'homme n'est que poussiere, c'est dire rimportance du plumeau. » Et des evidences qui nous ont 
echappe : « Le temps perdu se rattrape toujours. Mais peut-on rattraper celui qu'on n'a pas perdu ? » 

Jamais Vialatte ne m'ennuie. D'aucuns ont une bible sur leur table de nuit, rnoi c'est Vialatte, dont 
j'aime lire une chronique ou deux avant de m'endormir. J'aime sa facon de manier 1' emotion sans pathos 
et de faire rire sans vulgarite. Qu'il nous entretienne de petits pois, de la brievete de l'existence, de la 
beaute des Alpes-Maritimes, « le departement des Alpes-Maritimes est peuple d'Alpins-Mari times », de 
l'etat bien triste du foie et des bretelles de rhomme au milieu de sa vie ou de la necessite de 
l'orycterope, Vialatte s*affirme comme le maitre de « Tincongruite et de la bizarrerie phenomenale ». Ce 
n'est pas moi qui le dis mais Amelie Nothomb, avec qui je partage au moins ce point de vue. 

Je ne resiste pas au plaisir de vous faire « gouter » un zeste d'une de ses meilleures chroniques : 

« Eloge du homard et autres insectes utiles. 

Au contraire de rhuitre et de la moule, le cheval ne se mange que mort. Avant de le hacher on le 
deferre <les fers emoussent le tranchant du hachoir). Apres quoi on en fait du saucisson pur pore. Pour 
manger du cheval mort, on l'achete chez le boucher. A la boucherie cheval ine. Elle est tenue par un 
boucher chevalin [...]. Le cheval n'ecrit jamais. Jamais. II parle peuetn'ecrit jamais. » 

Ah ! j'oublais, Vialatte terminait toujours ses chroniques par cette phrase : « Et c'est ainsi qu' Allah 
est grand. » 

Puissent le Prophete et ses millions de fideles ne pas oublier dans lews soutras celui qui les a si bien 
celebres pendant 898 jours. 



Vian, Boris (1920-1959) 

C'etait un vrai fils de famille, qui pour faire plaisir a ses parents n'hesita pas a s'inscrire a l'Ecole 
cenlrale (promotion 39) malgre sa passion, des l'age de dix-sept ans, pour la musique et parti culierement 
la trompette qu'il appelle affectueusement sa « trompinette ». 

Fan du trompettiste Bix Beiderbecke, de Dizzy Gillepsie et de Charlie Parker, il organisait avec ses 
freres de grandioses surprises-parties ; c*etait Fepoque des zazous et des premiers cabarets de Saint- 
Germain-des-Pres, ou la jeunesse insouciante de Papres-guerre venait s'eclater. Vian ouvre en 1947 un 
minuscule club, Le Tabou, a Tangle de la rue Christine et de la rue Dauphine. Cet endroit deviendra le 
rendez-vous mythique de toute rintelligentsia germanopratine qui refait le monde en pronant cette 
nouvelle religion denoncee par les bien-pensants : Fexistentialisme. Pensez done, une theorie qui ose 
pretendre que « l'absurde, la peur, r ennui et le neant sont les elements fondamentaux de 1' existence de 
rhomme ! » et que « r existence precede F essence », e'est-a-dire que I'etre huinain formerait lui-merne 
l'essence de sa vie... un comble ! Le Tabou est le seul bar du quartier a ne pas fermer a minuit. On y 
rencontre des poetes : Toursky, Camille Bryen, et des ecrivains : Queneau, Sartre, Merleau-Ponty, 
Camus, Kaplan ou Roger Vail land. On y danse le mambo et le boston ; on y boit des cocktails magiques : 
« Le Saint-Germain (3/8 vermouth, 1/2 vodka, 1/8 Cointreau ou le "sperme de flamant rose", 1/3 crerne 
fraiche ou lait concentre Nestle, 1/3 creme de fraise, 1/3 cognac) » ; on y organise des fetes rnemorables 
dont l'electionde « Miss Vice » entre autres. 




\fcila pour le decor, mais Boris Vian n'est pas seulement un pilier de bar et un trompettiste 
talentueux, e'est aussi un compositeur tous azimuts : javas mondaines, cha-cha-cha militaires, « blouses » 
de dentiste et rock alimentaire. Curieusement, lui qui deteste le rock et qui compose des parodies pour le 
denigrer deviendra initiateur du rock fran^ais des annees 1950 avec « Rock and Roll Mops » ou « Fais- 
moi rnal Johnny ». 

Un soir de juillet 1959. sur la scene du casino de Dinard, Man se fait ejecter manu miliuui apres 
avoir ose chanter son fameux « Deserteur », pour denoncer la guerre en Indochine. On le taxe 
d'antimilitarisme et il retorque aux journalistes - qu'il abhorre et qui ne sont pour lui que des « pisse- 
copies » - que « r usage d'une chanson est aussi correct que celui d'un rusil ». A partir de la tout 
s'accelere ; Boris compose plus de cinq cents chansons reprises par Magali Noel, Philippe Clay, Dario 
Moreno et, plus lard, par Higelin et Gainsbourg. Sa rencontre avec Henri Salvador sera decisive, car 
e'est lui qui enregistrera « C'est le be-bop », sa premiere chanson a apparattre sur un disque ( 1950). 

Malgre une sante fragile (une malformation cardiaque depuis Tenfance), Boris Vian brule la vie par 
tous les bouts, et les mises en garde des deux femmes successives de sa vie, Michelle puis Ursula, n'y 
feront riea 

II se noie dans I'ecriture, devient un ecrivain exceptionnel, capable d'alterner la farce et le macabre, 
le pathetique et l'ironie pour exorciser et dominer son angoisse. 



Les Pataphysiciens ne s'y trompent pas : il est nomme « equarrisseur de premiere classe » au College 
de 'pataphysique le 22 merdre 1970 (8 juin 1952). II est aussi le prince des neologismes : « antiquitaire, 
biglemoi, doublezon » et surtout le « pianococktail », heros de son celebre roman L 'Ecume des jours, 
dans Iequel oncroise uncertain Jean-Sol Partre, symbole de rhomme face a sondestin 

C'est une histoire assez simple. Colin et Chloe s'aiment, mais Chloe tombe rnalade et Colin fait tout 
pour la sauver. Le tout dans un univers surrealiste ou les anguilles jaillissent des robinets, oil les 
apparternents retrecissent et ou les nenuphars poussent dans les poitrines. 

Michelle, sa premiere epouse entre 1941 et 1952, a ete le temoin privilegie de la genese de ce Hvre. 
En juin 2012, elle racontait dans une interview auMonde que Vian ne pensait pas elre publie ; il P avait 
ecrit « pour les copains », en deux mois et demi, en 1946. Michelle reconnait que ce livre est une 
declaration d'amour qui lui est destinee, que la Chloe du roman, c'est bien elle, et que Colin est bien 
Vian. Sartre, que Van ne connaissait pas, mais dont il etait inconditionnel, avait trouve son portrait 
« extremement drole » et il etait « ravi et flatte ». Avant de devenir le best-seller et le classique que Ton 
connait, le livre a sa sortie est passe inapercu : trois cents exemplaires vendus. 

Disciple de Swift et de Kafka, il flirte avec la science-fiction et ne cesse de publier sous des 
pseudonymes differents. On en comptera jusqu'a vingt-sept parmi Iesquels Baron Visi, Brisavion, 
Butagaz, Amelie de Lambineuse, Agenor Bouillon, etc. 

Mais le plus connu est sans doute Vernon Sullivan, le soi-disant auteur de J'irai cracker sur vos 
toinbes (1947) dont Vian pretendait etre le traducteur. Un livre violent et cm, ou Vian denonce le racisme 
et la condition precaire des Noirs aux Etats-Unis. Considere comme immoral, voire pornographique, ce 
livre fut interdit en 1 949 et son auteur fut meme condamne pour outrages aux bonnes rnceurs. 

Comme un malheur n* arrive jamais seul. c'est au cours de la premiere projection de Tadaptation 
cinematographique par Rene Gast, que Van desapprouvait totalement, qu'il eut une crise cardiaque qui 
remporta. C'etait le 23 juin 1959 a 10 h 10 du matin. Vian avait ete en effet tres choque par ce qu'il 
considerait comme un navet, avec un scenario inepte et des dialogues falsifies. La veille de sa mort, il 
avait dit a sa compagne Ursula : « Je n'aurai jamais quarante ans. » 

II y aurait encore tellement a dire et a retenir de cet homrne-orchestre qui a tant marque son epoque, et 
qui a le mieux ceuvre pour faire de Saint-Germain-des-Pres Tun des quartiers les plus embletnatiques de 
la capitale. Son Manuel de Saint-Germain-des-Pres, qui ne sera publie qu'en 1974, est a la fois un guide 
pratique et historique, dans Iequel il demande a des personnalites locales d'endefinir les habitants : 

— Paul Boubal : « des tralne-patins » ; 

— Louis Barucq : « des semper-clubistes » ; 

— Annet Badel : « des Germainophiles » ; 

— Claudine Cheret : « des extravagantialistes » ; 

— Madame Cordonnier : « des rongeurs » ; 

— Louis- Armand Fevre : « naturels le jour et fort droles la nuit » ; 

— Max Geraud : « des decaves » ; 

— Juliette Greco : « des gens comme les autres » ; 

— Henri Leduc : « pas d'habitants, ou plutot on ne les voit pas » ; 

— Claude Luter : « les premiers comrnuniants » ; 

— Edith la Rosiere : « des cerveaux » ; 

— Gabriel Pomerand : « des Pratigerminois » ; 

— Romi : « la definition depend de la date a laquelle ils se sont installes dans le quartier » ; 

— Pierre Vone : « des cloportes nyctalopes ». 

Vian. qui adorait les femmes, pretendait quand meme qu'il ne faut pas « courir deux levres a la fois ». 
II n' avait pas une sympathie particuliere pour le grand docteur de Lambarene, heros des annees 1950 : 
« Qu^il soit minuit ou midi, vous me faites chier docteur Schweitzer. » \bila qui resume bien le caractere 



de ce fimambule toujours pret a ironiser sur les beni-oui-oui et le conformisme de son epoque. 



Villers, Claude 

Je ne sais plus comment nous sommes devenus complices, cela remonte assez loin, mais quand rneme 
pas a Tepoque ou le jeune Claude etait catcheur professionnel. Eh oui ! Avant de devenir journaliste 
correspondani de France Inter aux Etats-Unis, puis producteur, realisateur, animateur de je ne sais 
combien d'emissions, a travers lesquelles on a pu partager avec lui sa passion pour les voyages, avec une 
mention particuliere pour les trains et les voitures, Claude etait catcheur. . . 

C'est un conteur-ne. Quand il ne recitait pas par cceur les horaires de I'indicateur Chaix de la SNCF, 
il fallait l'entendre raconter Francis Blanche, sur lequel il a beaucoup ecrit, ou la fabuleuse histoire de 
France Inter, dont je dirais presque qu'il est 1 'un des peres fondateurs avec son comparse Jose Artur. 

Derriere l'ceil petillant et la legere surcharge ponderale (sic), il y a non pas Thumoriste, mais 
Thomme d'esprit fin et delicat, qui a eu Fidee geniale en 1980 de renouveler le genre de I'interview, en 
rernettant au gout du jour le vieux concept du tribunal radiophonique. Autre idee remarquable, demander a 
Pierre Desproges d'en etre le procureur, charge de demasquer la betise urbi et orbi, et a Luis Rego de 
jouer Favocat commis d'office. 

Claude, le president, inaugurait chaque audience avec la traditionnelle phrase qui tue : « Tout 
innocent est presume coupable », alors que Rego demarrait sa plaidoirie par : « De quoi t*est-ce qu'on 
accuse-t-on mon client ? » Lorsque Daniel Cohn-Bendit se retrouva sur le banc des accuses, Desproges 
n'hesita pas : « Permettez que je vous appelle Cohn ? » et il ajoutait sans rechigner : « Qu'on puisse etre 
a la fois juif et allemand me depasse, c"est vrai, faut savoir choisir son camp ! » 

Oe tres grands moments de radio et de fous rires, grace a ce cher Claude, qui reconnaissait d'ailleurs 
s'etre inspire d'un autfe « Tribunal », celui de Pick et Ferrarry, qui faisait un malheur sur Radio- 
Luxembourg des 1947, le dimanche apres-midi. 



Voltaire (1694-1778) 

Je ne peux passer sous silence ce pamphletaire eblouissant et ce virtuose de la formule qui ecrasait 
son adversaire et le laissait sans voix. Ainsi I'obscur poete Freron, qui avait voulu riposter aux 
moqueries de Voltaire, n'a du sa survie dans la posterite qua ce quatrain connu mais remarquable : 

(T L' autre jour au fond d'un vidian 

Un serpent piquu Jean Freron. 

Savez-votts ce qui arriva ? 

Cefut le serpent qui creva. » 

Autre exemple, la lettre qu'il envoya a J.-J. Rousseau apres que celui-ci lui eut fait passer son 
Discours sur i'inegalite, dont la teneur s'opposait diametralement aux idees qu'il pronait : « J'ai re9u, 
monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous enremercie.. . On ne peut peindre avec des 
couleurs plus fortes les horreurs -de la societe humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se 
promettent tant de consolations. On n'a jamais employe tant d'esprit a vouloir nous rendre betes, il prend 
des envies de marcher a quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de 
soixante ans que j'en ai perdu rhabitude, je sens malheureusement qu'il irTest impossible de la 
reprendre, et je laisse cette attitude naturelle a ceux qui en sont plus dignes que vous et moi... » 

Vbltaire termine sa lettre par une ultime impertinence : « M. Chappuis m'apprend que votre sante est 



bien mauvaise, il faudrait la venir retablir dans 1 'air natal [alors que Rousseau a ete chasse de Geneve, en 
raison de ses idees, ce que Xbltaire sait ires bien], jouir de la liberie, boire avec moi du lait de nos 
vaches, et [ultime moquerie] brouter nos herbes. » 

Mais ses meilleures piques sonl celles qu'il reserva au Journal de Trevoitx et a son redacteur, le 
frere Berthier, qui denoncait les hardiesses de V Encyclopedic a laquelle participail activemenl \bltaire. 
Ce dernier imagine un voyage que fail le frere Berthier en compagnie de frere Coutu el de quelques 
exemplaires du Journal de Trevoitx : 

« Berthier sentit en chemin quelques nausees, sa tete s'appesantit, il eut de frequents baillements. 

— Je ne sais ce que j'ai, dit-il a Coutu, je n'ai jamais tant bailie. 

— Mon reverend pere, repondit frere Coutu, ce n'est qu'un rendu. 

— Comment ! que voulez-vous dire avec votre rendu ? dit frere Berthier. 

— C'est, dit frere Coutu, que je bailie aussi, et que je ne sais pourquoi, car je n'ai rien lu de la 
journee, et vous n'avez point parle depuis que je suis en route avec vous. 

Frere Coutu, en disant ces mots, bailla plus que jamais. Berthier repliqua par des baillements qui ne 
finissaient point Le cocher se retourna, et les voyant ainsi bailler, se mit a bailler aussi, le mal gagna tous 
les passants, on bailla dans loutes les maisons voisines, tant la seule presence d'un savant a quelquefois 
d* influence sur les homines ! » 

Une sueur froide s'empare des deux hommes, puis ils tombent en lethargic 

« Quelques medecins de la cour, qui revenaient de diner, passerent [...] on les pria de dormer un 
coup d'ceil au malade. Fun d'eux, Iui ayant late le pouls, s'en alia en disant qu'il ne se melait plus de 
medecine depuis qu'il etait a la Cour. Un autre, l'ayant considere attentivement, declara que le mal venait 
de la vesicule du fiel qui etait trop pleine, un troisieme assura que le tout provenait de la cervelle qui 
etait trop vide. 

[L'etat du patient empirait,] lorsqifun medecin principal [...] prononca qu'il etait empoisonne. A ce 
mot, tout le monde se recria : 

— Oui, messieurs, continua-t-il, il est empoisonne, il n'y a qu'a tater sa peau pour voir que les 
exhalaisons d 1 un poison froid se sont insinuees par les pores, et je maintiens que ce poison est pire qu'un 
melange de cigue, d'ellebore noire, d'opium, de solanum et de jusquiame. Cocher, n'auriez-vous point 
mis dans votre voiture quelque paquet pour nos apothicaires ? 

— Non monsieur, repondit le cocher. voila l'unique ballot que j'y ai place par ordre du reverend 
pere. Alors il fouilla dans le coffre et en lira deux douzaines d'exenplaires du Journal de Trevoux. 

— Eh bien ! messieurs, avais-je tort ? dit ce grand medecin. » 

On dit que \bltaire est devenu le symbole de son siecle et meme la veritable incarnation de la culture 
francaise. Longlemps considere comme un genie tragique et epique, il est peu a peu devenu un vrai 
conteur ou chaque type de Iecteur peut prelever ce qui lui convient. II faut savoir que Francois-Marie 
Arouet, dit Voltaire, a comrrris une centaine de volumes, rnais lesquels retenir dans un livre sur 
rhumour ? En priorite son Candide paru a Geneve en Janvier 1759 et reedite plus de cinquante fois, ou 
Ton voit Pangloss, te rnaitre de Candide, lui enseigner que tout va pour le mieux dans le meilleur des 
mondes avant que la situation ne degenere en aventures abracadabrantesques et que Candide ne se voie 
contraint d'epouser rhorrible Cunegonde. 




Candide est un chef-tTceuvre d* humour, parce que c'est un des premiers modeles de parodie. La 
philosophic de Leibniz y est caricaturee a travers le personnage de Pangloss et la succession 
d'enlevements, de duels, de nauirages et de malheurs de toutes sortes fait indeniablement penser au roman 
picaresque, tres en vogue a l'epoque. Quant aux femmes, elles sont a la lete : bafouees. humiliees et 
objets de toutes les derives des hommes. J'en conviens, ce n'est pas drole, mais c'est de la parodie. 



Voutch 

Olivier Ybuktchevitch. qui atone aussi se faire appeler Olivier Chapougnot, est le dessinateur francais 
qui, en dehors de mon ami Cabu, me fait litteralement exploser de rire chaque fois que je tombe stir Tun 
de ses dessins. 

Ce jeune homme ne en 1958 a tout pour lui, parce que ses gouaches qui ne se contentent pas d'etre 
droles sont de petits objets d'art que Ton a presque envie d'encadrer. 11 a un vrai talent de coloriste pour 
croquer ses personnages au nez epais et au corps tout en longueur. II pratique V observation appliquee des 
comportements de 1'espece hurnaine, dans des univers qu'il connait bien. telles 1'entreprise et la 
communication, ou i] a travaille comme directeur artistique avant d'en etre licencie, pour s'adonner son 
sport favori, la peche en riviere. Si je vous dis que rami \butch-Chapougnot a ete champion de France 
de boomerang de 1988 a 1991, vous n'en serez pas etonne, car r homme aime surprendre et il suffit de 
lire ses biographies sur les jaquettes de ses livres pour en etre convaincu. 

Dans Les Myster tenses Alchimies de I 'amour parues en 2010, il nous apprend par exemple qu'en 
1966 il a « offert un Carambar a Delphine Boutboul en grande section de maternelle », qu' en 1979 « il a 
eu une liaison torride avec Claudia Cardinale » avant de faire Tacquisition en 1989 « d'une R5 GTL ». 
Nous voila bien avances pour tout savoir sur cet homme faussement timide, qui, dans Les Joies tin monde 
moderne (2011), nous propose une autre pirouette avec une « recette de la tanche de la Saone au 
beaujolais » en guise de biographic 

V)utch a realise une vingtaine d'albums et publie regulierement ses dessins dans Lire, Le Point, 
Psychologies ou Madame Figaro* II aime Pierre Etaix et Jacques Tati, et emporterait des livres 
d'Echenoz et de Houellebecq sur une ile deserte, sans oublier des albums de Sempe qu'il considere 
comme Tun de ses peres. 

Difficile de me livrer ici a une description de mes dessins favoris, mais faites quand rneme un effort 
pour imaginer un homme et une femme face a face dans une espece de jungle : 

« Premier homme, enchante ! 

— Premiere femme. enchantee ! » 



Ou un bobo-dragueur dans un cocktail : 

« C'est completement dingue : on s'est rencontres il y a une minute et j'ai Fimpression de vous 
connaitre depuis une minute trente. » 

Ou encore, une scene dans Ie cabinet d' une juge d' instruction oil F accuse se defend en ces terrnes : 

« Moi, obsede sexuel ? Cette accusation est ridicule, madame la juge ! Comment peut-on dire des 
enormites pareilles quand on possede une exquise petite poitrine. Laissez-moi deviner, 90 B. 90 C ? » 

A moins que vous ne preferiez ce dialogue entre deux mouettes dont Tune s'appelle Anne-Sophie et 
qui regrettent de ne pas pouvoir avoir des rapports homme/femme mais seulement des rapports 
« mouette/mouette », ou cet avocat qui annonce a son client : « II y a quand meme une bonne nouvelle : 
vous etes nomine cornme "homme de Fannee" dans la categorie serial-killer. » 

\butch vous suggere aussi de gouter « un reblochon fermier re-designe par Philippe Stock », « un 
sorbet antidepresseiir vanille ou antidepresseur fraise », d'assister a « une manifestation d'eleclriciens 
chauves et bisexuels du Gers en colere » et d'ecouter « une clianson qui parle de la difficulte de rester 
Fidole des jeuncs quand on a quatre-vingt-douze ans, du cholesterol, de Farthrose et un anus artificiel ». 

Merci, monsieur Chapougnot. 



Wilde, Oscar (1854-1900) 

« Ou c'est ce papier peint qui disparatt, ou c'est moi. » C"est le papier peint qui a remporte le 
combat et Oscar Wilde a rendu Tame, le 30 novembre 1900. quand ce siecle etait encore trop jeune pour 
l'apprecier, dans une charnbre d'hotel au decor miteux de la rue des Beaux-Arts a Paris. Cet homrne 
quittait la vie, « une affaire trop importante pour etre prise au serieux », de la meme facon qu'il Tavait 
vecue. apres avoir mis, comme il le confia a son ami Andre Gide, « tout son genie dans sa vie et tout son 
talent dans son ceuvre ». 

Doue d'un esprit etincelanL, fin lettre, ce cadet d'une famille irlandaise ne en 1854. fils d'une 
poetesse chantre de la cause irlandaise et de sir William Robert Wilde, eminent chirurgien anobli par la 
reine, subjugua la societe londonienne de Tepoque. Son proces et sa condamnation a deux ans de travaux 
forces pour outrage aux mceurs entrainerent sa decheance et, apres sa liberation en 1897, c'est un etre 
brise qui quitta TAngleterre pour 1'exil et Terrance. 

Tres. franchement, je me suis dernande s'il etait bien necessaire de mentionner Wilde dans ce 
dictionnaire subjectif, oil je suis suppose n'y faire figurer que mes coups de caur. Or. je tourne depuis 
longtemps autour de r ceuvre de ce cher Oscar sans y trouver le declic qui pourrait me le rendre 
inconsumable. Certes, voila unhomme qui excellait aussi bien dans les pieces de theatre, les romans, Ies 
essais que dans la poesie. C'etait un grand provocateur de son temps qui pratiquait l'irreverence avec 
Mgurance : « II semble parfois que Dieu en creant rhomme ait quelque peu surestime ses capacites », 
avait-il coutume de dire. Une phrase comme celle-ci justifie a elle seule la qualification d'homme 
d'esprit exceptionnel. On con^rend alors que les personnes qu'il frequentait aient pu se delecter de sa 
conversation et de ses saillies Iegendaires : 

— « Je vis tellement au-dessus de mes revenus qu'en verite nous menons, eux et moi, une existence 
entierement separee. » 

— « Ne jamais remettre a demaince que Tonpeut faire apres-demain. » 

— « Je peux resister a tout, sauf a la tentation. » 

— « Je deteste les gens qui parlent d'eux-memes quand j 'ai envie de parler de moi. » 

— « Tuer est une faute : il ne faut jamais rien faire dont on ne puisse parler apres le diner. » 

— « Les amateurs de musique ont ceci de penible qu'ils nous demandent toujours d'etre totalement 
muets au moment meme ou nous souhaiterions etre absolument sourds. » 

— « II est parfaitement monstrueux de s'apercevoir que les gens disent dans notre dos des choses qui 
sont absolument et entierement vraies. » 

— « Lameilleure fagondese conduireavec une femmeest de lui faire 1* amour si elle est belle, de le 
faire a une autre si elle est laide. » 

— « Notre vraie vie est si souvent celle que nous ne tnenons pas. » 



— « La sincerite a petites doses est dangereuse ; a fortes doses, elle est carrement fatale. » 

— « Les Anglais ont le pouvoir miraculeux de transformer Le vin en eau. » 

— « Dans la vie moderne, rien ne fait autant d'efiet qu'une bonne platitude. Aussitot, tout le monde a 
l'impression d'etre en famille. » 




Mais pour moi Oscar Wilde n'est pas un humoriste, meme si cet imrnense auteur de theatre, et nul ne 
peut le contester, est un genie dans Tart de la replique. En particulier dans Un mari ideal ou dans Le 
Portrait de Dorian Gray. 

Ce qui fascine chez Wilde, et j'y souscris totalement, c'est F extravagance de sa vie, son 
immoral isme, la virulence avec laquelle il denonca Phypocrisie de la societe victorienne. On dit aussi, 
sans doute a juste titre, qu'il est un des quatre grands Irlandais qui donnerent a la litterature anglo- 
saxonne du tournant du XX? siecle fantaisie et vigueur, avec Bernard Shaw, Synge et Yeats. 

Ce qui me gene, et qui n'en fait pas forcement le prince des humoristes, c'est une prise de conscience 
pessimiste et recurrente dans son ceuvre qui fait que la societe qu'il denoncait finirait un jour par 
l'abattre. II n'avait pas tort. Bien au contraire. 



Wodehouse, P. G. (1881-1975) 

Quand on se decouvre afruble d'un drole de prenom : Pelham Grenville, on ne peut qu'en vouloir a 
ses parents ou decider de se faire appeler Plum. C'est ce que fit P. G. Wodehouse, joyeux trublion 
britannique du XX? siecle. 

Amoureux de la vie. farceur, il tornbe sous le charme de la France ou il aime sojourner. Et c'est la 
que les Allemands viendront rarreter pour Tenvoyer en Pologne en 1940. Prisonnier, il ne perd pas son 
temps : les sketches qu'il met au point alimenteront plus tard des emissions de radio que les Allemands 
lui permettront de realiser a Berlin. Accuse par les Anglais de collaboration avec les nazis, il part vivre 
a New York et deviendra citoyen americain en 1955. Sa carriere litteraire commence tot, un premier 
romana vingt ans, des clironiques dans le journal londonien The Globe, suivis de Pimpressionnante serie 
des Jeeves. C'est d'ailleurs grace a ce heros fetiche que Ton parle encore de Wodehouse aujourd'hui, en 
qui les plus erudits et les plus lettres de mes contemporains voient un humoriste inegale. 




La premiere histoire de Jeeves date de 1917, la derniere de 1974, avec une quinzaine de litres 
consacres a ce valet extraordinaire. Car Jeeves est d'abord un domestique irreprochable au service d'un 
aristocrate oisif et fortune. Ce dernier, Bertram Wooster, n'irnpressionne ni par sa culture ni par son 
intelligence, et dans ce duo maitre-valet, c'est Jeeves qui brille par ses qualites. Tout ce qu'il entreprend 
est parfait, que ce soit la cuisson des ceufs au bacon ou la confection de boissons contre la gueule de bois. 
SMI est Indispensable a Bertie, ce n'est pas seulement pour ses talents culinaires. Omniscient, doue d'un 
bon sens excepuonnel, c'est vers lui que Bertie se tourne quand il est dans le petrin, car sa vie est 
eneornbree de tantes redoutables. de jeunes filles faussement honnetes, de jumeaux roublards, et d'un ami 
qui conibnd histoires d'amour et imbroglios inextri cables. Bertie, dont la vie personnelle ressemble a un 
desert, est toujours pret a voter au secours des autres. Mais comme sa bonne volonte n'a d'egale que sa 
naivete, il s'enlise dans des situations compliquees, dont seule Tintervention de Jeeves peut le sauver. Et 
contrairement a ses amis dont les valets ne servent qu'a repasser les pantalons, il reconnait : « Des notre 
premiere rencontre j'ai vu en lui une sorte de guide, de philosophe et d'ami. » Jeeves est le confident, le 
complice, qui ecoute avec deference, pour ensuite conduire son maitre vers le bon sens. Discret, il reste 
toujours a sa place et ne donne son avis que lorsque Bertie le lui demande, et c'est avec une grande 
modestie qu'il cite quelques vers du poete romain Lucrece, Medio de fonte leporum. 

Cette finesse d'esprit et cette disponibilite intellectuelle font de lui un personnage seduisant Et bien 
que sa reserve et son elegance morale soient typically british, il appartient a la grande famille des 
domestiques sans qui les puissants et les nantis n'existeraient pas. Jeeves est a Bertie ce que Figaro est au 
comte Almaviva, Sganarelle a Don Juan, Sancho Panca a Don Quichotte et M. Stevens a lord Darlington 
dans Les Vestiges du jour . Et c'est parce qu'il le voulait immortel que Wodehouse a tant ecrit sur lui, 
pour le plus grand bonheur de ceux qui, comme Jean d'Ormesson, aiment qu'un livre les surprenne : 

« Cet auteur est absolument irresistible. Je le relis sans cesse. Une histoire de Jeeves, ca vous remet 
de bonne humeim La tante Agathe est d'une formidable drolerie. Et pourtant, les romans de Wodehouse 
ne sont pas tres Iitteraires, ce sont plutot des romans de delassement. Mais ils finissent par trouver leur 
place tellement c'est amusant et brillant. En France, dans le meme genre, nous avons eu Courteline, 
Labiche, Feydeau, Allais. Malheureusement, cette veine a completement disparu chez nous. » (Cite par 
Delphine Peras.) 

Ces nouvelles, avec leur air de journal intime, se ressemblent tellement qu'il m'est impossible d'en 
preferer une, mais vous y trouverez toujours des phrases pleines de sagesse : « Carpe diem, monsieur, 
comme Ta chante le poete romain Horace », ou encore : « Votre coude trempe dans le beurre, monsieur. » 

Quelle cliance il avail, ce Bertie ! Jeeves lui evitait les reponses trop maladroites, les tautes de gout, 
les taches disgracieuses. Quant a nous, pauvres de nous, nous sommes condamnes a choisir nos cravates 
et nos chaussettes tout seuls. Et a reviser nos classiques. 



Wolinski, Georges 

Ne a Tunis en 1934, fils de Ziegfried, assassine par un ouvrier quand il avait deux ans, et de Lola, 
peu presente, car exilee a Briancon pour soigner une tuberculose, le petit Georges n*a pas eu une enfance 
tres chaleureuse. Un de ses souvenirs les plus anciens : des femmes arabes dans la patisserie du grand- 
pere, qui se devoilent pour manger des gateaux. 

Avant d'etre porte sur « la chose », c*est le moins que Ton puisse dire, il rut parait-il « tardivemenl 
depucele et obsede* textuel. plutot que sexuel, contemplatif et melancolique ». II dit d'ailleurs de lui : 
« Tout petit je savais que je ne serais pas precoce. » 

Inspire par Chaval et Sine, il debarque a Paris en 1949 et entre kHara-Kiri en 1960. Ce sont 
essentiellement ses dessins pendant les evenements de 1968 qui le feront connaitre du grand public. 
Redacteur en chef de Charlie Hebdo en 1970-1971, il collabore kL'Humanitd, au Native/ Ohservateur, 
dirige meme L 'Echo des savanes en 1982, et participe maintenant au Journal du dimanche et a Match. D 
est partout. 




Wolinski n'est pas seulement un homme du « trait », c'est aussi un ecrivain brillant. auteur de pieces 
et de rornans, tres sollicite par les publicitaires, car il excelle dans les formules lapidaires : 

— « Seul un gouvernement a poigne evitera a la France d'avoir un regime autoritaire. » 

— « Je ne pense qu"a ga, mais le probleme, c'est que je n ai pas que ga a faire. » 
Ou encore : 

— « Quand j'einprunte une idee a un autre, j 'oublie souvent de la lui rendre. » 

Pour la psychanalyste Elisabeth Roudinesco, Wolinski a un « genie du desir sexuel ». Et pour le 
journaliste Patrice Trapier : « La femme est l'avenir de Georges, la condition de sa survie, Terection 
plutot que la disparitioa » 

Cela explique pourquoi son univers est envahi de jeunes femmes legeres et aeriennes, qui semblent 
etre la pour le Iiberer sans doute du poids ecrasant de la vie et de son angoisse de la mort. D'ailleurs, il 
verrait bien grave sur sa tombe ce mot de Cavanna : « Wolinski, on croit qu'il est con parce qu'il fait le 
con, rnais en realite, il est vraiment con. » 

On dit qu'il ne refuse pas les honneurs ; il n'a pas renvoye sa Legion d"honneur et s"est trouve a juste 
titre flatte par rhommage national qui lui tut rendu Pete 2012 a la BNF, alors que paraissaient 
simultaneinent deux anthologies de son ceuvre. 

Ce vieux gaucho, toujours en train de raler, est un homme fragile qui cache bien son jeu, car il airne 
profondement les gens. Derriere sa timidite, il a comme son ami Cabu toujours un carnet de dessins a 
portee de main pour croquer les siens ou des silhouettes de passage. Contrairement aux apparences, son 
humour n'est pas noir. mais tendre. La preuve, le Candide de Voltaire est son Iivre de chevet. 



Yanne, Jean (1933-2003) 

L'homme qui pretendait toujours « se marrer » mfa, je dois Favouer, toujours fait marrer. Je ne me 
lassais jamais, des que je le pouvais, d'ecouter ses emissions sur les radios dites peripheriques dans les 
annees 1970-1980. 

J'airnais sa gouaille parisienne, son humour grincant mais jamais mechant. J'airnais Fhomme raleur, 
vachard, egoi'sie et roublard, le « beauf » de service qui savait si bien se moquer de ses congeneres : « A 
Bali, ils laissent faire les ploucs, ils ont besoin de leurs sous. J'ai vu des trues incroyables a Bali : 
"Mernene, monte sur Bouddha, assieds-toi entre ses cuisses, e'est rigolo." Je me demande ce qu'ils 
diraient si des mecs montaient sur les epaules des Christ perches sur les calvaires bretons. » 

J'airnais Fhomme qui se moquait aussi bien du « chobizenesse » : « J'ai connu un temps ou les 
chanteurs essayaient de devenir celebres. Aujourd'hui, ce sont les celebrites qui essaient de devenir des 
chanteurs. » 

J'airnais celui qui atfirmait : 

— « Les homines naissent libres et egaux et peuvent obtenir n'irnporte quoi. a condition d'avoir du 
pognoa » 

— « Je preiere les douzaines d'huitres aux douze apotres. » 

— « V amour, e'est un sport. Surtout s'il y en a un des deux qui ne veut pas ! » 

— « Si le gouvernernent creait un impot sur la connerie, il serait tout de suite autosuffisant. » 

— « Ce n'est pas possible ! Pour etre aussi con, tu as appris. »■ 

— « Le jour oil le flagrant delit de connerie sera passible des tribunaux. il y a pas mal de juges qui 
n'auront pas a quitter la salle. » 

— « Le rnonde est peuple d'imbeciles qui se battent contre des derneures pour sauvegarder une 
societe absurde. » 

— « Ni Dieu ni rnaitre. meme nageur. » 

11 est aussi Fauteur des celebres slogans : « II est interdit d'interdire » et « Quand j'entends le mot 
culture, j'ouvre mon transistor ». 

J'airnais Fhomme des ernbarras de Rome : «Merdum ! Crevam ! Appelare flicum ! Non mais 
defoam », et celui de Tout le rnonde il est beau, tout le monde il est gen/iL film au succes phenomenal et 
a travers lequel il narrait de facon romancee la maniere dont il Hit vire de la radio. 

Jean Yanne etait un extraordinaire acteur de cinema qui se revela veri table ment dans Que la bete 
meure ciLe Boucher, deux films de Chabrol, sans oublier Notts ne vielllirons pas ensemble, de Pialat, 
en 1972. Des films oil il incarne des personnages insensibles et brutaux avec un talent fou, mais il refuse 
le prix d' interpretation que lui decerne le festival de Cannes. 

J'airne enfin celui qui avail imagine : « Le jour du Jugement dernier, Dieu comparaitra devant moi. » 



Jean Gouye, alias Jean Yanne, attend ce jour « beni » depuis le 23 mai 2003 au cimetiere des Lilas, a 
Paris. 




Zouc 

Ceux qui s'irnaginent que j'ai appele Zouc a la rescousse pour terminer ce livre, parce que j'avais 
besoin d'un Z, ont tout faux ! 

La dame, au corps ample sous sa robe noire, ses cheveux tires et sa raie au milieu, m'a bouleverse 
lorsque je l'ai decouverte par hasard dans un cafe-theatre, dans les annees 1970. Je suis alle la voir et la 
revoir, la ou elle se trouvait Je m'en souviens cornme si c'etait hier, et je connais toujours presque par 
cceur certains de ses sketches. 

Jerome Garcin ecrivait en octobre 2010 : « Cela fait plus de vtngt ans que Zouc nous manque. Le vide 
qu'elle a laisse est proportionnel a la place "henaurme" qu'elle a occupee. Ceux qui l'ont vue sur scene 
n'ont jamais oublie son physique primitif, son cheveu noir et plaque, son regard hallucine, sa bouche 
elastique, sa faculte effrayante et grotesque de se metamorphoser en nouveau-ne grimacant, en si gentille 
petite fourmi, en vieillarde arlhritique. en Vierge Marie ou en folle enfermee a Fasile. » 

Zouc, de son vrai norn, Isabelle von Allmen, est nee en Suisse en 1950, dans une famille 
aristocratique. Internee a seize ans dans un asile psychiatrique, elle observe les malades, ]es infirmieres 
et les medecins que Ton retrouvera dans ses futurs sketches. En 1966, elle entre au conservatoire de 
Neuchatel et enchaine les spectacles en Suisse puis a Paris, au theatre du Vieux-Colombier, a Bobino, oil 
elle croise Tania Balaclwva, Sylvie Joly et Josiane Balasko, qui l'aident a conposer son personnage 
exceptionnel. 

Maryline Desbiolles. fascinee par celle qui se considerait cornme « un steak hache suspendu a une 
corde a linge par jour de grand vent », lui a consacre un livre, Unefemme drole, dans lequel elle justifie 
sa passion : « Cette comedienne etrange, pourvue d'un accent Suisse et d'une voix capable de monter tres 
haut dans les aigus lorsqu'elle se livre a Tune de ses incarnations : en scene > elle est a la fois la petite 
fille capricieuse, la mere exasperee, la maitresse d'ecole, la paysanne du Jura. .. » 

En 2006, Nathalie Baye a repris au theatre la Iongue confidence de Zouc a Herve Guibert en 1974. 
Guibert avait dix-neuf ans, elle vingt-quatre et il Fecouta, meduse, pendant de longues heures, parler de 
son enfance etouffante, de sa fascination pour les morts, de ses complexes de ronde mal ilchue et de ses 
dix-huit mois d'internernent qui Ton profondement meurtrie. Ce qui me captive le plus chez elle, c'est le 
talent qu'elle deploie pour observer et restituer avec ses mots et ses mimiques a vous couper le souffle la 
triste vie quotidienne. 

II faut la voir et Tentendre pendant plus de sept minutes suspendue au telephone avec une madame 
von Allrnea qui porte curieusement son nom de naissance, et qui signifie « paturages alpestres » en Suisse 
allemand. 




On rit et on trepigne, car chaque fois qu'elle est censee raccrocher, son interlocutrice relance la 
conversation. Les « ecoutez ! », les « oui ! », « non ! », « bien sur ! » ? « mais je vous en prie ! » sont 
distil les avec cet accent inimitable, tout en adressant des signes desesperes a son mari pour qu'il baisse 
le gaz de la cuisiniere. II faut la voir imiter un nouveau-ne vagissant qui suce ses poings, il faut Tentendre 
presenter dans le sketch du « paddock » des chevaux et leurs proprietaires en se trompant dans ses 
fiches : « On me signale une erreur : Riquet est le nom du proprietaire et Jean-Claude est le nom de ce 
magnifique etalon : Monsieur Riquet, faites trotter Jean-Claude, trotte... trotte... ! » 

Malheureusement, Zouc a disparu de la scene en 1997, a la suite d'une maladie nosocomiale. Depuis, 
elle survit en Suisse. II parait qu'elle a toujours ce besoin « d'exister dans la rnemoire des autres ». Pour 
ce qui me concerne, elle peut etre rassuree. 



Pantheon 



— Absence : « Est-ce que je t'ai manque pendant mon absence ? - Quel le absence ? » Anonyme. 

— Absinthe : « Je m' absinthe un moment. » Antoine Blondia 

— Academic : « Un academicien, c'est un type qui a un pied dans la tombe et qui ecrit avec F autre. » 
Anonyme. 

« Academicien ? Non. Le costiune coute trop cher. J'attendrai qu'il en meure un de ma taille. » 
Tristan Bernard. 

« Un academicien est un homme qui se change en fauteuil quand il meurt. » Jean Cocteau. 

« Si je suis elu, je serai "Immortel"... etsi je ne le suis pas,je n'en mourrai pas ! » Andre Roussin. 

« L'Academie ? Avec une minuscule, c'est un corps de jolie femme. Avec une majuscule, c'est un 
corps de vieux barbons. » Paul Morand. 

— Accent : « C'est quand les accents graves tournent a l'aigu que les sourcils sont en accents 
circonflexes. » Pierre Dae. 

— Accord : « Un accord est la rencontre de deux arriere-pensees. » Paul Valery. 

— Acteur : « Pourquoi les acteurs ne lancent-ils jamais de tomates au public ? » Jacques Sternberg. 

— Ad hoc : « Locution d'origine latine signifiant : ce poissonest fame. » Raoul Lambert. 

— Adolescent : « Si le fils d'Abraham avait ete un adolescent, on n'aurait pas parle de sacrifice. » 
Scott Spendlove. 

— Adulte : « Quand mon ills estne.j'ai revequ'il etaitadulte etqu'il recevaitleprix Nobel. Mais la 
meme nuit, j'ai fait un autre reve ou il disait : "Les frites, vous les voulez sir place ou a emporter ?" » 
Robin Williams. 

— Adultere ; « Si le Christ a pardonne a la femme adultere^ c'est parce que ce n'etait pas la sienne. » 
Anonyme. 

« n paraitrait logique qu'un roman sur 1* adultere soit redige a la troisieme personne. » Gregoire 
Lacroix. 

— Age : « Impossible de vous dire mon age, il change tout le temps. » Alphonse Allais. 




— Air : « Le corps humain est allergique a Pair : des qu'il en avale, il le recrache aussitot. » Jacques 
Sternberg. 

« Entre censeurs et encenseurs, Pair est irrespirable. » Frederic Schiffter. 

— Alcool : « L'alcool tue lentement. On s'en fout. On n'est pas presses. » Georges Courteline. 

— Allemand : « La vie est trop courte pour apprendre l'allemand. » Richard Porson. 

— Ambiance : « C'est la lurniere qui baisse et les prixqui moment. » William Attwood. 

— Ami : « Tout le monde veut avoir un ami — personne ne s'occupe d'en etre utl » Alphonse Karr. 

— Amour : « Je me souviens tres bien de la premiere fois ou j'ai fait 1" amour. J'ai encore le recu. » 
Groucho Mane 

« Est-il plus important d'etre amoureux ou aime ? Question sans interet si votre taux de cholesterol 
depasse six cents. » Woody Allen. 

« Cela fait quarante ans que je suis amoureux de la meme femme. Si mon epouse Fapprend, elle va 
me tuer. » Henny Youngman. 

— Anarchic : « Le Christ est un anarchiste qui a reussi. C'est d'ailleurs le seul. » Andre Malraux. 

— Anglais : « L'hiver anglais se termine enjuilletet recommence enaouL » George Gordon 
« Je ne suis pas anglais. Aucontraire. » Samuel Beckett. 

— Animal : « Un animal rnort n'est jamais dans son assiette. » SylvainTesson. 

« Noe, dont 1'arche venait d'appareiller, se rendit compte que tous les animaux avaient des puces, 
alors qu'il n'en fallait que deux. » Anonyms. 

— Anniversaire : « La semaine derniere, Pusine de bougies a brule et tout le rnonde a chante "Joyeux 
anniversaire" 3 » Steven Wright. 

— Antiquaire : « \fous voulez rigoler ? Rentrez chez un antiquaire et dites : "Alors, quoi de neuf ?" » 
Henny Youngman. 

— Aperitif : « La suite au prochain apero ! » Francois Morel. 

— Aquarium : « \bus voulez savoir pourquoi Jesus a ete crucifie plutot que noye ? \bus vous voyez 
avec un aquarium au-dessus de votre lit ? » Jerome Hart. 

— Arbre : « II y a deux sortes d'arbres : les hetres et les non-hetres. » Raymond Queneau 
« Y a-t-il des arbres a pain dans les lies Sandwich ? » Jacques Meunier. 

— Architecte : « On fait parfois des pendaisons de cremaillere. II vaudrait mieux, de temps en temps, 
pendre un architecte. » Jean Mistier. 

— Argent : « Uargent m'est preferable a la pauvrete, ne serait-ce que pour des raisons financieres. » 
Woody Allen. 

« II est agreable d'avoir de l'argent parce que cela permet de choisir la forme de misere qui vous 
convient. » Orson Welles. 

« Dans les fins de mois, ce qui est le plus dur, c'est les trente derniers jours. » Coluche. 

« Tant que mes chefs font comme si je gagnais beaucoup, je fais comme si je travaillais beaucoup. » 
Anonyme. 

— Armee : « Engagez-vous dans 1'armee ! Venez rencontrer des gens passionnants... et tuez-les ! » 
Anonyme. 

— Assiette : « Piece de vaisselle dans laquelle le percepteur verse Timpot. » Raoul Lainbert. 

— Athee : « Dieumerci, je suis athee. » Anonyme. 

« J'ai failli devenir athee... mais ils n'ontpas assezde jours feries. » Henny Youngman. 

— Au-dela : « Un au-dela ? Pourquoi pas ? Pourquoi les morts ne vivraient-ils pas ? Les vivants 
meurent biea » Chaval. 

— Australien : « Les Australiens sont la preuve vivante que les Aborigenes font 1' amour avec les 
kangourous. » John Freeman. 

— Automatique : « Automatique, ca signifie simplement que vous ne pouvez pas le reparer vous- 



meme. » Jed Larson. 

— Autopsie : « Elle permei aux autres de decouvrir ce qu'on n'a jamais pu voir en soi-meme. » 
Maurice Ferrand. 

— Avenir : « Je m'interesse a Tavenir parce que c'est la que j'ai decide de passer Ie reslant de mes 
jours. » Woody Allen. 

— Aveugle : « On n'a jamais vu un aveugle dans un camp de nudistes. » Woody Allen. 

« Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi... J'aurais pu etre noir. » Ray 
Charles. 

— Avion : « J*ai trouve le true pour ne pas avoir peur en avion : je demande a voir la boite noire 
avant. » John-Wolf Whistle. 

— Avis : « Mais vous changez d'avis comme de chemise ? - Oui, c'est une question de proprete. » 
Louis-Ferdinand Celine. 

— Avocat : « Je devais etre fusille ce matin a 6 heures. Mais comme j'ai un bon avocat, le peloton 
n"arrivera qu'a 6 h 30. » Woody Allen. 

« Les avocats portent des robes pour mentir aussi bien que les femmes. » Sacha Guitry. 



B 

— Bac : « Bateau a fond plat servant a faire passer la riviere a Jean-Sebastien. » Raoul Lambert. 

— Baignade : « II est dangereux de se baigner moins de trois heures apres avoir mange des 
champignons veneneux. >> Francois Cavanna. 

— Baignoire : « Tout corps plonge dans une baignoire recoit un coup de telephone. » Francis 
Blanche. 

— Baleine : « Je n'arrive jamais a me rappeler si Moby Dick c'est rhomme ou la baleine. » James 
Thurber. 

— Beaute : « Elle etait belle comme la femme d'un autre. » Paul Morand. 

— Beethoven : « Beethoven etait tellement sourd que toute sa vie il a cru qu'il faisait de la 
peinture. » Francois Cavanna. 

— Belle-mere : « Pour dejeuner a Noel, on a eu ma belle-mere. Personnellement> je prelere le 
poulet. » Mike Routch. 

« Ma belle-mere est tellement obsedee par la proprete qu'elle met du papier journal sous le coucou 
de Fhorloge. » Henny Youngman. 

— Bible : « Mes personnages favoris dans la Bible sont le roi David, Samson et Charlton Heston. » 
George Burns. 

— Bicyclette : <:< II est idiot de monter une cote a bicyclette quand il suffit de se retourner pour la 
descendre. » Pierre Dae. 

— Biographe : « II est incroyable que la perspective d'avoir un biographe n'ait fait renoncer 
personne a avoir une vie. » Emil Cioran. 

— Bisexualite : « H est incontestable que le fait d'etre bisexuel double vos chances de rencontrer 
quelqu'un un samedi soir. » Woody Allen. 

— Boire : « J'ai arrete de boire mais seulernent quand je dors. » George Best. 
« Je ne suis pas aussi pensez que vous le soul.. . » John Squire. 

« Je ne bois jamais, sauf si je suis seul ou accompagne. » W. C. Fields. 
« E ne faut jamais dormer a boire a un noye. » Tristan Bernard. 

— Bonheur : « Si on batissait la maison du bonheur,. la plus grande piece serait la salle d'attente. » 



Jules Renard. 

« Le bonheur date de la plus haute antiquite. II est quand meme tout neuf car il a peu servi. » 
Alexandre Vialatte. 

« Les gens ne connaissent pas leur bonheur... rnais celui des autres ne leur echappe jamais. » Pierre 
Daninos. 

« II ne faut pas avoir peur du bonheur. C'est seulement un bon moment a passer. » Remain Gary. 

— Borgne : « Les borgnes Iisent le braille a une main. » Philippe Geluck. 

— Botanique : « La botanique est Tart de dessecher des plantes entre des feuilles de papier buvard et 
de les injurier en grec et en latin. » Alphonse Karr. 

— Bouquet : « Ensemble de grosses crevettes que Ton ofFre a Poccasion d'une fete, d'un 
anniversaire. » Raoul Lambert 

— Bourse : « Mon courtier en Bourse a ete elu homme de l'annee. C* etait en 1929. » Anonyme. 

— Bridge : « La belote est F argot du bridge. » Henri Jeansoa 

— Bureau : « J"arrive toujours en retard au bureau, rnais je me rattrape en partant plus tot. » Charles 
Lamb. 



— Cacahuete : « Je ne mange pas de cacahuetes parce qu'elles font grossir. E suffit de regarder les 
elephants. » Anonyme. 

— Cafe : « Le cafe est un breuvage qui fait dormir quand on n'en prend pas. » Alphonse Allais. 

— Calendrier : « Je ne prendrai pas de calendrier cette annee, car j^ai ete mecontent de celui de 
Tannee derniere. » Alphonse Allais. 

— Cali fornie : « La Californie est un endroit merveilleux si vous etes une orange. » Fred Allen. 

— Campagne : « Ce qu'il y a de bien a la canpagne, e'est que quand on sort, on est dehors. » Jean- 
Marie Gourio, 

— Cannibale : « Le vendredi, les cannibales convertis au catholicisme ne mangent que des 
pecheurs. » Anonyme. 

— Capote : « Couverture mobile d'une voiture. Les capotes anglaises roulent a gauche. » Raoul 
Lambert. 

— Carpe diem : « Chez les Romains, jour de rouverture de la peche a la carpe. » Raoul Lambert. 

— Celebrite : « La notoriete, e'est Iorsqu'on remarque votre presence. La celebrite, e'est Iorsqu'on 
note votre absence. » Wolinski. 

— Cercueil : « Si vous n'aimez pas les cercueils, on vous fera monter de la biere. » Francis Blanche. 

— Cerveau : « Son cerveau est aussi vide que le camel d'adresses d'un ermite. » Rowan Atkinson. 
« Organe avec lequel nous pensons que nous pensons. » Ambrose Bierce. 

« La liberte est une peau de chagrin qui retrecit au lavage de cerveau. » Henri Jeansoa 

— Chaleur : « Jeanne d'Arc a ete la victime, a Rouen, d'une chaleur excessive pour la saison. » Jean 
Dutourd. 

— Chanteuse : ^< Elle chante tellement faax que meme les sourds refusent de regarder ses levres 
bouger. » Woody Allen. 

— Chasse : « Uengouement pour la chasse depend essentiellement du fait que vous soyez devant ou 
derriere le fusil. » P. G. Wodehouse. 

— Chat : « Avant d'appeler un chat un chat, il faut demander au chat. » Ylipe. 

— Chercher : « Je trouve d'abord et je cherche ensuite. » Pablo Picasso. 



— Cheval : « Les chevaux peuvent dormir debout. Mais je ne comprends pas pourquoi ils attendent 
que j"aie parie sur eax pour le faire. » Anonyme. 

« Les chevaux ont un sixieme sens qui les dissuade de parier sur les humains. » W. C. Fields. 

— Cheveu : « Le meilleur moyen d'eviter la chute des cheveux, c'est de faire un pas de cote. » 
Groucho Marx. 

— Chien : « Les chiens ne font pas des chats, meme si le chat est consentant. » Ylipe. 

« Pourquoi les chiens se precipitent-ils vers la porte quand on sonne, puisque ce n'est jamais pour 
eux. >•> Harry Hill. 

« Parce que je le sors tous les jours a la meme heure, mon chien est persuade qu'il m'a dresse. » 
Vincent Haudiquet. 

— Chinois : « J' adore la nourrilure chinoise. Mon plat prefere est le numero 27. » Clement Attlee. 

— Choix : « Tout dans la vie est l'affaire de choix. Cela commence par : la tetine ou le teton ? et cela 
s'acheve par : le chene ou le sapin ? » Pierre Desproges. 

— Chose : « A force d'aller au fond des choses, on y reste. » Jean Cocteau. 

— Chou-fleur : « Le chou-fleur n'est rien d'autre qu'un chou qui a fait des etudes superieures. » Mark 
Twain. 

— Chromosome : « Toute la nuit, j'ai cru entendre le chromosome en plus qui tournait en rond dans 
ma case en mo ins. » Raymond Devos. 

— Chute : « Toutes les chutes sont mauvaises... sauf les chutes de reins. » Anonyme. 

— Ciel : « Aidez-moi, j'aiderai le ciel. » Jacques Rigaut. 

— Cil : « Le cil est un poil qui a reussi. » Ylipe. 

— Cimetiere : « Quand on se promene dans un cimetiere, on a des raisons de se demander ou sont 
enterres les salauds. » Charles Lamb. 

— Cinema : « En moins de cinquante ans, on est passe du cinema muet au cinema qui n'a rien a 
dire. » Doug Larson. 

— Clarte : « Cestaveuglant de clarte. » Woody Allea 

— Classique : « Un classique est un auteur dont on peut faire Teloge sans Tavoir lu. » G. K. 
Chesterton. 

— Cleopatre : « Je crois que j'aimerais rrrieav que ce soil Cleopatre qui joue dans un film sur la vie 
d'Elizabeth Taylor. » Earl Wilson. 

— Cocu : « Les chaines du mariage sont si lourdes qu'il taut etre deux pour les porter. Quelquefois 
trois ! » Alexandre Dumas fils. 

« II vaut mieux etre cocu que veuf : il y a moins de formalites. » Alphonse Allais. 

— Compositeur : « Mes deux compositeurs preferes sont les Bach : Jean-Sebastien et Jacques 
OfFen. » Victor Borge. 





Con ; « Les cons, 9a ose tout. C'est meme a ca qu'on les reconnait. » Michel Audiard. 
Concombre : « Le concombre doit etre coupe en tranches fines, assaisonne avec du vinaigre, du 



sel et dupoivre, puis jete a la poubelle. » Samuel Johnson. 

— Conferencier : « Certains hommes parlent pendant leur sommeil. Les conferenciers parlent pendant 
le sommeil des autres. » Alfred Capus. 

— Confusion : « II ne faut pas confondre Saint-Antoine-de-Saindouxavec Saint-Jean-Pied-de-Port. » 
Jacques Prevert. 

— Conscience : « J'ai bonne conscience : je roule dans une voiture allemande, mais mon tailleur est 
juif. » Jean Yanne. 

— Contrepet : « Si les fils d'Hippocrate sont des hypocrites, faut-il en deduire que les fils de 
Democrite sont des democrates ? » Jean Sauteron. 

— Cornichon : « Coinme la chrysalide devient papillon, le cornichon devient concombre. » Alfred 
Jarry. 

— Coupable : « La seule difference entre les juifc et les catholiques, c'est que les premiers sont nes 
coupables et que les seconds ont appris a 1'etre a 1'ecole. » Elayne Boosler. 

— Couper : « Coupez, jeune homme ! Coupez ! N'hesitez pas ! Ce qui a ete coupe ne sera pas 
siffle. » Eugene Scribe. 

— Couple : « Quand vous voyez un couple dans la rue, celui qui marche trois metres devant, c'est 
celui qui est en colere. » Helen Rowland. 

« Quand je vois tous ces couples fideles, je me dis que tout le monde peut se tromper. » Roland 
Bacri. 

— Courage : « N'ecoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda bien d'intervenir. » Jules 
Renard. 

« L'art d'avoir peur sans que cela paraisse. » Pierre Veron. 

— Courbe : « Une femme met plus de temps qu'un homme pour s'habiller. parce qu'elle doit ralentir 
dans les courbes. » Anonyme. 

— Creme : « Neron, le plus cruel des empereurs romains, faisait toujours fouetter la creme avant de 
la manger. » Raoul Lambert. 

— Critique : « Un critique, c'est un joumaliste que sa petite amie a plaque pour un acteur. » Walter 
Winchell. 

« Demander a un ecrivain ce qu'il pense des critiques, c*est comme si vous demandiez a un reverbere 
ce qu'il pense des chiens. » John Osborne. 

— Croque-mort : « Le metier de croque-mort n a aucun avenir, Les clients ne sont pas fideles. » 
Leon-Paul Fargue. 

— Cuisine : « Les livres qui se vendent le mieux sont les livres de cuisine et les livres de regimes. 
Les premiers vous expliquent comment faire la cuisine et les autres comment ne pas la manger. » Andy 
Rooney. 

— Culte : « Je suis inculte parce que je n'en pratique aucun. » Raymond Queneau. 

— Culture : « La culture, c'est comme le parachute : quand tu n'en as pas, tu t'ecrases. » Anonyme. 

— Cure : « Cure defroque vend petite eglise dans village. Prixsacrifie. » Pierre Dae. 

— Cycle : « Le tour de France : la legende des cycles. » Antoine Blondin. 

« Cyclistes, fortiflez vos jambes en mangeant des ceufs mollets. » Pierre Dae. 



D 

— Danger : « De toutes les perversions sexuelles., la chastete est la plus dangereuse. » George 
Bernard Shaw. 



— Danse : « Je ne danse pas mais je suis tout a fait d^accord pour vous tenir pendant que vous le 
faites. » Anonyme. 

« Quand je danse, les gens pensent que je cherche mes cles. » Ray Barone. 

— Decision : « Une fois que ma decision est prise, j'hesite longuement. » Jules Renard. 

— Delinquant : « II y a trente ans, un jeune delinquant c'etait un gamin qui n'avait pas rendu son livre 
a la bibliotheque. » Harry Hershfield. 

— Demon : « Le demon de inidi survient souvent a 14 heures. » Pierre Dae. 

— Dent : « II vaut mieux se laver les dents dans un verre a pied que les pieds dans un verre a dents. » 
Pierre Dae. 

— Depens : « Je vis a mes depens. » Louis Scutenaire. 

— Depute : « Un depute francais s'etait endormi pendant un debat. Quand il s'est reveille, il s'est 
apercu qu'il avait ete deux fois Premier Ministre. » Oswald Lewis. 

— Descendre : « Descendre a la cave pour prendre un remontant » Sylvain Tessoa 

— Dene : « J'ai une dette envers mes professeurs et je compte bien leur faire payer un de ces jours. » 
Stephen Leacock. 

— Diable : « Certes, le diable a tente le Christ - rnais e'est le Christ qui a commence. » Samuel 
Butler. 

— Diagnostic : « Traiter son prochain de con n'est pas un outrage, mais un diagnostic. » Frederic 
Dard. 

— Dictionnaire : « Un chef-d'eeuvre de la litterature n'est jamais qu'un dictionnaire en desordre. » 
Jean Cocteau 

— Dieu : « Pas de nouvelles de Dieu. » Leon Bloy. 

« Je crois en Dieu J'ai dit : je crois, j'ai pas dit que j'etais sur ! » Jean-Marie Gourio. 

« Mais alors si Dieu n'existe pas, qui ouvre les portes automatiques dans les supermarches ? » 
Patrick Murray. 

« Eros, qui etait un dieu pour les Anciens, est un problems pour les Modernes. » Denis de 
Rougemont. 

« Mais que foutait Dieu avant la creation ? » Samuel Beckett. 

« II me semble parfois que Dieu en creant rhomme ait quelque peu surestime ses capacites. » Oscar 
Wilde. 

« Au paradis on est assis a la droite, e'est normal, e'est la place du mort ! » Pierre Desproges. 

« Je crois que je suis croyant. » Michel Bouquet 

« Sans le diable, Dieu n'aurait jamais atteint le grand public. » Jean Cocteau 

— Difference ; « La difference entre un maitre et son domestique ? Tous deux fument les memes 
cigares, mais il n'yena qu'un qui les paie. » Tristan Bernard. 

— Diplomate : « Un diplornate, e'est quelqu'un qui reflechit a deux fois avant de ne rien dire. » 
Frederick Sawyer. 

— Dispute : « Mes parents ne se sont disputes qu'une fois en quarante-cinq ans. Cela a dure 
quarante-trois ans. » Cathy Ladman. 

— Divorce : « Des vacances dans les Bermudes ca ne dure que deux semaines, mais un divorce, vous 
en profitez toute la vie. » Woody Allen. 

— Doigt : « Les cinq doigts de la main ne sont pas tous egaux. » Frederic Mistral. 

— Droite : « Je me suis toujours demande si les gauchers passaient Tarme a droite. >> Alphonse 
Allais. 

— Dynastie : « Une dynastie est une collection de cadavres numerotes. » Achille Chavee. 

— Dyslexique : « Quand j'etais petit, j'etais dyslexique, mais maintenant tout est KO. »■ Simon Leigh- 



E 

r » 

— Echange : « Ecureuil edente echangerait panache contre casse-noiseltes. » Pierre Dae. 

— Echecs : « L' autre jour, j'ai dejeune avec un type qui doit etre un champion d'echecs. II a mis 
vingt minutes pour me passer la saliere. » Eric Sykes. 

« Le joueur d'echecs, comme Ie peintre ou le photographe, est brillant. .. ou mat. » Vladimir 
Nabokov. 

r 

— Ecologiste : « Je suis ecologiste. La plupart de mes blagues sont recyclees. » David Letterman. 

— Ecossais : « Un Ecossais, c*est quelquun qui, lorsqu'il emmene un pantalon a la laverie 
automatique, en profite pour mettre une chaussette dans chaque poche. » Ambrose Bierce. 

— Ecrire : « Ecrire, e'est une facon de parler sans etre interrompu. » Jules Renard. 

« Le Chateaubriand est un filet tellement exquis qu'il a donne son nom a un grand ecrivaia » Henri 
Rochefort 

— Egocentrisme : « Bon ! assez parle de moi. Parlons un peu de vous maintenant. Que pensez-vous 
de moi ? » Ed Koch. 

« Un egoi'ste. .. un homme qui ne pense pas a moi. » Eugene Labiche. 

— Einstein: « La femme d'Einsteinn'etait pas la moitie d'un imbecile. » Yvan Audouard. 

— Ejaculation : « Je suis alle a une conference sur F ejaculation precoce. Je suis arrive cinq minutes 
en avance.. . mais e'etait deja fini ! » Bert Parson. 

— Elephant : « J'ai une memoire d'elephant. D'ailleurs. les elepliants viennent souvent me 
consulter. » Noel Coward. 

« Si vous avez attrape un elepliant par une parte de derriere et qu'il cherche a s'enfuir. il vaut mieux 
lacher prise. » Abraham Lincoln. 

— Embrasser : « Je n'etais pas en train d'embrasser voire fille, monsieur, je lui chuchotais seulement 
dans la bouche. » Chico Marx. 

— Encyclopedie : « Une encyclopedie permet d'accurnuler la poussiere en ordre alphabetique. » 
Mike Barfield. 

— Enfant : « Un enfant prodige, e'est un enfant dont les parents ont beaucoup d'imagination. » Jean 
Cocteau. 

« Des enfants ! Je prefere en commencer cent qu'en terminer un seul. » Pauline Bonaparte. 

— Erection ; « Ne se dit qu'en parlanl des monuments. » Gustave Flaubert. 




« II n'existe pratiquement aucune difl^rence entre un Anglais en etat d'erection et un Italien 
itnpuissant. » San- Antonio. 

— Escargot : « Les escargots sont hermaphrodites. Les femelles aussi. » Raoul Lambert. 

— Esperanto : « Je parle Tesperanto coinme un type du pays. » Spike Milligarx 

— Et cceiera : «£f cietera est la formule qui fait croire aux autres que vous en savez plus qu'en 
realite. » Herbert Prochnow. 



— Evolution : « J'ai ma propre theorie sur revolution : Darwin etait un enfant adopte. » Steven 
Wright. 

— Exageration : « L' exageration est la forme la moins chere de r humour. » Elizabeth Peters. 

— Existentialiste : « J'ai une carte routiere specialernent concue pour les existentialistes. II y a ecrit 
"Vous etes ici" partout. » Steven Wright. 



F 

— Fecondation : « Le cornet a fistons, c'est Feprouvette ou se fait la fecondation in vit/v. » 
Alexandre Breifort 

— Femme : « Je sors depuis longtemps avec une femme qui, apparemment, n'est pas au courant. » 
Garry Shandling. 

« Les courtisanes sont des feinmes qui gagnent a etre connues. » Gavarni. 

« Certains homines parcourent les femmes a viol d'oiseau. » Louise Leblanc. 

« Etre une femme dispense au moins d'en avoir une. » Roland Dubillard. 

« Ma femme ne me manque jamais. .. Elle vise trop bien ! » Anonyme. 

« Pourquoi n*aimerait-on pas sa femme ? Onaime biencelles des autres. » Alexandre Dumas fils. 

« La position preferee de ma femme, c'est dos a dos. » Rodney Dangerfield. 

— Fidelite : « L' alliance n'est fidele qu'a un seul doigt » Woody Allen. 

— Film : « Les films que j'ai realises sont surtout diffuses dans les avions et dans les prisons, parce 
que personne ne peut quitter la salle. » Burt Reynolds. 

— Fleur : « Dans son arriere-boutique, la fleuriste cuJtivait ses arriere-pensees. » Rene Fallet. 

— Fortune : « La fortune vient en dormant, mais pas en dormant seule. >v La Belle Otero. 

— Fraction : « Les quatre tiers de la population ne savent pas ce qu'est une fraction. » Steven Wright. 

— France : « Y a-t-il dans la salle quelqu'un qui sache parfaitement le francais ? - Je ! » Anonyme. 

« La France n'a ni hiver, ni ete\ ni principes ; mais exception faite de ces trois inconvenients, c'est un 
beau pays. » Mark Twaia 

— Frequentation : « II ne faut jamais juger les gens sur leurs frequentations : Judas, par exemple, 
avait des amis irreprochables. » Paul Verlaine. 

— Fromage : « Les poetes ont toujours ete tres discrets sur le probleme du fromage. » G. K. 
Chestertoa 

« Tant que vous n'etes pas un fromage, Fage importe peu. » Billie Burke. 



— Garagiste : « Mon garagiste affirme que ma batterie a besoin d'une nouvelle voiture. » Anonyme. 

« Mon garagiste n'a pas pu reparer mes freins, alors il m'a installe un Klaxon plus puissant. » Steven 
Wright. 

— Garcon : « Un garcon manque, c'estune fille reussie. » Jacques Prevert 

— General : « Un general ne se rend jamais, meme a Tevidence. » Jean Cocteau. 

— Gentleman : « Un gentleman, c'est quelqu'un qui, lorsqu'il propose a une femme de lui montrer ses 
estampes japonaises... lui montre ses estampes japonaises. » Anonyme. 

« Le vrai gentleman, c'est celui qui sait jouer de la cornemuse mais qui ne le fait pas. » Thomas 
Beecham. 



— Glasgow : « Ce qu'il y a de bien avec la ville de Glasgow, c'est que meme apres une attaque 
nucleaire, elle serail exactement identique. » Billy Connolly. 

— Goethe : « Parfois, quand je lis Goethe, j'ai un doute, je ine demande s'il n'essaie pas d'etre 
drole. » Guy Davenport, 

— Goncourt : « Quand on donne le Goncourt a un ecrivain, est-ce qu'il est oblige de le lire ? » 
Laurent Ruquier. 

— Gorge : « J'ai longtemps pense que Gorge prof "onde etait un film sur une girafe. » Bob Hope. 

— Gouvemernent : « Monsieur le President, je retire ce que je viens de dire, a savoir qu'une moitie 
du gouvernement est composee de cretins : une moitie du gouvemernent n'est done pas composee de 
cretins. » Benjamin Disraeli. 

— Grimace : « II etait si laid que lorsqu' il iaisaitdes grimaces, il P etait moins. » Jules Renard. 

— Guerre : « Bo Derek ne sail pas reconnaitre les chiflres romains. Elle croit qu'elle a tourne un film 
sur la 1 1° Guerre mondiale. » John Rivers. 



H 

— Heritier : « La barbe de Pheritier pousse plus vite que les ongles du mort. » Alexandre Vialatte. 

— Heroisme : « Dans les villes qu'il traversait, Buffalo Bill faisait plumer tous les poulets pour etre 
sur qu'il s'agissaitbien de poulets et nond'Indiens. » Raoul Lambert. 

— Heure : « Une fois j'ai fait ramour pendant une heure cinq ! C'etait le jour du changement 
d'heure. » Garry Shandling. 

— Histoire : « Une histoire inventee doit paraitre vraie et une histoire vraie doit paraitre inventee. » 
Cite par Jean-Claude Carriere. 

— Hollywood : « A Hollywood, un mariage reussi, c'est quand les epoux sortent ensemble de 
l'eglise. » Anonyme. 

« A Hollywood, les manages sont si ephemeres qua la sortie de l'eglise, on jette du riz a cuisson 
rapide. >•> Anonyme. 

« On m'avait promis que mon partenaire serait le plus grand et le plus impressionnant d' Hollywood 
et on ne m'a pas menu : j'ai joue avec King Kong. » Fay Wray. 

— Homme : « J'aime les hommes qui ont un avenir et les femmes qui ont un passe. » Oscar Wilde. 
« L'age critique pour un homme ? Celui de sa femme. . . » Anonyme. 

« L'homme descend du songe. » Antoine Blondin. 

« L'homme n'est que poussiere, c'est dire I'importance du plumeau » Alexandre Vialatte. 

— Homosexuel : « Nous avons ete cambrioles par des homosexuels. lis ont fracture la porte et ils ont 
change la disposition des meubles. » Robin Will iains. 

« Si Michel-Ange n'avait pas ete homosexuel, la chapelle Sixtine aurait ete peinte en blanc au 
rouleau, et en deuxjours 1* affaire aurait ete reglee. » Rita Mae Brown. 

— Honnete : « Je suis trop honnete pour etre poli. » Louis Scutenaire. 

— Hotel : « Dans certains hotels, les serviettes sont si moelleuses qu'on n' arrive plus a fermer sa 
valise. » Anonyme. 

« La nuit derniere, il y avait une femme qui n'arretait pas de frapper a la porte de ma chambre 
d"hotel. Finalement, je I'ai Iaissee sortir. » Groucho Marx. 

— Humour : « Je suis l'exemple classique des humoristes : settlement drole quand je travaille. » 
Peter Sellers. 

« L' humour juif, c'est comme F humour alleirand avec r humour en plus. » Anonyme. 



« II y a des gens qui son* chauves au-dedans de la tete : ceux qui n'ont pas le sens de 1' humour. » 
Francis Blanche. 

« Je ne plaisante jamais avec l'humour. » Frigyes Karinthy. 

« L'humour, c'est l'eaude Tau-dela melee au vind'ici-bas. » Jean Arp. 

« L'humoriste, c*est un homme de bonne mauvaise huineur. » Jules Renard. 

— Hypocondriaque : « Tout le monde pense que je suis hypocondriaque. Cela me rend malade. » 
Felix Ungar. 



— Idiot : « Idiot cherche village. » Pierre Dae. 

— Imbecile : « Un concerne n'est pas obligatoirement un imbecile encercle. » Pierre Dae. 

— Immobile : « Meme une pendule arretee a raison deux fois par jour. » Anonyme. 

— Lmmortel : « Si j'etais immortel, jMnventerais la mort pour avoir du plaisir a vivre. » Jean Louis 
Auguste CommersorL 

— Impot : « C'est au moment de payer ses impots qu'on s'apercoit qu'on n'a pas les moyens de 
s'offrir 1* argent que I'on gagne. » San- Antonio. 

— Incineration : « Je desire etre incinere et je veux que 10 % de mes cendres soient versees a mon 
impresario. » Groucho Marx. 

— Infirmite : « J'entends bien que je pourrais devenir sourd, je sens que je pourrais perdre I'odorat, 
maisje ne me vois pas aveugle. » Gabriel de Lautrec. 

— Information : « Dans mon entreprise, les gens vont a la machine a cafe pour avoir des informations 
et aux reunions d' information pour avoir du cafe. » Vincent Haudiquet. 

— Ingenieur : « II faut se mefier des ingenieurs. ca commence par la machine a coudre et ca finit par 
la bombe atomique. » Marcel Pagnol. 

— Innocent : « Tout homme est presume innocent jusqu'a ce qu'il soit elu. » Laurent Ruquier. 

— Intellectual ; « Un couvreur prend plus de risques qu'un intellectuel. » Jean-Paul Sartre- 

« Un intellectuel est quelqu'unqui entre dans une bibliotheque publique meme quand il ne pleut pas. » 
Andre Roussia 

« Un intellectuel est quelqu' un qui, lorsqu'il regarde une saucisse, pense a Picasso. » Alan Patrick 
Herbert 

— Intelligent : « L'avantage d'etre intelligent, e'est qu'on peut toujours faire 1'imbecile, alors que 
r inverse esttotalement impossible. » Woody Allen. 

— Interet : « On place ses eloges comme on place de l'argent, pour qu"ils nous soient rendus avec les 
interets. » Jules Renard. 

— Invention : « Je ne saurais mieux coinparer ma femme qu n a une invention francaise : 0*651 moi qui 
Tai trouvee et ce sont les autres qui en profitent. » Henri Duvernois. 



— Japonais : « Pour se nourrir, les Japonais mangent du riz, sans blanquette. J'en ris encore ! » 
Pierre Desproges. 

— Jazz : « Le jazz, e'est quand cinq musiciens jouent ensemble un morceau different. » Steve 
McGrew. 



— Jesus : « Jesus etait juif, certes, mais seulement ducote de sa mere. » Archie Bunker. 

« Depuis deux mille ans, Jesus se venge sur nous de ne pas etre mort sur un canape. » Emil Cioran. 
« Si Jesus etait juif, pourquoi avait-il unprenomespagnol ? » Bill Maher. 

— Jesuite : « Je n'ai rien contre les jesuites, mais je n"aimerais pas que ma fille en epouse un. » 
Patrick Murray. 

— Jeu : « Le jeu, c'est tout ce qu'on fait sans y etre oblige. » Mark Twain. 

— Journaliste : « Le comble pour unjournaliste ? Etre a Particle de sa mort. » Jules Renard. 

— Justice : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge, si on ne la voit pas de temps de temps, le 
doute s'installe. » Michel Audiard. 



K 



Kangourou : « La vie des kangourous est riche en rebondissements. »• Sylvain Tesson. 
Kennedy : « La devise des Kennedy : ne pas se laisser abattre. » San- Antonio. 




« Si Khrouchtchev avait ete assassine a la place de Kennedy, je ne suis pas sur qu'Onassis aurait 
epouse Mme Khrouchtchev. » Sir Douglas-Home. 



— Lait : « Je boirai du lait le jour oil les vaches mangeront du raisin. » Jean Gabin. 

— Langue : « Un professeur de langues mortes s'est suicide pour parler les langues qu'il 
connaissait. » L. Langanesi. 

— Lapin : « A la chasse, je ne tire qu'en situation de legitime defense, par exemple si un lapin me 
menace avec un couteau. » Johnny Carsoa 

— Lecture : « On ne dit pas javellise, mais j "ai lu. » Anonyme. 

« J'ai pris quelques cours de lecture rapide et j'ai lu Guerre el Paix en vingt minutes. Cela parle de 
la Russie. » Woody Allen. 

— Lego : « Comme tous ceux a qui il est arrive de rentrer pieds nus et tard le soir dans une chambre 
d'enfants, je deteste le Lego. » Tony Kornheiser. 

— Licorne : « II ne faut jamais jouer a saute-nwuton avec une licorne. » Michel Shea. 

— Lion : « Les lions ont une grosse tete afin quils ne puissent pas passer entre les barreaux de leur 
cage. » Pierre Doris. 

— Litterature : « Beaute de la Iitterature. Je perds une vache. J'ecris sa mort et ca me rapporte de 
quoi acheter une autre vache. » Jules Renard. 



« Pour Noel, j'ai offert un livre a mon neveu. II a passe six mois a chercher oil mettre Ies piles. » 
Anonyme. 

— Loi : « II faudrait dans le code civil ajouter partout "du plus fort" au mot loi. » Alfred Jarry. 

— Lune : « De deuxchoses rune. L'autre c'est le soleil. » Jacques Prevert. 



M 

— Manuscrit : « \btre manuscrit est a la fois bon et original. Mais la partie qui est bonne n'est pas 
originate et la partie qui est originale n'est pas bonne. » Samuel Johnson. 

— Manage : « \fous voulez savoir combien de maris j'ai eus ? En comptant le mien ? » Zsa Zsa 
Gabor. 

« Je ne pense pas que leur manage va durer tres longlemps. Deja a l'eglise, quand il a dit "oui'\ elle 
a repondu : "Ne me parle pas sur ce ton." » Gary Apple. 

« La seule chose que nous ayons en commun. mon mari et moi, c'est que nous nous sommes maries le 
meme jour. » Phyllis Diller. 

« Chaque fois que j*essaie de pimenter mon mariage, ma femme me surprend. » Bob Monkhouse. 

« Un mariage rate est quand meme plus joyeux qu'un enterrement reussi. » Yvan Audouard. 

— Masochisrne : « J'ai du laisser tomber le masochisme. Cela me plaisait trop. » Mel Caiman. 

« Trouve dans le portefeuille d'un masochiste : "En cas d'accident, ne prevenez les secours que trois 
heures apres." » Anonyme. 

— Mayonnaise : « Les architectes cachent leurs erreurs sous le lierre, Ies medecins sous la terre, et 
les menageres sous la mayonnaise. » George Bernard Shaw. 

— Mechant : « J'aime mieux les mechants que les imbeciles, car parfois ils se reposent. » Alexandre 
Dumas. 

— Medecine : « J'ai explique a mon medecin que je nvetais casse la jambe a deux endroits. II m/a 
interdit d'y retourner. » Henny Youngman, 

« C'est un art qu'on exerce en attendant qu on le decouvre. » Emile Deschamps. 

— Medium : « Medium demande esprit frappeur pour coups de pied occultes. » Pierre Dae. 

— Mensonge : « Desole de ne pouvoir assister a votre reception. Le mensonge suit par courrier. » 
Charles Beresford. 

« Je ne mens pas. Je juxtapose. » Louis Scutenaire. 

« Je fais collection de mensonges, mais ce n'est pas vrai. » Roland Topor. 

« Les femmes sont tellement menteuses qu'on ne peut meme pas croire le contraire de ce qu'elles 
disent. » Georges Courteline. 

— Mercure : « II y a tellement de mercure dans cette eau que les poissons peuvent prendre eux- 
memes leur temperature. » Diana Sears. 

— Meteorologie : « Quand le barometre se passe la parte derriere roreille, c'est que le chat est a la 
pluie. » Leo Campion. 

— Micro-ondes : « Je viens d'acheter un poste de television a micro-ondes. Je peux regarder 
remission tv Soixante minutes" en douze secondes. » Steven Wright. 

— Mime : « Si Ton se trouve dans l'obligation de tuer un rnime, faut-il utiliser un silencieux ? » 
Steven Wright. 

— Miroir ; « Lorsqu'on casse un miroir, on dit que ca fait sept ans de malheur, mais mon avocat 
pense qu"il peut reduire la peine a cinq ans. » Steven Wright. 

— Missionnaire : « Un missionnaire est une personne qui apprend aax cannibales a dire le benedicite 



avant de le manger. » Anonyme. 

— Moi : « J'ai des fins de moi difficiles. » Alain Dantinne. 
« J'ai peu de choses en commun avec moi-meme. » Kafka. 




— Monocle : « Un monocle est un verre solitaire. » Leo Campion. 

— Mort : « Je ne sens plus son pouls. Ou il est mort, ou c'est ma montre qui s'est arretee. » Groucho 
Marx. 

« La mort ne m'aura pas vivant. » Jean CocteaiL 

« Je n'ai plus Page de mourir jeune. » Jules Renard. 

« La mort ? Pourvu que j 'arrive jusque-Ia. » Jean Paidhan. 

« La mort est un manque de savoir-vivre. » Alphonse Allais. 

« Mourir est un acte de vieux. » Jean Cocteau 

« Le premier homme qui est mort a du etre vachement surpris. » Wolinski. 

« Partir, c'est mourir un peu, mais mourir, c'est partir beaucoup. » Alphonse Allais. 

« Je voudrais mourir jeune le plus lard possible. » Marcel Prevost. 

— Mot : « "Toujours" et "jamais" sont deux mots que vous devez toujours savoir ne jamais 
employer. » Wendell Johnson. 

— Mouche : « Mais pourquoi Noe n'a-t-il pas chasse Les mouches quand il en avait l'occasion ? » 
Anonyme. 

— Mouton ; « Pourquoi les moutons ne retrecissent-ils pas quand il pleut ? » Steven Wright. 

— Muet : « II n'y a rien de plus reposant que de parler avec un muet. » Zoot Sims. 

— Mur : « Homme mur cherche femme papier peint. » Anonyme. 



N 

— Naturisme : « Lun des avantages du naturisme, c'est qu'on n'a pas besoin de tendre le bras pour 
savoir s"il pleut. » Anonyme. 

« Je suis alle a une soiree dans un club naturiste, mais ce n'etait pas tres drole. Les gens etaient 
tellement souls qu'ils se sont rhabilles. » Anonyme. 

— Noel : « Ma farnille etait tellement pauvre qu'a Noel, alors que j'avais dernande un Yo-Yq, on 
m' avait offert une ficelle. Mon pere m'a dit que ca s'appelait un Yo. » Brendan O* Carroll. 

— Noir : « II vaut rrrieux etre noir qu' homosexuel parce que, quand on est noir, on n'a pas a le dire a 
sa mere. » Charles Pierce. 

— Nombril : « Je n'ai jamais pose pour la double page centrale de Playboy carje ne supporterais 
pas d' avoir une agrafe dans le nombril. » Diana Rigg. 

— Nourriture : « La nourriture anglaise ? C'est bien simple : quand c'est chaud, c'est de la biere, et 
quand c^est froid, c'est de la soupe. » Anonyme. 



— Nouvelle-Zelande : « Je suis alle en Nouvelle-Zelande, mais 9a avait Fair ferine. » Clement 
Freud. 

— Noyade : « II est mauvais de se noyer apres manger. » Erik Satie. 



O 

— Obscenites : « Quand un homme dit des obscenites a une femme, c'est du harcelement sexuel. 
Quand c'est une femme qui dit des obscenites a un homme, c'est 3,95 dollars la minute. » Steven Wright. 

— Obscurite : « On ne sail plus ce que c'est que I'obscurite. A force de vouloir faire la lumiere sur 
tout, on ne distingue plus rien. » Raymond Devos. 

— Omelette : « T*as un resto et tu detestes faire des omelettes ? Au lieu d'ecrire omelette sur le 
menu, ecris avortements de poule. » Pierre Legare. 

— Opera : « A r opera, quand on se faitpoignarder, au lieu de mourir, on chante. » Anonyme. 

« Parsifal est le genre d'opera qui cominence a 18 heures et, apres trois heures, vous regardez votre 
montre et il est 1 8 h 20. » David Randolph. 

— Ophtalmo : « J'ai une tres mauvaise vue. Quand je vais chez Pophtalmo, le docteur montre Ies 
lettres en les enoncant a voix haute, et ensuite il me demande : " Vrai ou faux 7" » Woody Allea 

— Optimisme : « Elle est en retard. C'est qu'elle viendra. » Sacha Guitry. 

« Un opumiste, c'est quelqu'un qui rentre au restaurant sans un sou et qui espere payer sa note grace 
aux perles qu'il trouvera dans ses huitres. » Anonyme. 



— Pacemaker : « Mon voisin a un pacemaker qui est rnal regie, quand il fait r amour, ca ouvre la 
porte de mon garage. » Anonyme. 

— Paix : « Je connais quelqu'un qui serait capable de tuer pour avoir le prix Nobel de la paix. » 
Anonyme. 

— Pamplemousse : « Je fais le regime "pamplemousse", c'est-a-dire que je mange de tout sauf du 
pamplemousse. » Chi-Chi Rodriguez. 

— Papa : « C'est maman qui nva eleve. Papa est mort quand j'avais huit ans, enfm, c'est ce qu'il dit 
dans sa lettre. » Drew Carey. 

— Papillon : « Et apres tout, qu'est-ce qu'un papillon ? Tout au plus une chenille qui a bien tourne. » 
John Gay. 

— Parachute : « A vendre parachute. Jamais ouvert N'a servi qu'une fois. » Steven Wright. 

— Parallele : « Deuxparalleles s'aimaient... Helas ! » Andre Frederique. 

— Paranoi'aque : « Je pense que je suis paranoiaque. Sur mon velo d'appartement, j'ai installe deux 
retroviseurs. » Richard Lewis. 

« Je connais quelqu'un qui est tellernent parano que meme son signe astral est sur Iiste rouge. » 
Anonyme. 

— Paresse : « Habitude prise de se reposer avant la fatigue. » Jules Renard. 

— Parkinson : « J'ai la maladie de Parkinson, et il a la mienne. » Anonyme. 

— Parler : « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et 
rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir. » Pierre Dae. 

« II faut parler de soi sans trop en avoir 1 'air : tirer son epingle du Je. » Sacha Guitry. 



— Partouze : « II m'a fallu trois jours pour comprendre qu'il s'agissait d'une partouze. » 
S. J. Perelman. 

— Pauvre : « II etait tellement pauvre qu'il n'avait pas de subconscient. » Marcel Marien. 
« Mes parents etaient tellenient pauvres qu'ils se sont maries pour le riz. » Bob Hope. 

« On etaient tellement pauvres qu'avant de se coucher. mon pere debranchait les horloges. » Chris 
Rock. 

— Peche : « De tous les peches, l'avarice est le plus avantageux. » Marcel Ayme. 

— Peinture : « Le violon d'Ingres ? Cest certainement la peinture. » Pierre Dae. 

— Petit : « II est si petit qu'il est le seul homrne que je connaisse a porter des revers a ses slips. » 
Jerry Lewis. 

— Petrole : « La hausse du petrole entraine des inquietudes chez les handicapes rnoteurs. » Coluche. 
« On ne dit pas faire tache d'huile. mais : commander un petrolier. » Anonyme. 

— Peur : « La peur de tomber : voila ce qui fail grimacer les pendus ! » Pierre Dumayet 

— Piano : « Quand je Ieur ai dit que je n'avais pas envie de jouer du piano parce que ma tante venait 
de mourir, ils m'ont repondu : "Joue seulement sur les touches noires !" » Anonyme. 

— Picasso : « Picasso a ete renverse par un chauflard dont il a fait un portrait-robot qui a permis 
d'arreter trois suspects : un cure, la tour Eiffel et un televiseur. » Anonyme. 

— Piedeslal : « II faut collectionner les pierres qu'on vous jetle. C'est le debut d'un piedestal. » 
Hector Berlioz. 

— Pipe : « C'est en 1967 que Magritte cassa sa pipe. » Alain Dantinne. 

— Plaire : « Si vous voulez plaire aux femmes, dites-leur ce que vous ne voudriez pas qu'on dise a la 
votre. » Jules Renard. 

— Plaque : « Je ne sais pas ou est "la plaque" mais on me dit souvent que je suis "a cote". » 
Anonyme. 

— Pleonasme : « Fermer les maisons closes, c'est plus qu'un crime, c'est unpleonasme. » Arletty. 

— Pluie : « Le parapluie est a toi, mais la pluie est a tout le monde. » Proverbe indien. 

— Poireau : « L'asperge est le poireau du riche. » Francis Blanche. 

— Policier : « Les policiers portent un numero, au cas ou on les perdrait. » Spike Milligan. 

— Politesse : « J'ignore si ma premiere experience a ete heterosexuelle ou homosexuelle. J'etais trop 
poli pour poser la question. » Gore Vidal. 

— Politique : « Si vous n"avez pas d'opinionspolitiques, prenezdonc les miennes. » Edgar Faure. 

— Ponctualite : « La ponctualite, e'etait la politesse des rois mais e'etait facile, y a qu'eux qui 
avaient des montres. » Jean-Marie Gourio. 

— Portable : « Au volant, y a du pour et du contre. D' accord on peut renverser un gamin mais d'un 
autre cote, on peut tout de suite telephoner aux parents. » Herve Le Tellier. 




— Porte-bonheur : « Si votre porte-bonheur est une parte de lapin, n'oubliez pas que ca n'a pas 
forcement porte chance au lapin. » R. E. Shay. 

— Posterite : « Invoquer sa posterite, c'est faire un discours aux asticots. » Louis-Ferdinand Celine. 



— Post-scriptum : « L'appendice est le posi-scriptum de Forganisme. » Pierre Dae. 

— Preservatif : « Les preservatifs ne sont pas toujours tres surs ; la preuve, un de mes amis qui en 
porta it un a ete renverse par un bus. » Bob Rubin. 

— Pretre : « Un pretre est un hoinme que tout le monde appelle pere sauf ses propres enfants, qui sont 
obliges de Tappeler oncle. » Anonyme. 

— Problerne : « Un probleme, e'est une solution qui sait se faire desirer. » Gregoire Lacroix. 

— Progres : « Onn'arrete pas le progres, il s'arrete tout seul. » Alexandre Vialatte. 

— Prostate : « La vie rn'a appris qu' il y a deux choses dont on peut tres bien se passer : la 
presidence de la Republique et la prostate. » Georges Clemenceau. 

— Prostituee : « Une prostituee a son client : "Un vrai travail que d'avoir du plaisir avec vous !" » 
Anonyme. 

— Psychiatre : « A Hollywood, soit on va chez un psychiatre, soit on est un psychiatre qui va che2 le 
psychiatre. » Truman Capote. 

« Un psychiatre, e'est quelqu'un qui, lorsqu'il va voir un strip-tease, regarde le public. » Mervyn 
Stockwood, 

— Publicite : « Dieu lui-meme croit a la publicite : il a mis des cloches dans les eglises. » Sacha 
Guitry. 



Q 



Quasimodo : « Personnage de Victor Hugo qui bossait a Notre-Dame. » Raoul Lambert. 



R 

— Racine : « Les racines des mots sont-elles carrees ? » Eugene Ionesco. 

— Reconnaissance : « La reconnaissance est une maladie du chien non transmissible a rhomrne. » 
Anonyme. 

— Reflexion : « Les miroirs feraient bien de reflechir avant de renvoyer les images. » Jean Cocteau. 

— Regime : « Un regime equilibre ? Un sandwich au jambon dans chaque main. » Ian Healy. 

— Reincarnation : « Je ne prends jamais un avion si je sais que le pilote est un adepte de la 
reincarnation. » Spalding Gray. 

— Relation : « Personne que nous connaissons sufiisamment pour lui enprunter de r argent, mais pas 
assez pour lui en preter. » Ambrose Bierce. 

— Relativite : « En fait, e'est tres simple. On croit que e'est le train qui avance et e'est la gare qui 
recule. » Anonyme. 

— Remede ; « II n'y a pas de remede de bonne feinme contre les mauvaises. » Jules Renard. 

— Rengaine : « Une rengaine, e'est un air qui commence par vous entrer par une oreille et qui finit 
par vous sortir par les yeux. » Raymond Devos. 

— Renseignement : « Bien que nos renseignements soient faux, nous ne les garantissons pas. » Erik 
Satie. 

— Requiem : « II n'y a que le cadavre qui puisse supporter avec patience le Requiem de Brahms. » 
George Bernard Shaw. 

— Respirer : « Si tout le monde s'arretait de respirer pendant une heure, il n'y aurait plus d'effet de 
serre. » Anonyme. 



— Restaurant : « Quand vous allez au restaurant, choisissez de preference une table pres d*un 
garcon. » Sam Goldstein 

« Le secret de la longevite de notre manage ? Un bon restaurant deux fois par semaine. Diner aux 
chandelles et musique douce.. . Elle le mardi, moi le vendredi. » Henny Youngman. 

— Rhinoceros : « Si la corne de rhinoceros est un puissant aphrodisiaque, pourquoi cette espece est- 
elle en voie d* extinction ? » Rory McGrath. 

— Rhume : « J'ai pris monrhume en grippe. » Sacha Guitry. 

— Rire : « Comment rira celui qui mourra le dernier ? » Jacques Sternberg. 
« Le rire est le saut du possible dans Timpossible. » Georges Bataille. 

« Le rire n' est jamais graruit : rhomme donne a pleurer mais prete a rire. » Pierre Desproges. 

« vous, homines superieurs, apprenez done a rire. » Friedrich Niet2sche. 

« Le rire ? Ne m'appelezplus pour ce sujet. Je n'y suis pour Bergson. » Francis Blanche. 

« Qui rit vendredi, e'est toujours ga de pris. » Francois Cavanna. 

« Le rire est a rhomme ce que la biere est a la pression. » Pierre Dae. 

« Rions avec... unsumotori anorexique. 

Rions avec... Marthe Richard. 

Rions avec... Karl Lagerfeld. 

Rions avec... Quasimodo. 

Rions avec... la veuve de rayatollahKhomeyni. 

Rions avec... le docteur Petiot. 

Rions avec. . . un mormon. 

Rions avec... Leonard Cohen. 

Rions avec... Harpagon. 

Rions avec... un restaurateur chinois. 

Rions avec... untaliban. 

Rions avec... Bernadette Soubirous. 

Rions avec... Louis XI. » Jean-Louis Fournier. 

— Robe : « Les femmes aiment mieux que Ton froisse leur robe que leur amour-propre. » Jean Louis 
Auguste CommersorL 

— Roi : « Les Rois mages etaient trois. II y avait Cesar, et pis Marius et pis Fanny. » Pierre 
Desproges. 

« Lorsqu'un commercant affinne que le client est roi, mefions-nous de la guillotine. » Robert 
Sabatier. 

— Rond : « La preuve que la Terre est ronde, e'est que les gens qui ont les pieds plats ont du rnal a 
marcher. » Charles Bernard. 

— Rose : « Faites porter une douzaine de roses a la chambre 424 et vous mettrez "Emily je vous 
aime" au dos de la note. » Groucho Marx. 

— Roseau : « Le roseau est un homme qui ne pense pas. » Roland Dubillard. 

— Russe : « Tout le monde sait que le grand poete russe Mai'akovski s'est suicide. Ce que Ton sait 
moins, e'est que ses derniers mots ont ete : "Ne tirez pas, carnarades !" » Fred Botten. 

« Lorsqu'un Russe vomit sur la place Rouge a Moscou, il y a toujours quelqu'un pour venir lui glisser 
a Toreille : *Tuas raison, camarade, je pense comme toi." » Alexis Hart. 



— Salaire : « J'ai un salaire a sept chiffres. Malheureusement, c'est en comptant la virgule. » Robert 
McFly. 

— Salle de bains : « J*ai grandi avec six freres. (Test comme 9a que j'ai appris a danser, en 
attendant que la salle de bains soit libre. » Bob Hope. 

— Sante : « On a beau avoir une sante de fer, on finit toujours par rouiller. » Jacques Prevert. 

— Savant : c< II y a deux sortes de savants : les specialistes, qui connaissent tout sur rien, et les 
philosophes, qui ne connaissent rien sur tout. » George Bernard Shaw. 




— Scepticisme : « Le scepticisme commence quand, assis dans une eglise entre un flic et une bonne 
sceur, vous constatezque votre portefeuille a disparu » Colin Bowles. 

— Sculpture : « Le moins que Ton puisse dernander a une sculpture, c'est qu'elle ne bouge pas. » 
Salvador Dali. 

— Secret : « Surtout, n'oubliez pas de rappeler a tout le monde que c'est un secret ! » Gerald 
F. Lieberman. 

— Serpent : « Si un serpent pue des pieds, c'est vraisemblablement un imposteur. » Vincent 
Haudiquet. 

« Certains serpents sont sourds au point d'ignorer qu' ils ont des sonnettes. » Vincent Haudiquet. 

— Shakespeare : « C'est tres fatigant de jouer du Shakespeare. On n'a jamais le temps de s'asseoir, 
sauf si on joue le roi. » Josephine Hull. 

— Sieste : « Une petite sieste, et apres, hop ! au lit. . . » W. C. Fields. 

— Singe : « II a bien fallu que le singe s'arrete quelque part pour que rhomme puisse en 
descendre. » Sylvain Tesson. 

— Sourd : « II ne faut jamais gifler un sourd. II perd la moitie du plaisir. II sent la gifle mais il ne 
Tentend pas. » Georges Courteline. 

— Statistiques : « II y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les gros mensonges et les 
statistiques. » Mark Twain. 

— Stupide : « Mieux vaut avoir l'air conditionne que l'air stupide. » Pierre Legate. 

— Suicide : « Bien des fois j'ai pense mettre fin a mes jours, mais je ne savais jamais par lequel 
commencer. » Jacques Prevert 

« J'ai adore ce livre sur le pouvoir de la pensee positive, jusqu'au jour 011 j'ai appris que l'auteur 
s'etait suicide. » Nick Job. 

— Suisse ; « En trente ans de Borgia, de meurtres, de sang et de terreur, l'ltalie vit fleurir la 
Renaissance, Michel-Ange et Leonard de Vinci. En cinq cents ans de paix et de democratie, que nous a 
apporte la Suisse ? Le coucoil » Orson Welles. 

— Superstition : « Je ne suis pas superstitieuse. Cela me porterait la poisse. » Babe Ruth. 

— Suppositoire : « Je n'aime pas vos suppositoires. Cela n'est pas commode et puis ca laisse un 
mauvais gout dans la bouche. » Roland Dubillard. 



Surdoue : « Le surdoue : on lui montre un poil, il voit le pubis. » Louis Scutenaire. 
Surnaturel : « Chassez le surnaturel, il revient au chateau. » Jean- Jacques Thibaud. 



— Tact : « Le tact c'est de faire sentir a vos invites qu'ils sont chez eux, alors que vous souhaiteriez 
qu'ils y soient vraiment. » Robert McFly. 




— Talons : « Les talons hauts ont etc inventes par une femme qu'on embrassait toujours sur le front. » 
Marcel Achard. 

— Telephone : « Le telephone est une invention formidable, qui perrnet de parler a des gens sans etre 
oblige de leur offrir a boire. » Fran Lebowitz. 

— Television : « Si la TV n'avait pas ete inventee, on serait encore en train de se faire des plateaux 
radio. » Johnny Carson. 

« La television permet a des gens qui n'ont rien a faire de regarder des gens qui ne savent rien faire. » 
Glenda Jackson. 

— Temoin : « Etre temoin de Jehovah ? Impossible, je n'ai pas vu l'accident » Anonyme. 

— Temps : « Le temps n'a jamais pris son vol. » Louis Scutenaire. 

— Tennis : « Le tennis et le ping-pong, c'est pareil. Sauf qu'au tennis, les joueurs sont debout sur la 
table. » Coluche. 

— Tentation : « Depechez-vous de succomber a la tentation avant qu'elle ne s'eloigne. » Casanova. 

— Terroriste : « La difference entre un terroriste et ma femme, c'est qu'avec un terrorists on pent 
negocier. » Frank Carsoa 

— Theatre : « Je fais des pieces et ma femme des scenes. » Eugene Labiche. 

— Thermometre : « II faisait si chaud que sur le thermometre, on pouvait lire : voir colonne 
suivante. » Anonyme. 

— Titre nobiliaire : « II est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire : etre "de quelque 
chose", 9a pose un homme, comme etre "de Garenne", 9a pose un lapin. » Alphonse Allais. 

— Tolerance : « Tolerez mon intolerance. » Jules Renard. 

— Top model : « L'autre jour j 'ai passe une soiree avec une top model. On a vu un film, puis on a 
dine entete a tete. C'etait idyllique. Ensuite, F avion a atterri. » Dave Attell. 

— Tourisme : « Le tourisme est r Industrie qui consiste a transporter des gens qui seraient mieux chez 
eux, dans des endroits qui seraient mieax sans eux. » Jean Mistier. 

« Un touriste, c'est quelqu'un qui fait des milliers de kilometres pour se faire photographier devant sa 
voiture. » Robert Benchley. 

— Tout : « Tout a ete dit, meme "Tout a ete dit." » Vincent Haudiquet. 



— Tracteur : « Qui met la charrue avant les bceufs fait rigoler les tracteurs. » Raoul Lambert. 

— Train : « Le meilleur moyen de prendre un train a l'heure, c'est de s'arranger pour rater Ie 
precedent. » Marcel Ac hard. 

— Travail : « Combien de personnes travaillent dans votre societe ? — Environ la moitie. » Gyles 
Brandreth. 

« Le travail c'est la sante... Mais a quoi sert alors la medecine du travail ? » Pierre Dae. 
« Le travail acharne n'est que Ie refuge des gens qui n'ont rien d'autre a faire. » Oscar Wilde. 
« J'aime le travail, il m'enchante. Je resterais des heures a le contempler. » Jerome K. Jerome. 
« Le treizieme travail d'Hercule : trouver un emploi. » Roland Topor. 

« Que veut la classe laborieuse ? La classe laborieuse veut simplement ne pas travailler. » Alphonse 
Karr. 

— Trefle : « Pour un trefle a quatre feuilles, la chance c'est quand personne ne le trouve. » Sylvain 
Tessoa 

— Trone : « Quel que soit Ie tronc, on est toujours assis sur son cul. » Rabelais. 

— Tunnel : « Remercions Dieu qui a place les tunnels la oil passent les chemins de fer. » Henri 
Rochefort. 



U 

— Urologue : « Si un urologue vous propose un verre, n'acceptez surtout pas ! » Jackie Vernon. 



— Vacances : « Le probleme des vacances, c'est qu'on ne peut pas telephoner du bureau. » Jean- 
Jacques Vanier. 

— Vache : « D'apres les scientifiques, 1 "animal le plus rapide du monde serait une vache de 400 kg 
lachee d'un helicoptere volant a 800 m, a la vitesse de 200 km/h. » Dave Barry. 

— Valise : « Elle etait vraiment tres belle ; meme les valises qu'elle avait sous les yeux venaient de 
chez Gucci. » Kenny Everett. 

— Var : « Le Bas-Var aux Bas- Varois ! » Alphonse Allais. 

— Vengeance : « A regard de quelqu'un qui vous prend votre femme, la pire vengeance est de la lui 
laisser. » Sacha Guitry. 

— Vent : « Qui seine le vent court vraiment tres tres vite. » Jean-Jacques Thibaud. 

— Venus : « Un bon vendeur, c'est un type qui serait capable de vendre un stick deodorant a la Venus 
de Milo. » Max Bera 

— Verite : « Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la verite ne serait pas loin, » 
Pierre Dae. 

— Veuve : « II vaut mieux etre le second mari d'une veuve que le premier. » Anonyrne. 

— Vicieux : « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. » Eugene lonesco. 

— Vie : « La vie est ce que vous faites quand vous ne dormez pas. » Fran Lebowitz. 
« La vie m'aura servi de lecoa Je ne recomrnencerai pas. » Frederic Dard. 

« La vie, c'est de tenir, une fois degrise, ses serments d'ivrogne. » Gustave Thiboa 

— Vieillesse : « Y a pas seulement cent ans, on mourait plus jeune de vieillesse. » Francois Caradec. 
« Tout le monde peut devenir vieux. II suffit de vivre assez longtemps. »• Groucho Marx. 



« II est tellement vieux qu'il possede un exemplaire dedicace de la Bible. » Anonyme. 
« On est vraiment devenu vieux quand les bougies commencent a couter plus cher que le gateau. » 
Bob Hope. 

— Vierge : « Si j'avais ete la Vierge, j'aurais dit non. » Stevie Smith. 

— Vison : « Pour avoir un beau vison, les femmes font exactement ce que font les mamans visons 
pour avoir des petits. » Anonyme. 

— Vitesse : « C'est parce que la vitesse de la lurniere est plus rapide que celle du son que certains 
ont Fair brillants avant d'avoir Fair con. » Anonyme. 

— Vivre : « II n'y a pas de raison de vivre, mais il n*y a pas de raison de mourir non plus. » Andre 
Breton. 

— Vol : « Qui vole un bceuf est vachement muscle. » Chaval. 

— Vulgaire : «Onditdemoi quejesuis vulgaire. C'est de laconnerie ! » Mel Brooks. 



W 

— Western : « Quand on joue dans un western, on peut embrasser le cheval mais pas Factrice ! » 
Gary Cooper. 



— Zigzag : « Un zigzag est le chemin le plus court pour aller d'un bar a un autre. » Leonard Louis 
Levinson. 

— Zozo : « Uhomme est un zozo, le plus faible de la nature, mais c'est un zozo pensant. » Jean 
TardieiL 




Merci a... 



Laurent Beccaria, pour m' avoir souffle une aussi bonne idee, et a Jean-Claude Simoen de l'avoir 
validee. 

A Anne Camberlin. Christiana Courbey, Ninon Signoret pour leur collaboration et a Magali Veyrier, 
d'avoir si bien gere la logistique. 

A Patrice Delbourg, Jean-Louis Fournier, Nathalie Kristy, Eric Bouhier, Yves Fremion, Pascal 
Fioretto, Philippe Thuillier, Philippe Heracles et Chantal Desmazieres pour leurs conseils avises. 

Et a Hugues de Saint Vincent, pour sa patience. 



Bibliographic 

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FDG. le Guide du futur directeur general, Herme. 1986 

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lleaume Sweet Home, Dictionnaire Ulustre des homonymes franco-anglais, Harrap's, 1989 

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Sky Mr. Algood ! Pa rlons francais avec M. Toubon, Mille et Une Nuks, 1994 

Quarante ans el apres..., Le livrc de ma vie, Hors Collection. 1994 

Y a-l'it une courge tie clans I'altache'case ? Comment purler anglais en parlant franc-ais. Belfond, 1994 

Elysee, premiere annee : cours elemenlaire, Jean-Claude Lattes, 1995 

Sky ! My Friend : petit Iraite ale la mesentente cordiafe, Robert Laffonl, 1995 

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Antigone de la nouille. Mots el Cie. 2002 

J 'at un mot a vous dire : un mat se raconte.... Mots et Cie, 2002 
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The New Yorker, I 'humour au bureau. Les Arenes. 2012 



Dans la me me collection 



Ottvrages parus 

Philippe Alexandre 

Dictionnuire ammireux de lu politique 

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Alain Baraton 
Dictionnuire amoureux dcs jardins 

AEah Bauer 

Dictionnuire umoureux de la franc-nmconnerie 

Yves BERGER 
Dictionnuire umoureitx de I'Amerique (epuise) 

Jean-Claude Carriere 

Dictionnuire amoureux de Vlnde 

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Dictionnuire amoureux ties trains 

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Dictionnuire amoureux de I'Espagne 

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Dictionnuire umoureux de.s heros (epuise) 

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Dictio>nnaire amoureux de la television 

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Dictionnuire umoureux des Mille et One NuttS 

Jean-LoupCHIFLET 



Diclionnaire amoureux de I 'humour 

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Diclionnaire amoureux tie la Rome antique 

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Diclionnaire amoureux de la metlecine 

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Diciionnaire amoureux de la Bible 

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Diclionnaire aniourettx de la Russie 

Diclionnaire amoureux de I 'lia/te (deux volumes, sous coffret) 

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Diclionnaire amoureux de I'Histoire de France 

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